L'UE et ses voisins orientaux
Florent Parmentier
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ENFlorent Parmentier
Coincé entre la Roumanie et l'Ukraine, devenue indépendante en 1991, la Moldavie a longtemps été un pays négligé, en marge des principales dynamiques européennes. Ce pays postsoviétique, oscillant à plusieurs reprises entre la Roumanie et la Russie au cours de son histoire, a rencontré de nombreuses difficultés à son indépendance : effondrement économique, émigration massive, absence de résolution du conflit transnistrien, etc. Pourtant, après une décennie de croissance nourrie par les transferts de fonds et malgré une récession appuyée en 2009 (-6,5%), le pays semble actuellement connaître plusieurs dynamiques favorables. Le Partenariat oriental, politique de coopération lancée en 2009 en direction de six Etats postsoviétiques, trouve avec la Moldavie un véritable test. En outre, de nouvelles perspectives s'ouvrent pour la résolution du conflit transnistrien, sous l'effet du rapprochement UE – Russie.
Ces dynamiques restent fragiles, mais l'Union européenne a plus que jamais les cartes en main pour accompagner les transformations de ce pays. Le succès de l'Union européenne en Moldavie peut être évalué selon trois objectifs : la stabilité, la prospérité et la sécurité. Il convient donc de comprendre le contexte politique actuel, avant d'observer les enjeux de l'intégration européenne et de revenir sur les perspectives de résolution du conflit transnistrien.
Un régime plus pluraliste mais une coalition fragile
Le régime politique moldave actuel est certainement le plus ouvert des pays de l'espace postsoviétique, en dehors des Etats baltes. Ainsi, plusieurs présidents en exercice ont quitté leur poste après une défaite électorale (Mircea Snegur en 1996 et Petru Lucinschi en 2001), ce qui démontre les possibilités d'alternance par des moyens démocratiques. Le sommet de l'Etat a rencontré des contre-pouvoirs influents, que ce soit au Parlement, dans les institutions ou dans la société [1].
Le processus de démocratisation moldave a été lourdement influencé par plusieurs facteurs, sur lesquels il importe de revenir. Au moment de l'indépendance, ce pays dispose d'un secteur agricole peu productif et tourné vers les marchés soviétiques, ainsi que d'une large population rurale. Faute de puissance industrielle et d'infrastructures, il connaît donc une pauvreté endémique couplée à de sévères crises économiques, dans les premières années (crise de transformation), mais aussi en 1998 (conséquence financière et économique de la crise russe) et en 2009 (chute des débouchés et des transferts de fonds). La conséquence du sous-emploi chronique a été une émigration massive, puisqu'on estime qu'entre 600 000 à un million de Moldaves sont partis à l'étranger, soit entre un quart et un tiers de la population active ; les revenus de l'émigration ont représenté jusqu'à 36% du PIB en 2008, chiffre considérable. Ces transferts contribuent à une surévaluation de la monnaie nationale, le lei, dommageable pour les exportations. Cela ne manque pas d'avoir des incidences socio-économiques, déstructurant les cellules familiales, de nombreux parents partant travailler à l'étranger sans leurs enfants. Sur le plan politique, la Moldavie n'avait aucun modèle institutionnel démocratique auquel se rattacher, à la différence par exemple des pays Baltes, déjà indépendants pendant l'entre-deux-guerres. Le débat sur l'identité nationale a joué depuis l'indépendance un rôle important : les roumanophones de Moldavie se reconnaissent soit comme " Roumains ", soit comme " Moldaves " ; se déclarer l'un ou l'autre revient à prendre une position dans le débat politique : il existe un clivage entre une droite plutôt pro-roumaine, et une gauche plutôt pro-russe, sachant qu'il ne faut pas appliquer à la lettre nos propres critères pour distinguer ces notions. A côté de cette interrogation sur la population majoritaire, la Moldavie compte plusieurs minorités : russe (et plus largement russophone), ukrainienne, gagaouze (turcophone chrétien), Rom, bulgare, etc. Les relations entre la majorité et les minorités (souvent russophones) sont passées au second plan des préoccupations quotidiennes, quand bien même des déclarations maladroites peuvent ranimer des tensions. Ce panorama serait bien sûr incomplet sans mentionner la Transnistrie, territoire séparatiste de l'Est de la Moldavie souhaitant rester dans l'orbite russe, et dont le statut au sein de la Moldavie reste à définir.
Après huit ans au pouvoir, pendant lesquels le président du parti majoritaire Vladimir Voronine était également président de la République, le parti des communistes de la République de Moldavie (PCRM) remettait en jeu son mandat lors des élections législatives d'avril 2009. A l'issue des élections du 5 avril, les communistes obtiennent officiellement 60 députés, contre 41 pour l'opposition (49,48% des voix). Or, depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2000, la Moldavie est passée d'un régime semi-présidentiel à un régime parlementaire, dans lequel le président est élu à une majorité des trois cinquièmes des députés, soit 61 députés sur 101. Les observateurs internationaux présents font dans un premier temps une évaluation plutôt positive du processus électoral. Pourtant, la présomption de fraudes provoque une vague de protestation de nombreux jeunes à Chisinau et dans d'autres villes, parfois connue sous le nom de " révolution du twitter " [2]. Le 7 avril, au lendemain des premières manifestations, une partie de la foule incendie le Parlement et détruit la Présidence. Cette manifestation de mécontentement aurait pu rester sporadique, réduite au silence par les autorités, mais sans conséquence majeure pour le pouvoir en place en cas de défection d'un seul membre de l'opposition. Contre toute attente, aucun d'entre eux n'a apporté aux communistes la " voix en or " manquante : la candidate communiste Zinaida Greceanii est rejetée, ce qui contraint à la tenue de nouvelles élections législatives. Plutôt que la fragmentation, c'est le processus de recomposition de l'opposition qui est à l'œuvre, avec la création de l'" Alliance pour l'intégration européenne " (AIE), regroupant des partis opposés au PCRM. Lors de nouvelles élections législatives le 29 juillet 2009, l'AIE obtient 53 sièges (contre 48 pour le PCRM), ce qui est insuffisant pour faire élire Marian Lupu, candidat de l'Alliance, qui avait quitté le PCRM pour le Parti démocrate après les événements d'avril. Le Parlement ne pouvant être dissout deux fois la même année, les élections ont été repoussées au 28 novembre 2010. L'absence d'élection du président laisse le pays dans une situation de crise constitutionnelle, avec un Président intérimaire, ce qui n'empêche pas les autres institutions de fonctionner normalement.
La coalition connaît à la veille des élections législatives une situation difficile, puisqu'il existe des différences sensibles en son sein, sur les questions internationales, socio-économiques aussi bien que mémorielles. En outre, l'échec du référendum du 5 septembre 2010 sur l'élection du Président au suffrage universel direct, rejeté à cause d'une participation insuffisante, n'a évidemment rien arrangé. En effet, chaque membre de la coalition souhaite prendre la première place au sein de l'AIE, afin de disposer d'un meilleur rapport de force et donc de davantage de postes. L'AIE est composée de 4 partis, dont un n'est pas sûr d'être présent dans le prochain Parlement (" notre Moldavie " de Serafim Urecheanu) [3]. Le Parti Libéral Démocrate de Moldavie (PLDM), dirigé par le Premier ministre Vlad Filat, dispose de nombreux cadres et détient un bon nombre des postes ministériels. C'est le parti le plus populaire de la coalition. Le Parti Libéral (PL) est dirigé par le président du Parlement et président de la République par intérim Mihai Ghimpu ; la figure la plus charismatique du mouvement est l'actuel maire de Chisinau, Dorin Chirtoaca, 32 ans. Le parti démocrate de Moldavie (PDM), membre de l'Internationale socialiste, a considérablement accru son audience entre les deux élections de 2009 grâce au ralliement de Marian Lupu. On peut s'attendre à ce que le PLDM et le PDM s'approche chacun des 15-20% des voix, et le PL de 13% environ.
Hors du pouvoir depuis juillet 2009, le Parti communiste se présente en ordre de bataille pour le scrutin du 28 novembre, où il peut prétendre à près de 35-40% des voix. Le rejet du référendum du 5 septembre dernier doit bien sûr beaucoup à une démobilisation et à un manque d'identification des enjeux de la part des électeurs, mais également à une campagne de boycott efficace menée par les communistes dans les zones rurales. Néanmoins, s'il devrait rester probablement le premier parti en termes de voix, il sera bien en peine de se trouver des alliés postélectoraux du fait de son isolement au sein du système politique moldave [4]. En outre, il ne peut pas présenter son dirigeant à l'élection présidentielle, Vladimir Voronine, et ses successeurs éventuels sont pour l'heure moins populaires (Zinaida Greceanii), où n'ont pas atteint l'âge minimum requis (40 ans), comme Igor Dodon.
C'est dans ce contexte que viennent les élections législatives du 28 novembre, dans un pays polarisé, notamment suite aux événements d'avril 2009 qui ont laissé des traces dans l'opinion [5]. Si aucune majorité ne se dégage pour élire le Président à la majorité des trois cinquièmes, le scénario le plus probable consiste en un changement constitutionnel visant à baisser le seuil à 52 députés. La modification aurait des chances d'être soutenu, puisque le PCRM lui-même s'y est montré favorable.
Des progrès dans l'intégration européenne de la Moldavie
La Moldavie est longtemps restée en marge de l'intégration européenne : l'accord de partenariat et de coopération, signé en 1994, n'est par exemple entré en vigueur qu'en 1998. Elle n'a rejoint le Pacte de stabilité de l'Europe du Sud-Est que tardivement, et sans la promesse d'un élargissement futur, contrairement aux autres pays membres. Néanmoins, la Moldavie a été intégrée dès le départ dans la Politique européenne de voisinage (PEV), et a signé un plan d'action en 2005, visant à encourager les réformes politiques et économiques. Face aux résultats mitigés de son application, et en réponse au projet d'Union pour la Méditerranée (UPM), les Polonais et les Suédois ont proposé la création du " Partenariat oriental ". Cette politique vise, selon les pays du groupe de Visegrad, à différencier les " voisins européens " des " voisins de l'Europe ", ce qui revient à développer un nouveau cadre de relations pour six pays : l'Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie. Dans cette perspective, la Moldavie négocie avec l'Union européenne depuis janvier 2010 un Accord d'association, qui doit redéfinir les relations entre les deux partenaires. Les autorités moldaves ont fait part de leurs priorités à moyen terme dans le rapport " Rethink Moldova " publié en mars 2010 qui a reçu un bon accueil. Au milieu de diverses priorités, deux enjeux majeurs peuvent être distingués : la négociation d'un accord de libre-échange approfondi et d'un accord sur les visas.
La réalisation d'un accord de libre échange approfondi UE-Moldavie a pour enjeu principal non pas une baisse des droits de douane, mais une intégration par la Moldavie des normes européennes, que ce soit en termes de normes sanitaires et phytosanitaires, de droits de propriété intellectuelle, d'aides de l'Etat, d'appels d'offre, etc. En effet, le haut niveau d'intégration économique avec l'Union européenne proposé à la Moldavie requiert une harmonisation législative fondée sur " l'acquis communautaire ", mais également une mise en œuvre effective. Or, cette adaptation n'a été qu'imparfaitement réalisée jusqu'à présent par les acteurs économiques moldaves, publics et privés. Si l'introduction d'un tel accord amènera nécessairement à de nouvelles pressions concurrentielles en Moldavie, dont la balance commerciale est déjà lourdement déficitaire, c'est également une occasion d'améliorer le climat des affaires, de renforcer le secteur de la banque et de la finance, de changer les institutions informelles et d'accueillir davantage d'investissements internationaux. Pour bénéficier à plein des avantages d'un tel accord, les autorités moldaves doivent investir dans les infrastructures et la logistique : pour l'heure, le pays est tout simplement classé 139e sur 139 au monde pour la qualité de ses routes selon le Global Competitiveness Report [6]. Seule une réforme administrative en profondeur, impliquant davantage de transparence, une simplification des procédures administratives et une lutte contre la corruption, pourrait permettre à la Moldavie de bénéficier totalement de l'accord de libre-échange approfondi. Si la réorientation du commerce extérieur moldave vers l'Europe est bien réelle, puisque le marché intérieur représente actuellement plus de 50% des exportations moldaves, elle n'est sans doute pas encore achevée. En effet, de nouveaux acteurs économiques exportent vers l'Union européenne : alors que le secteur du textile représentait moins de 10% des exportations à la fin des années 1990, sa part a plus que doublé (22,7% en 2008). Du fait du faible coût de la main d'œuvre et de sa localisation en dehors des grands centres de production, le textile peut être l'un des grands gagnants d'un accord de libre-échange approfondi. La conclusion d'un tel accord devrait en tout cas permettre à la Moldavie d'améliorer sa position au sein de l'espace géoéconomique européen.
Autre enjeu crucial de l'Accord d'association, la facilitation de la circulation de ses nombreux ressortissants au sein des Etats membres de l'Union européenne devrait leur assurer un accès à l'information et à une assistance sociale adéquate. En effet, la Moldavie est devenue après son indépendance un pays d'émigration de travail, puisqu'entre un quart et un tiers de la population active travaillerait à l'étranger ; selon les estimations, les transferts de fonds représentait 5% du PIB en 1996 contre 36% en 2008, avant de décliner du fait de la crise. Si les flux de migrants se sont d'abord tournés vers la Russie (et surtout vers Moscou), on compte désormais de nombreux ressortissants moldaves en Italie d'abord, puis en Espagne, au Portugal, en Grèce ou en France. Le nombre croissant de Moldaves au sein de l'Union européenne et leur importance pour leur pays de départ a incité le Conseil des ministres de l'Union européenne " justice-affaires intérieures " des 6-7 décembre 2007 à adopter une décision visant à initier le dialogue avec deux pays pilotes, Moldavie et Cap Vert, afin de mettre sur pied un " partenariat de mobilité ". L'objectif déclaré de l'accord UE-Moldavie signé le 5 septembre 2008 consiste à faciliter la migration légale, y compris la migration circulaire, et dans le même temps d'empêcher et de combattre l'immigration illégale. De ce point de vue, le dialogue sur les visas ouvert en juin 2010, qui examine les conditions à long terme d'une abrogation des visas pour les citoyens, constitue un réel succès diplomatique pour la diplomatie moldave. Le 25 octobre 2010, la Commission est invitée par les 27 ministres des Affaires étrangères de l'Union à établir un plan d'action précis en vue de réaliser cet objectif.
Au-delà des progrès tangibles observés, il convient également de revenir sur la question transnistrienne, qui connaît une nouvelle actualité.
Le conflit transnistrien, passage obligé pour une plus grande sécurité en Europe ?
Longtemps tenu pour quantité négligeable, le conflit transnistrien semble prendre une nouvelle actualité dans le contexte de la redéfinition des institutions de sécurité en Europe.
La Transnistrie fait partie des pseudo-Etats séparatistes postsoviétiques au même titre que l'Abkhazie er l'Ossétie du Sud (Géorgie), ou le Haut-Karabagh (Azerbaïdjan). Ce territoire de 4163 km² et d'un demi-million d'habitants, situé à l'Est de la Moldavie, a fait sécession en 1990 sous la direction d'Igor Smirnov, toujours président de l'entité non-reconnue. La région a connu des combats en 1991-1992, qui ont provoqué la mort d'un millier de personnes, avant qu'un cessez-le-feu ne soit imposé par la Russie, qui a stationné sur ce territoire la XIVe Armée. L'OSCE a établi une mission en 1993 dont l'objectif était de négocier une résolution pacifique du conflit, consolidant la souveraineté de la Moldavie tout en trouvant un statut spécial pour la Transnistrie. Or, la structure de négociations multilatérale incluant la Russie, l'Ukraine, la Moldavie, la Transnistrie et l'OSCE n'a pas eu les effets escomptés, quand bien même les Etats-Unis et l'Union européenne sont devenus observateurs par la suite. Les séparatistes ont obtenu un soutien multiforme de la Russie (militaire, diplomatique, économique, etc.), même si cette dernière hésitait entre deux stratégies divergentes, l'une consistant à accroître son influence en Moldavie et l'autre visant à renforcer l'indépendance de la Transnistrie. Pendant ces années, les élites transnistriennes se sont enrichies grâce à un " capitalisme de contrebande " [7], c'est-à-dire la création d'un système économique fondé sur le transport illégal de marchandises ou de personnes dans le cadre d'une absence de reconnaissance internationale (et de la responsabilité associée).
Consciente de l'absence de négociations réelles sur le terrain, le statut satisfaisant au final un certain nombre d'acteurs en Transnistrie et au-delà, l'Union européenne s'est intéressée sérieusement à la Transnistrie à partir de 2003, année de l'échec du mémorandum Kozak, projet russe de résolution du conflit [8]. En février 2003, l'Union européenne a établi une liste de 17 dirigeants transnistriens qui sont désormais interdits de territoire. En 2005, elle a renforcé son implication grâce à la nomination d'un Représentant spécial, Adriaan Jacobovits de Szeged (remplacé en 2007 par Kalman Miszei), chargé de contribuer à la résolution du conflit. Son initiative la plus intéressante dans la perspective d'une résolution du conflit réside dans la mission EUBAM (European Union Border Assistance Mission) initiée en 2005. La rationalité de cette mission civile de surveillance à la frontière consiste à rapprocher les milieux économiques transnistriens de l'Europe, puisque ceux-ci s'intéressent de plus en plus au marché intérieur européen.
Les risques d'un embrasement régional étant très limités, la Transnistrie a longtemps été considérée comme un conflit séparatiste de seconde importance comparé aux autres conflits postsoviétiques. Or, la sécurité en Europe est marquée à l'heure actuelle par une triple transformation : la politique américaine du redémarrage (reset) envers la Russie, qui abaisse le niveau de tension régional ; les relations russo-polonaises ont également connu une amélioration sensible suite à la tragédie de Smolensk d'avril 2010, même si les réalisations conjointes sont encore modestes ; enfin, suite à l'élection de Viktor Ianoukovitch en février 2010, l'Ukraine est de nouveau en cour en Russie, et réciproquement. Cette série de réajustements ne peut être sans influence pour les relations UE-Moldavie: c'est dans ce contexte que la diplomatie de l'Allemagne, qui siégera au Conseil de sécurité de l'ONU, a récemment placé la question de la Transnistrie assez haut dans le dialogue bilatéral avec la Russie. En effet, lors de leur rencontre à Meseberg en juin 2010, Angela Merkel et Dimitri Medvedev ont évoqué la possibilité de créer un précédent positif, en échange de la création d'un Conseil conjoint UE-Russie sur la sécurité, et de la question de la suppression des visas. La Transnistrie a également été au cœur de la rencontre trilatérale Allemagne-France-Russie de Deauville les 18 et 19 octobre derniers. Naturellement, la Russie n'encouragera une résolution du conflit que sous certaines conditions, politiques (quelle autonomie pour la Transnistrie ?), militaires (quel retrait de la XIVe Armée, quelle transformation éventuelle de la mission russe et quel équilibre régional ?) ou économiques (quels avantages accorder à la région, quelles garanties pour les investissements réalisés ?). Néanmoins, la résolution du conflit transnistrien permettrait à la Russie de revendiquer une image de puissance responsable dans le voisinage, ne se contentant pas de la seule coercition. Depuis vingt ans, les conditions d'une réintégration durable entre la Moldavie et la Transnistrie n'ont certainement jamais été aussi proches ; il faut toutefois se garder de l'illusion que cette résolution sera simple, linéaire, puisque de nombreuses embûches peuvent se dresser pour enrayer le processus. Le résultat des élections législatives moldaves du 28 novembre, mais également celui des élections législatives du 12 décembre en Transnistrie ne seront pas sans incidence.
***
Les prochaines semaines et les prochains mois seront décisifs pour la Moldavie, et plusieurs indices nous donneront la mesure et le sens des transformations en cours.
Les interrogations concernent en premier lieu les transformations politiques : le scrutin législatif du 28 novembre est important, parce qu'il définira le rapport de force entre l'AIE et les communistes, mais aussi au sein de l'AIE. Il reste à voir s'il permettra de dégager une majorité claire, afin d'élire un président avec un mandat, confirmant les progrès aperçus depuis 2009, par exemple en matière de liberté de l'information. Le résultat final ne manquera pas de montrer les profondes divisions qui existent dans le pays, en termes économiques, sociaux et politiques.
La seconde interrogation concerne la place de la Moldavie sur l'échiquier européen, qui est en train de connaître des évolutions marquantes. Sa taille modeste, sa réorientation commerciale, sa proximité géographique avec l'Union européenne, le consensus au sein de l'opinion publique comme des élites politiques en faveur de l'Union, le fait de déjà disposer d'une traduction de l'acquis communautaire en font le pays test pour le Partenariat oriental. Naguère symbole de luttes d'influence roumano-russes, la Moldavie pourrait dorénavant bénéficier du fait qu'elle constitue le terrain d'entente le plus aisé pour les relations euro-russes. Les évolutions en Transnistrie sont donc à observer à la loupe au cours des prochains mois.
[1] Sur l'idée du " pluralisme par défaut ", voir Lucan Way, " Weak States and Pluralism : The Case of Moldova ", East European Politics and Societies, vol. 17, no 3, été 2003, p. 454-482.
[2]Sur ces événements, voir Nicolae Negru et al., Twitter Revolution. Episode One, Moldova, Chisinau, ARC, 2010.
[3] Un sondage réalisé par le centre de recherches sociologiques et de marketing " CBS – AXA " et publié le 4 novembre donne l'AMN à 2%. Cependant, ce parti pourrait atteindre les 4%, si l'on prend en considération sa forte organisation territoriale dans les espaces ruraux, ainsi que le fait qu'il est généralement sous-évalué dans les enquêtes d'opinion.
[4] Les précédents alliés du PCRM, le Parti Populaire Chrétien Démocrate (PPCD), n'ont plus de poids électoral. Il n'y a guère qu'une alliance possible avec une partie du PDM, qui s'inscrit dans la lignée de l'ancien président du parti, Dumitru Diacov. A noter que la rivalité entre Marian Lupu et Vladimir Voronine rend l'alliance du PDM et du PCRM très hypothétique.
[5] Selon un sondage de l'Institut des Politiques Publiques de Chisinau de mai 2010, 41% des personnes interrogées pensent qu'il s'agissait d'un coup d'Etat, tandis que 41,8% pensaient que les manifestations, d'abord pacifiques, sont devenues chaotiques puis violentes. Seul 1,5% des personnes croyait dans l'hypothèse que le parti au pouvoir a organisé lui-même les événements. Par ailleurs, 28,8% faisaient porter la responsabilité des événements au PCRM, contre 27,1% à l'opposition, et 5,2% à des pays étrangers.
[6] Concernant les autres indicateurs pertinents, la Moldavie se classe au 119e rang pour les infrastructures en général, 124e pour la qualité de ses ports, 109e pour les infrastructures aériennes, et 67e pour le ferroviaire. The Global Competitiveness Report 2010 – 2011.
[7] Florent Parmentier, " Construction étatique et capitalisme de contrebande en Transnistrie ", Transitions, Vol.XLV, n°1, pp.135-151.
[8] Le Mémorandum Kozak (du nom du négociateur russe) prévoyait la résolution du conflit transnistrien par la création d'une fédération asymétrique. Plusieurs reproches ont été adressés au texte : il laissait de nombreux conflits de compétences en suspens du fait d'une répartition des pouvoirs insatisfaisante, tandis qu'il permettait le maintien des troupes russes jusqu'en 2020. Il a été présenté à la mi-novembre 2003 par les autorités russes, mais a finalement été rejeté par Vladimir Voronine peu avant la signature officielle.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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