L'UE et ses voisins orientaux
Maia SANDU
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L'invasion brutale de l'Ukraine par la Russie a bouleversé l'ordre existant en Europe et dans le monde et, avec lui, l'architecture de sécurité et les systèmes énergétiques, commerciaux et financiers mondiaux. Depuis la fin de la guerre froide, le progrès technologique et la croissance économique ont conduit à une coopération renforcée et à un niveau de connectivité sans précédent entre les pays. L'interdépendance croissante des économies, des cultures et des populations du monde, générée par le commerce transfrontalier et les flux d'investissements, de personnes et d'informations, a favorisé la réconciliation et la prospérité. Les dictatures sont tombées, le régime du parti unique a pris fin, la démocratie a prévalu. La République de Moldavie a déclaré son indépendance en 1991[1] . Comme nous, les nouveaux États indépendants avaient de grandes attentes. Nous avons considéré ce nouveau départ comme une chance pour la paix et le développement démocratique. Nous nous sommes engagés à faire partie du monde libre. Un monde où les États sont souverains et égaux, où les frontières sont respectées, où les États coopèrent, règlent leurs différends pacifiquement et remplissent leurs obligations en vertu du droit international, où le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales est au cœur de la gouvernance. Comme d'autres, la Moldavie espérait que les zones tampons, les sphères d'influence et les accaparements de terres appartenaient au passé. Par-dessus tout, nous voulions vivre librement et choisir notre propre avenir. Mais nos aspirations à faire nos propres choix se sont heurtées à la réponse impérialiste de la Russie. Ses encouragements et son soutien aux rebelles sécessionnistes de la rive gauche du Nistru ont donné naissance à un conflit gelé. Les conflits gelés, comme celui de la région moldave de Transnistrie, sont devenus l'un des outils de politique étrangère de la Russie pour déstabiliser son voisinage, empêcher la consolidation démocratique et, tout simplement, freiner notre développement. Un quart de siècle plus tard, une boîte à outils similaire est utilisée pour maintenir l'Ukraine, qui espère l'adhésion à l'Union européenne, dans la sphère d'influence russe. D'abord la Crimée, puis le Donbass, et huit ans plus tard - en ce sinistre matin du 24 février 2022 - une invasion à grande échelle de l'Ukraine. Cette guerre impitoyable, injuste et illégale a déclenché une tragédie inimaginable pour le peuple ukrainien, générant une onde de choc à travers l'Europe et, au‑delà, du continent. Dès que les premières bombes sont tombées sur le sol ukrainien, la Moldavie a vigoureusement condamné la guerre et ouvert ses frontières à des centaines de milliers de réfugiés. Depuis lors, elle se tient fermement tenue aux côtés de l'Ukraine. Observant la souffrance de l'autre côté de la frontière avec tristesse et horreur, nous nous sommes demandés si la Moldavie serait la prochaine cible. Je suis reconnaissante à l'Ukraine, à son armée et à ses citoyens pour leur résistance farouche. Quand ils se battent pour leur terre et leur liberté, ils se battent aussi pour les nôtres. Nous sommes en sécurité grâce à l'Ukraine.
Le coût de la guerre
Même si rien n'est comparable aux souffrances de l'Ukraine, à la dévastation de ses villes et aux crimes horribles perpétrés contre sa population, la guerre qui se déroule à notre porte a également des répercussions importantes pour la Moldavie. Notre sécurité est menacée par les missiles russes qui violent notre espace aérien et par les débris de missiles qui atterrissent sur notre territoire. Le bombardement par la Russie de l'infrastructure énergétique de l'Ukraine, qui est reliée à la nôtre, affecte également la sécurité énergétique de la Moldavie. La région séparatiste de Transnistrie, où des troupes russes sont stationnées illégalement, reste une source d'instabilité. Le chantage au gaz a entraîné une multiplication par sept des prix de l'énergie, l'inflation atteignant près de 35 % l'année dernière. Les routes commerciales ont été perturbées et la confiance des investisseurs s'est affaiblie. En conséquence, l'économie s'est contractée en 2022 et ne devrait connaître qu'une croissance modeste en 2023. Pendant ce temps, les combattants par procuration ("proxies") et les groupes criminels de la Russie ont uni leurs forces pour exploiter la crise énergétique et alimenter davantage le mécontentement social. Ils espéraient fomenter des troubles politiques. En utilisant tout l'éventail des menaces hybrides - y compris les fausses alertes à la bombe, les cyberattaques, la dés‑ information, les appels à l'agitation sociale et la corruption au grand jour - ils se sont efforcés de déstabiliser le gouvernement, d'éroder notre démocratie et de mettre en péril la contribution de la Moldavie à la sécurité de l'Europe au sens large. Jusqu'à présent, ils ont échoué.
Accélérer le rythme vers l'Union européenne
Nous nous dirigeons résolument vers l'adhésion à l'Union européenne. Depuis 1950, l'Union européenne et ses précurseurs ont accompli de grandes choses pour leurs citoyens et pour le monde. Tout d'abord, elle a fait passer l'Europe d'un continent de guerre à un continent de paix. Depuis plus de sept décennies, l'Union européenne a contribué à faire progresser la réconciliation, la cohésion sociale, la démocratie et les droits de l'Homme en Europe. Elle a donné à ses citoyens la liberté de vivre, d'étudier ou de travailler partout dans l'Union européenne, a créé le plus grand marché unique du monde et a fourni une aide et une assistance au développement à des millions de personnes dans le monde. Au cours des vingt dernières années, l'Union européenne a été un point d'ancrage pour le développement pacifique, prospère et démocratique de la Moldavie. Nous avons officiellement demandé à rejoindre l'Union le 3 mars 2022, dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le choix était clair : la démocratie contre l'autoritarisme, la liberté contre la captivité et la prospérité contre la souffrance. Nous avons appelé les États membres de l'Union européenne à renouveler leur engagement en faveur de la paix, à un moment où la guerre est revenue en Europe. L'élargissement est l'instrument le plus efficace que l'Union européenne puisse utiliser pour favoriser la paix et apporter la stabilité à la fragile Europe orientale. L'article 49 du traité de l'Union européenne établit que tout État européen qui respecte la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, l'État de droit et les droits de l'Homme, et qui s'engage à les promouvoir, peut demander à devenir membre de l'Union.
La Moldavie vit selon ces valeurs.
Nous sommes attachés à l'État de droit et à la mise en place d'institutions démocratiques qui fonctionnent pleinement. Et nous sommes prêts à adopter de nouvelles réformes et d'autres mesures nécessaires à l'adhésion. De plus, nous avons déjà mis en œuvre des parties importantes de l'acquis communautaire depuis la signature de l'accord d'association en 2014 et nous accélérons maintenant le processus. Les vingt‑sept États membres de l'Union européenne ont reconnu que la Moldavie avait fait preuve d'un engagement ferme en faveur des réformes et ils lui ont accordé le statut de pays candidat à l'adhésion en juin dernier. La Commission européenne a défini les étapes que nous devons franchir avant de lancer les négociations d'adhésion. Nous avons donc retroussé nos manches.
Une année de crise et d'opportunités
Animés par le désir de consolider notre démocratie, d'améliorer les conditions de vie et l'économie, et de faire entrer la Moldavie dans l'Union européenne, nous menons une réforme complète de notre système judiciaire, nous intensifions la lutte contre la corruption et le crime organisé, et nous nous efforçons d'éliminer l'influence des oligarques. Nous renforçons également la capacité de l'administration à mettre en œuvre les réformes et améliorons la gestion des finances publiques. Un travail est en cours pour renforcer la protection des droits de l'Homme, en particulier des groupes vulnérables, et pour maintenir nos engagements en faveur de l'égalité des sexes et de la lutte contre la violence envers les femmes, y compris avec la ratification de la Convention d'Istanbul. Les réformes - et notre détermination - portent leurs fruits. Alors qu'elle n'était qu'un État captif il y a quelques années, la Moldavie a parcouru un long chemin. L'année dernière, nous avons été désignés comme "un point lumineux démocratique" par le rapport sur l'état mondial de la démocratie publié par l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale (IDEA). Selon ce rapport, la Moldavie fait désormais partie des 25 % d'États les plus performants au monde dans des domaines tels que les droits sociaux et l'égalité ou l'intégrité des médias. Nous avons fait un bond de quarante‑neuf rangs dans l'indice de liberté de la presse de Reporters sans frontières et la note pour notre lutte contre le blanchiment d'argent a été relevée par le Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) du Conseil de l'Europe en 2022. La Moldavie a gagné cinq places dans l'indice de l'État de droit 2022 du World Justice Project et est considérée comme l'un des pays qui progressent le plus, tandis que l'État de droit est en déclin dans le monde pour la cinquième année consécutive. Nous travaillons jour après jour avec des partenaires pour limiter l'influence des oligarques fugitifs qui, depuis des décennies, privent les Moldaves de ressources et entravent le développement du pays. Nous avons lancé un centre de sécurité pour stimuler la coopération en matière de sécurité intérieure et de gestion des frontières entre l'Union européenne, ses agences, les États membres et les autorités moldaves, afin de faire face aux risques pour l'Union européenne et la Moldavie. Sur le plan énergétique, les autorités ont fait preuve d'une grande ingéniosité pour trouver des sources d'énergie alternatives et créer des réserves de gaz. L'hiver dernier, pour la première fois, la rive droite du Nistru en Moldavie a pu dire "non" au gaz russe. Nous avons également créé des mécanismes sociaux pour protéger la population la plus vulnérable et amortir l'impact des prix élevés de l'énergie cet hiver. Nous ne sommes pas non plus naïfs face à la prochaine saison froide et nous investissons dans la résilience énergétique. La Moldavie est désormais connectée aux réseaux électriques et gaziers de l'Union européenne, ce qui nous permettra progressivement de nous sevrer complètement du gaz russe. Nous nous efforçons également de décarboniser l'économie, de stimuler l'efficacité énergétique et de créer un environnement réglementaire favorable aux investissements dans les énergies renouvelables. L'objectif est de faire passer la part des énergies renouvelables dans l'approvisionnement en électricité de 3 à 30 % au cours des trois prochaines années. En outre, nous avons intensifier nos efforts pour moderniser notre économie, réduire les formalités administratives pour les investisseurs locaux et étrangers et explorer de nouveaux marchés d'exportation. Nous avons pris des mesures pour nous implanter plus fermement sur le marché de l'Union européenne. Les exportations vers l'Union ont augmenté de 32.3% en 2022 par rapport à 2021. Environ deux tiers des exportations moldaves sont désormais destinés à l'Union européenne. Les réformes, la modernisation et l'intégration plus poussée avec l'Union européenne nous ont permis de tenir la ligne face à une gamme complète de techniques hybrides déployées par la Russie, notamment l'arsenalisation de l'énergie et des réfugiés, les cyberattaques, le sabotage, les manifestations payantes et le contrôle des partis politiques et des médias pour promouvoir la désinformation et déstabiliser le pays.
Coup de main
Nous ne l'avons pas fait seuls. Nous n'aurions pas pu le faire seuls. Des amis et des partenaires ont apporté leur soutien au mieux de leurs capacités. Rassemblés sous l'égide de la plateforme de soutien à la Moldavie - une initiative menée par la France, l'Allemagne et la Roumanie - nos nombreux soutiens ont mobilisé des fonds tout au long d'une année difficile. Cette aide nous a permis d'apporter une réponse humanitaire forte à la suite de la guerre de la Russie contre l'Ukraine, de maintenir la stabilité et la cohésion sociale et, surtout, elle nous a donné un répit pour faire avancer les réformes et accélérer le rapprochement avec l'Union européenne. Elle nous a également aidés à surmonter un hiver difficile. La Roumanie, notre bon voisin, ami et fervent défenseur, est intervenue en exportant de l'électricité, remplaçant ainsi les flux que nous avons perdus, et nous a apporté un soutien diplomatique inestimable. La Commission européenne a engagé des fonds pour aider à atténuer la crise énergétique, soutenir la gestion des frontières et moderniser le secteur de la défense. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement a lancé une bouée de sauvetage pour financer l'approvisionnement d'urgence en gaz.
Un partenaire pour la sécurité régionale
Mais soutenir la Moldavie n'est pas une voie à sens unique. Soutenir la Moldavie, c'est investir dans la sécurité, la stabilité et la prospérité communes du continent. Alors que l'Ukraine se bat contre une invasion militaire, la Moldavie est en première ligne d'une guerre hybride. Et tout comme la Russie ne doit pas être autorisée à gagner en Ukraine, ses techniques hybrides ne doivent pas être autorisées à réussir en Moldavie. Avec l'aide de ses partenaires, la Moldavie renforce sa résilience et s'affirme comme un partenaire de la sécurité régionale. Nous sécurisons la deuxième plus longue frontière de l'Ukraine, après celle qu'elle a avec la Russie. Sur ces 1 222 kilomètres, la Moldavie s'attaque au risque accru de trafic d'armes, de drogues et d'êtres humains. Depuis le début de la guerre, nous avons travaillé dur pour maintenir la stabilité dans la région de Transnistrie, qui partage une frontière de plus de 450 kilomètres avec l'Ukraine, et où près de 1 600 soldats russes sont une source de risque. Jusqu'à présent, nous avons réussi à maintenir une situation calme. Nous fournissons également des voies d'approvisionnement essentielles vers et depuis l'Ukraine. Les voies de solidarité soutiennent l'économie ukrainienne, fournissent des moyens de subsistance aux agriculteurs et contribuent à garantir que les denrées alimentaires essentielles parviennent aux pays du Moyen‑Orient et d'Afrique. En outre, notre pays a accueilli plus de 700 000 réfugiés depuis les premiers jours de l'invasion russe. Plus de 80 000 d'entre eux ont choisi de rester, et nous sommes prêts à en accueillir davantage s'ils devaient fuir une escalade militaire, un accident nucléaire ou le manque de chauffage, d'électricité et d'eau. La contribution de la Moldavie à la sécurité régionale et mondiale comprend également la participation à des missions de maintien de la paix, notamment au Libéria, en Côte d'Ivoire, au Soudan du Sud, en République centrafricaine, au Kosovo et au Liban. Plus la Moldavie est forte, plus elle peut contribuer. Et nous sommes déterminés à devenir plus forts. L'Europe a besoin d'une Moldavie forte pour contribuer à l'Union européenne. Un voisin fort de l'Ukraine. Forte pour accueillir les réfugiés. Forte pour devenir une plaque tournante pour la reconstruction du sud de l'Ukraine. Forte pour maintenir la paix et la stabilité dans la région. Et forte pour défendre et encourager un ordre international fondé sur des règles.
[1] Ce texte est issu du "Rapport Schuman sur l'Europe, l'état de l'Union 2023", éditions Marie B, Paris, avril 2023
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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