La défense européenne face à la Russie

Stratégie, sécurité et défense

Elina Valtonen

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16 septembre 2024
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Valtonen Elina

Elina Valtonen

Ministre finlandaise des Affaires étrangères

La défense européenne face à la Russie

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La guerre offensive à grande échelle lancée par la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022 a marqué un véritable tournant dans l’histoire de l’Europe. Elle a radicalement modifié l’ordre de sécurité européen et il est probable qu’il soit impossible de revenir en arrière. L’ordre de sécurité coopératif fondé sur des traités s’est transformé en système basé sur un équilibre des pouvoirs, la dissuasion et l’endiguement[1].

En menant une guerre brutale et illégale contre l’Ukraine, les objectifs de la Russie n’ont pas changé. Ses actes démontrent un dédain total pour la souveraineté et l’intégrité territoriale d’un état indépendant voisin. Cette agression russe, en violation flagrante du droit international et de la Charte des Nations unies, prouve la volonté de la Russie d’ébranler les fondements de l’ordre de sécurité européen.

Rien ne laisse présager que, dans le domaine de notre sécurité commune, la Russie recommencera à respecter les traités et les engagements existants. Elle s’isole toujours plus de la communauté internationale. L’opération hybride récemment menée par la Russie avec l’objectif de rediriger les ressortissants étrangers vers la frontière orientale de la Finlande constitue une nouvelle preuve de cette tendance.

La Russie est et restera aux portes de l’Union européenne. Il est essentiel que, sur la scène internationale, l’Union européenne continue à agir de manière résolue et dans un esprit d’unité pour enrayer l’agression russe, qu’elle se prépare pour l’avenir et qu’elle investisse dans la défense.

Le soutien inconditionnel de l’Union européenne à l’Ukraine doit se poursuivre

Soutenir l’Ukraine doit rester notre priorité stratégique. La sécurité de l’Ukraine n’est pas le seul et unique enjeu ici, il en va de notre sécurité et des principes fondamentaux de l’ordre international. Cette agression est non seulement une attaque brutale et injustifiée à l’encontre de l’Ukraine, mais aussi une attaque à l’encontre des valeurs cardinales de l’Europe que sont la liberté, la démocratie et les droits de l’Homme. L’Union européenne doit demeurer unie et continuer à œuvrer à une paix juste et durable en Ukraine, selon ses propres conditions. L’échec n’est pas une option. Les paramètres ont été définis par le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans son Plan de paix qui incarne nos valeurs et bénéficie de notre soutien indéfectible.

Nous devons envoyer un message fort quant à notre soutien permanent à l’Ukraine face à l’agression russe et alors qu’elle se place sur la voie de l’Europe. Son intégration aux structures de sécurité européennes et transatlantiques est cruciale.

Nous devons prendre, à l’échelle européenne, des engagements forts à l’égard de l’Ukraine en matière de sécurité, régler la question de la facilité pour la paix afin de lui apporter un soutien financier constant, maintenir et accentuer la pression exercée sur la Russie par les sanctions et accompagner le pays sur la voie de l’adhésion à l’Union européenne.

Quant au soutien militaire de l’Europe à l’Ukraine, le rôle de la Facilité européenne pour la paix (FEP) se révèle crucial. La Facilité est essentielle pour inciter les États membres à fournir, dans un esprit de solidarité, une aide militaire à l’Ukraine. Ainsi, la création d’un vaste Fonds d’aide à l’Ukraine pluriannuel dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix est primordiale pour démontrer notre engagement commun en faveur de l’Ukraine sur le long terme.

Nous devons également réitérer, à l’échelle européenne, notre volonté commune de renforcer la capacité de l’industrie de la défense européenne et accélérer la fabrication de munitions. La Finlande a poursuivi ses propres investissements dans l’industrie de la défense et nous prévoyons de multiplier par deux notre capacité de production de munitions d’ici 2027. Cela permettra, sur le long terme, d’apporter un soutien militaire à l’Ukraine au-delà des années 2030. La Finlande est résolue à apporter une aide militaire et une assistance globale à long terme à l’Ukraine, à la fois dans le cadre des relations bilatérales entre les deux États et par l’intermédiaire de l’Union européenne.

Les outils européens de gestion des crises se sont révélés particulièrement utiles pour offrir aux autorités ukrainiennes chargées de la sécurité les moyens d’agir. Les États membres sont déterminés à poursuivre la formation des forces armées ukrainiennes dans le cadre de la Mission d’assistance militaire de l’Union en soutien à l’Ukraine (EUMAM) qui, à ce jour, a déjà formé bien plus de 30 000 soldats ukrainiens. Il est primordial de renforcer l’aide apportée par l’Union européenne dans le domaine de la gestion civile de la crise afin de permettre à l’Ukraine de réformer et de rebâtir son secteur de la sécurité et ses forces de l’ordre. Tout cela créera une résilience sociétale et institutionnelle grâce à laquelle l’Ukraine pourra résister à l’agression russe et la dissuader.

La coopération européenne en matière de sécurité et de défense doit être renforcée

Dans l’état actuel des choses, nous devons nous assurer de la capacité de l’Europe à continuer à apporter un soutien à l’Ukraine et, si cela se révèle nécessaire, à se défendre. L’Union européenne a un rôle majeur à jouer dans le renforcement de la défense européenne. Au sein de l’Union, la coopération dans ce domaine renforce les capacités de défense européennes et, de fait, la sécurité transatlantique.

Les États membres de l’Union européenne n’ont jamais autant investi dans leur défense depuis la fin de la guerre froide. À l’échelle européenne, les dépenses consacrées à la défense ont ainsi progressé de 12 %. Cela crée, dans le domaine de la coopération en matière de sécurité et de défense, de nouvelles opportunités. Nous devrions en tirer parti. L’Europe dispose déjà de nombreux outils et engagements capables de nous aider à intensifier cette coopération. Pour être crédibles, nous devons prendre au sérieux les engagements pris au sein de l’Union, y compris la Coopération structurée permanente et la Boussole stratégique.

La Boussole stratégique en matière de sécurité et de défense, votée dans le sillage de l’attaque russe contre l’Ukraine, prouve l’importance croissante de l’Union européenne en tant que pourvoyeur de sécurité. Elle définit une orientation et des objectifs clairs dans le cadre de nos futurs travaux. Sa mise en œuvre ambitieuse est vitale. Nous avons besoin, au sein de l’Union, d’une Capacité de déploiement rapide, d’une mobilité militaire accrue, d’un accès à des domaines stratégiques, d’investissements dans les capacités et les technologies innovantes, et d’une collaboration encore plus étroite avec l’OTAN et les États-Unis.

Il est essentiel de continuer à renforcer la Coopération structurée permanente (CSP), à la fois pour répondre à nos engagements et pour mettre en œuvre nos projets. La CSP nous offre un cadre juridique qui nous permet de planifier, de créer et d’investir ensemble dans des projets de capacité commune tout en améliorant la préparation opérationnelle et notre capacité à allier nos forces. Dans le cadre de la CSP, l’agression russe a permis de tirer deux enseignements essentiels.

Premièrement, nous devons investir à tous les niveaux dans des capacités de défense européennes. Dans le cadre de leur développement au sein de l’Union, nous devons tenir compte à la fois des menaces traditionnelles et des nouvelles menaces. Les initiatives de l’Union devraient contribuer au développement de la défense à l’échelle européenne mais aussi à l’échelle nationale.

Deuxièmement, il est compréhensible que des États membres consacrent, dans le domaine de la défense, la majeure partie des crédits alloués à des achats immédiats et courants, notamment les munitions. Toutefois, nous devons continuer à investir dans la recherche et la technologie. C’est le meilleur moyen de sécuriser les capacités et les intérêts stratégiques de l’Europe à l’avenir.

Nous devons porter une attention particulière au développement de l’industrie de la défense européenne et à l’élimination des obstacles à l’accroissement de la production. Sur le long terme, la coopération et l’interopérabilité devraient également servir les intérêts de chaque pays. Nous gagnerions à créer un marché unique des équipements de défense au sein de l’Union et à inclure l’industrie de la défense européenne dans la taxonomie du financement durable. Nous pouvons de même agir plus efficacement dans le domaine de la défense en mettant en place des achats communs. Il nous faut également, dans le domaine de l’industrie de la défense, réfléchir à des moyens de renforcer la coopération entre l’Ukraine et l’Union européenne. Dans cette optique, le Conseil européen a demandé la définition d’une nouvelle Stratégie industrielle de défense européenne.

Dans le domaine de la sécurité et de la défense, une Union européenne forte est également dans l’intérêt de l’OTAN. Nous ne saurions trop insister sur l’importance d’une relation transatlantique efficace en termes d’aide apportée à l’Ukraine. L’Union européenne et l’OTAN doivent demeurer fortes et unies dans leur réponse à la politique de pouvoir agressive de la Russie.

Le renforcement de la coopération entre elles est extrêmement important puisque celle-ci est mutuellement bénéfique et renforce l’ordre de sécurité transatlantique dans son ensemble. Une approche concertée et complémentaire entre l’OTAN et l’Union européenne constitue le meilleur moyen de garantir la sécurité des principaux secteurs industriels et technologiques, des infrastructures critiques, des matériaux stratégiques et des chaînes d’approvisionnement. Dans le sillage de l’agression russe, l’importance de cette coopération a pris une nouvelle dimension, surtout dans les domaines de la communication stratégique et de la désinformation.

Plus notre regard se porte loin dans le futur, plus il devient difficile de dissocier la politique de sécurité d’une économie florissante, de la technologie et de l’innovation. La protection de nos valeurs exige que nous restions compétitifs sur la scène internationale. Il en va de même pour l’industrie de la défense. Face à l’intensification de la concurrence géopolitique, il est primordial que les vingt-sept États membres approfondissent les liens qui les unissent dans tous les domaines afin d’accroître la résilience de nos sociétés et de nos économies. Tous ces exemples, et bien d’autres encore, impliquent la nécessité d’un libre-échange entre nous. Les pays européens ne doivent pas faire marche arrière ni relancer la concurrence entre eux.

Notre objectif doit être d’atteindre des conditions de concurrence équitables pour toutes les entreprises au sein de la Communauté européenne, quelle que soit leur taille. Pour réussir sur le long terme, les aides publiques et le repli sur soi ne sont pas la solution. Une économie de marché efficace et transparente, qui crée de la richesse et la redistribue à tous tout en ouvrant de nouveaux horizons à tous les peuples, a toujours été la marque de fabrique de l’Occident. Cela engendre une compétitivité dont nous avons tout autant besoin pour des raisons géopolitiques.

Lutter contre les ingérences hybrides et investir dans une sécurité globale

La Russie utilise toute la palette des menaces hybrides. La nature protéiforme des ingérences hybrides met gravement en péril la sécurité européenne. L’érosion de la confiance, la déstabilisation des systèmes économiques et politiques et les perturbations des infrastructures critiques peuvent avoir des conséquences dramatiques. L’Union européenne, en tant qu’entité fondée sur le principe de la collaboration, doit définir des stratégies exhaustives pour lutter contre les menaces hybrides, renforcer les mesures de cybersécurité et accroître la résilience des États membres face aux campagnes de désinformation.

Le travail mené, à Helsinki, par le Centre européen de lutte contre les menaces hybrides (Hybrid CoE), qui est ouvert à la fois aux États membres de l’Union européenne et de l’OTAN, a été renforcé et il est maintenant capable d’aider encore plus efficacement à renforcer les capacités des États participants à lutter contre les menaces hybrides et à les prévenir.

La lutte contre des menaces de sécurité complexes et interconnectées requiert une approche globale. Le concept finlandais de sécurité globale, souvent appelé « sécurité et défense globales » est une approche holistique qui intègre plusieurs éléments afin de garantir la sécurité et le bien-être de la nation tout entière. Cette approche reconnaît que la sécurité est un concept protéiforme qui va bien au-delà de la défense militaire traditionnelle et intègre des dimensions économiques, sociétales, environnementales et politiques. Elle vise à répondre à tout un éventail de défis et de menaces auxquels une nation est susceptible d’être confrontée dans le monde interconnecté dans lequel nous vivons actuellement. En intégrant les dimensions militaires, civiles, économiques et sociétales, la Finlande tente de créer un cadre de sécurité global et adaptatif capable de répondre efficacement à la nature complexe et dynamique des menaces de sécurité modernes, y compris celles qui trouvent leur origine en Russie.

Les valeurs européennes, fondations de notre résilience

Alors que l’agression russe à l’encontre de l’Ukraine menace notre sécurité, il est essentiel de continuer à promouvoir la paix et la sécurité et à respecter nos valeurs communes : la liberté, la démocratie, les droits de l’Homme et l’état de droit. Les institutions démocratiques, l’état de droit, la liberté de la presse et une société civile active peuvent servir de remparts face aux tentatives visant à ébranler les gouvernements démocratiques.

La Russie a été surprise par la manière dont les citoyens et les entreprises à travers toute l’Union européenne ont choisi de défendre l’Ukraine et les valeurs prônées par l’Europe. Moscou a sous-estimé la force de notre réaction puisqu’elle n’a pas été en mesure d’anticiper à quel point l’invasion de l’Ukraine par la Russie provoquerait une véritable onde de choc au sein des sociétés démocratiques. Nous n’agissons pas ici sous la contrainte, mais de notre plein gré.

La démocratie, la volonté et la capacité des citoyens à influer sur leur avenir, les libertés individuelles et l’indivisibilité de la dignité humaine sont au cœur des sociétés européennes. Nous, Européens, partageons ces valeurs. Les Ukrainiens luttent avec courage pour les défendre. Sans l’intégrité territoriale garantie par le droit international et la liberté de chaque État à choisir sa propre politique de sécurité, il ne reste que bien peu de choses. La politique d’élargissement de l’Union européenne et la politique d’ouverture de l’OTAN sont les pierres angulaires de l’ordre de sécurité européen.

Avec l’augmentation de la prospérité et des possibilités offertes aux peuples, leur choix se porte invariablement sur la démocratie libérale. La liberté et la démocratie ne passeront jamais de mode. C’est, au sein de l’Union, ce qui nous unit et nous permet de faire face à l’adversité. Faisons donc en sorte que cela continue. 


[1] Ce texte a originellement paru dans le « Rapport Schuman sur l’Europe, l’état de l’Union 2024 », Editions Marie B., avril 2024, 296 p.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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