Liberté, sécurité, justice
Jonathan Cordier
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Jonathan Cordier
Introduction
La déclaration Schuman du 9 mai 1950 a jeté les bases de la méthode communautaire. " L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ". S'il est un domaine pour lequel l'approche graduelle a fait ses preuves, c'est bien celui de la " justice et des affaires intérieures ". Ce n'est en effet que progressivement qu'une politique commune a émergé du fait des réticences des Etats membres à se dessaisir d'une partie de leurs compétences régaliennes.
La libre circulation des personnes est un des piliers de la réalisation du marché unique. Même si elle est consacrée dès le traité de Rome, elle s'est concrétisée tardivement. La coopération en matière de justice et d'affaires intérieures est à l'origine une coopération sectorielle et volontaire qui est renforcée par l'acte unique (1986). La réalisation la plus concrète de la coopération judiciaire et policière européenne est la mise en œuvre des accords de Schengen (1985) qui, en dehors du cadre communautaire, dans un premier temps, suppriment les frontières intérieures entre certains Etats membres. Cette suppression implique d'assurer la sécurité du territoire des États membres par le renforcement des frontières extérieures de l'Union européenne, une coopération policière et judiciaire pénale accrue ainsi que la réglementation de l'entrée et du séjour des citoyens non européens, notamment au moyen d'une politique commune en matière d'asile et d'immigration. Le traité de Maastricht (1992) organise la collaboration des Etats membres dans cette matière sur une base nouvelle en ajoutant un troisième pilier à l'édifice de l'Union européenne, pilier intergouvernemental qui répond à une logique de décision distincte du pilier communautaire. Le traité d'Amsterdam (1997) assigne un nouvel objectif, la réalisation d' "un espace de liberté, de sécurité et de justice". Dans le même temps, une partie du troisième pilier a été "communautarisée" à l'exclusion de la coopération judiciaire et policière en matière pénale. Le traité de Lisbonne (2007), entré en vigueur le 1er décembre 2009, parachève ce processus de communautarisation puisque désormais l'ensemble de la matière " justice et affaires intérieures ", à quelques exceptions près, rejoint le droit commun.
Le traité de Lisbonne change en effet profondément la donne dans l'Union européenne dont jusqu'ici, les deux principaux instruments étaient économiques, à savoir le marché intérieur, et l'Union économique et monétaire. Désormais, ces deux instruments laissent la première place au citoyen et à ses droits. C'est assurément l'innovation majeure du traité. Malgré tout, on est en droit de se demander dans quelle mesure les Etats membres saisiront les potentialités que recèle le traité de Lisbonne en vue de placer le citoyen au cœur de la construction européenne.
Si le traité de Lisbonne consacre un véritable espace de liberté, de sécurité et de justice, les Etats membres doivent désormais accepter de ne plus être sous l'emprise de leur souveraineté pour que cet espace soit véritablement au service du citoyen européen.
1- Le traité de Lisbonne consacre un véritable espace de liberté, de sécurité et de justice
Dorénavant, l'espace de liberté, de sécurité et de justice est régi par les règles applicables à l'ensemble du droit de l'Union européenne
Le Traité de Lisbonne abolit la structure en piliers de l'Union européenne qui prévalait jusqu'à présent. Les matières qui relevaient précédemment du troisième pilier, telles que la coopération judiciaire en matière pénale et la coopération policière sont régies par le même type de règles que celles relevant du marché unique. Le titre V du traité de fonctionnement de l'Union européenne [2] contient l'ensemble des dispositions applicables à l'espace de liberté, de sécurité et de justice. [3]
De façon générale, s'ensuivent plusieurs modifications institutionnelles : la procédure de codécision impliquant le Parlement européen et le vote à la majorité qualifiée au Conseil avec droit d'initiative de la Commission sont largement généralisés dans le cadre de la procédure législative ordinaire au lieu notamment de la règle de l'unanimité qui avait cours auparavant. Le fait que le Parlement européen devienne co-législateur permet de replacer le citoyen au cœur du processus décisionnel et de mettre l'accent sur le volet " droits fondamentaux " dans des domaines aussi sensibles que la protection des données par exemple. Cela, d'autant plus qu'un mécanisme de contrôle renforcé de la subsidiarité par les parlements nationaux est prévu pour les initiatives dans les domaines de la coopération judiciaire et de la coopération policière. Dans le même sens, le traité de Lisbonne pose le principe de la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des Etats membres. Pour compenser, un mécanisme d'évaluation objective et impartiale de la mise en œuvre par les autorités des Etats membres des politiques de l'Union dans le domaine de la justice et des affaires intérieures est instauré, en particulier pour vérifier la pleine application du principe de la reconnaissance mutuelle. Par ailleurs, la compétence de la Cour de justice est étendue à l'ensemble de la matière mis à part certains aspects de la coopération policière. Le traité ménage plus de souplesse aux Etats membres qui souhaitent avancer à des vitesses différentes en fonction des sujets. Ainsi, les coopérations renforcées pourront s'appliquer à tous les domaines de compétence non exclusive de l'Union. Les modalités de ce mécanisme ont été assouplies: quel que soit le nombre d'Etats membres de l'Union, et sous réserve du respect de certaines conditions, une coopération renforcée sera possible dès lors qu'elle regroupe au moins neuf Etats membres. Les autres pays peuvent, au cours du processus législatif, ou lorsque celui-ci est finalisé, choisir de rejoindre les Etats membres de cette coopération renforcée.
Les innovations apportées par le traité de Lisbonne peuvent être déclinées dans les différents domaines couverts par l'espace de liberté, de sécurité et de justice : les politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l'asile et à l'immigration ; la coopération judiciaire en matière civile ; la coopération judiciaire en matière pénale ; la coopération policière. Si les dispositions évoluent peu dans les deux premiers domaines, elles changent substantiellement pour les deux autres.
Les domaines de compétences de l'Union sont étendus aux politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l'asile et à l'immigration, puisque qu'est désormais prévue la mise en place d'un système intégré de gestion des frontières extérieures. En matière d'asile, le développement d'un système européen commun d'asile est consacré, ainsi que les mesures qui pourront être prises à cette fin, incluant notamment une nouvelle base juridique pour le partenariat et la coopération avec des pays tiers afin de gérer les flux de demandeurs d'asile. Dans le domaine de l'immigration, le traité de fonctionnement de l'Union européenne mentionne désormais le développement d'une politique commune de l'immigration. Celle-ci devra assurer à tous les stades, une gestion efficace des flux migratoires, un traitement équitable des ressortissants réguliers des pays tiers ainsi que la prévention de l'immigration illégale et de la traite des être humains. Il est également prévu la possibilité pour l'Union de conclure des accords de réadmission, de mesures dans le domaine de l'intégration des ressortissants des pays tiers, ainsi que le dialogue commun avec les pays d'origine. A noter que les mesures dans le domaine de la fixation des volumes d'entrée des ressortissants de pays tiers sont exclues. Celles-ci continuent à relever de la compétence des Etats membres. Enfin, le principe général de solidarité et de partage équitable de responsabilité entre les Etats membres, y compris sur le plan financier, s'appliquera aux politiques de contrôle des frontières, d'asile et immigration.
Le traité pose le principe d'une coopération accrue pour la coopération judiciaire en matière civile par le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Les conditions pour l'exercice par l'Union de sa compétence normative demeurent. Les mesures peuvent désormais porter sur les méthodes alternatives de résolution des litiges, l'accès effectif à la justice, et sur la formation des magistrats et des personnels de justice.
Dans le domaine du droit pénal matériel, comme pour les mesures prises dans le domaine civil, le traité de fonctionnement de l'Union européenne pose le principe de la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires. L'Union pourra désormais adopter des règles et des procédures pour assurer cette reconnaissance. Sur le fond, la coopération judiciaire en matière pénale est sensiblement renforcée à travers l'adoption de règles minimales définissant les infractions et les sanctions pour des crimes graves transfrontaliers définis ou via le rapprochement des législations pénales nationales. Les moyens opérationnels de l'Union sont renforcés à travers Eurojust et la possibilité de mettre en place un parquet européen. D'abord, les missions opérationnelles d'Eurojust sont potentiellement élargies et pourront comprendre le déclenchement d'enquêtes pénales (en tenant dûment compte des règles et pratiques nationales), ainsi que la coordination des enquêtes et des poursuites conduites par les autorités compétentes. Les mesures prises dans ces domaines, selon la procédure législative ordinaire, pourront prévoir la participation du Parlement européen et les parlements nationaux aux évaluations d'Eurojust. Ensuite, le traité de fonctionnement de l'Union européenne prévoit une base juridique pour la mise en place d'un parquet européen institué à partir d'Eurojust. Le champ de compétences du parquet est limité à la poursuite des auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. La décision sera prise par le Conseil votant à l'unanimité après approbation du Parlement européen. Toutefois, le Conseil européen peut, au moment où la décision portant création du parquet est adoptée ou ultérieurement, décider d'étendre sa compétence à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière.
Le traité de Lisbonne introduit une distinction nouvelle entre la coopération policière opérationnelle et non opérationnelle. Seule cette dernière relèvera de la procédure législative ordinaire. Le traité prévoit d'ailleurs la création d'un comité permanent institué au sein du Conseil qui sera chargé de la promotion et du renforcement de la coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure. Le Parlement européen et les parlements nationaux devront être tenus informés de ces travaux. Le rôle assigné à Europol est mieux défini. Il peut appuyer l'action des polices nationales dans la prévention de la criminalité grave affectant deux ou plusieurs Etats membres, du terrorisme et des formes de criminalité qui portent atteinte à un intérêt commun. Ses tâches incluent la collecte et l'analyse des informations. Il peut aussi coordonner, organiser et même réaliser des enquêtes et des opérations conjointement avec des équipes de police nationales. Les mesures portant sur la structure interne, le fonctionnement, et les missions d'Europol relèvent désormais de la procédure législative ordinaire. Dans l'exercice de ses fonctions, Europol agit, le cas échéant, en liaison avec Eurojust. On peut donc imaginer qu'Eurojust, en vertu de son pouvoir de déclenchement d'enquêtes, demande à Europol d'organiser et de coordonner l'enquête. Les autorités compétentes d'un Etat membre ont la possibilité d'intervenir sur le territoire d'un autre Etat membre. Ceci devra être décidé par le Conseil à l'unanimité, après consultation du Parlement européen. Enfin, le Parlement européen et les parlements nationaux pourront être associés au contrôle des activités d'Europol.
D'autres dispositions ont une incidence sur les politiques de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Les mesures dans le domaine de la protection des données à caractère personnel seront adoptées par le Conseil et le Parlement européen selon la procédure législative ordinaire. Des directives établissant des mesures de coordination et de coopération pourront être adoptées dans le domaine de la protection diplomatique et consulaire. Ces mesures pourront être adoptées selon la procédure législative spéciale (unanimité et consultation du Parlement européen). Une base juridique nouvelle existe pour la protection civile au titre des compétences d'appui, de coordination ou de complément par rapport à l'action des Etats membres. Les mesures pourront couvrir la prévention des risques, la préparation des acteurs de la protection civile dans les Etats membres et l'intervention en cas de catastrophes naturelles ou d'origine humaine à l'intérieur de l'Union, mais aussi la coopération opérationnelle à l'intérieur de l'Union, ainsi que les mesures destinées à renforcer la cohérence des actions entreprises au niveau international.
Les Etats membres se sont tout de même ménagé des garde-fous pour reprendre la main autant que de besoin
En ce sens, les Etats membres conservent un pouvoir d'initiative dans certains domaines, d'autres ne sont pas soumis à la procédure législative ordinaire. Surtout, une clause de " frein " est inscrite dans le traité qui permet aux Etats membres de renvoyer la proposition au Conseil européen. Enfin, subsistent des opt-out pour plusieurs pays.
Il faut d'abord noter qu'en vertu des dispositions transitoires, les attributions de la cour de justice et de la Commission deviennent applicables à l'acquis existant de la législation relevant du troisième pilier cinq ans après la date d'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, soit le 1er décembre 2014.
Au niveau institutionnel, l'ancien troisième pilier n'entre pas entièrement dans le droit commun puisqu'un partage du pouvoir d'initiative des Etats membres (un quart des Etats membres) avec la Commission est prévu pour les actes de coopération administrative pris dans les domaines de la coopération judiciaire et de la coopération policière. De même, certains domaines demeurent non soumis à la procédure législative ordinaire. Les dispositions concernant les passeports, carte d'identité, titres de séjour ou autres documents assimilés sont soumises à la règle de l'unanimité. Les mesures provisoires adoptées dans le domaine de l'asile, pourront être adoptées à la majorité qualifiée au Conseil (pas de codécision) au cas où un ou plusieurs Etats membres auraient à faire face à un afflux soudain de ressortissants de pays tiers. Les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontalière demeurent soumises à l'unanimité, après consultation du Parlement européen. Une " clause passerelle spécifique " est néanmoins prévue permettant au Conseil de décider à l'unanimité, après consultation du Parlement européen, les aspects du droit de la famille qui pourront être adoptés selon la procédure législative ordinaire. Chaque parlement national dispose d'un droit d'opposition dans un délai de six mois.
Le droit pénal matériel pourra par ailleurs être étendu par décision du Conseil à l'unanimité, sous réserve d'un mécanisme dit du frein/accélérateur. Selon cette procédure, un Etat membre peut bloquer la décision (" frein "). Le Conseil européen est alors saisi dans un délai de quatre mois. S'il n'a pas agi, en renvoyant le projet au Conseil des ministres de l'Union pour qu'il reprenne son examen, la proposition sera abandonnée. Dans cette hypothèse ou en cas de désaccord, il sera toujours possible pour un groupe d'États membres de recourir à la coopération renforcée (" accélérateur "). Ce mécanisme peut intervenir dans trois cas : dans le domaine de l'harmonisation de la procédure pénale ou de l'étendue du droit pénal matériel, dès lors qu'un Etat membre estime qu'un projet de directive porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale ; dans le cas où, des règles relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave à dimension transfrontalière ; en l'absence d'unanimité pour la création d'un parquet européen. La coopération opérationnelle continuera d'être soumise à l'unanimité du Conseil, avec consultation du Parlement européen. Toutefois, le mécanisme de renvoi au Conseil européen et les mesures visant à recourir à la coopération renforcée seront possibles à l'instar de ce qui est prévu pour le parquet européen. A noter que cette coopération ne s'appliquera pas aux actes qui constituent un développement de l'acquis de Schengen.
Les progrès réalisés dans le traité de Lisbonne en matière d'espace de liberté, de sécurité et de justice sont accompagnés du maintien et du développement d'exemptions au bénéfice du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark, sans que celles-ci ne remettent en cause le renforcement de cette politique. Le Protocole modifié étend le champ d'application du protocole de 1997 pour l'Irlande et le Royaume-Uni, pour y inclure les chapitres sur la coopération judiciaire en matière pénale et la coopération policière, désormais 'communautarisés' en plus des domaines déjà couverts (contrôles aux frontières, à l'asile, à l'immigration, et à la coopération judiciaire en matière civile). Cette clause d' " opt out " s'applique également aux décisions de la Cour de justice portant sur ces matières. Ces deux pays ne participent pas non plus au mécanisme d'évaluation de la mise en œuvre des politiques de l'Union, ni à l'adoption de règlements pour assurer la coopération administrative entre services nationaux. Ils ne participent pas non plus aux règles qui concernent le traitement des données à caractère personnel par les Etats membres dans l'exercice d'activités relevant de la coopération judiciaire en matière pénale ou de coopération policière.
Parallèlement, le Protocole modifié élargit le champ de l' " opt in " pour tirer les conséquences de la communautarisation des politiques. Des modifications au protocole Schengen définissent une nouvelle procédure applicable aux mesures fondées sur l'acquis de Schengen pour ce qui concerne la participation de ces deux pays. En effet, le Royaume-Uni et l'Irlande, qui ne participent en principe pas au système Schengen, ont été autorisés par le Conseil à participer à une partie de l'acquis de Schengen, à condition qu'ils participent automatiquement à toute mesure ultérieure développant cet acquis. Le protocole modifié donne néanmoins au Royaume-Uni et à l'Irlande un droit de ne pas participer à de telles mesures de développement, au prix toutefois d'une décision du Conseil les écartant de tout ou partie de l'acquis de Schengen concerné, dans la mesure jugée nécessaire sur la base de critères établis par le protocole. A défaut d'une décision du Conseil, voire du Conseil européen, à cet effet, il reviendra à la Commission de prendre cette décision. Comme pour le Royaume-Uni et l'Irlande, l'opt-out a été maintenu et étendu pour le Danemark, à certains domaines de la coopération judiciaire pénale et de la coopération policière. Cependant, afin d'encourager le Danemark à renoncer à l'opt-out, une annexe a été établie avec un régime intermédiaire entre l'opt-out et l'application intégrale du droit de l'Union permettant à cet Etat de choisir l'application d'un système d'opt-in calqué sur le régime applicable au Royaume Uni et à l'Irlande. Le traité de Lisbonne prévoit enfin que l'Irlande comme le Danemark se réservent la possibilité de renoncer à tout ou partie du protocole, tandis que la Royaume-Uni ne l'envisage pas.
2- Les Etats membres doivent désormais accepter de ne plus être sous l'emprise de leur souveraineté pour que cet espace soit au service du citoyen européen
Les citoyens sont très sensibles aux avancées dans le domaine de l'espace de liberté, de sécurité et de justice qui répondent à leurs préoccupations quotidiennes.
La Commission manifeste la volonté de s'adresser aux citoyens et d'aller à la rencontre de leurs soucis et des difficultés pratiques qu'ils rencontrent dans leur vie de tous les jours. Elle réclame davantage de vision, d'ambition et d'actions de la part des Etats membres. Les défis restent nombreux et les défis dépassent singulièrement les frontières nationales de l'Union européenne. En coopération avec les partenaires dans le monde. Pour cela l'Union européenne peut s'appuyer sur l'Europe des valeurs et de ses fortes traditions démocratiques et légales. A titre d'illustration le vice-président de la Commission Jacques Barrot a rappelé plusieurs chiffres révélateurs. Huit millions d'Européens vivent dans un Etat qui n'est pas leur Etat membre d'origine. En matière de justice civile, on compte déjà une succession sur dix qui a une dimension internationale. La cybercriminalité est en constante évolution : 1500 sites internet présentent des contenus à caractères pédopornographiques. Il y a 1636 points désignés comme point d'entrée sur le territoire de l'Union et en 2006 le nombre de passages a été d'environ 900 millions. En 2009, presque 4% de la population totale est constituée de ressortissants de pays tiers, soit 18,5 millions de personnes et d'après les estimations 8 millions d'immigrés irréguliers vivraient sur le territoire de l'Union. Ces chiffres réclament une coopération accrue. Avant tout, les citoyens veulent vivre dans une Union européenne prospère et pacifique au sein de laquelle leurs droits sont respectés et leur sécurité protégée. Ils veulent pouvoir voyager librement, et choisir de s'installer temporairement ou de manière permanente dans un autre pays européen pour étudier, travailler, fonder une famille, créer une entreprise ou bien prendre leur retraite. Ils souhaitent accéder facilement à la justice, pouvoir exécuter des décisions de justice d'un Etat membre à l'autre, et être protégé contre une série de menaces (criminalité organisée, terrorisme). Les résultats d'un sondage d'Eurobaromètre de janvier 2009 montrent que la majorité des personnes interrogées se sent préoccupée par l'ensemble des grands domaines d'action relevant de la "Justice et des affaires intérieures", notamment la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme et la lutte contre la toxicomanie (80 % respectivement). La promotion et la protection des droits fondamentaux, y compris les droits des enfants, est un sujet de préoccupation pour environ les trois quarts des citoyens de l'Union (78 %). Pour chacun des domaines d'action considérés, la majorité des citoyens a estimé que les interventions à l'échelle européenne présentaient une valeur ajoutée par rapport à celles menées au seul niveau national. Dans deux domaines, à savoir l'échange d'informations judiciaires et policières entre les États membres et le contrôle aux frontières de l'Union, les citoyens européens n'affichent pas un degré de sensibilisation particulièrement élevé, mais soutiennent néanmoins les interventions à l'échelle européenne. Telle a été la position d'un citoyen sur cinq, ce qui pourrait être interprété comme un feu vert de leur part à la poursuite des actions dans ces deux domaines. Il faut pour cela que les polices des Etats membres et leurs systèmes judiciaires coopèrent mieux et plus efficacement entre eux. L'Union doit aussi se mobiliser pour aider les citoyens et les entreprises à mieux faire face à court terme à la crise économique et à plus long terme à relever les défis d'une société globalisée et du vieillissement de la population européenne. Elle doit mettre en place une politique de migration flexible lui permettant de répondre à ses besoins en matière d'emploi et de profiter des opportunités qu'offre l'apport de main d'œuvre étrangère. Elle doit aussi confirmer sa tradition humanitaire en offrant généreusement sa protection à celles et ceux qui en ont besoin.
Des progrès considérables ont été accomplis pendant ces dernières années. Pour ne citer que quelques exemples : la levée des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen qui permet maintenant à plus de 400 millions de citoyens de 25 pays de voyager librement ; la gestion plus cohérente des frontières extérieures de l'Union, notamment par la création et la mise en place opérationnelle de l'agence Frontex ; les bases d'une politique commune de l'immigration et d'un système d'asile européen commun ont été établies ; le mandat d'arrêt européen a réduit significativement l'effort exigé pour l'extradition des criminels. Il s'agit de les intensifier grâce aux nouvelles dispositions du traité. La Commission a saisi la mesure de l'enjeu et comprendra désormais deux portefeuilles distincts, d'une part le portefeuille " Affaires intérieures " et d'autre part le portefeuille " Justice, droits fondamentaux et citoyenneté ".
Le programme de Stockholm définit les orientations stratégiques pour l'espace de liberté, de sécurité et de justice pour la période 2010-2014. [4]
Les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans cet espace seront désormais définies par le Conseil européen. Cette disposition du traité de Lisbonne sanctionne ainsi un usage qui s'est développé depuis la réunion de Tampere en octobre 1999. Le programme de Stockholm est le troisième programme pluriannuel, après ceux de Tampere et de La Haye. Il sera décliné de manière opérationnelle dans un plan d'action qui sera adopté sous présidence espagnole (1er semestre 2010).
Le programme s'organise autour de quatre grandes priorités donnant lieu à des propositions concrètes pour rendre plus effectifs et tangibles aux yeux des citoyens les bénéfices d'un espace européen de liberté de sécurité et de justice : une Europe des droits ; une Europe de la Justice ; une Europe qui protège ; une Europe solidaire. Il comprend six orientations déclinées ci-dessous.
- Promouvoir la citoyenneté et les droits fondamentaux : la citoyenneté européenne doit devenir une réalité tangible. Le Programme invite à la poursuite de l'élargissement de l'espace Schengen. L'espace de liberté, de sécurité et de justice doit être avant tout un espace unique de protection des droits fondamentaux. Le respect de la personne et de la dignité humaine ainsi que des autres droits énoncés dans la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l'homme constitue une valeur essentielle. Il s'agit par exemple de préserver l'exercice de ces libertés et la vie privée des citoyens au delà des frontières nationales, notamment via la protection de leurs données à caractère personnel. Il s'agit également de prendre en compte les besoins particuliers des personnes vulnérables et de veiller à ce que les citoyens européens et les autres personnes puissent exercer pleinement leurs droits spécifiques tant au sein de l'Union européenne qu'à l'extérieur le cas échéant.
- Une Europe du droit et de la justice : la réalisation d'un espace européen de la justice doit être approfondie afin de dépasser la fragmentation actuelle. En priorité, il s'agit de mettre en place des mécanismes pour faciliter l'accès à la justice afin que les citoyens puissent faire valoir leurs droits partout dans l'Union. Il faudra aussi renforcer la coopération entre les professionnels de la justice, améliorer leur formation et mobiliser des moyens pour supprimer les entraves à la reconnaissance des actes juridiques dans d'autres États membres.
- Une Europe qui protège : une stratégie de sécurité intérieure devrait être développée afin d'améliorer encore la sécurité au sein de l'Union et, ainsi, protéger la vie des citoyens européens et assurer leur sécurité, et en vue de lutter contre la criminalité organisée, le terrorisme et d'autres menaces. Cette stratégie devrait viser à renforcer la coopération en matière de répression, de gestion des frontières, de protection civile et de gestion des catastrophes ainsi qu'à intensifier la coopération judiciaire en matière pénale afin de rendre l'Europe plus sûre. En outre, l'Union européenne doit fonder ses travaux sur la solidarité entre les États membres et mettre pleinement en œuvre la clause de solidarité.
- L'accès à l'Europe à l'heure de la mondialisation : il convient de faciliter l'accès à l'Europe pour les hommes d'affaires, les touristes, les étudiants, les chercheurs, les travailleurs, les personnes ayant besoin d'une protection internationale et celles ayant un intérêt légitime à accéder au territoire de l'Union européenne. Parallèlement, l'Union et ses États membres doivent garantir la sécurité de leurs citoyens. La gestion intégrée des frontières et les politiques en matière de visas devraient être conçues de manière à servir ces objectifs.
- Une Europe faisant preuve de responsabilité et de solidarité et travaillant en partenariat en matière d'immigration et d'asile : la mise en place d'une politique européenne globale en matière de migrations qui s'inscrive dans une perspective d'avenir et soit fondée sur la solidarité et la responsabilité reste un objectif primordial pour l'Union européenne. Il convient de veiller à mettre en œuvre tous les instruments juridiques concernés et de recourir pleinement aux agences et offices intervenant dans ce domaine. Des migrations bien maîtrisées peuvent être profitables à tous. Le Pacte européen sur l'immigration et l'asile constitue clairement une base pour poursuivre les travaux dans ce domaine. L'Europe aura besoin d'une politique souple, qui réponde aux priorités et aux besoins des États membres et permette aux migrants de tirer pleinement parti de leur potentiel. Il convient de garantir aux personnes qui ont besoin d'une protection la possibilité d'accéder à des procédures d'asile juridiquement sûres et efficaces. En outre, afin de maintenir dans l'Union des systèmes d'immigration et d'asile qui soient crédibles et qui s'inscrivent dans la durée, il est nécessaire de prévenir, maîtriser et combattre l'immigration clandestine, conformément aux conclusions du Conseil européen d'octobre 2009, l'Europe étant confrontée à une pression croissante due aux flux migratoires clandestins, en particulier dans les États membres situés à ses frontières extérieures, y compris les frontières méridionales.
- Le rôle de l'Europe à l'heure de la mondialisation - la dimension extérieure : l'importance de la dimension extérieure de la politique de l'Union dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice met en évidence la nécessité d'intégrer davantage ces actions dans les politiques générales de l'Union européenne. La dimension extérieure est essentielle pour relever les principaux défis auxquels nous sommes confrontés et offrir aux citoyens européens davantage de possibilités de travailler et d'avoir des relations d'affaires avec des pays du monde entier.
Il faut souligner que les citoyens attendent aussi des résultats et à cet égard l'évaluation prévue en 2012 devra prendre une dimension nouvelle car, pour le passé immédiat, la mise en œuvre du Programme de la Haye s'est révélée être très inégale, d'où la nécessité de consolider l'acquis au cours des années à venir tout en s'assurant que les citoyens connaissent bien leurs droits et soient assurés de pouvoir les exercer effectivement. Une déception subsiste au bout du compte : malgré l'appel fait lors de l'évaluation du programme de la Haye on ne retrouve pas l'ampleur qu'il conviendrait de donner à la dimension extérieure de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce qui est dit à ce sujet n'est pas à la hauteur des enjeux. A cet égard, les défis persistent et nécessitent une action à long terme persévérante.
L'Union européenne constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice [5] alors qu'auparavant il s'agissait de le mettre en place progressivement [6]. Désormais qu'il existe bel et bien, il importe de le rendre plus prégnant pour les citoyens. Ainsi, le Conseil européen estime dans ses conclusions du 11 décembre 2009 que " la priorité, pour les prochaines années, devrait consister à placer au centre des préoccupations les intérêts et les besoins des citoyens et des autres personnes envers lesquelles l'Union européenne a une responsabilité. La difficulté consistera à garantir le respect des libertés et des droits fondamentaux et l'intégrité, tout en assurant la sécurité en Europe. Il est primordial que les mesures répressives et les mesures destinées à préserver les droits de la personne, l'État de droit et les règles relatives à la protection internationale soient cohérentes et complémentaires ".
Si l'espace de liberté, de sécurité et de justice représentait déjà 20% de l'activité de l'Union européenne, cette proportion tend à s'accroître avec les nouvelles dispositions du traité et tant mieux. Pour autant, le défi désormais est d'assurer une mise en oeuvre effective de la législation. Particulièrement dans le domaine pénal, la compétence de la Cour de justice est limitée et la Commission ne peut lancer des procédures d'infraction. Il en résulte des retards significatifs dans la transposition des normes européennes au niveau national, ce qui leur donne un caractère quelque peu " virtuel ". Une implication accrue des Etats membres est indispensable pour que l'espace de liberté, de sécurité et de justice devienne effectif.
[1] Les propos tenus dans cet article n'engagent que lui.
[2] Le traité de Lisbonne est en réalité constitué de deux traités : le traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et le traité de l'Union européenne (TUE)
[3] Il comprend cinq chapitres : 1. dispositions générales ; 2. politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l'asile et à l'immigration ; 3. coopération judiciaire en matière civile ; 4. Coopération judiciaire en matière pénale ; 5. coopération policière.
[4] Voir le compte-rendu de la conférence organisée par la Fondation Robert Schuman sur le programme de Stockholm le 12 novembre 2009 http://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0152-le-programme-de-stockholm-compte-rendu-de-la-conference-organisee-le-12-novembre-et-des
[5] Article 67 TFUE
[6] Article 61 TCE (Traités d'Amsterdam puis de Nice)
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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