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Bilan de la 9e législature du Parlement européen

Démocratie et citoyenneté

Elise Bernard,  

Peggy Corlin

-

22 juillet 2024
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Bernard Elise

Elise Bernard

Docteur en droit, responsable des études de la Fondation

Corlin Peggy

Peggy Corlin

Journaliste

Bilan de la 9e législature du Parlement européen

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Alors que s’ouvre la dixième législature du Parlement européen à la suite des élections européennes du 6 au 9 juin 2024, la Fondation propose un bilan de la législature précédente. Ce bilan permet de fournir quelques éléments d’analyse aux événements qui ponctuent l’actualité européenne de ces dernières semaines, en ce qui concerne la composition, l’activité législative et l’influence du Parlement européen au sein et en dehors de l’Union européenne.

A. Malgré un Parlement plus dilué, un cœur toujours au centre

1/ Un paysage politique hachuré

A l’issue des 27 scrutins nationaux des 23 et 26 mai 2019, la répartition des sièges est un peu plus diluée que lors des législatures précédentes. Le Parti populaire européen (PPE) et les Socialistes et Démocrates (S&D) qui constituaient ensemble 54% du total des voix en 2014 ne constituent plus la majorité des votes (44,2%). Les résultats se traduisent alors par une poussée du centre (Alliance des Libéraux et Démocrates, devenue Renew Europe RE), des Verts (Verts/Alliance Libre Européenne) et du groupe Identité et démocratie (ID)[1]. Le Parlement sortant compte, en mai 2024, 7 groupes politiques : PPE (177 sièges), S&D (140 sièges), RE (102 sièges), Verts/ALE (72 sièges), Conservateurs et réformistes européens (CRE, 68 sièges), ID (59 sièges), Gauche Unitaire Européenne (GUE, 37 sièges) et 50 non-inscrits (NI).

Comme on peut le constater sur ce schéma, réalisé par l’Institut Cattaneo, exposant la composition du Parlement européen en début et en fin de législature depuis 1979, le bipartisme majoritaire est moins net et cela est particulièrement visible lors de la 9e législature. Toutefois, comme le rappelle un diplomate français, à l’Assemblée européenne élue au suffrage universel, il n’y a jamais de « majorité politique mais plutôt des compromis permanents, fluctuants, entre les formations politiques, négociés dans les commissions parlementaires à travers le rôle des rapporteurs »[2].

2/ La formalisation de la grande coalition au centre

Dès le départ, en juillet 2019, une coalition PPE/S&D/RE s’installe. D’abord pour assurer une action parlementaire mais surtout pour garantir ce qui deviendra de plus en plus fréquemment le « cordon sanitaire ». 
Le groupe Renew Europe (RE), créé à la suite des élections européennes de 2019, succède au groupe de l'Alliance des libéraux et des démocrates pour l'Europe (ALDE) et se caractérise par son caractère pro-européen. Au fur et à mesure des votes, ce groupe se retrouve au centre des équilibres politiques du Parlement, où il joue un rôle de médiateur entre le centre-gauche et le centre-droit. Position que lui permet la variété des partis qui le composent – une quarantaine, même si les Français y sont largement représentés. Si l’ALDE, dans la législature précédente, avait tenté quelques échappées, cela n’est plus le cas en 2019-2024.

Non formalisée à l’origine, l’alliance des trois premiers groupes du Parlement fait l’objet d’un accord de coalition le 17 janvier 2022. Ceux-ci déclarent : « Les défis multiples et opportunités créées par la pandémie, le changement climatique, la révolution numérique, les inégalités socio-économiques, le contexte mondial volatil ainsi que la poussée du nationalisme, du populisme, de l’autoritarisme, nous forcent à réinventer le projet européen pour être à la hauteur de ses promesses. Les citoyens européens attendent de nous de faire mieux et plus vite. »  

Le ton est donné :  la majorité parlementaire ne se fait pas trop à droite de l’hémicycle, malgré une volonté croissante de la part des partis centristes de coopérer, voire de gouverner, avec des alliés de droite radicale dans certains États membres. Malgré leur renoncement à l'euroscepticisme et leur position critique à l’égard du Kremlin, les partis du groupe CRE avancent une idéologie nationaliste contraire à l’idée même de construction européenne[3]. Autre point, souvent passé sous silence, le Parti républicain américain est partenaire officiel du groupe. Cette vision très limitée de la construction européenne au sein de ce groupe peut expliquer ce qui avait été pressenti en 2019 : un alignement accru de positions hostiles à l'Union amène les trois premiers groupes à poursuivre une coopération nécessaire pour ne pas bloquer le travail du Parlement.

Selon les données disponibles sur Votewatch et Howtheyvote, pour la plupart des groupes, l'indice d'accord est très élevé. Entre 2019 et 2024, les membres des groupes S&D (87 %), RE (84 %) et PPE (83 %) votent de façon similaire. Il en va de même au sein des Verts/ALE (91%) et de GUE/NGL (81 %). Dans les autres groupes, les indices d'accord sont plus faibles : CRE atteint tout de même 75% et ID seulement 60%. Les « non-inscrits » ont la cohésion la plus faible, avec seulement 38%. Cela ne signifie toutefois pas que la discipline de vote n’est pas discutée au moment d’envisager une majorité parlementaire avec l’aile droite du Parlement. Lorsque Manfred Weber, président du PPE, propose de bloquer la proposition de règlement sur la restauration de la nature en accord avec les groupes ID et CRE, la motion est rejetée (312 voix pour, 324 contre et 12 abstentions) car de nombreux élus du PPE refusent cette configuration. Cette consigne de vote est alors perçue comme une mise en œuvre de coalition en rupture avec la stratégie habituelle et ne convainc pas. 

Ceci se traduit dans la répartition des commissions parlementaires.

Le travail mené au sein des commissions illustre le caractère parlementaire de la prise de décision. En leur sein se construisent les compromis et les majorités, les groupes, les nationalités et certaines personnalités particulièrement impliquées peuvent exercer leur influence. La répartition des présidences de commission exprime les grands équilibres politiques et reflète l'évolution du poids des États membres au sein des groupes et de l'hémicycle. A travers elles, les groupes « centraux » ont limité les effets de la recomposition politique et gardé, sous contrôle, la bonne marche du travail parlementaire[4].

A l’issue de la législature, le PPE, S&D et RE président 80% des commissions parlementaires. Respectivement : 8 présidences sur 20 pour le PPE, 4 pour S&D, 4 pour RE, 2 pour les Verts, 1 pour ECR et 1 pour la gauche GUE. Signe d'une volonté de dresser ce que l’on appelle le « cordon sanitaire » autour des postes à responsabilités. Les groupes considérés comme radicaux ne président pas de commission, sous-commission ou commission spéciale[5].

La France et l’Allemagne sont particulièrement représentées à la tête de ces commissions et sous- commissions (respectivement 5 et 7), devant l’Espagne (3), l’Italie (2), la Pologne (2), les Pays-Bas, la Suède, la Roumanie et la Belgique (1 chacun), marquant définitivement la fin du rôle du Royaume-Uni dans cette Assemblée.

3/ Des cartes rebattues après le Brexit

Le ton avait été donné dès le 2 juillet 2019. Dès son inauguration, cette législature s’annonce particulière avec cette image marquante des élus du Brexit Party tournant le dos alors qu’est joué l’Ode à la joie, l’hymne européen. Le départ des 73 élus du Royaume-Uni, le 1er février 2020, entraîne des réajustements importants au sein du Parlement européen : le groupe RE perd 17 députés du Parti libéral-démocrate (LibDem) ; le groupe S&D est privé de 10 élus du Parti travailliste et les Verts de 11 députés du Green Party ; le groupe ECR se voit délesté de 8 conservateurs issus du parti Tory et le contingent des non-inscrits se voit réduit de 26 sièges issus du Brexit party.

Le PPE, qui ne comportait aucun siège britannique en 2019, n’en perd donc pas en 2020 et va donc – dans une certaine mesure - gagner en influence du fait de la perte de membres des autres groupes précités. L’autre effet – arithmétique - de cette baisse de nombre de sièges est la nouvelle position du groupe ID (qui ne perd aucun élu) à la 4e place, du fait de la réduction du nombre de sièges occupés par le groupe Vert. La décision du Conseil européen prévoyant de redistribuer 27 des 73 sièges laissés vacants par les Britanniques au profit de quatorze États à la population jugée sous-représentée n’auront pas d’impact sur ces nouveaux rapports de force. 

Le PPE reste le premier groupe du Parlement européen : le départ des 12 membres du Fidesz hongrois – avant même que le groupe ait pu mettre en œuvre des sanctions et suspensions à l’égard des élus du parti « qui a quitté la démocratie chrétienne depuis plusieurs années déjà » selon Donald Tusk, alors président du Conseil européen.
Cette influence préservée peut expliquer l’élection, au premier tour de scrutin avec 458 voix, de la Maltaise Roberta Metsola (PPE) pour prendre la présidence du Parlement européen à la suite de l’Italien David Sassoli (S&D)[6], le 18 janvier 2022.  Elle est la troisième femme à occuper ce mandat, après les Françaises Simone Veil et Nicole Fontaine[7]. 

4/ Une Assemblée presque paritaire

Avec la législature qui s’ouvre en 2019, le Parlement européen n’a jamais compté autant de femmes élues dans son histoire : 41 % des sièges sont alors occupés par des femmes, elles sont 39,5% après le Brexit et 39,7% en 2024. Cela se traduit presque en proportion dans la répartition des responsabilités de l’Assemblée de Strasbourg : sur les 14 vice-présidences du Parlement, on dénombre 6 femmes. Il y a 3 questeures sur 5. Six des 20 commissions sont présidées par une femme, comme une des 4 sous-commissions.

C’est au sein des partis et des groupes politiques qu’on attend que soit fait un effort. Les présidences de groupes reviennent en majorité à des hommes. Sur les sept groupes, seul le S&D est présidé par une femme, tandis que les Verts et la Gauche ont instauré une coprésidence partagée et paritaire. Les 6 députés de Chypre sont tous des hommes et la Slovaquie ne compte que 15% d’élues, pour ne citer que ces cas. La Finlande et la Suède, à l’inverse, sont les États membres comptant le plus de députées élues en mai 2019.

Selon ce graphique, en avril 2024, le Parlement enregistre que 4 des 6 sièges luxembourgeois sont occupés par des femmes. Le Luxembourg passe ainsi en première position devant la Finlande, tandis qu’un des six sièges chypriotes accueille une élue en cours de législature. La Roumanie enregistre le plus mauvais score de parité (5 sur 33) avec le remplacement de deux élues sortantes par des hommes.

5/ Une législature quelque peu mouvementée

En cinq ans, les députés européens ont adopté 370 législations. Un bilan proche de la précédente législature, puisqu’entre 2014 et 2019, 401 textes législatifs avaient été votés. Cette baisse d’activité peut s’expliquer par les remous provoqués par le départ des élus britanniques mais c’est surtout la crise sanitaire – et son confinement - qui poussent le Parlement européen à bouleverser son fonctionnement. L’institution ferme, le travail est numérisé, les plénières et les commissions parlementaires se tiennent à distance en visioconférence. Les votes se déroulent par courriel puis par portail sécurisé. Tous se font par appel nominal, publicisant les votes (à l’exception des votes secrets), contrairement à la pratique habituelle en plénière où les votes se font par appel nominal, uniquement si un groupe de députés en fait la demande. Pendant cette période, à partir de mars 2020, la tenue des sessions à Strasbourg n’est plus possible, alors que les traités y prévoient douze plénières par an. La situation relance la question du double siège du Parlement européen entre Bruxelles et Strasbourg. Le président de la République française, Emmanuel Macron, demande dans un courrier adressé au président David Sassoli le retour « à la normalité institutionnelle » pour le mois d’octobre 2020. Finalement, la reprise des travaux dans la capitale alsacienne est permise le 7 juin 2021, après quinze mois d’absence. 

Une crise majeure trouble également le fonctionnement interne du Parlement européen. Le 9 décembre 2022, la police belge procède à l’arrestation spectaculaire de l’ancien député socialiste italien Pier Antonio Panzeri, d’un assistant parlementaire, et d’une des vice-présidentes du Parlement européen, la Grecque Eva Kaili (S&D). 1, 350 millions € sont saisis et les images des liasses de billets font le tour du monde. D’autres députés européens sont mis en cause, dans une affaire que les médias présentent comme un système de corruption au service du Qatar et du Maroc. L’affaire n’a, à ce jour, pas été jugée et les principaux protagonistes ont été libérés. Elle a cependant sérieusement éclaboussé le Parlement européen qui, sous l’impulsion de sa présidente Roberta Metsola, révise son règlement intérieur le 13 septembre 2023 par 505 voix, contre 93 et 52 abstentions. 

La révision, « en vue de renforcer l’intégrité, l’indépendance et la responsabilité », prévoit notamment : des déclarations de patrimoine au début et à la fin de chaque mandat ; la publication en ligne des rencontres des députés ou de leurs assistants avec des « représentants d’intérêts » (lobbyistes) ou « des représentants des autorités publiques de pays tiers, y compris leurs missions diplomatiques et ambassades » ; une interdiction pour les députés d’entrer en contact avec d’anciens membres exerçant des activités de lobbying, qui ont quitté le Parlement au cours des six derniers mois ; un renforcement des sanctions. 

Les ingérences étrangères, en fin de législature, apparaissent comme un problème majeur pour le fonctionnement de l’Assemblée supposée représenter la part la plus démocratique de l’Union. En mars 2024, le Parlement ouvre une enquête sur les activités de la députée lettone Tatjana Ždanoka – suspendue du groupe Vert -, accusée d'agir en tant « qu'agent russe » depuis 2004. Ce même mois, des rapports révèlent que Petr Bystron est lié au média de propagande soutenu par la Russie "Voice of Europe", une plateforme qui diffuse de la désinformation et apporte un soutien financier à des politiciens pro-russes au sein de l'Union européenne. Il apparait que certaines vidéos semblent avoir été tournées à VoxBox, le studio interne du Parlement, utilisant le cœur du système de diffusion de l'institution pour diffuser des messages pro-Kremlin. En avril, la police allemande arrête un assistant parlementaire du groupe ID et le Parquet public de Dresde annonce deux enquêtes préliminaires pour des paiements présumés de la Russie et de la Chine à destination d’un député européen du groupe ID. Ce même élu est aussi à l’origine de la suspension de son parti Alternative für Deutschland (AfD) du groupe ID pour des faits de déclarations inacceptables pour le groupe, à la veille du scrutin, en mai 2024.

B. Une activité législative au gré des événements

Reflet des priorités de la Commission et de mesures imposées par les événements, l'activité législative du Parlement se place sous le signe du risque. Avec cette législature qui s’ouvre en juillet 2019, le risque environnemental se voit rapidement doublé du risque sanitaire. Elle se clôt enfin avec un risque de guerre de haute intensité.

Des textes capitaux sont pris sur la base de l’article 122 TFUE dans le contexte de la crise pandémique, en particulier au moment de l’achat en commun de vaccins et de l’instrument SURE pour le financement des dispositifs de chômage partiel.  Il en va de même avec la crise de l’énergie consécutive à l’agression de l’Ukraine par la Russie. Ainsi, du plafonnement du prix du gaz, à la réduction de la consommation de gaz ou encore l’achat en commun de gaz, le Parlement européen s’est vu exclu du processus de prise de décision. Si tout ceci est alors compris comme un souci d'efficacité, cela a peut-être permis une meilleure « communautarisation » de la défense européenne par le biais du marché intérieur.

1/ Le Pacte Vert

Le début de la 9e législature est marqué par la mise en œuvre du « Pacte vert », présenté par la Commission en décembre 2019. Avec pour ambition principale une réduction des émissions de CO2 de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990, dans le but d'atteindre la neutralité climatique dans l'Union européenne d'ici 2050, la Commission propose le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui révise et met à jour la législation climatique de l'Union. 

Dans la droite ligne de la résolution du 28 novembre 2019, dans laquelle le Parlement a déclaré l’urgence climatique, 66 textes sont adoptés, en particulier du fait de la grande coalition PPE/S&D/RE, renforcée par les votes des Verts. Ceci a permis de trouver des accords sur des réformes structurelles tout à fait inédites comme l’interdiction de la vente de voitures thermiques à partir de 2035. Selon les données de Howdotheyvote, sur les 632 votes, il n’y a que 7 contre et 30 abstentions. 
L’industrie européenne, la qualité de l’air et les sources d’énergie sont indiscutablement source de réflexion intense au Parlement européen. Les réformes vont plus loin que ce qui avait été envisagé au départ, en particulier dans le cas du marché du carbone. Il s’agit d’étendre le principe des quotas d’émission aux secteurs qui en étaient exemptés et d’augmenter le prix du carbone pour les secteurs déjà concernés. Dans ce cas, l’extension a été acceptée en complément de l’adoption d’un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (MACF), qui permet de compenser le surcoût lié à l’existence de ce marché du carbone dans l’Union aux frontières. Ces deux mécanismes pensés pour constituer une source de recettes pour le budget européen ont été largement adoptés par l’Assemblée.

Cet enthousiasme pour le Pacte Vert s’essouffle à partir du déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022. Cette dernière entraîne trois conséquences : une inflation des prix énergétiques et alimentaires inégalée depuis trente ans, l’augmentation de l’importation de produits agricoles ukrainiens (afin de soutenir l’effort de guerre de Kiev) et le renforcement d’une réflexion sur l’Europe de la défense.
Le retour de la guerre de haute intensité en Europe, en février 2022, propulse l’Union européenne dans une nouvelle ère pour sa sécurité et sa défense, et conduit le Parlement européen à agir de manière notable dans des domaines inédits. 

2/ L’industrie de la défense renforcée

Après des débuts timides en matière de coordination dans la passation de certains marchés dans les domaines de la défense et de la sécurité et le développement de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), le Fonds européen de la défense (FED) est établi par un règlement du 29 avril 2021. Financé par le budget de l’Union à hauteur de 7,9 milliards pour la période 2021-2027, renforcé par l’instrument STEP et un montant de 1,5 milliard € en 2024, il permet d’apporter un soutien financier à des actions réalisées par un consortium composé d’au moins trois « entités juridiques », établies dans au moins trois États membres pour le développement de nouveaux produits et /ou technologies de défense ou constituer une amélioration des produits et technologies existants.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie vient conforter ces nouvelles ambitions de mettre fin aux lacunes en matière d’équipements dans un environnement de plus en plus menaçant, mais également de fournir du soutien à l’Ukraine. L’adoption du règlement EDIRPA s’est vu ralentie par des conflits internes au Parlement européen, entre la commission de l’industrie (ITRE) présidée par Cristian-Silviu Busoi (PPE, RO) et la sous-commission sécurité défense (SEDE) présidée par Nathalie Loiseau (RE, FR). La proposition initiale de la Commission prévoyait d’allouer 500 millions €, le Parlement européen en demande 1 milliard €, mais l’accord en trilogue débouche sur une enveloppe de 300 millions €. En effet, entre-temps, la création d’un autre fonds est envisagée pour la production de munitions dans l’Union - l’Acte législatif de soutien à la production de munitions (ASAP) - qui récupère 240 millions du montant initialement prévu pour EDIRPA. Au sein du Parlement européen, c’est bien la commission ITRE, en charge de l’industrie, qui est compétente au fond pour cette législation. 

C. Un rôle accru dans et hors Union

1/ Un Parlement offensif en matière d’État de droit

Les députés se font rapidement remarquer avec le rejet de trois candidats à un poste de commissaire européen. Avec comme fondement des allégations de détournement de fonds pour la candidate française Sylvie Goulard, ainsi que des allégations de conflit d’intérêts, pour la candidate roumaine Rovana Plumb et le candidat hongrois László Trócsányi, le Parlement de la 9e législature semble vouloir marquer fermement son rôle de contre-pouvoir.

La législature est marquée par deux actions en justice lancées par les députés européens contre la Commission européenne concernant les conditions d’attribution de fonds européens à des États membres portant atteinte à l’État de droit, en l’occurrence la Pologne et la Hongrie. 
En octobre 2021, le Parlement européen a ainsi saisi la Cour de Justice de l’Union européenne d'un recours contre l’exécutif européen pour défaut d'application du règlement relatif au mécanisme de conditionnalité. Depuis le 1er janvier 2021, ce mécanisme conditionne l’attribution des fonds européens au respect de l’État de droit. Le recours a été lancé comme un moyen d’exercer une pression sur la Commission, alors que la Pologne et la Hongrie contestaient la légalité du mécanisme devant la Cour, en suspendant de fait les possibilités de son application. Le 5 avril 2022, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a finalement annoncé devant les députés que la procédure allait être activée à l’encontre de la Hongrie : le 27 avril, le mécanisme est formellement activé.
A nouveau, en mars 2024, le Parlement lance une nouvelle action en justice contre la Commission, qui cette fois a dégelé 10,2 milliards € de fonds de cohésion, destinés à la Hongrie, alors que celle-ci menace d’opposer un veto au soutien financier des Européens à l’Ukraine.  Les députés considèrent que les fonds ont été débloqués alors que la Hongrie n’a pas réalisé les réformes demandées pour garantir l’indépendance de la justice.

2/ Un positionnement net en faveur de l’Ukraine

Faute de compétences, le Parlement européen multiplie les actes symboliques en matière de politique étrangère. Le 1er mars 2022, puis le 9 février 2023 au Parlement européen réuni en session plénière, le président ukrainien Volodymyr Zelensky appelle à une intégration « sans délai » de l’Ukraine à l’Union européenne. Les ovations des députés constituent un symbole fort du soutien aux Ukrainiens d’une large majorité des Européens. Par ailleurs, Roberta Metsola est la première présidente d’une institution européenne à se rendre à Kiev, le 1er avril 2022. Elle s’y rend à nouveau le 9 mai 2024, jour de la fête de l’Europe.

Les résolutions à l’encontre de la Russie deviennent courantes, profitant d’une très large majorité dans l’Assemblée de Strasbourg. Le 1er mars 2022– par 676 voix, contre 3 et 5 abstentions – les députés européens condamnent l’agression armée russe en Ukraine. Suit l’exigence d’« un embargo total sur les importations de pétrole, de charbon, de combustible nucléaire et de gaz en provenance de Russie » par 513 voix, contre 22 et 19 abstentions. Le 23 novembre 2022, par 494 voix, contre 58 et 44 abstentions, est adoptée une résolution qualifiant la Russie d’État soutenant le terrorisme. Enfin, les députés européens confortent leur position par rapport au « narratif » du Kremlin, le 15 décembre 2022 : le Parlement reconnaît l’Holodomor - la famine du peuple ukrainien provoquée par l’URSS dans les années 1930 - comme génocide, par 507 voix, contre 12 et 17 abstentions. 
L’année 2023 est également riche en prises de position : le 19 janvier est adoptée une résolution appelant à la constitution d’un tribunal spécial pour punir les responsables russes pour crimes de guerre (472 voix, contre 19 et 33 abstentions). Le 15 juin, les députés adoptent par 425 voix, contre 38 et 42 abstentions, une demande auprès de l’OTAN afin de lancer le processus d’adhésion de l’Ukraine au sein de l’organisation euro-atlantique.
Certes, une résolution du Parlement européen n’est pas créatrice de droit. C’est d’ailleurs l’argument principal des députés européens qui refusent de prendre part à ce type de votes. Il est pourtant question de prises de position fortes, par des représentants légitimes à les prendre du fait de leur désignation au suffrage universel direct, par les citoyens de leur État d’origine. En d’autres termes, rien ne les oblige à rédiger et adopter ces textes mais s’ils ne le font pas, cela ne peut être que remarqué et leur être reproché. D’où l’importance de désigner des députés actifs dans cette Assemblée qui semble encore vouloir se présenter comme proche de ses citoyens européens[8].

L’auteure tient à remercier Loup Panteix et Thomas Richomme, assistants de recherche à la Fondation, ainsi que Peggy Corlin, journaliste.


[1] Nouvelle dénomination du groupe « Europe des nations et des libertés ». 


[2] Maxime Lefebvre, « Le défi de la démocratie européenne », Politique étrangère, no 4, 2018, pp. 73-85.


[3] ECR a été créé par les Tories (Conservateurs) britanniques sous la direction de David Cameron, avec l’intention de se distancier du PPE en 2009.


[4] C’est notamment le cas de la commission spéciale sur l'ingérence étrangère présidée par Raphaël Glucksmann (S&D, FR) ou la commission spéciale consacrée aux logiciels espions avec sa rapporteure Sophie In’t Velt (RE, NL). 


[5] Les commissions temporaires ne sont généralement créées qu’en réaction à des circonstances exceptionnelles, on relève dans cette législature la commission chargée d’enquêter sur l’utilisation de Pegasus et de logiciels espions de surveillance équivalents (PEGA) présidée par Jeroen Lenaers (PPE, NL), la commission spéciale sur l’ingérence étrangère (ING2) a pris de l’importance au cours e la législature, consécutivement à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la commission spéciale sur la pandémie de Covid-19 (COVI) présidée par Kathleen Van Brempt (S&D, BE) et sa collecte des enseignements tirés de la pandémie.


[6] A l’issue des tractations entre les grandes forces politiques pour les « top jobs » des institutions européennes, à l’issue du vote du 3 juillet 2019, au deuxième tour de scrutin par 345 voix, pour un mandat de deux ans et demi. La maladie l’emporte prématurément le 11 janvier 2022, à quelques jours de la fin de son mandat.


[7] Simone Veil (1979-1982), Nicole Fontaine (1999-2002) Roberta Metsola (2022-), soit 3 présidentes pour 14 présidents.


[8] Pour renforcer la dimension transnationale de la représentation, les députés ont voté le 3 mai 2023 une résolution législative par 329 voix, conte 275 et 24 abstentions, demandant la mise en place d’une circonscription transnationale de 28 sièges pour les élections européennes. Le Conseil, qui réunit les États membres, ne s’est toujours pas prononcé.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Bilan de la 9e législature du Parlement européen

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