Modèle social européen
Fairouz Hondema-Mokrane
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Fairouz Hondema-Mokrane
Conseillère pilotage fonds européens Régions de France. Spécialisée en droit européen et dans la gestion des fonds européens
Les tragédies, provoquées par les intempéries à Valence (Espagne) ou le cyclone Chido à Mayotte, ramènent brusquement sur le devant de la scène les responsabilités entre les collectivités territoriales, les États membres et l’Union européenne, et la nécessaire solidarité entre les territoires. En effet, si l’actualité se concentre habituellement sur les rapports – parfois tendus - entre « Bruxelles » et les capitales nationales, le quotidien des collectivités locales est lié à la construction européenne, même s’il ne dispose pas de la même attention. Cette question a pu être développée à l’occasion du 20e Congrès des Régions de France à Strasbourg en septembre 2024, elle est aussi au cœur de l’activité du comité européen des régions. Une telle mobilisation n’est pas surprenante puisque les régions constituent un échelon territorial essentiel dans la mise en œuvre des politiques européennes. La modification des textes pour prendre en charge les effets des catastrophes naturelles[1], a été approuvée par les députés européens le 17 décembre et par le Conseil le 18 décembre.
Partout en Europe, l’échelon local assure la mise en œuvre des textes européens, facilite l'usage des fonds de cohésion et favorise l'engagement des citoyens. Les États restent souverains quant à leur organisation territoriale mais, indistinctement, ces échelons remplissent une fonction de premier ordre dans la consolidation des politiques européennes.
L’Europe à l’échelon local
Dans l’espace européen, plusieurs communautés locales existent. Les villes et les communes disposent de responsabilités en matière de gestion des services publics, d'urbanisme, de développement durable et d'intégration sociale. Les agglomérations urbaines, comme Berlin ou Milan, sont concernées par le développement durable, la mobilité et la qualité de vie. Dans la même logique, les structures intercommunales, qui travaillent ensemble sur des projets communs jouent un rôle crucial. Par exemple, les entités intercommunales « Samenwerkingsverbanden » (associations de coopération) aux Pays-Bas ont vu l’émergence du Stadsregio (région urbaine) à Amsterdam, collaboration entre la ville d'Amsterdam et plusieurs communes environnantes. Cette structure permet de coordonner des politiques sur des questions telles que le transport, le logement, l'aménagement du territoire et la durabilité.
Les collectivités infra-étatiques sont directement impliquées depuis l’entrée en vigueur de la politique de cohésion. Ces acteurs locaux remplissent un rôle déterminant en matière de cohésion, d'économie, de protection de l'environnement et de développement régional. Plus spécifiquement, les régions frontalières bénéficient de programmes spécifiques[2].
Les politiques de développement rural, telles que celles soutenues par la Politique Agricole Commune (PAC) et l’initiative LEADER/CLLD, touchent les communautés rurales et, par le FEADER les exploitations agricoles des citoyens résidant et travaillant sur ces territoires. Les initiatives visant à maintenir l'agriculture et à soutenir le développement économique dans ces espaces ruraux sont essentielles. Dans le même ordre d’idée, certaines régions en Europe abritent des communautés autochtones qui ont des besoins spécifiques. Les politiques peuvent être adaptées pour répondre à ces besoins en matière de préservation de la culture, de l'environnement et des droits fonciers.
Par extension, l’Union européenne soutient la diversité culturelle et linguistique. Les régions qui abritent des communautés linguistiques minoritaires (comme le basque en France et en Espagne) peuvent bénéficier de l’appui de l’Union pour préserver leur patrimoine. On pourrait aussi ajouter les territoires de certains États membres situés dans des régions du globe éloignées du continent européen, dites régions ultrapériphériques (RUP), qui doivent faire face à des particularités, voire des difficultés, tenant à leurs caractéristiques géographiques, liées à l’éloignement et l’insularité. Elles méritent, à elles seules, un développement spécifique qui est consacré par l’article 349 TFUE[3].
L’Union européenne compte 242 régions présentant d’importantes disparités de développement économique, social et territorial. Pour corriger ces déséquilibres, depuis la fin des années 1980 et l’élargissement des Communautés européennes à l’Espagne et au Portugal, une politique de cohésion, inscrite depuis l’Acte unique européen en 1986 dans les Traités, constitue le principal poste budgétaire de l’Union (373 milliards € pour 2021-2027, soit un tiers du budget selon la Cour des Comptes européenne). Ces collectivités locales, avec leurs caractéristiques, jouent donc un rôle prépondérant dans l’atteinte des objectifs de l’Union, en particulier en matière de cohésion économique, sociale et territoriale. Cette politique de cohésion est mise en danger dans un contexte budgétaire tendu avec le remboursement du plan de relance, la mise en place d’une politique européenne de défense, la reconstruction de l’Ukraine, etc. La Commission a annoncé réfléchir à proposer un fonds unique PAC et cohésion. Cependant, Christophe Hansen a été approuvé par les députés européens pour sa défense énergique du budget de la PAC et son opposition aux récentes spéculations sur les propositions de restructuration budgétaire : le programme de subventions agricoles de l'Union nécessite son propre budget.
La responsabilité des communautés infra-étatiques dans la construction européenne
Les programmes européens sont adaptés aux réalités locales en matière de développement économique, de protection de l'environnement, de culture, de formation, d’agriculture et de transports. Pour mener à bien cette mission, les collectivités locales sont bénéficiaires de fonds européens, comme le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE). La gestion de ces fonds se fait au niveau régional pour le FEDER, en partie pour le FSE, l’IEJ, le FTJ, le FEADER et le FEAMPA. Pour les fonds qu’elles gèrent (en tant qu’autorité de gestion ou autorité de gestion déléguées), les régions doivent élaborer des stratégies pour les utiliser efficacement en conformité avec les priorités de l’Union européenne.
D’un point de vue financier, près de 30 000 opérations programmées par les régions grâce aux FEDER/FSE ont été recensées sur la période 2014-2020. En Wallonie, la nouvelle carte des aides régionales a pu prendre spécifiquement en compte, pour la période 2021-2027, les communes touchées par les terribles inondations de juillet 2021. En effet, la politique de cohésion vise à réduire les disparités entre régions. Ces dernières reçoivent ces fonds européens pour financer des projets de développement économique, d'infrastructure, d'emploi et de formation avec en particulier Erasmus+.
Données sur les fonds de cohésion, cohesiondata, Commission européenne.
Le Pacte vert européen, lancé en 2019 et visant à rendre l'Union européenne neutre en carbone d'ici 2050, voit sa réalisation prise en charge en partie par les régions. En Autriche, une initiative européenne RenoBooster propose des services intégrés visant à accélérer la rénovation énergétique des bâtiments résidentiels privés de l’agglomération de Vienne[4]. S’inscrivant dans la stratégie-cadre Smart City Wien, le programme « WieNeu+ », financé par le Pacte Vert, vise à favoriser l’innovation sociale et environnementale des espaces urbains.
Dans le cadre des fonds de relance NextGenerationEU, à titre d’illustration, la région rurale située à l’Est de Timisoara, en Roumanie, cherche à développer des projets culturels dans les zones isolées, afin de stimuler la créativité des enfants et de contribuer à la consolidation d'une orientation culturelle et éducative locale. L’hôpital pour enfants de Riga en Lettonie a pu construire un nouvel immeuble et de nouvelles installations médicales. Un dispositif « assistance personnelle » a introduit un schéma innovant pour soutenir les personnes en situation de handicap, y compris les autistes, par le biais de la nomination d'assistants personnels qui aident ces personnes dans leur vie quotidienne. Dans sa première phase, le soutien est fourni à 2 000 personnes handicapées dans la région de l'Attique en Grèce, et a vocation à s’appliquer à d'autres régions pour un déploiement à l'échelle nationale. Ils ne doivent pas avoir pour vocation de remplacer les fonds de cohésion.
Promotion auprès du grand public des fonds européens
Les obligations des régions, et de tous bénéficiaires des fonds de cohésion, concernant la communication sur l'origine des financements, encadrées par le Règlement 2021/1060 du 24 juin 2021[5], visent à garantir la transparence et à valoriser le rôle de l’Union européenne dans le soutien au développement régional et sectoriel. En matière de mise en œuvre des fonds de cohésion européens, les États membres ont l’obligation de communiquer sur l’ensemble des projets et des bénéficiaires sur un site internet. Les bénéficiaires doivent communiquer sur la perception des fonds de cohésion (par exemple en apposant le logo de l’Union européenne sur le panneau du chantier, en informant les bénéficiaires d’une formation qu’elle est financée, ou co-financée, par le FSE[6]). Ces obligations de communication visent à informer les citoyens des apports concrets de l’Union européenne sur leur territoire. Au moment du paiement de l’aide européenne, il est procédé à la vérification du respect des obligations de communication par les porteurs de projets bénéficiant d’un cofinancement européen.
Si un projet reçoit un financement de plus de 100 000 € et inclut un investissement matériel ou infrastructurel, une plaque ou panneau visible doit indiquer le soutien de l’Union européenne[7]. Tous les supports de communication doivent porter le logo de l'Union européenne et mentionner le financement européen. Les régions, lorsqu’elles soient autorités de gestion comme en France ou autorités de gestion déléguées comme en Espagne, doivent rendre compte à la Commission européenne des actions entreprises pour valoriser les fonds de cohésion de l'Union.
La non-conformité avec ces règles peut entraîner des sanctions, notamment la réduction ou le retrait du financement européen. La Commission européenne effectue des contrôles pour vérifier si les obligations de communication sont respectées. Plusieurs décisions en attestent. En Hongrie, la région de l’Alföld septentrional a reçu des financements pour des projets de développement rural et des infrastructures, où des manquements à l’apposition de panneaux de signalisation ont été remarqués. La région de Transdanubie méridionale a reçu des financements pour des projets touristiques et environnementaux mais, dans la plupart des cas, les bénéficiaires finaux étaient des partenaires privés collaborant avec des collectivités locales, ce qui a compliqué la responsabilité directe[8]. L’audit de l’OLAF en 2018 a mis en lumière les défauts de mise en œuvre des obligations de communication telles que définies par le Règlement 1303/2013. Après la mise en demeure de la Hongrie sur la base du résultat de cet audit, la Commission a appliqué des corrections financières en réduisant le financement pour certains projets et, en 2020, les discussions autour de ces sanctions ont été intégrées dans des négociations plus larges entre l’Union européenne et la Hongrie, liées à d’autres contentieux sur la gestion des fonds européens et le respect de l’État de droit.
La Commission et la Cour des comptes européenne sont très impliqués dans la vérification du respect des obligations de communication liées aux fonds de cohésion. Ce rôle s'inscrit dans leur mission de garantir une gestion correcte et transparente des fonds, conformément aux règlements européens. En tant que gardienne des traités, la Commission veille par ses audits, contrôles et mécanismes de suivi, à ce que les bénéficiaires respectent leurs obligations, garantissant ainsi une transparence vis-à-vis des citoyens. Les sanctions pour non-conformité rappellent l’importance d’intégrer ces obligations dès la conception des projets puisqu’ils sont au cœur de la construction européenne.
Le soutien particulier des collectivités locales en faveur de la construction européenne
La PAC soutient les agriculteurs et favorise le développement rural. Le FEAMPA soutient la pêche et l’aquaculture. Les programmes d’aides du second pilier mis en œuvre au travers du programme stratégique national sont gérés en partie au niveau régional, ce qui permet de prendre en compte les caractéristiques locales de l'agriculture et des territoires. La question des aides à l’hectare, qui est mise en œuvre par l’État, mobilise toujours. Ceci a pour conséquence de faire enfler les polémiques et de nourrir encore un peu plus les incompréhensions au cœur des manifestations des agriculteurs de 2023 et de 2024. En effet, le nombre de fermes dans l’Union européenne – malgré les moyens financiers mis en œuvre – chute drastiquement[9]. Ce sont surtout les petites exploitations qui disparaissent[10] et les difficultés sociales et économiques dénoncées lors des manifestations ne trouvent pas de solution malgré l’existence de ces fonds et leur prise en compte adaptée au contexte local[11]. Ces constats ont conduit au dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture dont Christophe Hansen va s’inspirer pour faire des propositions à compter du 19 février 2025.
Dans ce contexte particulier et difficile, les collectivités infra-étatiques servent souvent de lien entre les institutions européennes et les citoyens. Elles peuvent organiser des consultations publiques, promouvoir l'information sur l'Europe et engager les citoyens dans la discussion. Elles peuvent aussi influencer les politiques européennes, défendre leurs intérêts auprès des institutions de l'Union et s’engager dans des réseaux européens pour faire la preuve de leur poids. Par exemple, en juin 2024, 120 régions (d’Allemagne, d'Autriche, d'Espagne, de Finlande, de France, de Grèce, d'Italie, des Pays-Bas, de Pologne, du Portugal, de République tchèque, de Roumanie, de Slovaquie, de Slovénie et de Suède et Bureau européen des régions irlandaises) ont mené une action pour défendre la future politique de cohésion post-2027[12].
Les régions apportent une part substantielle des contreparties publiques nécessaires à la mise en œuvre de la politique de cohésion. Dans les faits, pour 1 € de fonds européens, 2,5 € d’investissement sont mobilisés en moyenne sur les territoires. Cette articulation entre les politiques régionales et la politique de cohésion permet ainsi d’obtenir un « effet levier » déterminant pour l’intervention publique permettant de maximiser celle-ci et de la rendre plus efficace et efficiente. Ainsi, préserver une politique de cohésion ambitieuse est crucial pour l’avenir des territoires avec l’entrée en fonction de la « seconde » Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen (2024-2029). En témoigne notamment la désignation au sein du Collège d’un vice-Président en charge de la politique de cohésion et des réformes, Raffaele Fitto qui estime nécessaire d'établir un lien entre les investissements et les réformes, tel qu’expliqué dans le 9e rapport sur la cohésion, alors rédigé par Elisa Ferreira... Emboîtant le pas du président du Comité européen des régions et du Comité économique et social européen, l’audition de Raffaele Fitto a semblé consacrer la défense de la politique de cohésion, menacée de dilution.
Enfin, le contenu du futur cadre financier pluriannuel 2028-2034, qui consacrera le budget alloué tant à la politique agricole commune qu’à la politique de cohésion, sera à scruter de près. Face aux enjeux de l’Europe de la défense, de l’asile et de l’immigration, du remboursement du plan de relance et du renforcement d’une politique industrielle, il y a fort à parier que les tensions en matière budgétaire auront un impact sur la future politique de cohésion.
Données sur les fonds de cohésion, cohesiondata, de la Commission européenne.
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La politique régionale ne doit pas constituer la variable d’ajustement du budget de l’Union européenne. En décourageant les acteurs locaux, la construction européenne risque de se voir fragilisée. Ainsi, cette nouvelle mandature de commissaires « de terrain », pour reprendre l’expression utilisée par Christophe Hansen lors de son audition, doit être sensible à la nécessité d’adapter l’usage des fonds de cohésion aux spécificités locales et non pas répondre exclusivement à une logique comptable. « Si l’Europe est l’avenir des régions, les régions sont l’avenir de l’Europe[13] ».
[1] V., le rapport du Comité économique et social européen du 4 décembre 2024.
[2] Voir en particulier le projet Interreg Grande région, entre Belgique, Luxembourg, France et Allemagne.
[3] Il n’est pas détaillé dans cette étude.
[4] Un guichet unique Hauskunft offre à tous les habitants engagés dans un projet de rénovation des conseils gratuits sur l’isolation thermique, l’approvisionnement en chauffage alternatif, la végétalisation des façades et les dispositifs d’aide financière en vigueur.
[5] Règlement 1303/2013 du 17 décembre 2013 pour la programmation 2014-2020.
[6] Articles 47 et 50 du Règlement 2021/1060.
[7] Annexe IX du Règlement 2021/1060.
[8] Le Rapport OLAF 2018 relate le montage décrié.
[9] Selon Eurostat, il ne restait que 9,1 millions d’exploitations agricoles en 2020, soit environ 5,3 millions de moins qu’en 2005 - ce qui représente une baisse de 37 % en 15 ans.
[10] Sur les 9,1 millions d’exploitations agricoles que compte l’Union, la Commission européenne estime que seules 3,6 millions sont des “exploitations commerciales”, c’est-à-dire des exploitations suffisamment grandes pour fournir aux agriculteurs leur principal emploi et un revenu suffisant pour subvenir aux besoins de leur famille.
[11] La politique agricole commune (PAC) est la principale source de subventions publiques pour les agriculteurs européens. Plus des 2/3 du budget de la PAC sont versés sous forme de paiements directs, principalement en fonction de la superficie des terres cultivées.
[12] Le nombre de régions soutenant cette initiative est de près de 150 désormais.
[13] Citation de Carole Delga, présidente de Régions de France
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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