Climat et énergie
Louis Caudron
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ENLouis Caudron
Ingénieur général honoraire du Génie Rural, des Eaux et des Forêts
Soucieux de sensibiliser leur public à la gravité des effets du changement climatique, les médias associent généralement le réchauffement de la planète à l’augmentation des canicules et des sécheresses, à la fonte des glaciers et à la montée du niveau de la mer. En réalité, les effets du changement climatique sont beaucoup plus diversifiés et ils n’impactent pas de la même façon toutes les parties du monde. Il y a beaucoup de perdants, mais il y a aussi des gagnants.
Un premier exemple concerne la pluviométrie. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le réchauffement climatique ne signifie pas augmentation des sécheresses, mais augmentation des pluies. L’augmentation de la température se traduit par une augmentation de l’évaporation aussi bien sur terre que sur mer, ce qui provoque une augmentation des pluies à l’échelle mondiale. Globalement, deux tiers de la population du monde vont constater une augmentation des pluies et un tiers une diminution.
Une carte publiée par le CNRS illustre cette évolution[1]
On y voit les zones d’un bleu plus ou moins foncé, là où la pluviométrie va augmenter et les zones en orange ou jaune où elle va diminuer.
Lieux où les pluies vont augmenter
La pluie va ainsi augmenter au Canada, dans le nord des Etats-Unis, en Europe du Nord, en Russie (notamment en Sibérie), en Asie centrale, en Inde, dans le nord de la Chine, en Afrique centrale, au nord de l’Argentine. Ce sont des zones où les pluies étaient déjà assez abondantes.
Lieux où la sécheresse va s’intensifier
Les zones concernées par des sécheresses plus fréquentes sont tous les pays du pourtour de la mer Méditerranée, l’Afrique du Sud, le sud des États-Unis (notamment la Californie), le Mexique, le Brésil, l’Australie. A part le Brésil, ce sont des zones qui étaient déjà déficitaires en eau.
L’accès à l’eau potable
Actuellement, deux milliards d’habitants dans le monde, soit 25 % de la planète, n’ont pas accès à l’eau potable et environ quatre milliards, soit 50 %, connaissent à un moment de l’année des difficultés pour s’approvisionner en eau. Ils se situent pour la plupart d’entre eux dans les zones où la pluviométrie va diminuer. Le réchauffement climatique va accroître les difficultés actuelles et, pour les surmonter, il va falloir faire preuve d’imagination aussi bien pour économiser l’eau que pour stocker l’eau en période excédentaire, afin de pouvoir la retrouver et en disposer lors des périodes déficitaires.
Le cas de la France est exemplaire : toute la partie nord du pays devrait voir la pluviométrie augmenter, surtout en hiver, alors que la partie sud va connaître une diminution des pluies, surtout en été. La hauteur moyenne des précipitations est de 935 mm par an, mais avec moins de 600 mm dans la zone méditerranéenne, alors que l’on dépasse 2000 mm sur les monts du Cantal ou en Chartreuse. Au total, les pluies en France apportent 503 milliards de m3 d’eau par an. Les prélèvements effectués dans les rivières et les nappes sont de 32 milliards de m3 par an. Ils se répartissent comme suit :
- Prélèvements industriels : 8 %
- Prélèvements agricoles : 9 %
- Alimentation des voies navigables :16 %
- Alimentation en eau potable : 17 %
- Refroidissement des centrales nucléaires et thermiques : 50 %
La plupart de ces prélèvements utilisent l’eau pour un usage particulier et la rejettent ensuite dans le milieu naturel. Si l’on s’intéresse à l’eau réellement consommée, la situation est différente. La consommation totale est de 4,1 milliards de m3, avec la répartition suivante :
- Prélèvements agricoles : 57 %
- Alimentation en eau potable : 26 %
- Refroidissement des centrales nucléaires ou thermiques : 12 %
- Prélèvements industriels : 5 %
On ne peut qu’être frappé par l’écart entre les 503 milliards de m3 d’eau de pluie qui tombent en France, les 32 milliards de m3 prélevés et les 4,1 milliards de m3 effectivement consommés. Cela donne le sentiment que l’on devrait pouvoir trouver des solutions pour réduire les tensions actuelles et futures.
La situation en Europe
Au sein de l’Union européenne, l’agence européenne de l’environnement vient de publier un premier rapport qui explique que l’Europe est le continent qui se réchauffe le plus rapidement au monde et que les risques climatiques menacent sa sécurité énergétique et alimentaire, ses écosystèmes, ses infrastructures, ses ressources en eau, sa stabilité financière et la santé de ses habitants. Selon l’évaluation de l’Agence, bon nombre de ces risques ont déjà atteint des niveaux critiques et pourraient devenir catastrophiques sans une action urgente et décisive. Ce constat est partagé par le centre commun de recherches de l’Union.
Des solutions pour l’avenir
Le CNRS préconise en priorité de retenir l’eau de pluie dans les sols, plutôt que de faciliter son évacuation vers l’océan. Pendant des années, on a rectifié le lit des rivières et supprimé des méandres pour faciliter l’écoulement des eaux ; on a aussi arraché les haies qui constituaient des barrières naturelles contre le ruissellement ; on a drainé artificiellement des terres agricoles pour les cultiver plus facilement. Il faut abandonner ces pratiques et, au contraire, multiplier les obstacles au ruissellement des eaux pour faciliter leur infiltration. Cela veut dire, par exemple, labourer les terres en suivant les courbes de niveau, éventuellement créer des bourrelets en terre ou en pierres le long des courbes de niveau sur les terrains en pente, replanter des haies et, d’une façon générale, recréer des territoires-éponges.
Les réserves de substitution qui permettent de stocker l’eau excédentaire en hiver pour l’utiliser en été peuvent aussi faire partie de la solution. Si elles sont alimentées par des rivières en crue, elles ne posent pas de problème. Par contre, si elles sont alimentées par un pompage dans une nappe souterraine, il faut s’assurer que le prélèvement ne perturbera pas le fonctionnement du système hydraulique à l’aval.
Le CNRS rappelle aussi que, depuis 9000 ans, les hommes ont développé des techniques efficaces pour capter l’eau et l’utiliser pour leurs cultures. Dans la zone méditerranéenne, les qanâts constituent depuis des siècles un système efficace de captage des eaux souterraines, puis d’acheminement de ces eaux par des galeries souterraines vers les zones à irriguer.
Le sud de la France va connaître un climat plus sec, assez semblable à celui que l’on trouve actuellement au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord. Les ingénieurs auraient tout intérêt à aller étudier avec modestie les techniques employées dans ces pays pour capter et utiliser au mieux les ressources en eau.
Le changement climatique augmente aussi la fréquence et la violence des phénomènes météorologiques extrêmes. Cela veut dire que même dans les zones où les sécheresses vont augmenter, il pourra advenir que des pluies abondantes causent des inondations catastrophiques.
Effets sur le trafic maritime
Une conséquence moins connue du changement climatique concerne la modification des grandes routes maritimes.
Actuellement, les liaisons maritimes entre la Chine et l’Europe passent essentiellement par le canal de Suez ou, en cas de blocage du canal de Suez, du fait des troubles en mer Rouge actuellement, par le cap de Bonne-Espérance.
Dans un avenir relativement proche, ces liaisons pourront passer par le passage du Nord-Est, appelée maintenant la route maritime du Nord, passant par le détroit de Béring et longeant les côtes de Sibérie. A ce jour, cette route n’est praticable que des mois de juillet à octobre, soit un tiers de l’année, dans des conditions fixées par la Russie, c’est-à-dire que les navires doivent être accompagnés d’un brise-glace ou disposer d’une étrave renforcée.
En 2035, la route maritime du Nord pourrait être libre de glace toute l’année. Or la distance entre Yokohama et Rotterdam est de 7 000 km par la route maritime du Nord, contre 11 000 km par le canal de Suez et plus de 14 000 km par le cap de Bonne-Espérance.
Avec ses brise-glaces nucléaires et ses investissements dans les ports de Sibérie, il est clair que la Russie se prépare à faciliter le passage par cette route et à en tirer des recettes importantes, peut-être aussi importantes que celles que l’Egypte tire du canal de Suez.
Le cas du canal de Panama
Parallèlement, le canal de Panama connaît de graves difficultés dues au réchauffement climatique. Pour le traverser, les bateaux doivent emprunter un système d’écluses qui leur permet d’atteindre le lac Gatún à 27 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il s’agit d’un lac artificiel créé par un barrage sur le rio Chagres. Mais, ces dernières années, la diminution des pluies qui alimentent le rio Chagres a obligé les responsables du canal à réduire le nombre de navires autorisés à le traverser. En effet, le fonctionnement des énormes écluses du canal consomme beaucoup d’eau et, en été, le débit du rio Chagres n’est plus suffisant pour compenser la consommation d’eau des écluses. Comme le réchauffement climatique va augmenter ces difficultés, le gouvernement du Panama envisage de construire un barrage sur une autre rivière, le rio Indio, et d’amener l’eau au lac Gatún par un tunnel. Ce projet, qui coûterait au moins 2 milliards $, est controversé et n’a, pour l’instant, pas trouvé son financement.
Un changement plus rapide aux pôles
Plus généralement, le changement climatique est beaucoup plus rapide près des pôles que vers l’équateur. La Russie, le Canada et le Groenland vont tirer des avantages de ce changement. Les cartes ci-dessous, issues des travaux du GIEC, montrent les évolutions de température prévues dans les deux hypothèses d’une augmentation de la température moyenne de la terre limitée à 1,5°C ou atteignant 4°C.
Sachant que l’évolution actuelle nous place beaucoup plus près de la trajectoire à 4°C que de la trajectoire à 1,5°C, on constate que la température moyenne va augmenter de 6° dans une bonne partie de la Sibérie et du Nord canadien.
On a vu que la Russie compte augmenter ses recettes en organisant le passage des navires par ses eaux territoriales. Elle va aussi pouvoir aller beaucoup plus loin dans l’exploitation de ses eaux territoriales en direction du pôle. En 2035, la marine russe prévoit de disposer de treize brise-glaces, dont neuf nucléaires, ce qui lui permettra d’exploiter la plus grande partie de son domaine maritime.
La Russie va bénéficier d’autres avantages en Sibérie : grâce au réchauffement climatique, elle va augmenter de plusieurs dizaines de millions d’hectares sa surface cultivable. En outre, les zones de son territoire actuellement gelées la plus grande partie de l’année vont pouvoir être prospectées pour y trouver de nouvelles ressources (pétrole, gaz ou minéraux divers).
Le Canada et le Groenland vont connaître la même évolution positive. Les surfaces de terres gagnées grâce au réchauffement climatique représentent moins de la moitié de celles que la Russie va récupérer dans l’immense Sibérie, mais elles vont néanmoins constituer un apport essentiel. On comprend pourquoi Donald Trump a proposé au Danemark de lui racheter le Groenland.
[1] La plupart des données proviennent du n°314 de décembre 2023 du journal du CNRS
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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