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Dominique Perrut
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ENDominique Perrut
Un pas décisif sur le chemin de l'Union bancaire
La réforme d'ensemble de l'Union économique et monétaire, entreprise par le Conseil européen de juin 2012, pour répondre à la crise de l'euro et assurer sa pérennité, repose sur deux piliers, la réforme de la gouvernance économique et l'Union bancaire[1]. Celle-ci est pour l'essentiel construite sur deux bases, le Mécanisme de résolution unique des crises bancaires, adopté à la fin de la précédente mandature et le Mécanisme de supervision unique, instaurant la Banque centrale européenne (BCE) comme superviseur unique des banques de la zone euro[2]. Investie de ces nouveaux pouvoirs le 4 novembre 2013, la BCE a lancé, dans le cadre des travaux préparatoires prévus dans le règlement[3], une opération de grande envergure, qualifiée d'Évaluation complète. Celle-ci vise à établir un bilan de santé du secteur bancaire de la zone euro, suivi des mesures correctives nécessaires, préalablement à la prise en charge effective par la BCE de ses nouvelles attributions, le 4 novembre 2014.
Dans cet exercice sans précédent, quant à son champ et à la profondeur de ses investigations, les responsables de la BCE, qui poursuivent des objectifs de transparence, d'assainissement des banques et de renforcement de la confiance[4], sont confrontés à deux enjeux décisifs.
D'une part, il s'agit d'établir la crédibilité de la BCE dans son rôle de superviseur unique. Celle-ci doit œuvrer avec l'Autorité bancaire européenne (ABE)[5] et les Autorités de contrôle nationales. La responsable de la supervision unique, Danièle Nouy, résume ce défi sans ambiguïté : " Nous savons que nous ne disposons que d'une seule occasion pour établir notre crédibilité et notre réputation "[6]
D'autre part, le secteur bancaire doit être assaini pour deux raisons :
· D'un côté, le rétablissement de la santé bancaire conditionne la fiabilité du futur Mécanisme de résolution unique (MRU) ; en effet, plus drastique sera l'ajustement pratiqué par cette opération-vérité et moindres seront les probabilités de défaillance ultérieures de banques, risquant de mettre en jeu le MRU ;
· De l'autre, la capacité des banques à prêter à l'économie doit être restaurée. Malgré les injections massives de liquidités consenties par la BCE auprès des banques depuis la fin 2011, les crédits à l'économie n'ont cessé de diminuer dans la zone euro. Le recul est de 5,5 % entre fin 2011 et août 2014. La chute est encore plus accentuée pour les entreprises : - 9,1%. Cette baisse trouve en partie son origine dans la fragilité des banques. Le renforcement des banques est donc une condition de la reprise du crédit. Mais l'offre de prêts doit aussi rencontrer une demande émanant de l'économie, et celle-ci, après deux années de léger recul en volume, ne se redresse que très faiblement en 2014[7].
1 - Le déroulement de l'Évaluation complète
1.1 - Le champ et l'organisation
Le champ
Le choix a été fait de limiter celle-ci aux banques dites d'importance significatives, répondant aux critères suivants[8] :
· Une valeur totale de bilan (lequel fournit un ordre de grandeur de l'activité) excédant 27 milliards €, ce qui constitue un seuil assez faible, correspondant à une banque régionale européenne de taille moyenne. Les groupes sont retenus selon le critère du plus haut niveau de consolidation dans le pays[9] ;
· Dans chaque État membre, les trois banques les plus significatives (cas des 3 banques slovaques et de 2 banques slovènes) ;
· Les banques dont le total de bilan dépasse 20% du PIB du pays d'implantation (cas des banques estoniennes, chypriotes et maltaises) ;
· Les banques ayant une forte activité transfrontalière (cas de 2 banques autrichiennes et d'une banque belge) ;
· Les banques ayant reçu une aide de l'Union[10].
Un total de 130 banques ou groupes bancaires répondant à ces critères et représentant 81,6% des actifs bancaires de la zone euro, soit 22.000 milliards € (environ 24% des actifs bancaires mondiaux[11]) ont ainsi fait l'objet de l'Évaluation complète, avant d'être, pour la plupart, soumis à la supervision directe par la BCE[12].
L'organisation
L'Évaluation complète, qui a débuté en novembre 2013, a mis en jeu la BCE, assistée notamment du cabinet Oliver Wysman, et les Autorités nationales compétentes, également assistées de compétences externes. On estime à 5.000 le nombre des experts externes intervenus dans l'opération. Des équipes conjointes ont réuni des auditeurs de la BCE et des superviseurs nationaux.
Par ailleurs, les banques soumises à cet exercice ont mobilisé d'importantes équipes pour répondre, non sans quelques tensions, aux nombreuses demandes des superviseurs. On estime que plus de 500 personnes ont pu être ainsi mobilisées dans le cas d'un groupe bancaire de premier plan.
Enfin, l'Autorité bancaire européenne, régulateur et superviseur de l'Union, est intervenue, pour fournir à la BCE certaines normes techniques en vue d'une harmonisation des règles et pratiques de supervision et conduire les tests de résistance en coordination avec cette dernière.
1.2 - Les deux grandes phases de l'Évaluation complète
A - L'Examen de la qualité des actifs
Cette étape est intervenue après une phase préparatoire, qualifiée d'Évaluation prudentielle des risques (" Supervisory Risk Assessment "), consistant en l'appréciation qualitative et quantitative des facteurs de risques majeurs, liés notamment à la liquidité, à l'effet de levier et au financement.
Très ambitieux dans ses objectifs, puisqu'il a passé en revue plus de la moitié des actifs pondérés des banques retenues[13], soit 58% correspondant à 3.720 milliards €, l'Examen de la qualité des actifs (" Asset Quality Review ") visait à évaluer, selon une méthodologie uniforme et des définitions harmonisées, les bilans des banques de l'échantillon, sur la base de leurs comptes au 31 décembre 2013. Lors de cet exercice, dont la finalité était plus prudentielle (identifier les risques) que comptable, il s'agissait notamment, pour les superviseurs :
· D'examiner la valorisation des différents actifs et leur adéquation avec les règles en vigueur ;
· De vérifier la bonne classification et identification des créances et autres engagements douteux et, par suite, de s'assurer que des provisions suffisantes avaient bien été constituées face à ces actifs compromis ;
· D'évaluer, enfin, la valorisation des instruments complexes et des actifs à haut risque, en particulier les actifs d'arbitrage (ceux du " trading book ") réputés difficiles à évaluer. Parmi ces derniers, les actifs dits de " juste valeur de niveau 3 " ont été particulièrement examinés[14].
Au terme de l'exercice, les écarts par rapport aux comptes publiés à la fin 2013 résultant de ces investigations ont été imputés sur les fonds propres des banques dont le noyau dur (ou Common Equity Tier 1, CET1) devait, après corrections, rester supérieur à un minimum requis, fixé à 8% des actifs pondérés par les risques[15].
Cet examen a été conduit selon trois temps :
· L'échantillonnage des portefeuilles à examiner ; 800 portefeuilles ont été ainsi sélectionnés, correspondant à 119.000 emprunteurs. Ces portefeuilles devaient représenter au moins la moitié des risques de crédit de chaque banque passée en revue ;
· L'exécution de cette évaluation qui a été menée par des équipes conjointes de la BCE et des superviseurs nationaux ;
· La compilation des données, qui a mis en œuvre une procédure d'assurance de qualité, une analyse comparative et une évaluation finale centralisée. On notera qu'à partir des ajustements pratiqués sur les portefeuilles analysés, des projections ont été opérées afin de redresser également les portefeuilles non examinés.
Le cadre comptable retenu est celui des standards internationaux adoptés par l'Union, c'est-à-dire le référentiel IFRS[16]. Cependant, les normes nationales sont admises dans certains cas. Par ailleurs, afin de remédier à la disparité dans les pratiques de supervision selon les pays, les travaux de l'ABE ont été utilisés, en particulier pour la définition, essentielle, des prêts et autres engagements douteux (" non performing exposures ") ainsi que des moratoires (" forbearance "). Cette norme de l'ABE a fait l'objet, de la part de la BCE, d'une version simplifiée[17]. Celle-ci n'assure pas une totale homogénéité mais apporte néanmoins " un degré raisonnable de standardisation "[18].
Les règles concernant la définition de la " juste valeur " ont également été précisées, notamment pour les actifs valorisés selon le niveau 3 (" Level 3 Fair Value "), les seuls à entrer dans le champ de l'Examen de la qualité des actifs[19]. Il s'agit des actifs uniquement évalués sur la base de modèles reposant sur des paramètres non observables. Ce travail d'harmonisation est, semble-t-il, resté modeste, mais il a cependant conduit à apporter, notamment dans le cas des banques françaises, des corrections non négligeables.
B - Les tests de résistance (le Stress test)
À la différence de l'Examen de la qualité des actifs (EQA), destiné à valider ou, le cas échéant, à corriger les derniers comptes publiés, à la fin de 2013, les tests de résistance (ou Stress Test) cherchent à évaluer la capacité des banques à absorber dans le futur des chocs externes hypothétiques en cas de crise. L'intégration de ces deux exercices constitue sans nul doute un trait novateur et l'une des forces majeures de l'Évaluation complète. En effet, c'est le résultat de l'Examen de la qualité des actifs, conduisant à des ajustements sur les comptes publiés, qui sert de point de départ comptable aux tests de résistance.
Ceux-ci ont été entrepris et coordonnés par l'Autorité bancaire européenne (ABE), en vertu de ses attributions[20]. L'ABE s'est chargé d'établir une méthodologie et des scénarios communs, et de centraliser les résultats dans des formulaires standardisés (les " Templates "). L'opération a été menée conjointement avec la BCE (dans le cadre de l'Évaluation complète) et les superviseurs nationaux pour les Etats qui ne sont pas membres de la zone euro. Il incombait à ces superviseurs (BCE et autres autorités nationales) de valider les résultats des tests remis par les banques.
Deux scénarios macro-économiques ont été construits. Le premier est un scénario de référence (" baseline scenario ") fourni par la Commission sur la base de ses projections économiques normales pour la période 2014-2016. La croissance dans l'Union, comme dans la zone euro, y est comprise entre 1% et 2%.
Reprenant cette base, le Comité européen du risque systémique (CERS), a construit des hypothèses fondées sur l'apparition ou l'aggravation de quatre risques systémiques (hausse des taux à long terme, détérioration des conditions du crédit, stagnation des réformes structurelles et absence d'assainissement bancaire) pour élaborer un scénario de crise (dit adverse). Ce dernier aboutit notamment à un niveau de PNB dans la zone euro en retrait de 6,6% en 2016 par rapport au scénario de référence de la Commission, et à un taux de chômage de 13,5% pour la même année (contre 11,3% pour le scénario central). Selon le scénario de crise, les prix des logements de la zone euro enregistrent une chute cumulée d'environ 15% en 2016, soit un écart de 19% avec le scénario de référence[21].
Les banques soumises aux tests de résistance ont eu à charge, selon une méthodologie aussi précise que complexe, de traduire les effets de ces deux scenarios dans leurs comptes, en calculant leur impact sur chacune des catégories de risques suivants : risque de crédit, de marché, de titrisation, risque lié aux expositions souveraines et risque lié aux coûts des ressources et aux revenus d'intérêt[22].
À l'issue des tests de résistance, les banques devaient présenter un minimum de fonds propres (après imputation des ajustements opérés par l'Examen de la qualité des actifs) de 8% pour le scénario de référence et de 5,5% pour le scénario de crise.
Ces tests de résistance ont été menés au niveau de l'ensemble de l'Union. Ils ont concerné 123 groupes bancaires de 22 pays de l'Union, représentant 28.000 milliards € d'actifs, soit 70% des actifs bancaires, et incluaient notamment, outre les groupes de la zone euro, 4 banques britanniques, 6 banques polonaises, et 4 banques suédoises.
L'intégration des résultats (ou join-up) de l'Examen de la qualité des actifs et des tests de résistance s'est opérée dans le cadre d'une méthodologie incluant une discussion contradictoire entre la BCE et les banques concernées. À partir de début octobre, un " dialogue prudentiel " sur les résultats s'est instauré. Pour chaque banque examinée, ce dialogue a réuni des membres de la BCE (dont les équipes de supervision conjointes[23]) les autorités nationales, et la banque supervisée.
2 - Les résultats et les mesures correctives
2.1 - Examen des résultats
Chaque banque a fait l'objet d'un formulaire (ou " Template ") reprenant notamment l'impact des ajustements pratiqués, distinguant les résultats de l'examen de la qualité des actifs et ceux de chacun des scénarios des tests de résistance, sur les fonds propres. Ces fiches sont publiées et un degré de détail assez fin permet de voir l'origine de ces corrections. Par ailleurs, des résultats agrégés au niveau d'ensemble, incluant des éléments pour chacune des banques supervisées sont fournis dans un rapport de la BCE[24]. L'ABE a publié un rapport et des fiches analogues pour les tests de résistance[25].
Globalement, pour l'ensemble de l'échantillon de l'Évaluation complète conduite par la BCE, sous l'effet conjoint de l'Examen de la qualité des actifs et des tests de résistance, l'impact de l'exercice se traduit par une diminution de 263 milliards € du capital des banques, dont :
· Un montant de 216 milliards € (soit 22% du capital détenu par les banques à la fin de 2013), qui traduit, pour 34 milliards € nets, l'effet de l'EQA et, pour 182 milliards €, l'effet des tests de résistance.
· Un montant de 47 milliards €, qui résulte de l'augmentation des actifs pondérés liés au déroulement de l'activité dans le cadre des tests de résistance (sur la période 2014-2016).
La France, l'Italie et l'Allemagne enregistrent les plus fortes diminutions de capital, comprises pour chaque pays entre 46 et 49 milliards €, tandis que la Grèce et l'Espagne voient chacune leur capital diminuer de 22,5 milliards €. Ces éléments doivent bien sûr être relativisés par le poids respectif des différents pays. La variation du ratio de capital entre le début et la fin de l'exercice fournit justement un bon indicateur de la résistance comparée des systèmes nationaux. Ainsi, pour une diminution moyenne de 3,4 points du ratio de capital (CET1) qui chute de 11,8% à 8,4% pour l'ensemble de l'échantillon, on observe, selon les pays :
· En France, une baisse du ratio de 2,5 points, le ratio passant de 11,5% à 9% ;
· En Allemagne, une baisse du ratio plus importante, soit -4 points, le ratio passant de 13,1% à 9,1% ;
· En Espagne, une chute très modérée du ratio, soit -1,6 point, le ratio passant de 10,6% à 9% ;
· En Italie et en Grèce, pays pour lesquels on ne dispose pas d'éléments agrégés suffisants, la chute du ratio est respectivement de 4 points et de 10,9 points, ce qui illustre l'ampleur de l'impact sur les banques grecques.
Un montant de 24,6 milliards €, inclus dans cette somme globale de 263 milliards €, correspond aux insuffisances de capital constatées pour les banques tombant au dessous des seuils requis. Ces insuffisances de capital concernent 25 banques, notamment d'Italie (9,7 milliards €, pour 9 banques[26]), de Grèce (8,7 milliards € pour 3 banques), ainsi que de Chypre (2,4 milliards € pour 3 banques).
Face à ces insuffisances, les fonds propres déjà levés par les banques concernées en 2014 atteignent 15,2 milliards €, ce qui réduit à 9,5 milliards € les besoins de capitaux à combler. Ceux-ci concernent 14 banques, dont notamment 4 banques italiennes (avec un besoin de 3,3 milliards €, dont 2,1 milliards € pour Banca Monte dei Paschi), et 2 banques grecques (2,7 milliards €, dont 1,8 milliard € pour Eurobank).
L'impact des ajustements sur les fonds propres opéré dans le cadre de l'Examen de la qualité des actifs est de 48 milliards € bruts (soit 34 milliards € nets après impact fiscal), ce qui correspond pour l'essentiel à des augmentations de provisions individuelles et collectives, surtout au titre des engagements douteux (43 milliards € de valeur brute) et aux corrections apportées par le revue de la juste valeur (5 milliards €). L'impact brut de l'EQA selon les pays et les catégories d'actifs redressés a notamment concerné les banques des pays suivants:
· Italie, 12 milliards €[27], concernant presque exclusivement les portefeuilles de prêts aux grandes entreprises ;
· Grèce, 7,6 milliards €, concernant les portefeuilles de prêts aux grandes entreprises (4,7 milliards € environ), mais aussi l'immobilier résidentiel (2,3 milliards €) ;
· France, 5,6 milliards €, concernant surtout les portefeuilles de prêts aux grandes entreprises (3,2 milliards € environ), mais aussi les corrections sur les actifs évalués en juste valeur (1,2 milliard €) ;
· Allemagne, 6,7 milliards €, concernant surtout les grandes entreprises.
À la suite des reclassements opérés, les encours de prêts et autres engagements douteux se sont accrus dans les bilans, au terme de l'exercice, de 136 milliards €, sous l'effet de l'harmonisation des définitions (55 milliards €) et de l'identification de nouveaux engagements douteux (81 milliards €). Le stock total d'engagements douteux passe ainsi de 743 milliards € à 879 milliards €, soit une hausse de 18%. Le taux d'encours douteux, évalué par rapport à l'ensemble du portefeuille de prêts (16.400 milliards €) passe ainsi, selon nos estimations, de 4,5% à 5,4% à la suite de l'exercice.
2.2 - Les mesures correctives
Les 14 banques ayant une insuffisance de capital à l'issue de l'exercice ont dû soumettre un plan de recapitalisation pour le 10 novembre. Ces plans doivent combler les déficits de capitaux en 6 mois s'ils résultent de l'EQA ou du scénario de référence des tests de résistance, et de 9 mois s'ils résultent du scénario de crise. Ces programmes sont évalués par des équipes de supervision conjointes (BCE et superviseurs nationaux)[28], qui suivront leur mise en œuvre.
Les recapitalisations doivent mobiliser pour l'essentiel des sources privées : nouvelles émissions entrant dans la définition des fonds propres durs, CET1, incluant des instruments convertibles ; des capitaux dits additionnels ainsi que des délestages d'actifs et des rétentions sur les profits de 2014 sont admis dans certaines limites. Si ces mesures sont insuffisantes, le recours aux mécanismes de résolution, puis aux aides publiques, étroitement encadrées par l'Union, sont prévues[29]. On ne trouve pas mention de concours éventuels du Mécanisme européen de stabilité.
3 - Les leçons et les questions
3.1 - Une Évaluation complète rigoureuse
On a pu s'étonner de la faiblesse des déficits en capitaux (24,6 milliards €) résultant de l'Évaluation complète. Rappelons à cet égard que des mesures ont été prises par les banques dès l'annonce de cette opération, en juillet 2013. Entre cette date et août 2014, le renforcement des fonds propres au regard des actifs pondérés a atteint un montant de 203 milliards €, soit par des augmentations de capitaux propres (136 milliards €), soit par des ventes d'actifs (67 milliards €). Ces programmes ont permis aux banques de se préparer à l'exercice dans de meilleures conditions.
L'Examen de la qualité des actifs (EQA) est un complément ambitieux dans le cadre de ce type d'évaluation, souvent cantonnée à des tests de résistance. Sur la base d'une méthodologie et d'une organisation solides, le déroulement de l'EQA a conduit à d'importantes corrections, surtout en matière d'engagements douteux, avec des conséquences sur les fonds propres. Cette opération a toutefois montré deux limites, dont les responsables eux-mêmes conviennent[30]. D'une part, si le processus d'harmonisation a progressé quant aux engagements douteux et à l'appréciation des actifs en juste valeur, la convergence est loin d'être achevée. L'instauration d'une définition homogène des fonds propres, par exemple, figure en tête de l'agenda de la BCE. D'autre part, l'opération, concentrée sur les actifs financiers, n'a pas pris en compte tous les risques encourus par les banques et notamment : les portefeuilles d'actifs appréciés en juste valeur de niveau 1 et 2, estimés plus sûrs que ceux de niveau 3 ; la plupart des actifs non financiers ainsi que des exigibilités au passif ; les risques opérationnels et de litiges, avec les provisions correspondantes[31].
Sur les tests de résistance, du point de vue de la durée envisagée, 3 ans, et des nombreux paramètres contraires retenus, les scénarios des tests de résistance de 2014 sont nettement plus sévères que ceux pratiqués en 2009 et 2010 (par le CEBS[32]) et en 2011 par l'ABE. Vivement critiqués, ces tests avaient terni l'image de ces institutions. Le scénario de crise des tests de 2014 retient un recul cumulé du PNB de 5,1% en deux ans et de -6,6% en trois ans par rapport au scénario central, ce qui s'avère plus contraignant que les tests antérieurs. Il est vrai que, dans le cadre d'un exercice analogue, le Federal Reserve introduit en 2014 un scénario " sévèrement adverse " avec une déviation du PNB de 8,9% par rapport au scénario central[33]. On admet toutefois, en dépit des critiques sur l'absence de scénario déflationniste ou de prise en compte des litiges en cours, que l'exercice mené dans l'Union en 2014 se rapproche de celui réalisé aux États-Unis en 2009 dans l'immédiate après-crise, considéré comme une référence en matière de rigueur[34].
L'Évaluation complète s'est réalisée dans d'assez bonnes conditions de transparence. Des notes intermédiaires et deux manuels méthodologiques ont été publiés ainsi qu'un rapport sur les résultats et les fiches individuelles détaillées de chaque banque examinée. On aurait souhaité des synthèses par pays et davantage de données individuelles dans le rapport.
Au total, l'exercice se solde par un impact sur le ratio de capital bancaire de 3,4 points, ramenant le ratio moyen de départ de 11,8% à 8,4%, soit un niveau qui reste conforme aux exigences réglementaires de 8% et bien supérieur au niveau minimal requis à la suite du scénario de crise (5,5%). En ce sens, les banques de la zone euro apparaissent plutôt résistantes et bien capitalisées.
3.2 - Questions sur le fonctionnement de la supervision unique
L'Évaluation complète devrait conduire à la restauration de la confiance tant dans le système bancaire que de la capacité de la BCE à exercer son rôle de superviseur unique. En ce sens, cet exercice conforte le projet de l'Union bancaire.
La coopération entre la BCE et l'ABE semble avoir correctement fonctionné dans le cadre de l'Évaluation complète. Nous avons cependant soulevé la question des risques de fracture réglementaire entre la zone euro, contrôlée par la supervision unique, et le reste de l'Union, où les autorités nationales ont pour interlocuteur le régulateur des 28 pays, l'ABE, souvent paralysé par son fonctionnement collégial[35]. La convergence de la régulation et de la supervision entre la zone euro et les Etats qui ne sont pas membres de la zone euro reste un chantier difficile.
On peut s'interroger également sur le type de coopération qui s'instaurera entre la BCE et les autorités nationales de supervision, notamment pour les petites banques sortant du champ de la supervision directe par la BCE. On pointe du doigt à cet égard les banques allemandes, très atomisées, où les petites banques régionales sous contrôle de l'État auraient des bilans lourds de créances douteuses[36]. Quel protocole la BCE compte-t-elle mettre en place pour assurer une convergence des normes et des pratiques avec les autorités nationales, afin d'éviter l'apparition une concurrence réglementaire à l'intérieur des pays ?
3.3 - Le gouvernement économique, complément nécessaire de l'Union bancaire
La réforme de l'UEM entreprise par le Conseil européen de juin 2012 repose sur deux piliers : l'Union bancaire et la mise en place d'une forme de gouvernement économique.
À l'heure de la prise en charge effective de la supervision unique, la BCE se trouve confortée par le déroulement plutôt satisfaisant de l'Évaluation complète. Cette opération réussie renforce dans son ensemble le projet d'Union bancaire, lequel cependant se heurte à deux limites.
La supervision unique renforce la crédibilité de l'autre pan de l'Union bancaire, les mécanismes de gestion des crises financières (Mécanismes de résolution unique et de garantie des dépôts). Dans le contexte d'un système bancaire assaini et bien contrôlé, ceux-ci apparaissent en effet plus viables car, toutes choses égales par ailleurs, ils devraient être moins sollicités. Cependant, pour être tout à fait sûrs, ces dispositifs requièrent le soutien d'un filet de sécurité financier ultime, probablement appuyé sur un budget commun.
D'autre part, le bon déroulement de l'opération vérité ne peut garantir à lui seul la reprise de l'activité bancaire en direction de l'économie. Outre l'assainissement des banques, celle-ci suppose en effet une hausse de la demande de financements, émanant d'une économie en croissance. De ce point de vue, une puissante initiative de relance économique est indispensable pour sortir la zone euro du marasme où elle est plongée depuis maintenant trois ans, initiative qui pourrait prendre appui sur les propositions de la toute nouvelle Commission Juncker, notamment en matière d'investissements[37].
L'Union bancaire ne pourra donc trouver toute son assise sans la mise en place d'un gouvernement économique, capable de mener un tel programme de soutien à l'économie et apportant, avec un budget commun, l'assurance en dernier ressort nécessaire aux mécanismes de solidarité de l'Union bancaire.
Conclusion
Après le diagnostic approfondi des banques, que l'on peut considérer comme globalement réussi, l'Union bancaire poursuit sa mise en place conformément à l'agenda de la réforme de l'euro, en grande partie grâce à la méthode communautaire.
À la suite de ses audacieuses politiques non conventionnelles de soutien à l'économie, notamment depuis 2011, la BCE sort incontestablement renforcée par cette Évaluation complète. Si cette étape, qui conforte le projet de l'Union bancaire, apparaît comme une condition nécessaire de la réforme de l'euro et de la reprise économique, elle n'en est pas pour autant une condition suffisante.
Le deuxième pôle de la réforme de l'euro doit consister en l'installation d'un véritable gouvernement économique. Les responsables politiques ne peuvent pas se décharger sur le pouvoir monétaire. Ceci suppose un renouvellement institutionnel permettant de sortir de l'enlisement intergouvernemental[38], afin d'agir selon deux axes. Il s'agit d'entreprendre une puissante politique commune de relance, qui pourrait prendre appui sur les propositions de la Commission présidée par Jean-Claude Juncker. Il convient aussi de définir les étapes qui conduiront à un budget commun pour la zone euro, qui, outre sa fonction de stabilisation économique, pourrait servir d'assurance aux mécanismes de solidarité, et garantirait ainsi la viabilité de l'Union bancaire.
[1] Voir " La réforme de l'UEM, l'ambition politique ou la fracture ", Question d'Europe n°297, Fondation Robert Schuman, 16 décembre 2013
[2] Règlement sur le Mécanisme de Supervision Unique UE 1024/2013 du Conseil du 15/10/13 confiant à la BCE des missions spécifiques.
[3] Règlement MSU, art. 33 (4).
[4] Aggregate report on the Comprehensive assessment, p. 13.
[5] L'Autorité bancaire européenne est une autorité de réglementation et de supervision de l'Union formée notamment du collège des 28 superviseurs bancaires nationaux. L'ABE a été créée en 2010 (Règlement (UE) 1093/2010). Son règlement a été modifié dans le cadre du MSU : Règlement UE 1022/2013 du 22/10/2013 modifiant le règlement 1093/2010 instituant l'Autorité bancaire européenne.
[6] " ECB super-regulator prepares to be unpopular", Financial Times, 10 February 2014.
[7] PIB en volume de la zone euro : - 0,7% en 2012 ; - 0,4% en 2013 ; 0,8% en 2014 (prévisions).
[8] Decision of the ECB of 4 February 2014 identifying the credit institutions that are subject to the comprehensive assessment (ECB/2014/3); ECB: The list of significant supervised entities and the list of less significant entities, 4 September 2014.
[9] La consolidation consiste à présenter les comptes d'un groupe de sociétés dépendantes d'une même maison-mère comme si, moyennent retraitements, elles ne constituaient, avec la maison-mère, qu'une seule entité.
[10] Il s'agit des aides consenties par le Mécanisme européen de stabilité (qui a pris la suite du Fonds européen de stabilité financière).
[11] Calculé d'après les données du FMI (Global Financial Stability Report, October 2014, p. 163).
[12] La supervision directe s'exercera sur 120 banques, auxquelles s'ajouteront 8 banques non incluses dans l'opération-vérité, tandis que quelques unes y ayant participé ne seront pas soumises à la supervision directe. Cf. ECB, Aggregate Report on the Comprehensive Assessment, 9.1, p. 141.
[13] Les actifs pondérés par les risques (Risk-Weighted Assets) correspondent à l'ensemble des expositions à risque des banques, retraitées en fonction de l'intensité du risque, d'après les règles en vigueur, fixées par la Directive CRD IV (Directive 2013/36/EU, 26 June 2013) et Règlement CRR (Regulation (EU) No 575/2013, 26 June 2013) dans l'Union, transposant les normes internationales de Bâle III, fixées par le Comité de Bâle, pour définir notamment le ratio de fonds propres auquel les banques sont soumises.
[14] Cette phase ne concerne qu'un sous-ensemble de l'échantillon, actif dans les opérations d'arbitrage.
[15] Le noyau dur des fonds propres correspond aux actions et capitaux assimilés, répondant à la notion de Common Equity Tier 1, telle que définie au 1/1/2014, compte tenu des accords transitoires. Le ratio est calculé en rapportant ce capital aux actifs pondérés par les risques (" Risk-Weighted Assets ").
[16] Le référentiel IFRS, comporte en particulier, pour les banques, les normes IAS 39, 37 et IFRS 13.
[17] Il s'agit de la version simplifiée, élaborée dans le cadre de l'Examen de la qualité des actifs, de la Norme technique de mise en œuvre (Implementing Technique Standard) pubiée par l'ABE le 21 octobre 2013 et qui est entrée en vigueur en septembre 2014.
[18] ECB, Aggregate report on the Comprehensive Assessment, p. 65.
[19] Idem, p. 168
[20] Règlement de l'ABE de 2010, article 32.
[21] CERS (ERSB):EBA/SSM stress test: The macroeconomic adverse scenario, 17 April 2014.
[22] ABE (EBA) : Methodological note EU-wide Stress Test 2014.
[23]Joint Supervisory Teams.
[24] ECB, Aggregate report on the Comprehensive Assessment.
[25] ABE (EBA): Results of 2014 EU-wide stress-test, 26 October 2014.
[26] Dont 4,2 milliards € pour Banca Monte dei Paschi
[27] Dont 4,2 milliards € pour Banca Monte dei Paschi.
[28] " ECB-led SSM Joint Supervisory Teams "
[29] Aggregate report, p. 126.
[30] ECB, Transcript of the comprehensive assessment press conference (with Q&A), 26 October 2014.
[31] Aggregate Report, p. 39.
[32] Comité européens des superviseurs bancaires, dont l'ABE a pris la suite.
[33] " Comprehensive Capital Analysis and Rêviez ", 2014, mené par le Federal Reserve.
[34] The Economist, Stress relief, p 69, November 1st 2014
[35] Voir Question d'Europe n°297, op. cit.
[36] On comptait 1.813 banques en Allemagne en septembre 2014, contre 520 en France et 680 en Italie (source : BCE).
[37] Cf. Olivier Marty, " Pour une relance de l'investissement en Europe ", Question d'Europe n°325, Fondation Robert Schuman, septembre 2014.
[38] Thierry Chopin, " Réformer l'Union européenne. Quelles méthodes ? Quels scénarios ? ", Question d'Europe n°320, Fondation Robert Schuman, juillet 2014.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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