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Être Européen (libre, moderne et indépendant) : vu d'Europe centrale et orientale

Démocratie et citoyenneté

Nathalie de Kaniv

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17 juin 2024
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de Kaniv Nathalie

Nathalie de Kaniv

Chercheur associé à l’ACADEM, Secrétaire générale Europe – IHEDN, Membre d’EuroDéfense-France,

Être Européen (libre, moderne et indépendant) : vu d'Europe centrale et oriental...

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La philosophie et la culture des Lumières ont façonné la carte mentale de l’Europe en traçant une distinction entre la civilisation et la barbarie. Mais cette dernière revient et la géopolitique contemporaine, bouleversée par la guerre russe et l’ampleur prise par les agressions au Moyen-Orient, fait réapparaître la confrontation des civilisations. La guerre contre l’Occident, le narratif anti-occidental, l’affrontement entre le monde libre et les régimes autoritaires nostalgiques des empires lointains, la volonté de créer des zones grises, barrières de la diffusion des valeurs inconfortables, voire menaçantes, pour des systèmes centralisés hostiles, défient l’Europe. L'autoritarisme, l'aspiration au pouvoir infini, la corruption ancrée dans la gouvernance d'État, le recours aux répressions à l'encontre de toute opposition, la manipulation du droit international et l’ingérence vont de pair avec des slogans militaristes en faveur de l’effacement de certains Etats de la carte du monde et illustrent la mutation des systèmes vers des formes nouvelles de pouvoir. Accrochés à un pouvoir sans partage, la désignation d’un ennemi commun fait miroiter la raison guerrière et meurtrière. 

Quel est donc cet Occident que certains disent combattre ou vouloir faire disparaître ? Quels choix ont fait ceux qui résistent avec ferveur à cette menace ? Quel sens recouvre cet Être européen devenu une « raison d’être » dans les pays menacés par le Kremlin ? L’occasion est venue de nous attarder sur l’apport de ces États résistant à la menace pour notre perception de l’appartenance européenne. Que signifie Être européen en Europe centrale et orientale[1],celle qui est restée européenne malgré le pesant Rideau de fer ? Loin de chercher une exhaustivité de réponse à cette question complexe, l’objectif est d’interroger quelques notions qui traversent l’idée européenne au sein de l’Europe centrale et orientale. 

Le retour dans la famille européenne

L’Union soviétique sort vaincue de la guerre froide et emporte avec sa défaite l’effondrement du bloc de l’Est. Si, pour Poutine et les nostalgiques de l’URSS, il s’agit de « la plus grande catastrophe du XXe siècle », il n’en va certainement pas de même pour l’Europe centrale et orientale. 

Traditionnellement et historiquement tournée vers la civilisation occidentale, la région connaît un grand bouleversement politique, économique et sociétal: « Pris dans l’engrenage du système soviétique, ils ont joué le rôle d’une quasi-colonie, de pays de garnison et de glacis stratégique de l’URSS. Coupés, notamment à l’époque stalinienne, des processus de modernisation entamés en Occident, ils ont dû subir le fardeau d’une industrialisation à la soviétique et payer les frais de leur adhésion au pacte de Varsovie et au COMECON. Leurs budgets sont particulièrement chargés par un système d’armement extrêmement lourd et complexe, mais aussi par l’aide qu’ils apportent aux pays communistes non européens. Ainsi grandit l’écart civilisationnel entre l’Europe du centre-est et les pays de l’Europe occidentale.[2]» .

La chute de l’URSS chamboule ce système imposé, puis bien installé[3]. De nombreux dissidents rejoignent la scène politique[4] . Certains États éclatent : c’est le cas de la Tchécoslovaquie ou de la Yougoslavie. Les jeunes élites entament des réformes économiques, peu comprises dans l’ensemble des régions. Les débats politiques s’ouvrent et la diplomatie se construit pour expliquer au monde entier qui sont ces nouveaux pays sortis du bloc soviétique et assimilés à la culture russe ou au communisme. 

En 1999, il y a vingt-cinq ans, Hongrie, Pologne et République tchèque adhèrent à l’OTAN. Cinq ans après, en 2004, Roumanie, Bulgarie[5] , Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie et Slovénie les rejoignent au sein de l’Alliance atlantique. En 2004, dix pays rejoignent l’Union européenne, dont huit, issus de l’ancien « bloc communiste » - Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie. Cette adhésion va de pair avec l’intégration à l’OTAN. Sortis du joug soviétique, désormais États indépendants, leur choix apparaît comme clair et déterminé : l’Union européenne offre la prospérité et le retour à l’Europe historique et culturelle, tandis que l’OTAN assure la sécurité en premier lieu vis-à-vis de la Russie. 

Dans les premières années qui suivent l’adhésion, ces États, dans une certaine mesure, délèguent aux instances européennes et transatlantiques les décisions et orientations géostratégiques ; mais, à partir de 2014, avec l’agression russe en Ukraine, l’attitude de leurs représentants change. La géopolitique a vu son axe se déplacer à l’Est de l’Europe, au point de pousser ces États en première ligne. Après une période consistant à alerter la communauté européenne de la montée du danger, ils deviennent des acteurs de la politique européenne portés par l’objectif de la résilience européenne, basée sur l’unité, la solidarité et la défense commune. 

Ce discours européen, tenant au fait que l’appartenance à l’Europe signifie la modernité et le gage de l’indépendance politique[6] , n’est pas neuf : il est né avec les premières indépendances à l’issue de la Première Guerre mondiale. Il a malheureusement été étouffé par la Seconde Guerre mondiale et les pactes successifs signés avec l’URSS. 

L’année 2004 marque donc un retour dans la famille européenne[7]. L’enthousiasme des populations de ces pays d’appartenir à l’Union se définit par un sentiment d’appartenance à un destin historique commun, leur attachement à la liberté et, surtout, par la conviction qu’il s’agit enfin « d’un retour » dans la famille européenne, de laquelle ils ont été séparés par les accords de Yalta. Pour la génération qui a subi l’oppression communiste, l’expérience est marquante et l’événement revêt une portée existentielle.

L’Europe centrale et orientale : une communauté de destin

L’expression « communauté de destin » est entendue comme synonyme de l’Union européenne. Cette désignation est adoptée pour décrire un espace de valeurs communes, un choix de vie, la libre pensée, la protection des droits fondamentaux et enfin un héritage religieux et culturel. Au sein de la famille européenne, une certaine distinction entre Est et Ouest, parfois plus accentuée, persiste. La guerre russe contre l’Ukraine a fait ressurgir le concept du centre de l’Europe et cette centralité dépasse une définition purement géographique. Elle porte une connotation plus profonde et, face à la Russie menaçante, un sens existentiel. Dans son ouvrage Cette Europe qu’on dit centrale, Catherine Horel écrit : « L’Europe centrale existe, c’est une notion historique, une communauté de destins et de cultures, une civilisation héritée de l’empire des Habsbourg qui définissent des références, une géographie mentale, une architecture, une gastronomie, un rapport au monde différent. Mais ces traits communs appartiennent largement au domaine des souvenirs et sont par conséquent sujets à des attitudes : l’oubli, d’une part, la nostalgie, d’une autre. Après la transition démocratique et l’intégration dans l’Union européenne, l’Europe centrale perd une partie de sa signification politique et géopolitique qui a justifié sa redécouverte dans les années 1980. »[8] .

Trop longtemps, l’angoisse des États d’Europe du centre-est a été uniquement expliquée par les traumatismes encore proches de l’URSS. La participation des dirigeants baltes ou polonais aux côtés de l’opposition ukrainienne, lors de manifestations sur Maïdan de 2004 ou de 2014, ne semble pas avoir emporté de réaction de la part des décideurs des plus anciens membres de l’Union européenne. Les appels à la solidarité européenne ne trouvent alors pas d’écho. Cela peut s’expliquer par le fait que la proximité avec ces nouveaux Etats membres est admise mais que l’Ukraine, pour les chancelleries occidentales, est toujours considérée comme russe, par facilité géopolitique et pour ménager la sensibilité du Kremlin.

Ces prudences se sont révélées inutiles. Le 24 février 2022 a dévoilé une frontière orientale de l’Europe, celle que l’Occident a ignoré pendant trop longtemps : les territoires et les peuples soumis véritablement à la menace d’une agression de la Russie et ayant choisi le destin européen assorti d’un non-alignement avec l’immense voisin avide de restauration impériale. Les jours et les semaines suivant l’invasion illustrent cette détermination mais ont aussi mis en lumière une communauté de destin qui inspire ces peuples européens qui s’étendent, en réalité, sur la moitié de l’Europe. Au milieu de ce conflit historique sur le continent européen, les liens contigus dans cet espace commun s'expriment à nouveau. Les singularités nationales et politiques n’empêchent pas ce besoin de s’exprimer d’une seule voix, surtout quand on connaît leur histoire commune.

Des unions politiques et militaires

Dans le discours historiographique, le XVIe siècle ouvre une page moderne de l’histoire de la région. En effet, l’Union de Lublin de 1569 figure au centre de la composition historique de la région comme date de constitution d’un État fédéral qui embrasse un territoire allant jusqu’au Dniepr. Il s’agit du territoire actuellement biélorusse et ukrainien. De surcroît, l’acte constitutif de l’Union de Lublin est signé en majeure partie par la noblesse venant des terres orientales et inclut ce que l’on appelle la République cosaque. L’Union de Lublin intègre donc des territoires jusqu’à Kiev et établit un système politique et juridique harmonisé.

Rappelons ici l’un de ces faits d’histoire, souvent ignoré, qui se trouve aux origines de la formation sociale de la région et cela jusqu’aux territoires ukrainiens. Il constitue une base fondamentale pour comprendre la société ukrainienne contemporaine : dès les XIVe et XVème siècles, le droit de Magdebourg, soit le droit des cités privilège urbain d’origine bavaroise, est adopté dans les villes ukrainiennes. L’expansion de la culture européenne en Ukraine est allée de pair avec le développement de ce droit et du réseau universitaire sur ces territoires. Ce droit se trouve à l’origine des formations civiles et urbaines sur cette région de l’Europe. Depuis le XIVème siècle, le droit de Magdebourg a été adopté à Sianik (1339), Lviv (1356), Kaminets-Podilsky (1374), Lutsk (1432), et Kiev (1497), pour ne citer que ces villes. Ce droit des municipalités est à l’origine de la formation nationale ukrainienne, distincte des cités russes, sujettes à une autre réalité juridique. Le phénomène de réunions d’ampleur sur Maïdan est étroitement lié à la culture d’expression par les citoyens de la volonté et de la protestation contre les décisions politiques ou administratives.  Depuis plusieurs siècles, sur les territoires ukrainiens, cet esprit des communes, villes et villages et la prise de décision au niveau local, assortie d’une décentralisation claire, participent à la formation d’une identité propre.

Ce passé commun avec un système juridique et social proche, le réseau universitaire[9] , le système militaire et la noblesse établie sur ce territoire vaste sont à l’origine de l’histoire moderne de ces peuples européens. En particulier lors des dominations des empires (prussien, russe ou austro-hongrois), ce passé commun, assorti de nombreux mythes et légendes, ressurgit dans les récits nationaux au XIXe et début du XXe siècles. Un sentiment d’appartenance à l’Europe se forge au sein de ces peuples[10] .


Depuis le XVIe siècle, sur ces territoires multinationaux et multi-confessionnaux existe un rapport mitigé avec l’empire et la culture russes. Le rejet du monde russe est d'ailleurs révélateur de ce sentiment d'appartenir à la partie occidentale de l'Europe[11] . Même en Ukraine où la population russophone demeure importante, la distinction avec la culture russe reste profonde et pas seulement pour la pensée intellectuelle ou académique[12] .

Milan Kundera décrit cette partie de l’Europe comme « la culture de destin ». Certes, ce destin s’est forgé, à travers des siècles, de liens ou unions, mais aussi de conflits. Ces territoires centre-est européens subissent de multiples agressions des empires, sans pour autant perdre leur singularité. Malgré une importance territoriale de la région et le passé glorieux et héroïque, la région ne nourrit pas d’aspirations hégémoniques, ce qui rapproche aussi ses composantes étatiques. Enfin, des proximités linguistiques, une culture folklorique mitoyenne ou apparentée entre les populations forment un noyau commun. Celui-ci a fait l’objet de nombreuses études au moment de la résistance au communisme et auxquelles on revient de nos jours.

Mourir pour l'Europe en 1956 et 1968 et le Printemps européen

Mourir pour l’Europe… Ce slogan volontariste peut sembler abstrait, irréaliste, voire utopique. Pourtant, dans l’histoire, il recouvre une réalité, et c’est en Europe centrale et orientale que ces paroles ont pris chair. En effet, l’appartenance à l’Europe est le gage de l’indépendance, de la prospérité et de la modernité.

Dans « l’Occident kidnappé, ou la tragédie de l’Europe centrale », publié dans la revue le Débat en 1983, Milan Kundera revient sur les mouvements de 1956 et 1968 en faveur de la liberté : « Nous mourons pour la Hongrie et pour l’Europe », tel est l’état d’esprit qui anime les élites centre-est européennes sous la domination soviétique.

L’Europe centrale a semblé disparaître en 1945 avec les accords de Yalta qui l’ancrent du côté oriental et l'intègrent au bloc soviétique. Pendant plus de trente ans, elle a résisté et défendu sa distinction, a subi purges et extermination de ses élites, s’est vue trahie, divisée, désemparée, dominée par un pouvoir extérieur autoritaire. Au sein de ce "bloc des pays socialistes", organisé sous le protectorat soviétique hostile et répressif, une culture de résistance s'est rapidement formée et est devenue, au fil des décennies et à travers les pays, absolument capitale pour préserver des valeurs fondamentales et tenir face à la répression. Cette résistance réunit l'élite intellectuelle et culturelle. Orientée vers l'avenir et la jeunesse, son action indéfectible demeure pacifique malgré les nombreux résistants emprisonnés, torturés, envoyés dans les camps pour y être condamnés à mourir, pour la plupart.

Lorsqu’en 1968 un printemps particulier embrase toute l’Europe, la frontière entre l’Est et l’Ouest a semblé s’effacer. À Prague, à Varsovie, un mouvement de libération, d’émancipation pour un choix européen envahit les esprits. On l’appelle le Printemps de Prague. À Paris, Mai 68 repousse les frontières de la liberté et exige un renouveau. Dans les deux parties de l’Europe, le mouvement porte les slogans de la liberté nouvelle et la jeunesse y joue un rôle crucial, ils sont toutefois distincts. Milan Kundera décrit : « Le Mai 68 parisien mettait en cause ce que l’on appelle la culture européenne et ses valeurs traditionnelles. Le Printemps de Prague, c’était une défense passionnée de la tradition culturelle européenne dans le sens le plus large et le plus tolérant du terme (défense autant du christianisme que de l’art moderne, tous deux pareillement niés par le pouvoir). Nous avons tous lutté pour avoir droit à cette tradition menacée par le messianisme anti-occidental du totalitarisme russe »[13] .

Aujourd’hui, en particulier au sein de la jeunesse et de l’élite intellectuelle, l’Europe centrale est habitée par ce désir de protection des valeurs européennes et des principes fondamentaux qui constituent l’âme européenne. 

La résistance derrière le mur de Berlin 

La répression communiste oblige de nombreux universitaires non-conformistes à s’exiler et à trouver de nouveaux lieux de travail et de résistance. Là encore, les universités occidentales et les organisations non gouvernementales jouent leur rôle. Les exemples ne manquent pas comme le réseau français autour de la revue Kultura de Jerzy Giedroyc.

L’Institut d’Europe centrale et orientale voit le jour à l’université de Columbia grâce à l’appui d’Oskar Halecki. L’Université du Colorado publie The Journal of Central European Affairs et plusieurs autres initiatives naissent et croissent durant la Guerre froide. Divers fonds américains soutiennent des recherches scientifiques consacrées à cet espace européen. La plupart des universités américaines hébergent des Slavic Studies Institutes et stimulent des échanges universitaires qui s’intensifient à la fin de l’époque communiste.

En 1989, le dialogue dans le milieu académique centre-est européen fait surgir une volonté commune de revisiter le passé de ces nations qui ont souvent formé, au cours de leur histoire, une communauté ou une fédération ou qui appartenaient à un même empire. C’est ainsi que naissent des initiatives comme celle de l’Institut d’Europe centrale et orientale à Lublin, créé en 1991 (ONG soutenue par l’UNESCO). Deux ans plus tard nait la Fédération Internationale des Instituts d’Europe centrale et orientale composée de sept instituts nationaux, et rejointe par des centres académiques italien, français, allemand et américain. L’Europe est au cœur de l’action de la fondation polonaise Robert Schuman.  Citons, à titre d’exemple, un projet initié par les recherches de l’Institut d’Europe centrale et orientale à Lublin, celui d’historiens polonais, lituaniens, ukrainiens et biélorusses portant sur l’Union polono-lithuanienne : le Congrès des historiens se réunissant à Cracovie tous les ans. Depuis quelques années, ce lieu de dialogue scientifique traite de l’identité et de l’héritage commun de l’Europe centrale.

L’importance des universités de la région rappelle le lien étroit avec l’histoire européenne. Dès le Moyen Âge, la carte des fondations universitaires va de pair avec la diffusion de la culture européenne. Les universités sont les premiers lieux de persécution par les systèmes totalitaires, tels que le nazisme ou le communisme. Ils sont aussi les chefs-lieux de la résistance et de la formation intellectuelle politique. Après 1989, l’université retrouve sa place au sein des pays. Des centres de recherches et des think-tanks se développent. La réussite de l’université de Tartu est érigée en exemple avec ses start-up, berceau d’innovations et de cyber-développements (sécurité, défense, technologie), du pays pionnier - l’Estonie - dans l’administration numérique reconnue comme démocratie numérique au service des citoyens.

La résistance chantée sort de « sous-terre »

En relisant l'histoire du XXème siècle, un fait donne une couleur toute particulière aux révolutions centre-est européennes :  l'introduction de la musique dans une résistance politique. En effet, ce phénomène souterrain musical et artistique dit underground se fait rapidement politique. Au fur et à mesure des années, la musique devient un élément caractéristique et symbolise la volonté pacifique de résistance. 

Le mouvement de résistance tchèque se baptise « Révolution de velours », en s’inspirant du nom du groupe new-yorkais Velvet Underground, lié à Andy Warhol[14] . En 1968, Václav Havel rapporte d’un voyage aux États-Unis un de ses albums : recopié à de nombreuses reprises, il circule dans le milieu avant-gardiste et inspire la dissidence culturelle. Dans ses souvenirs, Lou Reed, chanteur du groupe, fait part de ses multiples échanges avec Václav Havel, soulignant l’importance de la musique rock dans la résistance et, plus tard, dans la chute du régime[15] . 

Un mois après le Printemps de Prague, dans cette même ville, de jeunes musiciens, inspirés par le Velvet Underground, se réunissent sous le nom de The Plastic People of Universe (PPU), avec pour directeur artistique Ivan Martin Jirous. Ils ne cherchent pas la confrontation avec le système mais sont immédiatement perçus comme une menace par celui-ci. Consécutivement à l’interdiction de l’un de leurs concerts en 1976, un groupe d’intellectuels, dont Václav Havel, signe, en 1977, la Charte 77, qui exige le respect des droits de l’Homme et l’application des libertés fondamentales. C’est l’un des déclencheurs de la résistance en Tchécoslovaquie.

Après la chute du communisme, une partie de la nouvelle élite démocratique sera issue de ce milieu. L’underground transforme cette inspiration occidentale, américaine ou européenne, se l’approprie pour faire de la musique - et plus largement de l’art - un instrument politique de la résistance, mais aussi de l’appartenance à l’Occident et à ses valeurs : liberté, droits fondamentaux, diversité, ouverture à l’autre, liberté d’expression.

En Estonie, Lituanie et Lettonie, la période 1987-1991, qui voit la restauration de leur indépendance, est appelée Révolution chantée, un terme inventé par Heinz Valk lors du Tallinn Song Festival Grounds pour désigner « la nuit du chant en masse » (10-11 juin 1988). Sandra Kalniete décrit la Révolution chantée dans un ouvrage, qui est son journal personnel : « Chantons la Liberté : la Révolution lettone et la chute de l'empire soviétique »[16]  En 1987, un festival de musique rassemble plus de trois cent mille Estoniens à Tallinn pour chanter des chansons et hymnes interdits. La révolution chantante lettone devient le symbole d’un choix engagé identitaire européen. Elle exclut la violence, mais exige le respect du droit inaliénable d’un peuple à décider de son destin.

La paix et la liberté mises en avant ont marqué l’attachement aux droits fondamentaux inscrits dans le code génétique européen. La défense de ces valeurs civilisationnelles se traduit par un engagement sans faille de ces trois pays, notamment dans les opérations militaires européennes. Le 23 août 1989, deux millions d'Estoniens, Lettons, Lituaniens forment une chaîne humaine de 600 km pour condamner le passé soviétique et exprimer l’espoir futur. Appelée Voie balte, cette manifestation symbolise le choix profond des trois pays, inscrit dans les vers écrits pour l’occasion Les pays baltes se réveillent.

La révolution pro-européenne à Kiev en 2004

Lorsqu’en mai 2004, des pays du centre-est deviennent membres de l’OTAN et de l’Union européenne, la gêne est perceptible en Ukraine. Elle témoigne d’une frustration de sentir un nouveau rideau se poser, et cette fois, entre l’Ukraine et l’Est-Europe dont elle est si proche. L’Ukraine se sent plus européenne. La jeunesse ukrainienne n’affronte pas les mêmes peurs que les anciens opposants. Elle n’a pas connu l’époque communiste et grandit dans une Ukraine indépendante, elle n’invoque aucune nostalgie du passé soviétique. Russophone ou ukrainophone, peu importe, le choix de la jeunesse ukrainienne échappe aux rancunes et aux interprétations artificielles portées sur un pays divisé entre l’Est et l’Ouest. Entre les mois de mai et décembre de cette année, l’expression de ce sentiment européen, moderne, pacifique et assoiffé de la liberté se forge. A ce moment-là, Volodymyr Zelensky a 26 ans et Oleksandra Matviichuk 21.

Vaclav Havel a bien relaté ces sentiments : «  Le particularisme de la révolution orange en Ukraine ne consiste pas seulement en ce qu’elle a eu lieu dans un grand et important pays de l’ancien empire soviétique, et constitue par conséquent une inspiration pour d’autres pays souffrant encore du postcommunisme, mais également dans ceci : cette révolution a probablement apporté une réponse à la question, que reste toujours ouverte, de savoir où sont les limites du grand réseau de notre civilisation (occidentale) et où commence l’autre réseau (oriental, autrement dit espace eurasiatique). »[17] .

C’est sur la place de l'Indépendance, appelée Maïdan, en décembre 2004, à Kiev, que l'opposition au régime politique en place et à la corruption massive s'organise et se transforme en Révolution orange ukrainienne. Guidée par un désir de protestation ferme mais pacifique, cette opposition réunit en son sein de nombreux intellectuels, artistes et musiciens. La jeunesse soutient pleinement le mouvement et lui permet une ouverture inédite. 

La tradition rencontre la modernité et exprime une appartenance à la culture européenne. Deux célèbres groupes rock Vopli Vidoplasova (VV) et Okean Elzy et la chanteuse primée à l'Eurovision Rouslana accompagnent activement les manifestations. De cet engagement naît une série d'actions nationales et politiques. Le leader du groupe VV Oleg Skrypka a créé un Festival national de la culture ukrainienne, devenu un événement annuel réunissant la jeunesse de l'ensemble du pays autour de la tradition et des arts ukrainiens. La chanteuse Rouslana a intégré le parti politique de Victor Yushchenko et a été élue députée. Quant à Sviatoslav Vakartchouk, leader du groupe rock Okean Elzy, le plus populaire en Ukraine, après avoir été député entre 2007 et 2008, il fonde un parti « Golos » qui s’annonce pro-européen. Les artistes de cette jeune génération ukrainienne, active dans l'opposition au pouvoir post-communiste, affichent avec force et conviction leur attachement au choix européen du pays.  


Dix ans plus tard, toujours sur Maïdan, l’histoire sanglante fait son retour. La dernière révolution ukrainienne est vécue pleinement comme un choix de civilisation de la jeune génération (étudiants, élite intellectuelle et culturelle) opposée à la dictature de Victor Ianoukovitch. Sous la surveillance des forces spéciales et des tireurs d’élite, les manifestants scandent des slogans pro-européens ; l’opposition du président à un rapprochement vers l’Union européenne déclenche la protestation.

En février 2014, cent jeunes gens sont fusillés sur la Place et on les a comparés avec les mille cent onze intellectuels et artistes fusillés par le KGB, en quelques jours, durant l'année 1937. A Maïdan, le slogan « nous mourons pour l'Europe » devient une nouvelle fois un leitmotiv de l'opposition. S’il peut sembler utopiste ou idéaliste aujourd’hui en Europe occidentale, il a été librement vécu et défendu en 2014. La centaine de manifestants qui y sont morts sont devenus le symbole de l’indépendance et de l’appartenance profonde du pays à l’Europe. « Nous mourons pour l’Europe » devient un marqueur de civilisation. Malgré la douleur des pertes et face aux atrocités provoquées par le régime qui s’accrochait au pouvoir, cette appartenance à l’Europe s’accompagne de l’expression pacifique où la musique tient une place importante. Rien d’étonnant donc à ce qu’en 2022, dans les premiers mois de l’agression russe contre l’Ukraine, l’éclosion de la création musicale, portée par des artistes, militaires, volontaires, médecins et politiques, embrasse la paix en guerre. 

La liberté : la place des ONG dans la transformation politique

Dernier exemple illustrant la communauté de destin et consistant en une interaction constatée ces dernières années : l’action des organisations non-gouvernementales (ONG) se développe clandestinement[18] au sein du bloc de l’Est puis évolue rapidement à la faveur d’un climat sociétal favorable. 

A l’heure actuelle, on en compte plus de 40 000 en Ukraine. Ces chiffres donnent un bref aperçu de la mobilisation de la société civile organisée sur le terrain[19] . L’agression russe en Ukraine a bouleversé le panorama, tout spécialement en Europe de l’Est. 

D’abord comme Premier ministre (1999-2001), puis comme président de l’Ukraine (2005-2010), Victor Yushchenko soutient le développement des différentes ONG en Ukraine bénéficiant à la fois de financements occidentaux et ukrainiens. Dès lors, leur présence en Ukraine n’a cessé de croître et de gagner la confiance de la population qui y voit des bénéfices. L’interaction entre la population et les instituts de la société civile organisée évolue rapidement et favorise un climat pro-européen en Ukraine, notamment au sein de la jeunesse et des milieux universitaires. En témoigne le fait que la dernière révolution de Maïdan a débuté par la protestation ferme des étudiants ukrainiens, en novembre 2013.

Par ailleurs, toute velléité de revenir à un protectorat russe a rencontré une ferme opposition de la société civile, aussi bien en 2004 qu’en 2014. Évidemment, le pouvoir pro-russe condamne ce climat pro-européen et les révolutions de Maïdan en accusant un financement direct américain ou une intrusion des agents de la CIA ou d’autres services de renseignements parmi les manifestants. Une chasse aux sorcières et l’affirmation d’un esprit « complotiste » contre la Russie ou les élites prorusses envahissent les discours politiques en Russie et en Biélorussie. Cependant, l’activité des instituts indépendants et des ONG favorisant les échanges entre l’Ukraine, les pays baltes, la Pologne et d’autres pays d’Europe centrale et orientale a permis la formation d’une identité européenne commune avec une histoire et une culture proche et portée par des valeurs communes fondamentales. En cela, les ONG sont des acteurs effectifs d’une diplomatie d’action fédérant les peuples et les dialogues. En outre, ce mouvement se poursuit en Biélorussie. Il est plus lent, mais il s’est exprimé lors des élections falsifiées en 2020. Il fragilise continuellement le destin du président auto-proclamé Loukachenko. Son homologue russe rencontre le même obstacle. L’action des deux dirigeants est semblable: avant d’ordonner des tirs, on mène une action minutieuse de destruction contre les ONG, les médias, les intellectuels.


Somme toute, les ONG et la société civile profitent de ce riche terreau constitué par des siècles de développement du droit urbain, de création d’universités, d’échanges culturels, d’un passé commun avec des multiples interactions sur les terrains de l’Europe centrale et orientale.

Le grand élargissement de l’Europe

Depuis la Seconde Guerre mondiale, la communauté européenne et l’OTAN constituent un bloc de prospérité et de sécurité. L’héritage des guerres mondiales reste lourd : les deux ont été déclenchées en Europe par les Européens et les deux ont été gagnées grâce à l’allié américain. L’Europe s’appuie donc encore sur ce dernier. Alors que les États d’Europe occidentale se reconstruisent, face à la menace soviétique, la sécurité européenne est confiée aux Etats-Unis, sous couvert d’une alliance. Les guerres en ex-Yougoslavie ne font que confirmer cette constante au XXe siècle. 

L’attitude favorable de l’Europe centrale à l’égard de l’Amérique peut surprendre, mais elle s’enracine dans l’histoire. D’abord, l’OTAN a été créée pour se défendre contre l’URSS, ce que l’Europe centrale attend depuis longtemps : elle craint toujours la proximité géographique avec un voisin menaçant[20] . Les étapes successives d’élargissement de l’OTAN et de l’Union européenne ont mis au second plan le projet d’une défense européenne. Les Etats-Unis ont tiré profit de ce cadre favorable pour intensifier leurs liens dans la région, apporter leur soutien au développement de ces pays dans plusieurs domaines et nouer avec eux des relations bilatérales. L’importance de l’OTAN pour l’Europe centrale et orientale est liée à la présence américaine favorablement accueillie dans cette région. Les gages de sécurité apportés par l’OTAN, mais aussi les Etats-Unis, restent prioritaires mais la guerre russe contre l'Ukraine pousse les pays centre-est européens à repenser leur stratégie en matière de défense. Bien qu'attachés à l’alliance transatlantique, leurs initiatives envers la défense européenne se multiplient et ils deviennent des véritables acteurs, moteurs dans ce domaine. Le nom de la Première ministre estonienne Kaja Kallas est désormais avancé, dans l’optique de la formation de la prochaine Commission européenne, comme Haute Représentante pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne.

***

Les singularités de chaque histoire et culture européenne forment un corpus riche qui mérite d’être davantage connu, pour comprendre l’Autre mais aussi pour renforcer notre communauté de destin.

Privées de liberté politique, les sociétés centre-est européennes ont appris à élargir leur champ d’action et à continuer à être Européennes. Ce n’est ni un concept, ni une appartenance nouvelle. Bien au contraire, l’appartenance à l’Europe a cheminé au milieu du système hostile et oppressif. Ceci peut expliquer pourquoi l’Europe du centre-est présente des acteurs innovants. La résistance ukrainienne, mais aussi l’inventivité de toute la société, pourtant en guerre, le choix inébranlable de la liberté et d’une philosophie de vie, - tous ces éléments ont participé à un certain réveil européen et une révision de notre vision de l’Europe centrale et orientale. 

La question de l’élargissement se pose à nouveau. Tant dans les Balkans, la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine, être Européen a pris chair. C’est un défi pour la construction européenne et le dialogue intra-européen qui atteint un point de bascule : il ne s’agit plus uniquement d’une « justice historique », mais d’une stratégie européenne et de sa souveraineté. New York, 1996.

 


[1] Convention linguistique adaptée dans notre carte géographique mentale. Plusieurs synonymes abondent : Europe centre-est, Europe médiane, Europe de l’Est. Ces propos adhèrent à la référence historiographique, proposée par Jerzy Kloczowski : « En parlant d’Europe du centre-est, ce n’est pas tant la situation géographique qui est mise en relief, c’est-à-dire le centre du continent entre l’Atlantique et la limite artificielle et conventionnelle de l’Oural, que l’appartenance, bien attestée par l’histoire, à un type de civilisation ».


[2] Voir P. Wandycz, « La guerre et la paix », in : Histoire de l’Europe du centre-est, op.cit., pp.887-888


[3] Voir J.M. Robert, O.A. Westad, Histoire du monde, vol. 3 L’Age des révolutions, éd. Perrin, Paris 2004. 


[4] Dans ses mémoires, Vaclav Havel revient sur cette période en insistant sur le fait que la vie politique ne rentrait pas dans son champ de réflexion. Il y a été porté par le sens du devoir et de l’engagement.  Vaclav Havel, A vrai dire. Livre de l’après-pouvoir, éditions de l’Aube, Paris 2006, p. 14.4


[5] Bulgarie et Roumanie deviennent membres de l’Union européenne en 2007.


[6] Dès la fin du XIXe siècle une opposition embrase l’élite à propos de l’Ukraine européenne et indépendante. Pour Mychajlo Dragomanov, l’Ukraine doit s’allier avec les libéraux russes pour bâtir son indépendance et retrouver son lien avec l’Europe. Ivan Franko, insiste sur l’incompatibilité du lien avec la Russie et de l’indépendance de l’Ukraine européenne. 


[7] Bronislaw Geremek, Nasza Europa, Cracovie, Universitas, 2012 ; Roman Kuźniar, My, Europa, Scholar, Varsovie, 2013 ; Enrico Letta, Faire l’Europe dans un monde de brutes, Fayard, Paris, 2017.


[8] Voir Catherine Horel, Cette Europe qu’on dit centrale - des Habsbourg à l’intégration européenne 1815-2004, Beauchesne, Paris, 2009.


[9] Voir Nathalie de Kaniv, « L’Université européenne : universitas et l’esprit européen, in : Souveraineté et solidarité, un défi européen, éd. du CERF, Paris 2021 ; Nathalie de Kaniv, « Université », in : La Vie de l'esprit en Europe centrale et orientale depuis 1945, dictionnaire encyclopédique,, éd. du Cerf, 2021.


[10] Voir Miloš Zelenka, L’Europe centrale dans le contexte de la géographie littéraire et symbolique, 2012


[11] Voir František Palacký ou Sandor Marai. 


[12] Voir l’ouvrage de Leonid Koutchma (ancien président de d’Ukraine), L’Ukraine ce n’est pas la Russie Kiev 2003. 


[13] Milan Kundera, La Plaisanterie, Prague, 1968.


[14] Andy Warhol ou Andrew Warhola est né de parents ruthènes originaires du village de Miková au nord-est de la Slovaquie.


[15]Vaclav Havel, A vrai dire, op.cit., pp. 15-17.


[16] Sandra Kalniete, Chantons la Liberté : la Révolution lettone et la chute de l'empire soviétique, éd. Lasitava, 2019. 


[17] Voir V. Havel, op.cit. p. 34.


[18] Rappelons le Groupe d’Helsinki, l’action de la dissidence, le mouvement des années 1960 – comme le Printemps de Prague, etc.


[19] Nathalie de Kaniv, « Universités et ONG, un terrain propice pour l’expression de la société civile en Europe de l’Est », Hermès, La Revue, vol. 89, no. 1, 2022, pp. 76-80.


[20] Voir A.W. Deporte, Europe between the Super Power. The Enduring Balance, New Haven, 1986; Political and Ideological Confrontations in Twenty-Century Europe, New York, 1996.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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