Union économique et monétaire
Josef Ackermann
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Rompre le cercle vicieux entre crise budgétaire et crise bancaire
La dynamique visant à établir une Union bancaire est née du lien existant entre les États et les banques. En effet, un cercle vicieux peut s'établir, qui implique le secteur financier et l'instabilité budgétaire : une crise du secteur bancaire aggravera la situation budgétaire si, comme il est vraisemblable, la crise produit une récession et, plus encore, quand une assistance de l'État est nécessaire pour renflouer les banques. De même, une crise de la dette publique engendrera des problèmes dans le secteur bancaire puisque les banques détiennent d'importants volumes de dettes publiques (principalement parce qu'elles y sont encouragées, et parfois même parce qu'elles sont légalement tenues de le faire) et aussi parce que les coûts de refinancement des banques sont étroitement liés à ceux des États où se trouvent leurs sièges sociaux. L'un ou l'autre de ces phénomènes peut déclencher une spirale baissière, comme nous l'avons constatée récemment en Irlande et en Espagne. En effet, les problèmes du secteur financier sont à l'origine de la crise budgétaire de ces pays qui, avant la crise, présentaient des comptes publics sains. En revanche, l'Italie constitue l'exemple d'un pays où le secteur bancaire, généralement sain, s'est vu gravement affecté par la détérioration des finances publiques.
L'intention de l'Union bancaire est de briser ce cercle vicieux en affaiblissant les rapports qui unissent un système bancaire national et le secteur public du pays dont il dépend juridiquement :
• le lien entre l'instabilité du secteur public et celle du secteur financier est brisé quand les banques diversifient leurs actifs et leurs sources de financement. Si l'on y parvient, les problèmes du secteur public n'ont qu'un effet modéré sur la qualité des actifs et sur les coûts de financement du système bancaire national. À cette fin, il serait nécessaire d'instaurer un marché bancaire complètement intégré, avec des institutions transnationales et dépourvu de préférences nationales en ce qui concerne les portefeuilles d'actifs et les structures de financement.
• le lien entre le secteur financier et l'instabilité budgétaire est brisé si les coûts de la stabilisation d'un système bancaire ne sont plus assumés exclusivement par le pays dont dépend juridiquement la banque en difficulté, et qu'ils sont partagés entre divers pays, soit directement, à travers des budgets publics (comme le MES), soit indirectement, à travers des fonds de résolution, communs ou interconnectés, et des systèmes de garantie des dépôts.
Mais la logique de l'Union bancaire a des effets autres que l'élimination du lien banque-État. En effet, l'intégration au marché, la stabilité financière et la surveillance du secteur bancaire au niveau national présentent des incompatibilités. Plus généralement, la volonté d'aller vers l'Union bancaire est motivée par trois objectifs étroitement liés et qui, s'ils sont atteints, se renforcent mutuellement :
• maintenir la stabilité financière grâce à une surveillance et une gestion de crise efficaces ;
• préserver le marché unique des services financiers et
• éviter les distorsions de concurrence.
Les objectifs sont l'amélioration de la stabilité financière en évitant la fragmentation du marché et la préservation du marché unique des services financiers. Ces objectifs sont d'autant plus pertinents que l'on constate une renationalisation croissante des marchés financiers européens, engendrée par les forces du marché et les mesures réglementaires prises au début de la crise. Cette re-fragmentation du marché réduit l'efficacité et la compétitivité des marchés financiers européens en même temps qu'elle nuit à la stabilité financière.
Quelle architecture pour l'Union bancaire ?
L'Union bancaire totale comprendrait au minimum quatre éléments :
• un règlement uniforme, établissant matériellement les règles ;
• une surveillance bancaire européenne ;
• un régime de résolution européen comprenant un fonds de résolution bancaire et
• des systèmes de garantie des dépôts harmonisés (SGD).
En septembre 2012, la Commission européenne a présenté ses propositions pour une Union bancaire. Les quatre éléments constitutifs mentionnés en font partie, mais le niveau de détail varie de manière significative pour chacun d'entre eux : alors que les propositions de la Commission concernant le mécanisme de surveillance unique sont assez précises, les propositions concernant la résolution bancaire et les systèmes de garantie des dépôts sont moins ambitieuses et se réfèrent essentiellement aux propositions déjà traitées dans le processus législatif européen.
Ces différences de degré de spécification et de détail au sein des quatre éléments sont dues partiellement au fait que des progrès ont déjà été réalisés dans certains domaines : par exemple, les versions successives de la directive sur les fonds propres réglementaires (DFP) - qui traduit dans la législation européenne les dispositions de l'accord de Bâle - constituent une étape importante sur la voie d'un règlement uniforme. Toutefois, plus généralement, les différences de spécification reflètent une opposition politique, dans certains États membres, qui bloque des propositions plus audacieuses. Cette attitude est aussi regrettable que dangereuse car les quatre éléments forment un tout cohérent. En isoler un, comme la surveillance bancaire de la gestion de crise reviendrait à fausser les incitations tant pour les autorités que pour les acteurs du marché financier, ce qui finirait par rendre le système financier de l'Union européenne plus fragile.
Certaines questions concernant la structure et la mise en oeuvre de l'Union bancaire doivent encore être tranchées.
L'autorité de surveillance bancaire : en dépit de l'accord du Conseil européen d'octobre 2012 qui prévoit l'élimination des barrières légales restantes d'ici la fin de cette année, le débat fait encore rage au sujet de la BCE en tant qu'institution chargée de la surveillance bancaire, et de l'étendue de ses prérogatives. Le communiqué du Conseil européen de juin ne parle que d'un mécanisme de surveillance "impliquant la BCE". Cette disposition est clairement motivée par la réputation dont jouit la BCE, et par le fait que le traité européen (art. 127-6) autorise le transfert des pouvoirs de surveillance à la BCE par une décision à l'unanimité du conseil Ecofin, ce qui rendrait le processus législatif plus facile.
Toutefois, il existe des arguments contre l'idée de confier des pouvoirs de surveillance financière à une Banque centrale. Les critiques pointent principalement les risques de conflits d'intérêts entre surveillance bancaire et politique monétaire, ainsi que la concentration de pouvoirs ou la façon dont les pays non-membres de l'union monétaire devraient être représentés au sein des instances du mécanisme de surveillance.
La proposition de la Commission attribue à la BCE des pouvoirs très étendus ainsi qu'un contrôle total de tous les domaines de la politique prudentielle. Cette position est sensée et rationnelle du point de vue de la BCE, car la surveillance financière comporte un risque de réputation élevé. Néanmoins, les autorités nationales ont tendance à vouloir conserver un maximum de prérogatives et limiter les pouvoirs d'une entité de surveillance supranationale.
Système à deux vitesses vs. système fédéral : un système de supervision à deux vitesses limitant la surveillance de l'Union européenne aux grands établissements financiers transnationaux, risquerait d'engendrer des distorsions de concurrence et des arbitrages réglementaires. Pire encore, instaurer un tel système équivaudrait à oublier l'une des leçons de la dernière crise financière : les petites banques régionales peuvent, autant que les grandes, provoquer des crises systémiques. Par conséquent, le système de surveillance européen doit être de niveau fédéral. Même si, pour des raisons pratiques, les petits établissements bancaires, orientés vers un marché local, continueront d'être supervisés par les autorités nationales, ces dernières seront tenues de se plier à l'arbitrage final de l'autorité de l'Union européenne qui, en outre, surveillera directement les institutions financières transnationales les plus importantes.
Règlement uniforme : le règlement uniforme est sans doute le dispositif de l'Union bancaire le plus facile à mettre en oeuvre. Durant les cinq dernières années, l'Union européenne a accompli des progrès considérables pour établir une harmonisation de la réglementation et de la surveillance bancaires. Toutefois, certains États membres ont récemment dévié de cette direction pour s'attribuer des compétences nationales accrues. Par ailleurs, les pratiques réelles de surveillance n'ont jamais été aussi proches des principes qui régiraient le règlement uniforme. À n'en pas douter, ces deux faits devront être pris en compte afin d'élaborer un véritable règlement uniforme.
Résolution, système et fonds : des systèmes de résolution bancaire efficaces sont nécessaires afin de s'assurer que même les établissements bancaires les plus grands et les plus complexes pourront être liquidés de manière ordonnée. Un fonds de résolution destiné à financer des prêts-relais, et alimenté majoritairement - mais pas exclusivement - par les entreprises du secteur financier - constituerait un élément très utile de ce système. Certains pays ont déjà mis en place ce type de fonds au niveau national, mais ceux-ci n'existent pas au niveau européen car les États membres ne sont pas encore parvenus à se mettre d'accord sur les mécanismes de financement et sur l'autorité de résolution. Il faut dire que ces deux derniers éléments porteraient inévitablement atteinte aux souverainetés nationales.
Les systèmes de garantie des dépôts (SGD) : les SGD jouent un rôle important quand il s'agit de préserver la confiance des déposants. Historiquement, les SGD ont été mis en place pour répondre à des structures de marché spécifiques et, par conséquent, il n'est pas étonnant que l'architecture de ces systèmes varie considérablement d'un pays à l'autre. Or il est très difficile de trouver une structure qui synthétise l'ensemble des systèmes existants, et la portée des SGD est très limitée quand il s'agit de traiter la faillite de grands établissements financiers transnationaux. Dès lors, au lieu de rechercher un système commun supranational, mieux vaudrait consacrer les efforts à s'assurer que tous les systèmes nationaux sont solides et capables de répondre à des besoins potentiels. Au-delà de cette harmonisation minimale (telle qu'elle est décrite, en fait, par la législation en vigueur), les SGD nationaux existants pourraient demeurer en place et être renforcés par un système de réassurance limité qui serait mis en oeuvre si les ressources d'un SGD national étaient épuisées et si l'État dont il dépend se révélait incapable de le soutenir.
L'Union bancaire : une question également politique
La réalisation d'une Union bancaire complète s'avérera difficile. Certains pays voient l'Union bancaire comme faisant partie intégrante d'un nouveau cadre institutionnel censé rendre plus stable l'union monétaire européenne, et comme une étape vers une union économique plus étroite, plus disciplinée, plus homogène fiscalement et politiquement. Ces pays réclament donc un cadre bien structuré, complet et cohérent.
D'autres pays, en revanche, ont une conception plus limitée de l'Union bancaire, illustrée par le débat au sujet de l'assistance directe du MES à certaines banques. Or cette assistance requiert que la surveillance de ces banques n'incombe plus aux autorités nationales et soit transférée à celles de l'Union européenne
La mise en place de structures et d'institutions supranationales provoque évidemment des tensions avec les souverainetés nationales. De plus, la surveillance financière est intimement liée à l'exercice du pouvoir souverain. Plus important : cette surveillance engendre une responsabilité fiscale latente qui peut devenir réelle en cas de crise systémique. Comme la dernière crise l'a démontré, en cas de crise systémique, des ressources fiscales peuvent employées afin de restaurer la confiance dans le système financier. C'est pourquoi, au bout du compte, l'organisation de la surveillance financière ne peut être séparée de la responsabilité fiscale.
L'existence d'une surveillance supranationale menacerait également les intérêts des autorités de surveillance nationale, soucieuses de préserver leurs prérogatives. De la même manière, les dispositions supranationales, en particulier celles qui concernent la surveillance, pourraient également perturber les rapports existant entre les autorités nationales et les banques, rapports souvent marqués par la capture de la réglementation et, en temps de crise, par une tendance à la tolérance réglementaire.
Les montants des contributions aux fonds peuvent également générer des conflits de distribution. Les pays et les institutions contributeurs nets répugnent en effet à engager leurs ressources pour préserver la stabilité du secteur financier d'autres pays. Cette attitude restera flagrante tant que l'on ne saura pas clairement si les institutions de surveillance auront les moyens d'imposer une discipline au sujet des risques cumulés des systèmes financiers des membres de l'Union bancaire [2]. Des éléments d'une union politique sont donc une condition préalable pour une Union bancaire.
De plus, le projet d'Union bancaire met l'accent sur une question fondamentale : de quelle façon les dispositions institutionnelles destinées à la zone euro peuvent-elles s'harmoniser avec celles qui concernent l'ensemble des 27 États membres ? Ce qui revient à poser la question de savoir s'il est plus important de renforcer la stabilité de la zone euro, ou bien de sauvegarder et de soutenir le marché unique des services financiers.
Le choix de favoriser l'un ou l'autre de ces objectifs aura une influence sur la structure institutionnelle de l'Union bancaire : soutenir le marché unique des services financiers impliquerait un rôle prépondérant de l'Autorité bancaire européenne, chargée d'assurer la cohérence des règles et de la surveillance dans les 27 États membres, tandis que si l'on favorise les objectifs initiaux, c'est la BCE qui aura le premier rôle, et l'on tendra à intégrer les systèmes de gestion de crise au niveau de l'Union européenne.
Conclusion
À l'instar de nombreux autres projets institutionnels européens, la structure de l'Union bancaire - du moins sa structure initiale - sera dictée par ce qui est politiquement possible, et pas forcément par ce qu'il serait souhaitable de faire pour asseoir le système financier européen sur des bases plus solides. Il est probable que, au lieu d'une structure cohérente, intégrée, on établira un système incohérent, dépourvu d'instruments de gestion de crise européens, et ne tenant pas compte du fait que la surveillance et la gestion de crise sont intimement liées. La surveillance au niveau de l'Union européenne restera faible et dépendra du soutien des superviseurs nationaux peu motivés par la perspective de coopérer ou de partager des informations au sujet des problèmes de leur secteur bancaire à un stade précoce.
Si tel est le résultat final, les dirigeants européens auront gâché une occasion importante de construire une Europe plus unie et plus forte.
[1] Ce texte est issu du "Rapport Schuman sur l'Europe, l'état de l'Union 2013" publié aux éditions Lignes de repères. L'ouvrage est disponible à l'achat sur notre site http://www.robert-schuman.eu/fr/librairie/0160-rapport-schuman-sur-l-europe-l-etat-de-l-union-en-2013
[2] Difficulté supplémentaire : en ce qui concerne les négociations, la marge de manoeuvre du gouvernement allemand est réduite par le poids politique disproportionné des banques à but non-lucratif (caisses d'épargne et banques coopératives), qui militent massivement contre une surveillance supranationale de toutes les banques de l'Union européenne, ainsi que contre des mesures de gestion de crise supranationales.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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