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Retour sur l'après-Lampedusa : quelle coopération migratoire de l'Union européenne avec les pays tiers?

Liberté, sécurité, justice

Corinne Balleix

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3 février 2014
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Corinne Balleix

Chargée de la politique européenne d'immigration et d'asile au ministère des Affaires étrangères, elle est l'auteur de La politique migratoire de l'Union européenne, Paris, La Documentation française, 2013.

Retour sur l'après-Lampedusa : quelle coopération migratoire de l'Union européen...

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Après les drames de Malte et Lampedusa d'octobre 2013, la solidarité au sein de l'Union européenne apparaissant difficile à promouvoir, le Conseil européen de décembre 2013 a accueilli avec satisfaction les conclusions de la Task-force pour la Méditerranée conduite par la Commission européenne qui mettent l'accent sur le renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne et la coopération avec les pays tiers. La Commission a ainsi proposé des mesures opérationnelles englobant l'ensemble des pays d'origine et de transit visant, à court terme, à renforcer la maîtrise des flux migratoires et, à plus long terme, à s'attaquer aux causes profondes des migrations. Cette coopération avec les pays tiers, qui conduit à une externalisation de la politique migratoire européenne, peut être l'occasion de promouvoir dans le monde le développement économique et les valeurs de respect des droits fondamentaux dont l'Union européenne est porteuse. Pourtant, pour obtenir une solidarité des pays tiers dans le traitement des migrants, tout en traitant dignement ces derniers, il faudra que l'Union européenne se donne les moyens financiers et réglementaires de cette politique, et qu'elle se mette davantage à l'écoute des attentes des pays tiers.

I- Un vaste chantier de coopération avec les pays tiers

S'agissant des actions de court et moyen terme pour limiter les flux, l'objectif affirmé de l'Union européenne est de dissuader des migrants irréguliers de se lancer dans des voyages périlleux.

L'Union européenne envisage ainsi de soutenir les infrastructures de contrôle frontalier des pays tiers, en particulier au sud et à l'est de la Méditerranée. Des campagnes d'informations sur les risques liés à l'immigration irrégulière seront développées. Par ailleurs, des actions de renforcement des capacités de ces pays, via notamment la mise à disposition d'officiers européens de liaison (ILO), devraient être soutenues, notamment en Turquie ou au Maroc. Une nouvelle génération de programmes Euromed police devrait être mise en œuvre à partir de 2014,et le Programme WAPIS (West African Police Information System) conduit par Interpol devrait être renforcé. Un programme Sea horse Network Atlantique de coopération de FRONTEX avec des pays tiers, qui associe actuellement l'Espagne, le Portugal, le Sénégal, la Mauritanie, le Cap-Vert et le Maroc à la lutte contre l'immigration irrégulière devrait être étendu à la Libye et à l'Egypte.

Des partenariats de mobilité entre l'Union européenne et des Etats tiers, tels la Tunisie, la Jordanie, l'Egypte, la Libye l'Algérie ou le Liban, visant à organiser des migrations légales en échange d'engagement de ces pays dans la lutte contre l'immigration irrégulière, devraient aussi être finalisés ou négociés. Cependant, la Task force pour la Méditerranée souligne l'importance, pour la mise en œuvre efficace de cette coopération, de la bonne volonté des Etats tiers et de la nécessaire prise en compte par l'Union européenne de leurs attentes.

Dans le domaine de l'asile, des programmes de protection régionaux, financés par l'Union européenne visent à aider des pays tiers à améliorer leurs infrastructures locales et leurs capacités administratives et juridiques dans l'accueil des demandeurs d'asile et le traitement de leurs demandes. Certains programmes ont déjà été mis en place en Afrique du Nord (avec la Libye, la Tunisie et l'Egypte) et dans la Corne de l'Afrique (Kenya, Djibouti). Ils devraient cependant être renforcés pour inclure des pays de la région du Sahel. En septembre 2013, l'Union européenne, regroupant ici la Commission et les Etats membres, avait mobilisé 1,8 milliard € en faveur des 7 millions de personnes touchées par le conflit syrien, et apparaissait comme le fer de lance de l'aide d'urgence et l'aide à la reconstruction en faveur de cette région. Plus spécifiquement cependant, la Commission européenne élabore un programme de protection régionale incluant le Liban, la Jordanie et l'Irak pour traiter des conséquences du conflit en Syrie, et limiter les risques de déstabilisation des pays voisins qui accueillent actuellement 2,3 millions de réfugiés. L'expérience des programmes de protection régionaux montre cependant que, lancés dans des pays qui ne sont pas exemplaires en matière de respect des droits de l'Homme (Ukraine, Biélorussie), ils ne sont pas toujours mis en œuvre dans l'esprit de protection des droits fondamentaux qu'ils sont censés diffuser.

Aussi, la Task force et le Conseil européen de décembre 2013 soulignent l'importance des programmes de réinstallation qui visent à offrir à des personnes reconnues réfugiées hors d'Europe par le HCR la possibilité de s'installer légalement et durablement dans un Etat membre, sans avoir à se lancer dans un voyage hasardeux, en l'absence de visas délivrés par les Etats membres. Quand on sait qu'en 2012, seulement 4 500 personnes ont pu bénéficier d'une réinstallation dans un Etat membre, et qu'en décembre 2013, l'Union européenne n'accueille que 12 340 personnes fuyant le conflit syrien, soit 0,54% du nombre total de personnes mises en mouvement par ce conflit, et essentiellement sur un fondement humanitaire, et non sur le fondement d'une protection conventionnelle, les défis apparaissent immenses.

Au premier semestre 2014, la Commission envisage d'organiser avec le HCR une conférence sur la réinstallation des personnes les plus vulnérables. Il s'agirait sans doute que l'Union européenne, qui accueille en 2012 17% du total des réfugiés dans le monde prenne pleinement sa part mondiale du traitement et de l'accueil des demandeurs d'asile.

Par ailleurs, dans la perspective de la stratégie européenne qui remplacera le programme de Stockholm (2010-2014), la Commission fera des propositions visant à définir une approche commune pour l'octroi de visas humanitaires à des personnes en quête d'une protection. Cette protection humanitaire pourrait être moins contraignante pour les Etats membres que les protections conventionnelle et subsidiaire existant actuellement, les droits offerts aux personnes qui en bénéficieraient étant vraisemblablement plus précaires.

La Task Force prévoit en outre le lancement d'une étude de faisabilité sur la possibilité pour des demandeurs d'asile d'accéder à des procédures européennes conjointes de traitement de leur demande à l'extérieur du territoire de l'Union, à laquelle serait associés le Bureau européen d'appui en matière d'asile, l'Agence européenne des droits fondamentaux, FRONTEX, le HCR, l'Organisation mondiale du travail et l'Organisation des migrations internationales.

La sélection par l'Union européenne des personnes ayant véritablement besoin d'une protection internationale serait dès lors effectué au plus près des zones de conflit, et l'application externalisée des procédures et critères européens constituerait une garantie pour les demandeurs d'asile de respect de leurs droits fondamentaux dans le traitement de leur demande.

Au-delà, pour s'attaquer aux causes profondes des flux, telles la pauvreté, les violations des droits de l'Homme, les conflits, le manque de perspectives économiques, les conditions de travail peu satisfaisantes et le sous-emploi notamment, le Conseil européen demande un soutien approprié aux pays d'origine et de transit via l'aide au développement dans le cadre, en particulier, de la politique européenne de voisinage et de l'approche globale des migrations.

De fait, depuis 2005, l'Union européenne cherche à développer une approche globale des migrations, qui fait le pari d'un triple gain ("triple win"), dans lequel les besoins du marché du travail européen seraient satisfaits, les migrants bénéficieraient d'un statut plus stable, et le développement des pays d'origine serait soutenu. L'organisation de l'immigration légale devrait ainsi contribuer à réduire les pressions migratoires irrégulières.

Depuis 2010, un Portail européen sur l'immigration fournit dans les pays de départ des informations sur les besoins des marchés du travail des Etats membres. Diverses directives sur les chercheurs, étudiants, personnels hautement qualifiés ont pour objectif de sécuriser certains droits liés au séjour de ces personnes, permettant notamment une meilleure reconnaissance de leurs diplômes et favorisant les migrations circulaires.

Une directive sur les travailleurs saisonniers, actuellement en discussion, devrait également contribuer au développement de migrations circulaires.

Pour la période 2014-2020, l'aide européenne au développement dans le domaine des migrations passera notamment via un nouveau programme Euromed Migration et représentera 7% des actions thématiques de l'Instrument de coopération au développement (ICD), soit 1,37 milliard €. Elle sera destinée, en particulier, au développement de formations professionnelles et universitaires adaptées aux besoins des pays d'origine. En outre, des mesures sont prises pour favoriser les transferts de migrants, qui représentent plus de trois fois l'aide publique au développement (406 milliards $ de transferts de fonds de migrants contre 126 milliards d'APD mondiale en 2012). Les Partenariats de mobilités s'intègrent également dans cette approche globale des migrations.

II. Comment l'Union européenne pourra-t-elle assurer la mise en œuvre de sa coopération avec des pays tiers ?

Atteindre l'objectif revendiqué d'une meilleure maîtrise des flux de migrants, qui s'effectue dans le respect de leurs droits fondamentaux nécessitera en effet des soutiens importants aux systèmes d'asile et de contrôle des frontières des pays tiers.

Ne faudrait-il pas conditionner l'aide aux performances des pays tiers dans la lutte contre l'immigration irrégulière ?

Certes, des appuis financiers européens tels ceux qui sont censés contribuer à la réintégration des migrants dans leur pays d'origine sont parfois perçus par ces derniers comme des facteurs incitant au contraire au retour des personnes éloignées dans l'Union européenne ("pull factor"), et les conditions de leur octroi pourraient être davantage réglementées.

Cependant, dans ces négociations sur le contrôle des frontières, l'Union européenne ne se trouve pas toujours en position de force vis-à-vis des pays tiers, qui sont moins demandeurs qu'elle de ces contrôles frontaliers, car ils bénéficient des transferts de migrants et doivent supporter des charges financières liées à la réadmission.

Les accords de réadmission avec le Maroc, l'Algérie, la Chine peinent par exemple à se concrétiser, parce que ces pays jugent insuffisantes les incitations proposées par l'Union européenne. Ceux avec l'Ukraine, la Russie et la Turquie ont vraiment abouti après que l'Union européenne se soit engagée, à leur demande, à négocier des assouplissements des régimes de visas. Dans un Etat très affaibli comme la Libye, qui a bien d'autres préoccupations que le contrôle de ses frontières, quel pourrait être l'impact d'une suspension de l'aide européenne pour manque d'efficacité dans le contrôle de ses frontières et la lutte contre les trafics de migrants ?

En vue de l'extension du programme de surveillance maritime Sea Horse à la Méditerranée, la Task force note qu'il faudra "convaincre" la Tunisie, l'Algérie et l'Egypte de prendre part à ce réseau. Sauf dans des cas très limités, conditionner les aides risque d'être d'une efficacité limitée.

Ainsi, si elle veut impliquer les pays tiers dans la lutte contre l'immigration irrégulière, l'Union européenne devra en payer le prix. La Task force pour la Méditerranée propose de mobiliser, outre le Fonds "asile et migration" (3,1 milliards € pour la période 2014-2020) et le Fonds "sécurité intérieure" (3,7 milliards €) des financements de l'aide au développement, en particulier du futur instrument de voisinage (15,4 milliards € au total), du FED (30,2 milliards € au total) et même de l'Instrument de stabilité (2,3 milliards € au total), pour venir en aide aux personnes vivant dans des camps de réfugiés. Comme tous ces fonds seront probablement insuffisants, la Task force fait en outre appel à des financements additionnels de la part des Etats membres.

Mais, pour que les Etats tiers s'impliquent vraiment dans les objectifs européens de maîtrise des flux de migrants, il importe sans doute qu'ils soient convaincus que leurs intérêts sont vraiment pris en considération.

A cet égard, il conviendra sans doute de ne pas mélanger financements migratoires et financements de l'aide au développement, l'aide européenne au développement ne devant pas être utilisée, par exemple, pour financer des infrastructures de contrôle frontalier sans retombée économique nationale.

Les demandes des pays tiers portent en outre sur des possibilités élargies d'immigration légale vers l'Union européenne, notamment via l'octroi assoupli de visas. Sachant que le développement n'entraînera pas, dans un premier temps, une diminution des flux migratoires vers l'Union européenne, et que l'Union européenne, qui vieillit, a besoin de migrants, en particulier hautement qualifiés pour maintenir ses perspectives de croissance, tout un travail de régulation des flux d'immigration légale, moins coûteuse que les aides au développement et les contrôles frontaliers devra se poursuivre. Il s'agira de renforcer l'efficacité de l'approche globale des migrations, qui est parfois perçue comme un instrument trop exclusivement au service de l'immigration "choisie" dans l'Union européenne, et d'augmenter les avantages que peuvent en tirer les migrants et les pays tiers.

Les recherches doivent donc se poursuivre dans deux domaines spécifiques :

- celui des migrants hautement qualifiés : actuellement en effet, l'appétit européen pour les migrants hautement qualifiés ne garantit pas un engagement très fort dans la lutte contre la fuite des cerveaux. Cela se traduit, notamment, par un code de conduite éthique envisagé dans la directive "carte bleue" assez peu contraignant. De plus, les Etats membres n'appliquent pas toujours les dispositions facultatives de cette directive quand ils se trouvent en concurrence pour attirer des personnes très qualifiées. Dans le cadre des négociations actuelles d'une directive sur les détachements intragroupes, les Etats membres, très soucieux à la fois de maîtriser l'entrée des travailleurs migrants et de faire jouer la concurrence entre leurs différents systèmes sociaux, rencontrent de grandes difficultés pour harmoniser leurs conditions d'accueil de ces migrants hautement qualifiés. Ils devront donc surmonter leurs oppositions pour sécuriser les droits de ces migrants dans l'ensemble de l'Union et rendre plus attractives les migrations circulaires, afin de maximiser les retombées de ces migrations sur les pays d'origine, notamment par des stratégies de réinsertion valorisantes.

- En outre les transferts de migrants, qui représentent de 9 à 24% du PIB de certains pays en développement devraient également être améliorés afin d'en réduire les coûts et d'accroître leur impact sur le développement. Il s'agirait notamment d'en améliorer les cadres règlementaires afin de renforcer la concurrence entre opérateurs de transferts et de limiter les transferts informels, parfois opaques ; il s'agirait aussi de promouvoir la bancarisation au sud, et le développement d'activités bancaires dans les pays d'origine à partir de pays de résidence ; et enfin de soutenir des innovations financières (e-banking) contribuant au développement des systèmes de financement d'actions porteuses de développement dans les pays tiers.

Ainsi, l'Union européenne ne pourra demander la solidarité des pays tiers dans le traitement des migrants que si elle montre l'exemple de la générosité à leur égard, en soutenant de manière renouvelée et plus efficace leur système d'asile et leur processus de développement.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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