La dépense publique et la situation des finances publiques dans les 25 pays membres de l'Union européenne

Marché intérieur et concurrence

Amélie Verdier

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12 décembre 2005

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Amélie Verdier

Inspectrice des Finances, maître de conférences à l'Institut d'Etudes Politiques (IEP) de Paris en finances publiques.

Les conseils ECOFIN se suivent et se ressemblent : pas une réunion de grands argentiers qui ne stigmatise la situation des finances publiques de l'un ou l'autre de ces États membres. Dernier en date, le Conseil du 8 novembre 2005 a considéré [1] que la réponse apportée par la Hongrie à la grave situation de ses finances publiques n'était pas "adéquate" ; traduit en langage courant, cela signifie que ses homologues européens ne jugent pas crédible sa stratégie de réduction des déficits publics. Cette dernière fait donc partie du club assez ouvert des États passés de la surveillance du Conseil aux recommandations plus fermes, compte tenu de la situation de leurs finances publiques.

Plus de la moitié des 25 membres Un poids plus élevé que dans le reste de l'OCDE...de l'Union européenne font partie de ce club [2] et la situation ne semble guère s'améliorer, depuis la première procédure engagée pour déficit excessif il y a trois ans [3]. Y a-t-il une fatalité à la dérive des comptes publics dans les pays membres de l'Union européenne ? Comment s'explique a contrario la qualité de la situation observée dans certains États membres ?

De nombreux travaux ont été consacrés au pacte de stabilité et de croissance, à sa pertinence et à sa réforme en mars 2005. Nous nous proposons donc ici de nous pencher plus précisément sur l'un des facteurs déterminant la position de déficit ou d'excédent : la dépense publique. Existe-t-il des similitudes entre les 25 ou entre certains d'entre eux sur le niveau de la dépense publique et sur leur stratégie de maîtrise des dépenses ? Un panorama de la situation des 25 [4], comparée à celle des autres pays de l'OCDE, peut aider à déterminer quelles sont les stratégies de réduction ou de maîtrise de la dépense qui donnent de véritables marges de manœuvre pour l'avenir. En adoptant une approche empirique, on s'intéressera plus aux méthodes qu'au contenu des réformes menées.

I. État des lieux : une dépense publique élevée, reflet d'une préférence européenne pour l'intervention ?

Un poids plus élevé que dans le reste de l'OCDE...

La dépense publique constitue pour une part le reflet des choix de politiques publiques et de degré d'intervention de l'État dans l'économie : le modèle libéral, anglo-saxon, s'oppose ainsi au modèle européen continental, plus interventionniste. Comparés aux autres pays de l'OCDE, les pays de l'Union européenne se singularisent par le poids des dépenses publiques : celles-ci représentent en moyenne 48% du PIB en 2002, contre 45% en moyenne au sein de l'OCDE, 35% aux USA et 38% au Japon.

...même si l'on tient compte des systèmes de prestations sociales.

Il est désormais bien connu que ces comparaisons brutes doivent prendre en compte l'organisation du système de prestations sociales : d'une part, le financement privé d'une part importante des prestations sociales influe sur la structure et le montant des dépenses publiques, alors même que le recours à l'assurance privée est dans certains cas obligatoire. D'autre part, les données brutes de dépense publique ne donnent pas l'ampleur de l'effort social d'un pays, car elles ne prennent pas en compte les dispositions fiscales à vocation sociale.

Des travaux menés au sein de l'OCDE ont montré que la prise en compte de ces facteurs aboutit à réduire l'écart-type des ratios de dépenses dans le PIB entre les États de plus de 40% par rapport aux écarts existant pour les données brutes de dépense publique. Une telle prise en compte aboutit d'ailleurs à un classement différent des pays pour le ratio dépenses sociales / PIB : les États-Unis étaient en 2002 le 3ème pays avec le taux brut de dépenses sur PIB le plus bas, mais le 10ème sur un groupe de 18 étudiés, si l'on s'intéresse à l'ensemble des dépenses sociales nettes [5] rapportées au PIB.

Néanmoins, si quelques membres de l'UE se situent en dessous de la moyenne de l'OCDE (la Grande-Bretagne notamment pour le taux brut, l'Irlande et la République tchèque en particulier, lorsque l'on s'intéresse aux dépenses sociales) et si l'écart avec les autres pays de l'OCDE est plus réduit, la majorité des membres de l'UE se situent dans le haut de la fourchette et les pays qui ont le ratio de dépenses publiques dans le PIB le plus élevé sont tous membres de l'Union européenne (Suède, Danemark, France dans le classement de 2002 précité pour les taux bruts, Suède, Allemagne et Belgique pour le poids des dépenses sociales [6]).

Un niveau de dépense publique comparable dans les nouveaux États membres par rapport aux Quinze

Un an et demi après l'entrée dans l'Union européenne de dix nouveaux États membres, on peut se demander quel est l'impact de leur structure de dépense dans celle de l'UE : rapproche-t-elle ou éloigne-t-elle l'Union européenne du reste de l'OCDE ?

Sur le périmètre des Quinze, le poids des dépenses publiques dans le PIB était en 2004 de 46,8% du PIB. À 25, il est de 47,9%. Le poids des dépenses publiques dans l'UE 25 reste inférieur au poids des dépenses publiques dans les pays de la zone euro [7].

L'entrée des nouveaux États membres accroît donc légèrement le poids des dépenses publiques dans l'Union européenne, mais dans des proportions réduites. Ceci s'explique avant tout par la faiblesse du PIB des nouveaux membres par rapport à celui des Quinze.

Au-delà de leur situation en termes de solde budgétaire – déficitaire pour tous en 2004, à l'exception de l'Estonie et au-delà de 3% du PIB dans cinq pays, dont la Pologne et la Hongrie, on peut également de se demander pour chacun d'entre eux quel est le niveau des dépenses publiques, alors que ces pays connaissent un processus de transition économique depuis bientôt quinze ans.

Le poids des dépenses publiques varie de 34,3% en Lituanie à 54,1% pour Malte. On distingue 5 pays avec une dépense publique supérieure ou égale à la dépense publique des Quinze (Malte, la Pologne, la Hongrie, Slovénie et République tchèque) : il s'agit d'États qui comptent parmi les pays au PIB le plus important. À l'inverse, la Slovaquie, Chypre et les pays baltes sont nettement en dessous de la moyenne.

La "loi de Wagner", qui énonce que le niveau de socialisation des activités dépend du niveau de développement, n'est donc pas vérifiée si l'on compare les nouveaux États membres aux Quinze : le processus de transition n'a pas effacé les traces de l'ancienne économie administrée et largement publique et le moindre niveau de PIB par tête ne se traduit pas par un poids moindre des dépenses publiques pour les dix pays considérés. On relève néanmoins que dans des pays comme Chypre ou la Slovénie, dont le PIB par tête est le plus proche de celui relevé dans la zone euro (76% à Chypre et 72% en Slovénie en 2003 [8]), la dépense publique est plus élevée que dans les pays baltes, dont le PIB par tête est plus en retrait (entre 40 et 45% du PIB par tête de la zone euro en 2003).

II. Retrouver des marges de manœuvre, une nécessité pour tous, des situations contrastées

Les pays de la zone euro sont confrontés à des problèmes de soutenabilité de la dépense à long terme

L'analyse des problèmes de la soutenabilité de la dépense publique est née de l'accroissement généralisé de la dette dans les années 1980 et au début des années 1990, au sein des pays de l'OCDE : pour que les finances publiques soient jugées soutenables, il faut que le taux de croissance de la dette ne dépasse pas durablement le taux de croissance du taux d'intérêt nominal dû au titre de la dette.

La soutenabilité pose donc une double question aux finances publiques :

la question des contraintes de financement : le pays considéré va-t-il avoir les moyens de financer les dépenses auxquelles il va avoir à faire face ? Cela implique de prendre en compte le degré de pression fiscale existant et la capacité à emprunter, principalement ;

et la question de la rigidité de la dépense publique, qui nous intéresse ici : le rythme d'évolution des dépenses est-il maîtrisé ? Une dépense est "rigide" si elle est subie et reconduite dans le temps, sans que l'État ne puisse aisément décider d'y mettre un terme. Constituent ainsi des dépenses rigides le paiement des intérêts de la dette ou celui des traitements des fonctionnaires.

Plusieurs facteurs peuvent mettre en péril la soutenabilité des dépenses.

Les travaux conduits au sein de l'OCDE comme de l'Union européenne accordent une large place à l'impact du vieillissement de la population sur les dépenses publiques : le comité de politique économique européen montrait ainsi en octobre 2003 qu'à politiques constantes, les dépenses publiques liées au vieillissement : retraites, dépenses de santé, prise en charge de la dépendance pourraient représenter en 2050 de 3 à 9 points de pourcentage de PIB supplémentaires dans la majorité des États membres (jusqu'à 13 points en Grèce). En France, la hausse était estimée à 4% du PIB, soit environ 60 Md€ de charges annuelles supplémentaires, venant s'ajouter aux 26,5 Md€ dépensés en 2000.

Dans certains États de l'Union, comme les nouveaux États membres, mais également l'Allemagne pour les nouveaux Länder ou le Royaume-Uni, des besoins lourds en investissement public sont par ailleurs identifiés et doivent être financés.

Tous les pays de l'Union ne font pas face à la même situation

Les travaux de la Commission sur les perspectives économiques des États membres incluent donc régulièrement désormais des projections mises à jour sur l'évolution des dépenses liées au vieillissement, à horizon 2050 lorsque cela est possible – tous les pays ne réalisent pas de projections aussi éloignées dans le temps cependant (la France s'arrête ainsi en 2040). Elles tentent également de mesurer les engagements hors bilan ou d'établir le niveau de la dette publique implicite.

La Commission européenne inclut ainsi dans son rapport 2005 sur les finances publiques, précité, une appréciation d'ensemble sur la soutenabilité des finances publiques de chacun des Quinze États membres de l'Union européenne avant l'élargissement de 2004.

En intégrant une batterie de critères à la fois quantitatifs et qualitatifs [9], trois niveaux d'appréciation ont été définis :

un pays de niveau 1 "semble faire face à des risques limités" ;

pour un pays de niveau 2 "les risques ne peuvent pas être écartés" ;

dans les pays de niveau 3, on relève "des risques de déséquilibres budgétaires émergents".

Le degré de soutenabilité n'est pas fonction du niveau de dépense publique, comme l'illustrent les résultats de l'analyse conduite par la Commission :

On relève que les pays dont les dépenses publiques sont plus faibles que la moyenne de l'Union européenne font face à des perspectives jugées soutenables.

Mais il est sans doute plus intéressant de constater que quatre des cinq pays qui ont les dépenses les plus importantes ont également des finances publiques jugées soutenables. En effet, la maîtrise des finances publiques est fréquemment présentée comme liée à un faible niveau des dépenses publiques ; l'étude de la situation des 25 membres de l'Union européenne révèle pourtant des modèles plus complexes.

Ceci conduit à s'intéresser à la maîtrise qu'ont les États membres de leurs finances publiques, quel que soit leur niveau de dépense, sur un terme plus bref.

D'autres résultats surprenants dans l'évolution de la dépense et des finances publiques à plus court terme...

Si l'on s'intéresse à l'évolution du poids de la dépense publique entre 2003 et 2006 – en prenant pour cette dernière comme référence les projections réalisées par la Commission dans son rapport 2005 –, on relève des situations très différentes et apparemment non corrélées au "point de départ", c'est-à-dire au poids des dépenses publiques dans le PIB. Le graphique ci-dessous classe les pays en fonction de l'évolution du poids des dépenses, en valeur absolue :

Un premier groupe de pays, qui se caractérise plutôt par un poids élevé de la dépense publique, voit celle-ci peu évoluer sur la période 2003-2006 (évolution inférieure ou égale à 0,6% en valeur absolue) : il s'agit du Portugal, de la France et des Pays-Bas [10]. L'Irlande, dont le niveau de dépense publique est plus faible que celui des trois autres, peut être rattachée à ce groupe.

Un deuxième groupe de pays voit sa dépense évoluer entre 1 et 2% (soit autour de la moyenne des 25) : il s'agit de Malte, de la Slovaquie, de l'Italie, de la Grèce, du Royaume-Uni, de la Pologne, de la Lituanie, de l'Espagne, de la Finlande, du Luxembourg et de la Slovénie. Ce groupe est hétérogène du point de vue du poids de la dépense publique.

Un troisième groupe de pays (si l'on exclut la Lettonie) diminue le poids de sa dépense publique de plus de 3% (jusqu'à 5,3%) entre 2003 et 2006, alors même que le niveau de cette dernière est élevé : il s'agit de la Suède, du Danemark, de la Belgique, de l'Autriche et de l'Allemagne.

Enfin, quatre pays du dernier élargissement (la Hongrie, l'Estonie, Chypre et la République tchèque) connaissent des évolutions d'ampleur plus importante, à la baisse (à l'exception de l'Estonie).

Le cas du troisième groupe montre que les pays dont le degré de socialisation de l'économie est élevé ne sont pas nécessairement des pays dont la dépense est extrêmement rigide.

Ce premier constat empirique peut être complété par l'étude des soldes budgétaires des 25, mis en regard de leur niveau de dépense publique. Le graphique ci-dessous classe les États membres par ratio de dépenses publiques / PIB et indique dans chaque cas le solde budgétaire brut, donc "spontané" (afin de pouvoir disposer de données pour les nouveaux États membres).

Parmi les sept pays dont le solde budgétaire est positif ou nul, quatre ont un niveau de dépenses publiques supérieur à la moyenne de l'UE (Suède, Danemark, Finlande et Belgique). Trois de ces pays faisaient partie du groupe ayant vu le poids de la dépense publique évoluer de plus de 3% (à la baisse) sur la période 2003-2006, la Finlande s'en approchant avec une réduction de 2%. On pourrait également adjoindre à ce groupe l'Autriche, dont le déficit budgétaire est limité à 1,3% en 2004.

Globalement, parmi les douze pays de l'Union européenne qui se situent au-delà de la moyenne des 25 en termes de poids des dépenses publiques, cinq présentent un déficit budgétaire à 3%, dont un seul des Quinze (la France). Si l'on ne s'intéresse qu'aux Quinze, sur les dix États membres qui ont des dépenses publiques supérieures à la moyenne des Quinze, trois dépassent le seuil de 3% de déficit, contre un parmi les cinq États inférieurs à la moyenne (le Royaume-Uni).

Plus généralement, les graphiques et tableaux ci-dessus montrent qu'il n'existe pas de corrélation absolue entre la situation des finances publiques et le niveau de dépenses publiques.

Un groupe relativement nombreux de pays conjugue à l'heure actuelle :

un degré d'intervention dans l'économie, repéré par le ratio dépenses publiques / PIB, supérieur à la moyenne de l'Union,

une maîtrise de la situation budgétaire,

une évolution du poids de la dépense publique de court terme illustrant que la rigidité des dépenses n'est pas absolue et

des perspectives encourageantes concernant la soutenabilité des finances publiques.

Il s'agit notamment des pays scandinaves (Danemark, Suède et Finlande), de l'Autriche et dans une moindre mesure de la Belgique.

A contrario, la situation des États cumulant un déficit budgétaire au-delà du seuil du pacte de stabilité et de croissance (en 2004, 9 pays présentaient un déficit supérieur à 3%), une dépense publique à la fois importante et apparemment rigide et des difficultés anticipées de soutenabilité des finances publiques, à long terme, apparaît préoccupante. Il s'agit notamment de la France et de la Grèce qui cumulent ces handicaps.

Enfin, sur le périmètre des Quinze, un groupe intermédiaire présente une situation contrastée, soit parce que la maîtrise budgétaire est incertaine et doit faire face à d'importants besoins de dépenses (Royaume-Uni par exemple), soit parce que la stratégie de maîtrise des dépenses n'est pas aboutie (Allemagne ou Italie par exemple), ou encore parce que la dépense publique est apparemment plus rigide (Portugal).

À partir de ces constats, il est possible d'examiner quelques stratégies de maîtrise de la dépense publique de manière transversale.

III. Comment retrouver des marges de manœuvre pour la dépense ?

À titre liminaire, il faut rappeler que d'un pays à l'autre, les gouvernements ne disposent pas nécessairement des mêmes leviers d'action sur l'ensemble du périmètre de la dépense publique, notamment sur les dépenses des collectivités ou gouvernements locaux et sur les dépenses de protection sociale.

On peut schématiquement distinguer trois types d'approche dans la maîtrise de la dépense : une approche quantitative qui vise à fixer des normes d'évolution de la dépense, une approche "structurelle" qui vise à agir sur la source de la dépense pour la réduire et une approche processuelle, qui s'attache à conditionner la dépense à des priorités de politiques publiques dans le processus d'autorisation de la dépense (ce qui peut avoir pour conséquence ensuite des approches quantitatives et / ou structurelles de maîtrise).

Les approches quantitatives de limitation de la dépense et les règles de comportement

L'OCDE a réalisé, à partir des synthèses établies pays par pays, une étude parue dans la Revue économique [11] qui trace le bilan des techniques utilisées.

Un cadre de dépenses contraignant existe ainsi en République tchèque, au Danemark, en Finlande, en Hongrie, en Irlande, en Pologne, en Espagne au Portugal et en Suède, soit des pays qui présentent, à l'exception des nouveaux États membres, une situation budgétaire plutôt saine ou en tout état de cause, en amélioration (Portugal). Il s'agit d'ailleurs d'un outil assez largement diffusé au sein de l'OCDE.

La Finlande et l'Irlande ont, par exemple, adopté une approche budgétaire descendante ("top down") qui définit ex ante le budget global, avant de procéder à des arbitrages successifs pour sa répartition.

Plusieurs pays de l'Union européenne ont pour leur part introduit un plafonnement explicite des dépenses publiques, dont l'Espagne, la Finlande et la Suède.

Un nombre important de pays ont également amélioré la cohérence entre la stratégie budgétaire des collectivités territoriales et les objectifs nationaux (République tchèque, Danemark, Allemagne, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal) ou établi des règles sur le "partage de la dépense" (en Belgique, les déficits autorisés sont établis pour le gouvernement fédéral et la sécurité sociale d'un côté, pour les régions et municipalités de l'autre), introduisant une "solidarité publique" dans l'approche quantitative.

En France, il existe une norme de progression des dépenses pour le seul budget de l'État, définie en termes réels depuis la préparation de la loi de finances pour 1998 et faisant l'objet d'un suivi fin en exécution [12].

Dans d'autres pays, des objectifs de déficits et / ou de plafond d'imposition ont introduit une pression sur la dépense publique. Au Danemark, l'objectif de gel du niveau de la pression fiscale a conduit à introduire une obligation d'équilibre budgétaire pour les collectivités territoriales, un engagement de maintien des excédents budgétaires de l'administration centrale à moyen terme et par conséquent un plafonnement des dépenses.

Enfin, dans presque tous les États membres de l'Union européenne, un ancrage pluriannuel plus ou moins contraignant des dépenses a été mis en place ou renforcé, en cohérence avec les programmes de stabilité et de croissance présentés dans le cadre de la coopération économique et monétaire.

Quels sont les avantages et les inconvénients de telles stratégies ?

Une approche quantitative permet d'agir sur les dépenses indépendamment de l'évolution des recettes et de faciliter une discussion centrée sur les objectifs et les besoins, plutôt que sur le "partage des gains" éventuels (à condition que les objectifs de dépenses soient fixés à un niveau de croissance inférieur au PIB, ce qui est généralement le cas).

Ensuite, les efforts à conduire pour respecter le plafond de dépenses mettent en évidence le poids des dépenses contraintes et doivent théoriquement favoriser la prise de conscience des rigidités induites ou à venir.

Si elles sont suivies, elles permettent d'agir sur la situation budgétaire et donc sur la dynamique de l'endettement, au moins à court terme.

Elles présentent en revanche de risques de "court-termisme" (focalisation sur l'évolution des dépenses à court terme) entraînant une éviction de la dépense discrétionnaire, comme l'investissement dans les infrastructures ou la recherche ; il est en effet plus facile d'agir sur ces dépenses que sur le service de la dette ou sur le traitement des fonctionnaires, lorsqu'ils bénéficient d'une garantie d'emploi (ce qui est le cas dans presque tous les pays de l'Union européenne). La contraction prononcée de l'investissement public dans les pays de l'Union européenne durant la période d'assainissement des finances publiques des années 1990 illustre ce phénomène, souligné par la Commission européenne (2003). Le Royaume-Uni, qui a dans les années 1980 et 1990 agi sur le niveau de pression fiscale pour réduire le poids de l'État dans l'économie, a notoirement sous-investi dans ses services publics, suscitant aujourd'hui un retour de balancier. L'approche quantitative peut donc avoir pour conséquence que "la mauvaise dépense chasse la bonne", à savoir la dépense en capital qui permet à la fois de stimuler le potentiel de croissance et, par conséquent, d'améliorer les perspectives de financement des dépenses publiques à plus long terme.

Plusieurs pays de l'Union (Allemagne et Royaume-Uni notamment) ont introduit des "règles d'or" qui limitent le déficit (Allemagne) ou l'emprunt (Royaume-Uni) au niveau de l'investissement, afin de cibler les réductions de dépenses plus contraintes. Il subsiste néanmoins des débats importants sur la pertinence et l'efficacité de telles règles, compte tenu notamment de la difficulté de définition du périmètre de l'investissement : les salaires des professeurs qui vont augmenter le capital humain de leurs élèves n'en font pas partie, alors que toutes les infrastructures publiques en relèvent, y compris celles dont l'impact économique n'est pas démontré (exemple fréquemment cité des piscines publiques !).

Si l'approche demeure purement quantitative, elle court le risque de n'avoir que peu d'effets sur la soutenabilité des finances publiques, sans même parler de sa sensibilité à l'évolution spontanée des dépenses due à la position dans le cycle économique.

Les normes de dépense peuvent par ailleurs être contournées : les principales techniques utilisées, qui ont eu tendance à se développer dans l'ensemble des États membres sur la période récente, sont les dépenses fiscales et les débudgétisations : les dépenses fiscales (auxquelles les pays anglo-saxons et notamment les États-Unis ont recours depuis longtemps) viennent minorer les recettes, sans facilement affecter le niveau de dépense publique. Elles sont dans certains cas justifiées par leur plus grande efficacité en termes économiques, par rapport aux dépenses d'intervention directe [13]. Dans d'autres cas, elles constituent un contournement de la norme de dépense.

Les débudgétisations relèvent de la même logique. Elles n'ont guère de justification, en dehors de la volonté d'isoler le financement de certaines dépenses par des recettes affectées. Elles contribuent à éclater la dépense publique en sous-ensemble sur lesquels il est plus difficile d'agir. Les partenariats public-privé (PFI au Royaume-Uni), qui visent notamment des gains d'efficience opérationnelle, ont des conséquences comparables, puisque ces techniques de financement des investissements publics aboutissent à lisser la charge budgétaire dans le temps en transférant une partie du risque au partenaire privé.

Enfin, une approche quantitative, née le plus souvent de la volonté d'améliorer le solde budgétaire, peut paradoxalement ralentir la réduction des dépenses rigides par la voie de réformes structurelles. En effet, le bénéfice attendu en termes de maîtrise des dépenses suit le plus souvent une courbe en J (réforme au départ coûteuse [14], suscitant des économies ou une maîtrise de la dépense à moyen terme). Dans son rapport sur les finances publiques de 2005, la Commission a tenté d'évaluer les liens entre les réformes structurelles [15] et la situation budgétaire des États membres : les travaux menés n'ont pas mis en évidence une moindre fréquence des réformes structurelles dans les années de consolidation budgétaire.

Cela étant, l'analyse des débats dans les pays de l'Union européenne, notamment à l'occasion de la révision du pacte de stabilité et de croissance, montre bien que la contrainte budgétaire est vécue comme une incitation à se focaliser sur le court terme. La Commission note d'ailleurs dans son rapport qu'il n'existe pas de différence significative du solde budgétaire primaire corrigé des variations du cycle dans les années qui précèdent et qui suivent la mise en œuvre d'une réforme structurelle, au vu des réformes analysées. Il importe a minima que l'approche quantitative soit définie sur une période pluriannuelle, permettant de compenser les effets de cycle.

Les réformes structurelles

La plupart des 25 membres de l'Union ont mis en place des réformes dites structurelles, au sens où elles modifient durablement le fonctionnement de l'économie (par exemple les conditions de formation des prix sur les marchés), du moins dans sa dimension publique. Elles ont en général pour double objectif d'améliorer le fonctionnement de l'économie (stimulation de la croissance) et de réduire les déficits publics. Le cas récent de l'Allemagne donne un exemple assez complet d'une politique de réformes structurelles visant à réduire la dépense publique... et des difficultés à "assumer" politiquement de telles réformes, sans que les effets en soient visibles autrement que sur la situation des finances publiques.

Pour étudier leur effet sur la dépense, on peut prendre l'exemple des réformes mises en place dans presque tous les pays de l'Union sur les régimes de retraite, qui ont un effet structurel tant sur l'économie (fonctionnement du marché du travail, etc.) que sur les dépenses publiques : les évaluations synthétisées par la Commission européenne en 2004 montrent dans la majorité des États membres une réduction de la hausse du poids des dépenses de pension dans le PIB anticipée à long terme, suite aux réformes entreprises ou terminées, par rapport aux évaluations réalisées en 2000 (cf. supra).

Ces effets bénéfiques sont cependant identifiés à long terme et, qui plus est, selon des méthodes approchées qui sont fortement liées aux hypothèses sous-jacentes relatives à la croissance de l'économie ou à l'évolution du taux d'activité et de chômage.

Même si l'on accepte de ne pas tenir compte de ces objections, il demeure que les réformes ont des effets différenciés, selon que la réforme a modifié substantiellement ou non les régimes de retraite (soit en modifiant les paramètres des régimes de retraite par répartition, soit en complétant ces régimes par des fonds publics ou privés) : une réforme "douloureuse" ne règle pas nécessairement les problèmes de soutenabilité des dépenses publiques. Ainsi, les projections réalisées par la Commission sur l'évolution des dépenses publiques à horizon 2050 montre que, dans la plupart des pays, la hausse la plus notable concerne toujours les dépenses de retraite, dont le poids dans le PIB augmente partout, à l'exception de la Pologne et de l'Estonie, mais dans des proportions très variables, allant de +0,8 points de PIB en Suède à +10,3 points de PIB en Grèce.

Les pays scandinaves (Suède, Finlande et Danemark) ont en effet choisi depuis longtemps de placer des actifs liquides dans des fonds de réserve publics, de manière à capitaliser des recettes pour faire face aux dépenses de retraite futures, ce qui leur permet de contenir la dépense.

Les réformes structurelles, qui permettent d'agir durablement sur la dépense publique, présentent l'inconvénient d'avoir un impact éloigné dans le temps sur la dépense, parfois incertain et politiquement subi, si elles ne reposent pas, comme dans les pays scandinaves, sur un consensus politique et social relativement durable.

Les approches "processuelles"

Par différence avec les méthodes exposées ci-dessus, les approches désignées ici, par défaut, comme "processuelles" font reposer la maîtrise de la dépense publique sur des choix éclairés au cours du processus budgétaire et non sur un objectif "en soi" de réduction des dépenses publiques.

D'après les travaux de l'OCDE, presque tous les pays membres ont mis en place au sein du processus budgétaire des dispositifs permettant d'insister sur les priorités globales, les résultats des programmes et des évaluations des politiques financées sur fonds publics, afin d'améliorer la qualité de la dépense. Ces processus sont cependant plus ou moins aboutis, selon leur ancienneté et leur effectivité. Au sein des 25, c'est sans doute le Royaume-Uni qui dispose du retour d'expérience le plus satisfaisant, avec notamment une évolution sensible des objectifs et des indicateurs assignés à la dépense (réduction de leur nombre, tentative de neutralisation des effets pervers induits par le pilotage de l'activité en fonction des seuls indicateurs, fiabilisation des résultats).

Ces processus reposent sur l'idée qu'il est plus efficace, tant du point de vue économique que du strict point de vue des finances publiques, de se donner des règles pour une allocation efficiente des moyens aux programmes de dépenses publique, plutôt que de procéder à des "coupes" dans les budgets, ne reposant pas sur une analyse de la dépense. Ils reposent sur une réduction de la fragmentation budgétaire, avec l'identification de blocs de dépenses plus réduits que les anciennes lignes budgétaires et qui peut s'accompagner d'un réexamen périodique des coûts et avantages des programmes de dépense.

En France, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) votée en 2001 vise à transformer le contenu de l'autorisation budgétaire, en la regroupant en grandes missions (34 dans le projet de loi de finances – PLF - 2006) qui constituent le support de politiques publiques. Chaque mission est constituée de programmes décrivant la finalité de la dépense et non plus sa nature juridique ; le tout est adossé à un dispositif de performance qui décrit les objectifs des politiques ainsi financées, donne des indicateurs de performance et des cibles de résultat ; ce dispositif est présenté dans des projets annuels de performance qui doivent être confrontés aux rapports de performance établis après l'exécution du budget.

Force est de constater cependant que les effets d'une telle approche (dans le cas de la France, la loi est entrée pleinement en vigueur pour la préparation du PLF 2006), ne pourront se faire sentir que si des conséquences sont tirées des rapports de performance présentant les résultats des programmes et si, au-delà, la définition des objectifs implique bien une hiérarchisation de la dépense. L'approche "processuelle" suppose donc une volonté politique plus forte que l'approche quantitative et au moins aussi importante que l'approche structurelle, qui doit d'ailleurs en constituer une conséquence.

Cela suppose une implication forte du Parlement dans le contrôle budgétaire et un changement des mentalités dans la construction des budgets, pour accepter des remises en cause structurelles de la dépense : l'approche processuelle doit viser à faire émerger un consensus plus net.

Par ailleurs, l'OCDE a mis en évidence, notamment dans le cas de la Suède, des conditions de réussite pour la maîtrise des finances publiques dans le cadre d'un pilotage budgétaire par les résultats, à partir de l'examen des dépenses de santé : il importe notamment de contenir les risques d'une offre excédentaire, en liant l'approche par les résultats à une approche quantitative (comme l'a par exemple fait l'Autriche dans le secteur hospitalier).

Enfin, l'exemple canadien de revue globale des programmes, conduite en 1994, montre que la réussite d'approches processuelles implique de mettre en cause une part significative des dépenses publiques : pour atteindre les objectifs qu'il s'était fixé en termes de solde budgétaire et de nouvelles politiques, le gouvernement a examiné 36% environ de la dépense (en excluant les dépenses de transfert aux personnes et le service de la dette) [16].

Cette revue des programmes, qui a obtenu des résultats spectaculaires en termes de maîtrises des dépenses, a aussi eu pour conséquence une réduction des dépenses en capital trois fois plus importante que celles des dépenses de fonctionnement (en partie par transfert de patrimoine, mais également par des choix plus contestables dans l'entretien et le renouvellement du patrimoine).

Toute approche processuelle, si elle peut permettre de s'attaquer à la dépense contrainte, doit donc s'accompagner d'évaluations régulières de l'efficacité de la dépense publique.

En guise de conclusion : retrouver le sens de la dépense publique et rendre les choix réversibles

Quel qu'en soit le niveau, la dépense publique est plus ou moins "subie" : elle est à la fois le reflet de décisions ou d'engagements passés et un outil dynamique de politique économique.

L'étude de la situation des 25 États membres de l'Union montre qu'il n'y a pas de corrélation entre le poids des dépenses publiques et le caractère "subi" de ces dépenses : plusieurs États européens ont montré qu'il était possible de maîtriser la situation de ses finances publiques, tout en préservant une liberté d'intervention dans l'économie et, le cas échéant, un degré de socialisation élevé de leur économie, reflet de choix de sociétés.

L'approche la plus séduisante pour y parvenir semble être la réflexion sur les processus de décision de la dépense publique, qui permet d'identifier les dépenses prioritaires et celles qu'il convient de réduire, redonnant des capacités d'action à la dépense publique. Sa réussite, qui doit se traduire sans doute par la combinaison d'approches quantitatives et structurelles dans la maîtrise de la dépense, suppose que des objectifs soient assignés à la dépense publique, au-delà de l'horizon parfois supposé inexorable de sa réduction et que l'ensemble des acteurs de la dépense publique y soient associés, le tout sur une période pluriannuelle...


[1] Au titre de l'article 104.8 du traité des communautés. Cette décision s'inscrit dans une procédure sur les déficits excessifs engagée en juillet 2004 (date de la première recommandation du Conseil), soit deux mois à peine après l'entrée de la Hongrie dans l'Union.
[2] Grèce, Pays-Bas, France, Allemagne, Italie, Portugal, Royaume-Uni soit 7 des 15 membres avant le dernier élargissement. Chypre, Malte, République tchèque, Slovaquie, Pologne, Hongrie soit 6 des 10 nouveaux États membres.
[3] À l'encontre du Portugal. Cette procédure faisait suite à des procédures d'alerte précoce (« early warning ») engagées en 2001-2002.
[4] L'article utile le plus souvent le ratio dépenses publiques sur PIB, qui peut pourtant être critiqué (non prise en compte des dépenses fiscales, recours aux garanties de prêts, etc.).
[5] En intégrant les programmes privés qui ont un but social et concourent au principe de répartition. Cf. OCDE, Adema (2001).
[6] Précisons que la France n'entrait pas dans le champ de la deuxième partie de cette étude.
[7] Ces données sont issues, comme l'ensemble des données chiffrées utilisées dans le présent article, sauf mention contraire, du Rapport de la Commission européenne sur les finances publiques des États membres (Public finances in EMU 2005), publié dans European Economy n°3/2005.
[8] Voir la communication de la commission sur les finances publiques de l'UEM en 2005.
[9] Exemples d'indicateurs quantitatifs : évolution des dépenses liées à l'âge (pensions, dépenses de santé, éducation, autres – indemnisation du chômage notamment) et des autres dépenses à horizon 2009-2050, projections sur le niveau de la dette. Indicateurs plus qualitatifs : pente d'évolution de la dette à court terme, respect des trajectoires définies dans les programmes de stabilité et de croissance, existence et impact de réformes structurelles…
[10] Pour les Pays-Bas, le poids de la dépense publique a diminué entre 2003 et 2005 (de 2,2%) mais devrait remonter en 2006, selon les projections de la consommation.
[11] « Améliorer le rapport coût-efficacité des dépenses publiques : l'expérience des pays de l'OCDE », Revue économique de l'OCDE, n°37, 2003/2.
[12] Ayant assuré son respect, sauf en 2002.
[13] En matière d'environnement par exemple.
[14] Les coûts budgétaires d'une réforme structurelle peuvent être de plusieurs ordres : coûts budgétaires directs liés à la mise en place de la réforme, par exemple pour supporter des coûts de transitions d'un régime à un autre ; coûts budgétaires liés aux compensations versées aux individus qui peuvent apparaître comme les perdants d'une réforme, coûts budgétaires indirects liés au « coût politique » des réformes structurelles et à la difficulté de maintenir un consensus pour l'assainissement des finances publiques.
[15] La Commission s'est intéressée aux réformes concernant le marché du travail, le marché des produits et les réformes des retraites.
[16] Six critères avaient été déterminés pour examiner les programmes : l'activité sert-elle encore l'intérêt public ? L'action du gouvernement est-elle nécessaire et légitime dans ce programme ? Faut-il décentraliser ce programme ? Peut-on privatiser tout ou partie de ce programme ? Si l'activité de ce programme doit continuer, comment améliorer son efficience ? Si l'ensemble des programmes ne tient pas dans l'enveloppe fixée ex ante, lesquels faut-il abandonner ?

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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