Climat et énergie
Agnès Ricroch
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ENAgnès Ricroch
Enseignante-chercheuse en génétique et amélioration des plantes à AgroParisTech, Palaiseau et à l’Université Paris Saclay, Faculté Jean-Monnet, laboratoire IDEST, Sceaux, France. Secrétaire de la section Sciences de la Vie à l’Académie d’agriculture de France. Membre du Comité d’éthique de l’Ordre des vétérinaires.
Le marché des denrées alimentaires est marqué par une flambée des prix et des pénuries en raison des chocs d'approvisionnement consécutives à la pandémie de Covid-19, mais aussi à des phénomènes météorologiques extrêmes à répétition liés au changement climatique ; enfin, à des conflits géopolitiques, notamment l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Il convient d’utiliser toutes les innovations pour assurer la sécurité alimentaire, tout particulièrement, de l’Union européenne.
Les défis à relever
Combinée à la hausse du coût des intrants (engrais et produits phytosanitaires) et de l’énergie, l'augmentation des prix agricoles se répercute tout au long de la chaîne de valeur affectant les entreprises en aval ainsi que les consommateurs. Les prix des denrées alimentaires et des engrais restent supérieurs de 40 à 80 % au niveau de 2019 (avant la pandémie). La guerre entre la Russie et l'Ukraine a un impact important sur le commerce mondial des denrées alimentaires, aggravant ainsi la crise alimentaire mondiale. Avant l'invasion russe, l'Ukraine était le premier exportateur de graines de tournesol et l'un des cinq premiers exportateurs mondiaux de blé, de colza, d'orge et de maïs. La Russie est le premier exportateur mondial de blé et un important exportateur d’orge et de graines de tournesol, elle fait aussi partie des principaux exportateurs d’énergie et d’engrais. Ainsi, 23 % de la production mondiale d’ammoniaque, 14 % de l’urée et 21 % de la potasse proviennent de Russie et 18% de Biélorussie ; le Canada étant le plus grand producteur (31%) et exportateur de potasse au monde (38%), devant la Biélorussie 20% et la Russie 22%, avec les plus importantes réserves au monde.
Concernant les effets majeurs du changement climatique sur le système de production alimentaire, les méthodes agricoles sont exposées à la fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes et à la hausse des températures.
Parmi les préoccupations principales des scientifiques, on retrouve l’impact du changement climatique sur le rendement et la qualité des cultures.
Or, la production alimentaire mondiale doit augmenter de 70 % pour répondre à la croissance de la population mondiale (10 milliards de personnes potentiellement en 2050)[1]. Les terres deviennent de plus en plus impropres à la culture dans certaines régions, manquant d'eau ou bien étant inondées d'eau salée.
Il est aussi nécessaire pour l’agriculture de se décarboner, c’est-à-dire de diminuer l'utilisation d'engrais et de pesticides afin de réduire les gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique.
Accélérer la sélection végétale
Dans ce contexte d’instabilité alimentaire et pour répondre à la demande croissante de la population mondiale, il est essentiel d'accélérer la création de nouvelles variétés en sélectionnant les meilleures combinaisons de gènes : c’est la sélection végétale.
L'objectif de la sélection végétale est de produire des cultures aux caractéristiques améliorées en modifiant leurs gènes. Des modifications au niveau des gènes peuvent être apportées aux plantes pour améliorer la photosynthèse et la fixation du CO2, augmenter la masse des racines pour capter le carbone et l'eau, optimiser la croissance des plantes, permettre aux céréales d'utiliser l'azote atmosphérique, utiliser moins de produits phytosanitaires de manière durable. Les scientifiques recherchent ces nouvelles caractéristiques dans les plantes. La sélection conventionnelle y parvient en croisant des plantes présentant les caractéristiques voulues et en sélectionnant la descendance avec la combinaison de caractéristiques souhaitée, grâce à des combinaisons particulières de gènes hérités des deux parents.
Des nouvelles caractéristiques peuvent être obtenues par des mutations génétiques naturelles ou induites. Les mutations induisent des changements directement dans les gènes pour obtenir des versions différentes de ces gènes. La mutagenèse aléatoire se produit de manière naturelle. Elle peut aussi être provoquée au laboratoire en soumettant des tissus végétaux, graines, etc., à des conditions radio-induites ou chimiques permettant la génération de mutations transmissibles. Les scientifiques induisent des mutations à l’aide des rayons gamma ou UV (mutagénèse radio-induite développée depuis 1920 aux Etats-Unis) et de produits chimiques mutagènes (mutagénèse chimique utilisée depuis 1968 aux Etats-Unis).
Dans l’Union européenne, la mutagenèse est une technique exemptée de la classification des techniques des OGM (directive 2001/18/CE). Les scientifiques peuvent ajouter un ou plusieurs nouveaux gènes au génome d'une plante cultivée : c’est la technique de transgénèse, l’organisme est alors classé comme un OGM. Cette technique a été découverte en 1983 par des scientifiques belges et allemands. L’ajout de gènes ne se fait pas à un endroit précis du génome, les gènes pouvant provenir de la même espèce ou d’espèces apparentées ou encore d’autres espèces appartenant à des règnes différents (on parle alors d’ADN étranger).
Les nouvelles techniques génomiques
Ces New Genomic Techniques (NGT) utilisent des outils précis pour modifier les gènes (appelée édition de gènes) avec des applications biotechnologiques prometteuses. L’appellation NGT est celle en vigueur depuis 2021 dans l’Union européenne, qui utilisait auparavant celle de New Breeding techniques (NBT).
Ces techniques utilisent CRISPR-Cas, Talen, ZFN[2], comme outils provoquant des cassures d’ADN ciblées à un endroit précis du génome pour modifier un gène, échanger un gène avec un autre ou bien ajouter de nouveaux gènes. Parmi les NGT, la plus commune est CRISPR-Cas appelé « ciseaux génétiques » dans le langage courant. CRISPR, que l'on trouve naturellement dans les bactéries, est une famille de séquences d'ADN qui, lorsqu'elle est associée à une séquence d'ARN guide et à une protéine associée à CRISPR (Cas), une nucléase, est capable de couper l’ADN à un endroit ciblé du génome. CRISPR-Cas est révolutionnaire et connaît un grand succès auprès des scientifiques publics et privés. Le prix Nobel de chimie fut décerné en 2020 à la Française Emmanuelle Charpentier du Max Planck Institute à Berlin et à l’Américaine Jennifer Doudna de l’université de Berkeley qui l’ont découverte en 2012. Elle n'est pas très coûteuse et est rapide à mettre en œuvre.
Des nouvelles formes de brevetabilité pour protéger l’innovation
C'est pourquoi il y a tant de brevets déposés dans le monde : la Chine, les États-Unis et la Corée du Sud sont très loin devant l'Union européenne[3]. Au sein de cette dernière, dans l’ordre, on trouve l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, la Belgique, l’Italie, la France et la Pologne qui déposent de brevets avec CRISPR et, hors-UE, le Royaume-Uni.
Les universités détiennent la plupart des brevets clés utilisant la technologie CRISPR nécessaire aux applications allant de l’agriculture à la thérapie humaine. La biotechnologie des NGT est déjà utilisée par de nombreuses équipes dans les laboratoires publics[4]. Le rôle du secteur public est important pour la détention des brevets clés de la technologie CRISPR. Les brevets clés n'ont pas de substituts économiquement viables ; une partie d’entre eux a besoin d'une licence pour utiliser le droit de propriété intellectuelle. Il est possible de procéder à des modifications multisites en utilisant des NGT dans le même génome, comme le pyramidage des transgènes.
La biotechnologie avec les NGT, surtout dans l'agriculture, est une industrie lucrative et sa croissance va se poursuivre. Plus de 11 000 demandes de brevet liées à CRISPR-Cas ont déjà été déposées dans le monde entier[5], ce qui a amené certains États membres de l'Union européenne à exprimer leurs préoccupations quant à la complexité du paysage des brevets pour les NGT.
Des initiatives se mettent en place comme la nouvelle plateforme collaborative de brevetabilité, Agricultural Crop Licensing Platform (ACLP). Située à Bruxelles, cette plateforme de licences pour les cultures agricoles est ouverte à toutes les organisations du secteur privé ou public impliquées dans la sélection végétale ou la recherche et le développement de caractères, issues des trente-neuf États de l'Office Européen des Brevets (ainsi que la Russie et l'Ukraine). L'initiative est actuellement menée par neuf entreprises européennes de sélection végétale et de développement de caractères, représentant un large éventail de cultures agricoles et comprenant des petites, moyennes et grandes entreprises. L'ACLP est financée par les cotisations de ses membres.
Le certificat d’obtention végétale (COV) en vigueur dans l’Union européenne et dans de nombreux pays du monde protège la variété pendant vingt-cinq ou trente ans par la Convention UPOV. Cette protection n'étant pas un brevet, elle permet aux sélectionneurs d’échanger les variétés pour les améliorer. C’est « l'exception de sélection » qui permet au sélectionneur d'utiliser une variété - protégée par COV - pour créer librement sa nouvelle variété, sans aucune autorisation ou rémunération du propriétaire de la variété protégée ; un tel dispositif favorise la recherche et le progrès incrémental tout en maintenant la protection de la variété initiale. Si la variété - protégée par COV - contient un gène breveté, le sélectionneur doit payer une redevance (royalty) au détenteur du brevet. Si elle contient une dizaine de gènes brevetés, il deviendra compliqué de payer les royalties.
Les applications avec les NGT
Le faible coût au laboratoire des NGT (surtout CRISPR-Cas) et leur production rapide permettent non seulement aux entreprises privées et aux multinationales, mais aussi aux consortiums public-privé ou aux petites et moyennes entreprises, de développer de nouvelles applications,
Les innovations dans le domaine de la sélection végétale utilisant les NGT sont rapides et permettent de trouver de nouvelles solutions comme des plantes résistantes à des ravageurs ou à des maladies, tolérantes à des stress abiotiques (sécheresse), de qualité nutritionnelle (amidons et graisses modifiés à des fins alimentaires et non alimentaires), avec une meilleure conversion de la biomasse pour les biocarburants.
L'édition de gènes permet d’accélérer considérablement les programmes de sélection par rapport à la sélection conventionnelle. Deux variétés sont actuellement commercialisées : une tomate enrichie en GABA (un acide aminé qui diminue l’hypertension) par l’entreprise Sanatech Seed et l’université de Tsukuba au Japon et un soja à teneur réduite en acides gras trans par l’entreprise Calyxt aux Etats-Unis (la filiale de l’entreprise française Cellectis).
En sélection animale, CRISPR-Cas est surtout utilisée pour la résistance à des maladies chez le porc en Chine (peste porcine africaine) ainsi que le bien-être des éleveurs et des animaux avec des vaches dépourvues de cornes de l’université de Davis aux Etats-Unis. L’agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux - Food and Drug Administration (FDA) - a autorisé en 2020 la première modification génomique intentionnelle de porcs domestiques à des fins d'alimentation humaine et à des fins thérapeutiques potentielles ; la modification vise à éliminer le sucre alpha-gal à la surface des cellules de porc (les personnes atteintes du syndrome alpha-gal peuvent avoir des réactions allergiques à ce sucre présent dans la viande). Au Royaume-Uni, l’université d’Edimbourg étudie avec CRIPSR-Cas9 le rôle de gènes spécifiques dans l'infection par le virus de la grippe ainsi que dans l'infection par d'autres pathogènes importants dans les génomes du poulet et du porc. En thérapie humaine, les essais sont en cours pour soigner certains cancers ou certaines maladies neurodégénératives ; ces pistes de recherches prometteuses sont surveillées sur le plan éthique, la modification de l’hérédité transmissible (modification des cellules germinales) étant interdite dans le monde.
Quelles sont les réglementations des nouvelles techniques génomiques dans le monde ?
À l'heure actuelle, la majorité des pays ne réglemente pas explicitement les OGM. Dans l’Union européenne, les plantes transgéniques sont classées comme des OGM selon la directive de 2001 précitée. Plusieurs pays mettent en place une réglementation souple des plantes issues des NGT sur la base du protocole de Cartagena de 2000 qui définit un organisme vivant modifié comme « tout organisme vivant qui possède une combinaison inédite de matériel génétique obtenue par recours à la biotechnologie moderne », en mettant l'accent sur la nouveauté d'une séquence (re)combinée. La plupart des pays dotés actuellement d'une réglementation fondent la classification sur l'absence d'ADN étranger ajouté dans le produit final issu des NGT.
Les organismes sans ADN étranger (mais avec une modification d’un gène ou un remplacement de gène par un autre) ne sont pas considérés comme des OGM. Les pays qui ont déjà une réglementation sur les NGT la base sur l’absence d’ADN étranger ; ces pays sont l'Argentine en 2015, le Chili en 2017, le Brésil et la Colombie en 2018, le Paraguay, le Honduras, le Guatemala et le Salvador en 2019, le Japon en 2019, les États-Unis en 2021, la Chine en 2022, l’Inde en 2023, le Royaume-Uni en 2023.
Depuis 2015, le Canada a adopté une approche différente de la réglementation sur les NGT ; son système utilise le concept de « nouveauté » pour évaluer s'il est nécessaire de réglementer les nouvelles cultures, quelle que soit la méthode de sélection utilisée. Le Canada a indiqué que la « modification génétique » ne se limitait pas aux technologies de recombinaison de l'ADN, mais qu'elle pouvait également inclure la sélection conventionnelle, la mutagénèse et les technologies émergentes de génie génétique, telles que l'édition du génome.
Dans l’Union européenne, des États membres font déjà des essais avec les NBT
Il est pratiquement impossible d'obtenir de la Commission européenne l'autorisation de cultiver un produit de type OGM (sauf en Espagne et au Portugal où est autorisée la culture OGM du maïs résistant à un insecte, la pyrale) mais la Commission autorise l’importation d’OGM. Cinq États membres, dont d’importants pays agricoles, interdisent aux chercheurs publics ou privés de conduire des essais au champ de plantes OGM ou éditées avec les NGT : la France, l’Allemagne, la Grèce, Chypre et l’Estonie. En juin 2023, l’Italie a décidé de conduire des essais avec des NGT alors que jusqu’ici elle interdisait les essais avec les OGM et les plantes issues des NGT. Pour des raisons politiques, la France (en 2008) et l’Allemagne (en 2009) ont interdit de cultiver des OGM au champ même si les expérimentations au laboratoire sont autorisées, il n’y a pas d’essais au champ ni avec la transgénèse ni avec des NGT.
Dans l’Union européenne, six États membres conduisent en 2023 des essais avec les biotechnologies de transgénèse ou de NGT : la Suède (cinq essais d’OGM et cinq essais avec les NGT), la Belgique (deux d’OGM et quatre essais avec les NGT), la République tchèque (trois essais d’OGM), les Pays-Bas (deux essais d’OGM), le Danemark (deux essais avec les NGT), la Roumanie (un essai d’OGM). L’Espagne, bien que favorable aux essais (elle en a lancé de nombreux les années précédentes), n’en conduit pas. Donc seuls trois États membres conduisent des essais au champ sur les plantes éditées avec des NGT : la Suède (cinq essais), la Belgique (quatre) et le Danemark (deux).
En dehors de l’Union européenne, en 2023, trois pays conduisent des essais : le Royaume-Uni (deux essais d’OGM et trois essais avec les NGT), la Suisse (trois essais d’OGM) et l’Islande (un essai d’OGM). Le Royaume-Uni a adopté sa législation sur les NGT en mars 2023 (intitulée Precision Breeding) pour faciliter la commercialisation de produits modifiés par NGT et a toujours conduit des essais de plantes transgéniques.
Les étapes de la Commission européenne pour adopter un texte réglementaire
En 2018, la Cour de justice de l'Union européenne, suite à l’arrêt dans l'affaire C-528/16, a statué que l'édition par les NGT relevait de la Directive 2001/18/CE couvrant les OGM (les juges statuant que les plantes éditées doivent être réglementées comme les organismes transgéniques). L'année suivante, le Conseil a demandé à la Commission d'étudier la question. Le 29 avril 2021, celle-ci a publié une étude sur le statut des NGT qui les définit comme des « techniques capables de modifier le matériel génétique d'un organisme qui sont apparues ou ont été développées depuis 2001 », c'est-à-dire après l'adoption de la législation européenne existante sur les OGM. Les NGT comprennent CRISPR-Cas et d’autres techniques. Cette étude concluait que la législation existante sur les OGM n'était pas adaptée à l'édition de gènes avec les NGT et freinait le développement de cultures innovantes.
En septembre 2021, la Commission a publié une feuille de route sur l'initiative visant à établir un nouveau cadre juridique pour les plantes obtenues par mutagénèse et cisgénèse ciblées et pour leurs produits destinés à l'alimentation humaine et animale. La cisgénèse est une technique qui permet de transférer artificiellement des gènes entre des organismes d’une même espèce. Cette feuille de route s'appuie sur les conclusions de l’étude de la Commission sur les NGT en vertu du droit de l'Union, notamment à la lumière de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. D’avril à juillet 2022, la Commission a organisé une consultation publique (80 % des réponses étaient en faveur d’un changement de réglementation et 17 % contre par des ONG connues pour leurs positions hostiles aux OGM et nouvelles biotechnologies), à la suite de laquelle elle a déposé une proposition de règlement publiée le 5 juillet 2023. L'objectif est de permettre l'innovation dans le système agroalimentaire tout en maintenant un niveau élevé de protection de la santé humaine, animale et de l'environnement, et de contribuer aux objectifs du pacte vert européen et de la stratégie « de la ferme à la fourchette » ainsi qu'aux stratégies en matière de biodiversité et aux objectifs de développement durable des Nations unies pour un système agroalimentaire durable.
En ce qui concerne la propriété intellectuelle et la protection par brevet des inventions biotechnologiques (en vertu de la directive 98/44/CE), l'étude de l'Union en 2021 a reconnu les avantages des brevets et des licences dans la promotion de l'innovation et le développement des NGT et de leurs produits. Le paysage des licences se développe rapidement avec des accords de licence, certains exclusifs, d'autres non exclusifs, sur une gamme variée de technologies CRISPR et de domaines d'application, de l'agriculture à la thérapeutique.
Dans l'Union européenne, l'édition de gènes, comme la transgénèse, est jusqu’alors réglementée en vertu de la directive 2001/18/CE sur les OGM. Le coût élevé de la réglementation, ainsi que le temps nécessaire pour compléter le dossier d’un OGM, pourraient constituer des obstacles à l'innovation. En Europe, le coût d’un dossier d’homologation d’un OGM se situe entre 11 et 17 millions €[6]. En Amérique du Nord, le coût de la découverte, du développement et de l'autorisation d'un nouveau caractère gouverné par un gène est de 115 millions $ (dont 10,3 millions $ de frais pour les affaires réglementaires). Un dossier d’homologation contient des données fournies par le sélectionneur prouvant l’innocuité de l’OGM pour la santé humaine et animale et pour l’environnement, ce sont des tests au laboratoire et au champ dans plusieurs sites et sur plusieurs années. L'édition de gènes permet aux scientifiques d'apporter des modifications ciblées à l'ADN et de modifier une plante beaucoup plus rapidement qu'avec la sélection conventionnelle ou la transgénèse. Pour cette raison, il est impératif que les institutions européennes parviennent à élaborer un texte clair sur l’utilisation des NGT.
Le projet de législation européenne des NGT
Le 5 juillet 2023, la Commission européenne a proposé de faciliter la recherche et la commercialisation des plantes éditées avec les NGT. Ce projet vise à accélérer la recherche pour renforcer la résistance des cultures au changement climatique (sécheresse), à des ravageurs et des maladies et à développer des plantes nécessitant moins d'engrais ou des agro-carburants. Il fait partie d'un ensemble de mesures juridiques plus larges visant à promouvoir l'utilisation durable des ressources naturelles et qui comprend également des dispositions relatives à la surveillance de la santé des sols et à la réduction du gaspillage alimentaire.
L’idée est d'exempter les plantes éditées de la législation actuelle sur les OGM si elles sont équivalentes à celles qui pourraient être obtenues par la sélection végétale conventionnelle (croisement entre plantes par exemple). Les scientifiques ou les entreprises devront démontrer que les plantes éditées sont identiques aux plantes conventionnelles. Le temps et le coût nécessaires à l'évaluation des OGM sont excessifs ; le seront-ils pour les plantes issues des NGT ? Selon le projet, les plantes éditées ne nécessiteraient pas de longues et coûteuses évaluations des risques potentiels pour la santé humaine ou l'environnement, ce qui permettrait aux développeurs de les mettre sur le marché beaucoup plus rapidement que les OGM. De nombreuses cultures modifiées arriveraient ainsi sur le marché au cours des prochaines années.
Le projet de législation autorise les scientifiques à utiliser les NGT pour ajouter des gènes, si ces gènes existent déjà dans ce que l'on appelle le pool génétique de l'obtenteur (constitué des espèces qui se croisent entre elles, ces gènes ne seraient pas considérés comme de l’ADN étranger). Cette flexibilité est intéressante, car l’ajout de gènes peut avoir des effets plus sophistiqués que la simple suppression d'un gène par une mutation. Mais, cette flexibilité est insuffisante, car déplacer des gènes d’une autre espèce en dehors du pool permet des applications prometteuses (résistance à des pathogènes par exemple, comme elle est obtenue par transgénèse dans le cas des OGM).
En revanche, ce projet de législation interdit toujours les plantes éditées par les NGT dans l'agriculture biologique et exige que ces semences éditées soient étiquetées. Par conséquent, les entreprises et autres développeurs devront enregistrer les cultures et leurs caractéristiques dans une base publique de données. Ces plantes peuvent être cultivées dans l’agriculture raisonnée qui utilisent peu ou pas d’intrants. De plus, une agriculture raisonnée associée à l’utilisation de plantes issues de NGT pourrait s’avérer respectueuse de l’environnement et du climat tout en garantissant de bons rendements à des prix abordables au plus grand nombre de consommateurs.
Hélas, le changement n’est pas pour demain, car l’approbation de cette nouvelle réglementation sur les NGT par le Parlement européen et le Conseil pourrait prendre plusieurs années.
Quelle serait la meilleure réglementation pour l’Europe ?
Si l’Europe veut profiter des avantages de l'édition de gènes et obtenir rapidement de nouvelles variétés, cette réglementation ne doit pas entraver les recherches des scientifiques en sélection végétale par des coûts prohibitifs.
L’idéal pour l’Europe serait une réglementation basée sur le produit et non sur la technique, car celle-ci évolue plus vite que la réglementation. Quelle que soit la technique d’obtention (croisement entre deux plantes, greffe, bouturage, mutagénèses radio-induite ou chimique, transgénèse, ou NGT), le produit final (la plante et son nouveau caractère) serait évalué, à l’instar de la règlementation en vigueur au Canada. L’évaluation consiste toujours à déterminer les avantages et les risques vis-à-vis de la santé humaine ou animale ou de l’environnement. Une telle réglementation rendrait les États membres compétitifs face aux autres pays ayant déjà une règlementation souple (Etats-Unis, Canada, Chine, etc.) pour produire leurs propres plantes, adaptées à leurs besoins et aux conditions de sol et de climat, pour en exporter certaines plutôt que d’importer des plantes ou des produits issus des NGT.
En attendant une telle réglementation basée sur le produit, efficace et souple, des collaborations étroites entre pays conduisant des essais au champ et ceux qui n’ont pas le droit d’en conduire devraient s’établir, car la liberté des scientifiques des secteurs public ou privé doit être respectée et l’originalité de leur recherches explorée pour relever les nombreux défis. Les règles du jeu devraient être les mêmes pour tous les Etats membres tout en protégeant les recherches du vandalisme. Il est impératif de soutenir les jeunes entreprises innovantes, maintenir les petites et moyennes entreprises en Europe, faire en sorte que les scientifiques ne délocalisent pas leurs essais au champ en dehors d’Europe et éviter ainsi la fuite des cerveaux et la perte d'emplois dans un secteur en plein essor.
[1] van Dijk M., Morley T., Rau M.L. et al. (2021). A meta-analysis of projected global food demand and population at risk of hunger for the period 2010–2050.
[2] CRISPR (clustered regularly interspaced short palindromic repeats; Talen (transcription activator-like effector nuclease), ZFN (zinc-finger nuclease)
[3] Ricroch A., Martin-Laffon J., B. Rault, V. C. Pallares & Kuntz M. (2021). Next biotech plants: new traits, crops, developers, and technologies for addressing global challenges.
[4] The Crop Transformation and Genome Editing platform (Biotechnology Resources for Arable Crop Transformation) au John Innes Centre (UK); à l’université Heinrich-Heine (DE); Vlaams Instituut voor Biotechnologie de l’université de Gand (BE) : pour ne citer que les instituts pionniers en Europe.
[5] Ricroch A., CRISPR Processes Patents in Green Biotechnology: Collaborative Licensing Models.
[6] Menz J., Modrzejewski D., Hartung F., Wilhelm R. and Sprink T. (2020). Genome Edited Crops Touch the Market: A View on the Global Development and Regulatory Environment.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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