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L'Europe protège-t-elle encore les réfugiés ? L'élaboration de normes minimales en matière d'asile

Liberté, sécurité, justice

Anne Castagnos-Sen

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5 juin 2006

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Castagnos-Sen Anne

Anne Castagnos-Sen

Juge-assesseur à la Commission des recours des réfugiés.

I. L'élaboration progressive d'un droit européen en matière d'asile

L'adoption de normes communautaires en matière d'asile s'inscrit dans le prolongement des traités de Maastricht et d'Amsterdam et des conclusions de Tampere qui ont instauré, par étapes successives, un cadre juridique commun dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.

Les questions relatives à l'accès au territoire et à l'asile ne relèvent pas des compétences communautaires, telles qu'elles ont été définies en 1950 par le traité de Rome. Avec l'adoption en 1986 de l'Acte unique européen, qui fixe comme objectif la création d'un espace de libre circulation des biens et des personnes, émerge la question de mesures compensatoires visant à limiter le "déficit sécuritaire" résultant de la suppression des frontières intérieures. Dans les années 1990, les accords politiques, conclus entre les Etats membres dans le cadre de divers regroupements intergouvernementaux, illustrent toute l'ambiguïté et la complexité des relations entre le communautaire et l'intergouvernemental, les décisions prises en leur sein ne relevant pas du droit communautaire mais n'en gagnant pas moins une forte légitimité du fait de leur adoption formelle par le Conseil européen.

Le traité de Maastricht [3] va modifier de manière substantielle les conditions structurelles de l'harmonisation européenne en matière d'asile, en créant un cadre institutionnel unique – l'Union européenne – et en posant, ce faisant, les fondements de l'intégration des questions d'asile aux compétence communautaire. Les questions d'asile et l'immigration, définies comme des questions "d'intérêt commun" sont alors regroupés dans le troisième pilier "Justice et affaires intérieures" relevant encore de la coopération intergouvernementale.

L'option de la communautarisation des questions d'asile, rendue techniquement possible par le traité de Maastricht, a été confirmée par le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, dont l'entrée en vigueur le 1er mai 1999 constitue l'avancée la plus significative en matière de rapprochement des politiques d'asile. Les Etats se donnent alors cinq années pour procéder au transfert vers le champ communautaire des questions liées à l'asile.

Dans ce contexte, le Conseil européen extraordinaire de Tampere (Finlande) d'octobre 1999 va définir "les priorités et les orientations politiques pour la réalisation de la mise en œuvre d'un espace de liberté, de sécurité et de justice" et décider la mise en place d'un régime d'asile européen commun, fondé sur l'application "intégrale et globale" de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Dans la première phase de mise en œuvre de ces objectifs (1er mai 1999 – 1er mai 2004), les Etats adoptent un processus décisionnel mixte, à mi-chemin entre l'intergouvernemental et la méthode communautaire : la règle de l'unanimité est maintenue et le droit d'initiative reste partagé entre les Etats et la Commission par dérogation aux règles communautaires en vigueur, ce qui a considérablement ralenti les travaux. En revanche, les textes adoptés dans ce cadre – directives et règlements - créent du droit communautaire et s'imposent aux Etats membres.

II. Le Programme de La Haye

A l'issue de cette période transitoire de cinq ans, les 25 Etats membres de l'Union européenne ont adopté, les 4 et 5 novembre 2004, le Programme pluriannuel à La Haye visant à "renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne". Il est décidé de communautariser intégralement les questions relatives à l'asile par le passage sans restriction le 1er avril 2005 à la majorité qualifiée avec codécision du Parlement européen et restitution du droit exclusif d'initiative à la Commission. En outre, ce mécanisme garantit un certain contrôle juridictionnel de la Cour de justice des Communautés européennes sur les textes ainsi adoptés qui, à deux reprises, a déjà été saisie par le Parlement européen de recours en annulation de deux directives, l'une relatif au droit au regroupement familial [4] et l'autre aux procédures d'asile [5]. Ces recours étant non suspensifs [6], les directives doivent cependant être transposées en droit interne dans les délais prévus par les textes.

Le Programme de La Haye organise la seconde phase de la mise en place d'un espace commun de liberté, de sécurité et de justice. En matière d'asile, il prévoit à l'horizon 2010 l'instauration du régime d'asile européen commun avec pour objectif "la mise au point d'une procédure commune d'asile et d'un statut uniforme pour toutes les personnes bénéficiant de l'asile ou d'une protection subsidiaire". D'ici 2010, un bureau d'appui européen pourrait être "chargé de toutes les formes de coopération entre les Etats membres qui sont liés au régime d'asile européen commun".

Dans sa Communication du 17 février 2006 [7], la Commission européenne propose un programme d'action visant à renforcer la coopération opérationnelle entre les Etats membres, comprenant notamment l'élaboration d'une procédure unique pour l'examen des demandes d'asile, l'adoption d'une approche commune sur l'évaluation de la situation prévalant dans les pays d'origine et l'examen des modalités d'un appui logistique et financier aux pays confrontés à des pressions particulières dues notamment à leur position géographique.

III. Le règlement Dublin II et le fichier EURODAC

1. La détermination de l'Etat responsable

Le règlement "Dublin II", adopté le 18 février 2003 et entré en vigueur le 17 mars 2003, précise et modifie certaines des dispositions de la Convention de Dublin [8] qui, dans la logique de la construction d'un espace européen commun, consacre le principe de la responsabilité unique d'un Etat de l'Union dans le traitement d'un demande d'asile et du transfert éventuel du demandeur vers le pays ainsi désigné. Comme le prévoit également la Constitution française (révisée par la loi constitutionnelle du 25 novembre 1993) et la législation interne sur le droit d'asile, le règlement Dublin II conserve cependant aux Etats le droit souverain d'examiner toute demande d'asile qui leur serait présentée.

De manière générale, la responsabilité de l'examen de la demande d'asile incombe à l'Etat qui a laissé pénétrer le demandeur dans l'espace commun, soit par la délivrance d'un document, soit par "défaut de surveillance". le Règlement introduit quelques changements concernant le respect de l'unité familiale dans le traitement des demandes ainsi qu'une meilleure prise en compte de la clause humanitaire fondée sur des motifs familiaux ou culturels et en réduisant les délais de procédure qui restent cependant très longs (au-delà de 6 mois). Il confie la responsabilité de l'examen des demandes à l'Etat qui aurait toléré la présence irrégulière d'un étranger sur son territoire pendant une période continue d'au moins cinq mois.

Dans le prolongement de Dublin, le Règlement EURODAC, adopté le 11 décembre 2000 et entré en vigueur le 15 janvier 2003, instaure le premier système européen de comparaison d'empreintes digitales visant à renforcer l'efficacité du dispositif Dublin par la détection électronique immédiate des demandes d'asile multiples.

2. Les difficultés d'application du dispositif Dublin

Il est plus facile de poser le principe de la responsabilité d'un seul Etat en matière d'asile que de le mettre en application. Outre les difficultés pratiques à établir formellement cette responsabilité, l'idée même qui fonde le dispositif Dublin reste contestable : en effet, le postulat selon lequel les critères de détermination de la qualité de réfugié seraient les mêmes, ou tout au moins équivalents, dans l'ensemble des pays de l'Union ne résiste pas à l'analyse des conditions sociales et juridiques prévalant dans les Etats membres où l'inégalité des chances en matière d'octroi de l'asile perdure, avec parfois des écarts considérables entre les taux de reconnaissance de divers pays, notamment à l'égard de certaines nationalités. Malgré l'adoption récente de normes européennes visant à harmoniser la définition du réfugié, les Etats ont toujours une lecture différente de la notion de réfugié et une appréciation variable de la situation régnant dans les pays ou les régions d'origine.

Sur le plan de l'intérêt pratique du mécanisme Dublin, les chiffres émanant du ministère de l'Intérieur français font apparaître de faibles écarts entre les reprises en charge par la France à la demande de ses partenaires européens et les transferts effectués par la France vers d'autres Etats de l'Union [9]. De même, l'analyse des statistiques disponibles pour l'ensemble des pays de l'Union rend le plus souvent compte de taux réels de transferts relativement faibles mais équilibrés entre reprises en charge et renvoi [10]. Ce constat qui permet de douter légitimement de la pertinence du dispositif Dublin II au regard de sa lourdeur administrative, de son coût [11] et de ses conséquences pour les demandeur d'asile, qui sont souvent privés de tout droit au séjour ou aux prestations sociales. En effet, le placement en procédure Dublin entraîne dans de nombreux Etats membres, dont la France, une très grande précarité administrative et sociale, les demandeurs d'asile relevant de ces dispositions n'ayant ni titre de séjour, ni allocation ou hébergement social.

En outre, les Etats ont peu recours aux clauses humanitaires et dérogatoires liées à l'existence de motifs familiaux et culturels, permettant notamment que les demandes d'asile de l'ensemble des membres d'une même famille soient examinées pas un seul pays. L'ignorance de ces clauses conduisent à des situations absurdes où les familles se trouvent séparées pendant plusieurs mois voire plusieurs années, en violation du droit au respect de la vie privée et familiale prévue par la Convention européenne des droits de l'Homme. En France, les juridictions administratives ont, à plusieurs reprises, annulé des décisions qui avaient méconnu ce droit [12].

IV. Les conditions d'accueil des demandeurs d'asile

1. La directive "accueil"

La directive, adoptée le 27 janvier 2003, définit les normes minimales qui s'imposent aux Etats membres en matière d'accueil des demandeurs d'asile. Ce texte a le mérite de poser un certain nombre de principes mais reste assez peu protecteur en ce qu'il établit des normes minimales peu élevées et prévoit des dispositions dérogatoires en cas de demandes d'asile à la frontière, de demandes dites "tardives" ou lorsque les demandeurs sollicitent le bénéficie d'une protection subsidiaire.

En matière d'emploi, la directive prévoit que les demandeurs d'asile accèdent au marché du travail au plus tard un an après le dépôt de leur demande, si aucune décision n'a encore été prise en première instance, sauf possibilité pour les Etats membres d'accorder la priorité de l'emploi aux ressortissants de l'Union européenne et de l'Espace économique européen. Cette disposition est le résultat d'un compromis élaboré entre les tenants de l'interdiction absolue du droit au travail pour les demandeurs d'asile, dont la France, et les pays dont la législation nationale ouvre l'accès à l'emploi aux demandeurs après une certaine durée de séjour. Cette formule intermédiaire fort peu satisfaisante a fait dire à la Commission elle-même que "l'harmonisation sur la question de l'accès au marché du travail est minimale [13]".

La directive prévoit également la possibilité pour les Etats de retirer les aides sociales aux demandeurs dans des conditions mal définies (non respect d'un hébergement imposé, imputation d'une faible coopération avec les autorités etc.) et potentiellement dangereuses pour les demandeurs qui se trouveraient ainsi placés dans une situation de grande précarité et dans des conditions matérielles susceptibles d'avoir des incidences graves sur l'appréciation portée sur leur demande d'asile et l'issue de la procédure. Il est en effet d'autant plus difficile de constituer un dossier d'asile étayé et de prendre éventuellement conseil qu'on ne parle pas la langue du pays d'accueil et que l'on est sans ressource et sans logement.

2. Le Fonds européen pour les réfugiés

Le Fonds européen pour les réfugiés (FER) a été créé le 28 septembre 2000 pour "soutenir les efforts des Etats membres de l'Union" dans les domaines de l'accueil des demandeurs d'asile, de l'intégration des réfugiés et de l'aide au rapatriement volontaire des demandeurs d'asile déboutés et des personnes déplacées, placées sous le régime de la protection temporaire. Le FER apporte aux programmes nationaux un co-financement égal à 50% maximum du montant du coût prévisionnel des projets. Les nouvelles orientations du programme reconduit pour la période 2005-2007 (FER II) se veulent plus "stratégiques" en termes de programmation et de convergence d'actions, en mettant l'accent sur le respect des normes communautaires et l'approfondissement de la politique commune d'asile. Les dix nouveaux Etats membres bénéficient d'une enveloppe budgétaire supérieure qui devrait faciliter leur mise en conformité avec les normes européennes.

V. Les garanties de procédure en matière d'asile

La Directive "procédure", qui avait fait l'objet d'un accord politique dès le 29 avril 2004, n'a été formellement adopté que le 1er décembre 2005 après de laborieuses tractations portant sur la liste des pays d'origine sûrs. Soumis pour avis au Parlement européen qui avait fait des nombreuses propositions d'amendements, elle a finalement été adoptée sans prise en compte de ces amendements au motif que, l'accord étant intervenu avant la communautarisation des questions d'asile, la procédure de co-décision, n'était pas applicable. Le 8 mars 2006, le Parlement européen a formé un recours en annulation devant la Cour de justice des Communautés européennes en soulevant des moyens de forme et de fond à l'appui de sa requête [14].

Ce texte a fait l'objet de très vives critiques de la part des élus européens et d'acteurs intergouvernementaux et non gouvernementaux. L'objectif d'harmonisation n'a pas été respecté, les normes minimales étant peu contraignantes et suivies de clauses dérogatoires en limitant la portée, comme l'exigence d'un entretien individuel ou le caractère suspensif du recours. Par ailleurs, certaines dispositions portent atteinte au droit international des réfugiés. Ce texte introduit en droit communautaire un certain nombre de notions contestables dans leur principe même et comportant des risques de dérives graves dans leur application, notamment en matière de procédure de "recevabilité" des demandes permettant de rejeter une demande d'asile sans examen complet du dossier et sans recours suspensif d'une éventuelle mesure d'éloignement. Cette privation du droit à un recours effectif est d'autant plus préoccupante que dans certains pays européens, 30 à 60% des réfugiés ne sont reconnus qu'en appel [15]. L'absence de garde-fous adéquats dans la qualification de ces pays représente un danger pour les réfugiés qui risquent, par l'effet "domino" d'éloignements successifs, d'être finalement renvoyés vers leur pays d'origine en violation du principe de non-refoulement.

C'est ainsi que la notion de pays "sûrs" d'origine, contraire à la clause de non-discrimination prévue à l'article 3 de la Convention de Genève et qui a déjà fait la preuve de son caractère éminemment aléatoire [16], fait son apparition au niveau européen, assortie de l'établissement d'une liste commune sur laquelle les Etats ont eu tant de mal à se mettre d'accord que la directive a finalement été adoptée sans que la liste soit annexée. Cette difficulté est révélatrice de la prévalence de considérations politiques et diplomatiques sur le choix des pays à y inscrire, bien plus que de la prise en compte objective de la situation au regard des exigences d'un Etat démocratique et du respect des droits fondamentaux. Devant le conseil "Justice et affaires intérieures" des 27 et 28 avril 2006, la Commission européenne a de nouveau reporté la présentation de la liste de pays "sûrs" à une date ultérieure [17].

L'instauration de cette disposition s'inscrit clairement dans une politique de contrôle des flux migratoires, visant prioritairement à réduire le nombre de demandes d'asile au détriment de l'examen d'éventuels besoins de protection. Elle est si contestable sur le plan de l'exercice du droit d'asile qu'en France, le Conseil constitutionnel a décidé que la Commission des recours des réfugiés n'était pas liée par l'éventuelle qualification de "pays sûr d'origine" portée par l'OFPRA en première instance [18].

De même, la directive introduit la notion de pays tiers "sûrs" et "super sûrs" applicable à "certains pays tiers européens" qui "observent des normes particulièrement élevées en matière de droits de l'homme et de protection des réfugiés". Cette disposition, qui ne comporte pas de garanties suffisantes dans sa définition, autorise le renvoi des demandeurs d'asile vers ces pays dans lesquels ils auraient effectué un simple transit, parfois de quelques heures, sans que leur demande d'asile soit examinée au fond et avant même qu'il ne soit statué sur un éventuel recours.

VI. les critères de reconnaissance de la qualité de réfugié et les droits accordés aux réfugiés

La directive, dite "qualification", [19] définit les critères de reconnaissance de la qualité de réfugié au titre de la Convention de Genève ou d'une protection subsidiaire et introduit la notion d'"asile interne" dans une partie du territoire où l'intéressé n'aurait pas de craintes de persécution. Cette idée est d'autant plus dangereuse qu'elle peut apparaître au premier abord comme une solution de bon sens. Mais l'histoire récente nous enseigne que dans un pays en proie à l'instabilité ou à la violence, aucune zone n'est jamais définitivement sûre. La chute en juillet 1995 de l'enclave de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine, déclarée "zone de sécurité" sous contrôle des Nations unies, permettent de douter définitivement de la pertinence de telles notions. Transposée en droit interne français par la loi du 10 décembre 2003, cette disposition a été rendue quasiment inopérante par la définition qu'en donne le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 décembre 2003 [20] et par la jurisprudence de la Commission de recours des réfugiés [21].

De même l'éventuelle possibilité de se réclamer de la protection d'une autorité autre qu'étatique (organisations internationales, autorités de fait, etc.) prévue par la directive est très contestable en ce qu'aucune protection n'est équivalente en droit international à celle accordée par un Etat internationalement reconnu.

La directive "qualification" a néanmoins le mérite d'étendre le bénéfice de la Convention de Genève aux victimes de persécutions perpétrées par des agents non étatiques que certaines jurisprudences nationales ne retenaient pas jusque-là. De même, ce texte introduit une définition commune de la notion de protection subsidiaire, appliquée jusqu'alors en Europe de manière très hétérogène, même si l'on peut regretter que sa portée soit limitée aux personnes fuyant des conflits armés et la violence généralisée et que les droits accordés à ses bénéficiaires soient inférieurs à ceux dont bénéficient les réfugiés reconnus au titre de la Convention de Genève.

La directive "qualification" définit les droits à accorder aux réfugiés statutaires et à ceux bénéficiant d'une protection subsidiaire, notamment au regard du séjour "valable pendant une période d'au moins trois ans renouvelable" (en France, ils bénéficient de plein droit de la carte de résident valable 10 ans), de la libre circulation à l'intérieur de l'Etat membre qui leur a accordé protection, de l'accès à l'emploi, aux soins, à l'éducation, à la protection sociale.

Les dispositions relatives au regroupement familial, qui figurent à la fois dans la directive "qualification" et dans la directive relative au droit au regroupement familial du 22 septembre 2003, prennent en compte la situation particulière des réfugiés "à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d'y mener une vie normale". A ce titre, "il convient de prévoir des conditions plus favorables pour l'exercice de leur droit au regroupement familial". Les réfugiés sont ainsi dispensés des conditions de ressources, de logement et de durée de séjour avant le dépôt de la demande de regroupement familial. La directive "qualification", qui réaffirme en son article 23 le principe du "maintien de l'unité familiale", y apporte cependant des restrictions pour le cas où le membre de famille, susceptible de bénéficier du regroupement familial, aurait vu sa demande de protection refusée, en application des clauses d'exclusion prévues à l'article 1F de la Convention de Genève ou des dispositions régissant l'octroi de la protection subsidiaire [22].

La directive "regroupement familial" impose par ailleurs aux étrangers non réfugiés des conditions à ce point restrictives et attentatoires au droit à vivre en famille qu'elle a fait l'objet d'un recours en annulation déposé le 16 décembre 2003 par le Parlement européen devant la Cour de justice des Communautés européennes.

Le 17 juin 2005, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe rappelait sa recommandation aux Etats membres à "promouvoir le regroupement familial en faveur des réfugiés ayant obtenu le statut de réfugié mais aussi, de manière plus générale [...] en faveur d'autres personnes ayant besoin d'une protection internationale". En outre, le Comité des ministres considère, "quand cela est possible et approprié [...] qu'un régime plus favorable devrait être appliqué aux réfugiés dans le cadre de leur demande de regroupement familial [23]". En France, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 2 avril 1997, que "les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale" et que "les méconnaissances graves du droit au respect de la vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter atteinte à leur liberté individuelle".

VI. Les Projets "d'externalisation" de l'Asile

1. La "délocalisation" du traitement des demandes d'asile

La "dimension extérieure" de l'asile, notamment la délocalisation du traitement des demandes de protection dans le pays d'origine même ou dans des pays tiers, occupe une large place dans les discussions actuelles.

Le programme de La Haye n'envisage plus explicitement la création des "centres d'accueil", installés dans les pays tiers pour effectuer y un premier "tri" des demandes d'asile en amont, comme l'avaient proposé le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie suivis par la Commission européenne, mais l'idée n'a pas été abandonnée. Une étude doit être menée en étroite consultation avec le HCR pour évaluer "le bien-fondé, l'opportunité et la faisabilité d'un traitement commun des demandes d'asile, en dehors du territoire de l'Union européenne".

2. Les négociations avec la Lybie

A la suite de l'arrivée en vagues successives depuis décembre 2004 sur les côtes italiennes de plusieurs centaines de navires transportant des "migrants" irréguliers, les autorités italiennes ont obtenu la levée de l'embargo européen qui frappait la Libye depuis l'attentat de Lockerbie en 1988 et ont conclu le 26 septembre 2004 avec le colonel Khadafi un accord sans précédent qui prévoit une importante aide militaire en termes de soutien logistique et de formation.

Plusieurs voix se sont élevées contre les expulsions massives opérées depuis l'île de Lampedusa entre octobre et décembre 2004 puis en mars et juin 2005 par les autorités italiennes, sans prendre en compte les risques éventuellement encourus par les intéressés. Le Parlement européen a adopté le 14 avril 2005 une Résolution très ferme invitant l'Italie et les autres membres de l'UE à mettre un terme aux expulsions massives de demandeurs d'asile vers la Libye et d'autres pays tiers et à respecter le principe de non-refoulement, le Parlement estimant que, à l'instar du HCR, la Libye "ne saurait être considérée comme une terre d'asile sûre". La mission du Parlement européen qui s'est rendue en Libye a abouti aux mêmes conclusions [24].

Forte de l'accord trouvé en juin 2005 par les ministres de l'Intérieur, la Commission européenne a affiché sa volonté de s'engager dans une "stratégie de long terme" avec Tripoli pour lutter contre l'immigration illégale depuis les côtes libyennes vers l'UE, comprenant notamment des programmes de formation de garde-frontières et de policiers libyens.

On a assisté il a quelques mois à une situation similaire entre le Maroc et les enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila. Plus d'une centaine de personnes sous protection HCR ont été renvoyées, les intéressés n'ayant eu aucun moyen de faire valoir une demande d'asile, des violences policières ont été exercées faisant plusieurs morts et des étrangers ont été reconduits et abandonnés dans des régions désertiques proches de la frontière algérienne.

Il convient cependant de s'interroger sur les responsabilités des Etats européens et de l'Union qui, depuis des années, adopte une attitude paradoxale consistant à exiger le respect des droits de l'Homme et à confier à des pays extérieurs le rôle de garde-frontières de l'Europe, en fermant les yeux sur les moyens mis en œuvre par ces Etats pour satisfaire aux exigences de l'Union.

3. Les "Programmes de protection régionaux"

Le concept "d'entrée protégée" des personnes en quête de protection, élaboré par la Commission européenne, a été reprise dans le Programme de La Haye. Dans sa Communication du 1er septembre 2005 "relative aux programmes de protection régionaux", la Commission préconise le renforcement des capacités de protection des régions d'origine afin de "permettre l'organisation en amont de l'arrivée des personnes en quête de protection avec une meilleure répartition des charges et un traitement en amont de la demande d'asile".

Il s'agirait de mettre en place des "programmes pilotes" dans certains pays comme l'Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie puis, éventuellement, en Afrique Subsaharienne (région des Grands lacs et Afrique de l'ouest) prévoyant la mise en place de procédures de détermination, des travaux d'infrastructure d'accueil et d'équipements pour améliorer les conditions de vie des réfugiés dans le pays d'accueil. Un programme conjoint de réinstallation dans l'UE de réfugiés en provenance d'un premier pays d'accueil pourrait être élaboré par les Etats membres sur une base volontaire en vue de la recherche de solutions durables pour les réfugiés, mais sans modalité précise de mise en œuvre et sans moyen coercitif sur les Etats qui en refuseraient la mise en œuvre. Ce projet a été entériné par le conseil JAI du 12 octobre 2005 qui propose que les programmes pilotes soient élargis aux pays de la Corne de l'Afrique, à l'Afghanistan et aux Balkans occidentaux.

Cette nouvelle "approche régionale" de l'Union peut, à première vue, répondre à l'esprit de "solidarité internationale" inscrit au préambule de la Convention de Genève. Il est incontestable que, dans leur grande majorité, les réfugiés demeurent dans leur région d'origine, souvent dans des conditions d'extrême précarité et de grande insécurité. L'idée de développer une assistance financière, juridique et technique aux pays qui accueillent la grande majorité de la population mondiale des réfugiés est donc louable. Il ne faudrait cependant pas en faire un nouvel outil visant à maintenir les réfugiés éloignés du territoire européen en s'associant à des pays tiers d'accueil dans lesquels le respect des droits fondamentaux, de la protection des minorités et/ou la sécurité sont loin d'être garantis. La plupart des pays visés par le programme sont eux-mêmes des pays dont sont originaires des réfugiés et auxquels il est difficile d'appliquer le terme d'Etat de droit. A titre d'exemple, l'Union européenne a rompu toute relation diplomatique avec la Biélorussie et a entamé un processus de sanctions à l'égard de ses dirigeants.

Tous ces dispositifs "d'externalisation de l'asile" ne sont donc acceptables que s'ils constituent des mécanismes complémentaires de protection, et non substitutifs à l'accueil sur le territoire européen de personnes en quête d'asile. Outre que ce maintien à l'écart des réfugiés potentiels et que cette politique de prévention et de dissuasion contreviendraient à toutes les obligations internationales souscrites par les Etats européens en matière d'asile et de protection des réfugiés, cette "dimension extérieure" de l'asile revient à faire peser une charge supplémentaire sur des pays qui accueillent déjà un nombre bien plus important de demandeurs d'asile et de réfugiés que l'Europe, alors que leur situation juridique et économique est, sans commune mesure, avec celle des pays d'Union.

CONCLUSION

"La dignité de la personne humaine est intangible" : si l'article premier de la Loi fondamentale allemande affirme cette valeur fondamentale, c'est qu'en 1949 le législateur allemand savait de quoi il parlait. Il n'est sans doute pas inutile, dans le climat actuel de défiance vis-à-vis de l'étranger et de frilosité de l'Europe, de rappeler les conditions qui ont présidé à l'élaboration d'un droit international des réfugiés, bâti en Europe et essentiellement par des pays européens sur les ruines de l'après-guerre. L'histoire récente de l'ex-Yougoslavie, du Rwanda, de la République démocratique du Congo, de l'Algérie, du Caucase, du Sri Lanka et de tant d'autres pays, nous enseigne que la nature et les modes de persécutions changent peu et que l'institution de l'asile, "ce point de rencontre de toutes les cultures et de toutes les religions, l'une des expressions les plus fondamentales et les plus tenaces de la solidarité humaine [25]", garde toute sa pertinence.


[1] En particulier la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 et la Convention européenne des droits de l'Homme du 4 novembre 1950.
[2] HCR : « Les réfugiés dans le monde : les déplacements humains du nouveau millénaire », 19 avril 2006
[3] Traité sur l'Union européenne (TUE) signé au sommet de Maastricht en décembre 1991, entré en vigueur en novembre 1993.
[4] Requête en annulation déposée par le Parlement européen du 16 décembre 2003
[5] Requête en annulation déposée par le Parlement européen du 8 mars 2006
[6] Conformément à l'article 185 du Traité instituant la Communauté européenne, « les recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif. Toutefois la cour de justice peut, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à exécution de l'acte attaquée ».
[7] Communication de la Commission sur « le renforcement de la coopération pratique – nouvelles structures, nouvelles approches : améliorer la qualité des décisions prises dans le cadre du régime d'asile européen commun » (COM(2006)67 final) du 17 février 2006.
[8] Signée le 15 juin 1990, entrée en vigueur le 1er septembre 1997, la Convention de Dublin a été intégrée à l'Acquis communautaire par le Traité d'Amsterdam avant d'être remplacée par le Règlement Dublin II.
[9] Selon la direction des libertés publiques et affaires juridiques du ministère de l'Intérieur, environ 2500 demandes de reprises en charge ont été adressées à la France par ses partenaires européens (principalement l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas), dont 1100 ont été acceptées ; à l'inverse, sur les 2150 demandes de reprises en charge présentées par la France, 705 ont fait l'objet d'un transfert effectif.
[10] Les chiffres fournis par les Etats sur l'application du règlement Dublin II sont difficilement exploitables car très lacunaires. A titre d'exemple cependant, l'Autriche a été saisie de 1831 demandes de reprise en charge pour 361 transferts effectuées, elle-même ayant adressé 3212 saisines à ses partenaires et renvoyé 324 demandeurs vers ces pays ; sur les 7463 demandes de reprises en charge qui lui ont été adressées, l'Allemagne en accepté 2681 mais a elle-même transféré vers ses partenaires 2765 demandeurs d'asile sur les 6536 demandes qu'elle avait présentées.
[11] cf. Le Rapport d'information de l'Assemblée nationale du 6 juillet 2006 sur l'évolution des coûts budgétaires des demandes d'asile par la Commission des finances de l'économie générale et du Plan, présentée par Mme Marie-Hélène des Esgaulx
[12] Voir notamment la décision du Conseil d'Etat du 25.11.03 , Nikoghosyan, et plusieurs décisions des tribunaux administratifs, citées dans le rapport de Forum Réfugiés : « Le Règlement Dublin – principes et pratiques de la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile dans l'Union européenne », octobre 2005.
[13] Communication de la Commission européenne du 26 mars 2003 relative à la politique commune d'asile et l'agenda pour la protection, COM(2003) 152 final.
[14] Note du Conseil 7952/06 (JUR156, ASILE 31) du 27 mars 2006.
[15] C'est notamment le cas de la Suède, de l'Allemagne, des Pays-Bas et de la Pologne où les taux de reconnaissance de besoin de protection en appel dépassent les 30% en 2000, 2001 et 2002 (source HCR). En France, le taux d'annulation pour 2005 des décisions de l'OFPRA par la Commission des recours des réfugiés est supérieur à 15%.
[16] En 1992, l'Algérie était considérée comme pays sûr par les autorités suisses jusqu'à l'interruption du processus électoral ; de même la Yougoslavie figurait-elle sur la liste des pays sûrs en Belgique à la veille du déclenchement des hostilités.
[17] La liste qui devait être soumise au Conseil JAI des 27 et 28 avril 2006 comprenait le Cap-vert, le Mali, le Sénégal, le Ghana, le Bénin, le Botswana et l'ïle Maurice.
[18] Décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003. Une première liste de 12 pays d'origine « sûrs » a été établie par l'OFPRA en juillet 2005, élargie à 17 pays le 20 mai dernier .
[19] Directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 (JOCE du 30.09.04) « établissant des normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d'autres raisons, a besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts ». Elle doit être transposée en droit interne au plus tard le 10 octobre 2006.
[20] Id. Note 18 : « l'intéressé doit pouvoir, en toute sûreté, accéder à une partie substantielle de son pays d'origine, s'y établir et y mener une existence normale »
[21] CRR, Sections Réunies du 26.06.04, Zian Boubrima
[22] Les dispositions de la Convention de Genève ne sont pas applicables aux personnes dont on aura de sérieuses raisons de penser qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil et avant d'y être admises, ou qui se sont rendues coupables d'agissements contraires et aux buts des Nations Unies. Les mêmes clauses d'exclusion s'appliquent à la protection subsidiaire (art L. 712-2 du CESEDA) ;
[23] Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : Recommandation 1686 (2004) sur la mobilité humaine et le droit au regroupement familial et réponse du 17 juin (Doc. 10581) du Comité des ministres adoptée à la 930ème réunion des délégués des ministres (15 juin 2005).
[24] Rapport « Compte-rendu de mission Libye 17-20 avril 2005 », par Hélène Flautre, présidente de la sous-commission des droits de l'Homme du Parlement européen, 2 juin 2005.
[25] Sadako Ogata, ancien Haute Commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés, préface du recueil : « Cent poèmes sur l'exil », éditions du Cherche-midi, 1993.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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