Liberté, sécurité, justice
Jack Stewart
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ENJack Stewart
Chargé de mission pour l’état-major du service de l’accès au droit, à la justice et de l’aide aux victimes du ministère de la Justice
L’accroissement d’une criminalité de plus en plus transnationale met en avant la nécessité de créer davantage de coopération judiciaire internationalisée en matière pénale afin de lutter efficacement contre ce phénomène. L’Union européenne semble l’avoir compris aux fins de sécuriser son marché intérieur. En effet, le 9 août 2024, l'enquête Goliath a conduit à l'inculpation de trois dirigeants d'un groupe criminel international, par le tribunal régional de Düsseldorf, pour une fraude à la TVA de 93 millions €. Cette enquête témoigne d’une immense avancée de la construction européenne. Menée par le bureau régional du Parquet européen à Hambourg, elle révèle que les suspects exploitaient les règles européennes sur les transactions transfrontalières, exonérées de TVA, pour échapper à leurs obligations fiscales[1]. L'enquête a mobilisé les polices de plusieurs pays européens, dont la France, l'Allemagne, la Hongrie, la Lituanie. Malgré une couverture médiatique très légère, une telle information est réconfortante car la fraude à la TVA est un véritable fléau européen. Œuvrer dans ce cadre apparaît donc comme primordial.
La prise de conscience de ce problème et la réussite de cette enquête résultent du fait que le droit pénal a dépassé le monopole uniquement régalien. À partir du moment où ce droit a pour objectif de réprimer des actions et comportements pour protéger la société, il semble naturel qu’il s’articule autour de la législation édictée au niveau de l’Union européenne et sa vision exigeante de l’État de droit. Afin d’en comprendre les nuances et le caractère indispensable, il faut avoir un regard sur la compétence de l’Union européenne en matière pénale, son principe fondateur, ses instruments concrets et, enfin, ses structures qui permettent des avancées essentielles pour la construction européenne.
L’harmonisation permise par le marché commun – ce qui est « bon » pour un État membre l’est aussi pour les autres
À leurs débuts, les Communautés européennes n’avaient pas de compétence législative en matière pénale. Elles avaient alors une vocation exclusivement économique et politique. La Cour de justice des communautés européennes (CJCE) reconnait, dans l’arrêt dit Casati, qu’en principe, « la législation pénale et les règles de la procédure pénale restent de la compétence des États membres ». Or, la répartition des compétences matérielles entre les Communautés et les États membres amène forcément à une certaine perméabilité de la sphère pénale nationale quant à l’influence du droit européen.
Dans un premier temps, le droit communautaire influence les législations nationales afin d’éliminer les entraves à la libre circulation au sein du marché intérieur. En d’autres termes, s’il existe une violation illégitime de cette liberté, résultant du droit interne, l’État a l’obligation de ne pas appliquer sa norme ou de l’abolir. Cela découle du principe de primauté.
L’arrêt dit « Cassis de Dijon » avait ouvert la voie en 1978. Malgré l’union douanière de 1968, l’administration fédérale allemande du monopole des alcools avait décidé d’interdire à l’importation et à la vente sur son territoire la liqueur de cassis de Dijon. Saisie du dossier, la CJCE pose le principe essentiel de reconnaissance mutuelle entre États membres. En d’autres termes, en l’absence de réglementation communautaire, un État membre reconnaît un produit légalement produit et commercialisé dans un autre État membre. Sauf « raison impérieuse d’intérêt général », par exemple un motif d’ordre sanitaire, précise l’arrêt, ce qui n’était pas le cas de la liqueur objet du litige. Il appartient donc au juge national, même en matière pénale, « d’écarter l’application d’un texte d’incrimination de droit interne lorsqu’il méconnait une disposition du Traité des Communautés européennes »[2].
Plus récemment, l’arrêt dit « Kanavape » permet d’apporter une concrétisation de cette influence du droit du marché commun. En 2014, la législation française prohibe la commercialisation du CBD sur son territoire. Deux commerçants sont condamnés sur ce fondement. Dans un arrêt du 19 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) estime, dans une question préjudicielle, que cette incrimination est incompatible avec le droit de l’Union, car constituant une entrave disproportionnée et illégitime à la liberté de circulation d’un produit qui n’est pas qualifié de stupéfiant. Cette position est, par la suite, admise et réceptionnée dans l’ordre juridique français. Consécutivement à la décision de la CJUE, la chambre criminelle de la Cour de cassation admet que « le principe de la libre circulation des marchandises s’oppose à une réglementation nationale interdisant la commercialisation du CBD légalement produit dans un autre État membre »[3].
Ainsi, le droit européen résonne avec le droit pénal des États membres s’il existe un lien concret avec les libertés accordées à son marché intérieur. Cela se manifeste clairement à l’occasion de litiges nécessitant un éclairage de la Cour de Luxembourg. Au fur et à mesure de sa construction, l’extension des domaines de compétence de l’Union européenne s’est faite grâce à ce que l’on appelle le dialogue des juges, sur la base des dispositions des traités.
Les ambitions d’un espace de liberté, de sécurité et de justice européen
Depuis le Traité de Maastricht du 7 février 1992, l’Union européenne se compose de trois piliers dont chacun revêt des compétences légistiques différentes. Il n’était pas question de voir émerger un véritable droit pénal européen, mais l’objectif annoncé était de créer « un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontière » (article 3 TUE). Pour renforcer cette mobilisation, le Traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997 introduit la décision-cadre, un instrument à vocation de coopération pénale, qui oblige les États membres à atteindre certains objectifs tout en leur laissant une marge de manœuvre[4].
L’harmonisation des législations pénales se concrétise enfin en droit primaire lors de la signature du Traité de Lisbonne, le 17 décembre 2007. Celui-ci met fin à la division en trois piliers de l’Union et opte pour une conception unitaire de sa compétence législative. Dans le même temps, les signataires le dotent d’une aptitude à légiférer en matière pénale. Premièrement, l’espace de liberté, de sécurité et de justice est l’une des compétences partagées entre l’Union européenne et ses États membres[5]. Ensuite, le chapitre 4 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est dédié à la coopération pénale.
Son article 82 autorise le Parlement européen et le Conseil à prendre des directives afin d’établir un rapprochement de règles minimales en matière de procédure pénale applicable aux domaines criminels ayant une dimension transfrontière, notamment en ce qui concerne l’admissibilité mutuelle des preuves, les droits des personnes dans ladite procédure et les droits des victimes. Tout autre élément pourrait entrer dans cette catégorie après identification du Conseil à l’unanimité et l’approbation du Parlement européen. Son article 83 accorde une compétence législative à l’Union européenne dans le domaine du droit pénal matériel. Il confère au Parlement et au Conseil le pouvoir d’établir, par voie de directives, des règles minimales relatives à la définition des infractions et des sanctions dans certaines branches de la criminalité, quand celle-ci est particulièrement grave et revêtant une dimension transfrontière. Il existe une liste non exhaustive qui permet à l’Union européenne de définir matériellement et de prévoir des sanctions pour certaines infractions dont le terrorisme, la traite des êtres humains, le trafic illicite de drogues ou la corruption. Après approbation du Parlement européen, le Conseil peut adopter une décision à l’unanimité pour étendre les compétences pénales matérielles de l’Union européenne à d’autres faits remplissant les critères mentionnés[6].
En guise d’exemple, la directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2017, relative à la lutte contre le terrorisme, énumère un certain nombre de définitions matérielles d’infractions pouvant être qualifiées d’actes terroristes. Ainsi, son article 5 mentionne la provocation publique à commettre un acte terroriste. Ici, le législateur européen la caractérise comme une « diffusion ou tout autre forme de mise à la disposition du public, par quelconque moyen, en ligne ou hors ligne, d’un message avec l’intention d’inciter à la commission d’une des infractions terroristes (énumérés en amont au sein de l’article 3), lorsqu’un tel comportement incite, directement ou indirectement, à commettre un acte terroriste, créant ainsi le risque qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises ».
En définitive, l’Union européenne se donne les moyens pour renforcer une harmonisation dans le domaine du droit pénal procédural et matériel. Elle est passée d’un statut d’organisation supranationale « influente » à « potentiellement génératrice de droit pénal ». Cette compétence législative européenne reste toutefois encadrée par la souveraineté étatique de ses membres mais aussi par les principes de proportionnalité et de nécessité.
L’égalité souveraine des États comme principe fondateur du droit pénal de l’Union
Les traités européens sont adoptés par les États membres, égaux en droit. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’article 82§1 TFUE disposant que « la coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement des législations ». Un juge d’un État membre admet les décisions et les effets d’une tierce juridiction d’un autre État membre, par principe. La fondation de l’Union autour de valeurs communes, telles que « le respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit… » (article 2 TUE) témoigne que les États membres sont en mesure de fournir une protection équivalente des droits fondamentaux[7].
Cette traduction de l’État de droit européen constitue l’élément moteur de la coopération et de l’harmonisation pénales, les décisions prises par une autorité judiciaire d’un État membre peuvent être exécutées – si nécessaire - directement par une autorité judiciaire d’un autre État membre sans que cette dernière ne procède à un contrôle de la décision. Dit autrement, si un criminel d’un État membre condamné fuit dans un autre État membre, il est nécessaire que les autorités de ce dernier État aident le premier État à appliquer sa justice.
Reconnaître cette nécessaire coopération permet de surmonter les difficultés liées à la coopération judiciaire classique, de rapprocher concrètement les législations en matière pénale et de renforcer le système de la libre circulation. En effet, la coopération judiciaire traditionnelle repose sur une requête d’un État vers un autre sur une base bilatérale avec des enjeux diplomatiques entrant en ligne de compte. Cependant, cela ne correspond pas à l’ambition communautaire initiale. La libre circulation des personnes inclut la libre circulation des décisions de justice – le cas des infractions routières indiscutables est particulièrement aisé à saisir sur ce point.
Les États membres sont donc astreints, en principe, à reconnaître les décisions étrangères. C’est une première étape indispensable. Dorénavant, il est impératif de se pencher sur les nécessaires instruments et les mesures visant à rapprocher et à harmoniser les législations pénales de ses membres.
Les instruments de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice
La décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et la directive du 3 avril 2014 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale disposent que les États membres exécutent ces instruments « sur la base du principe de reconnaissance mutuelle ».
Le mandat d’arrêt européen
Les circonstances de l’adoption du mandat d’arrêt européen illustrent bien la nécessité qui caractérise cette harmonisation européenne. La destruction des tours du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001, par deux avions dont l’équipage a été pris en otage par les membres d’une organisation terroriste suscite une mobilisation sans précédent. Convoqué en urgence, le Conseil Justice (JAI) du 20 septembre 2001 estime que « la gravité des événements récents conduisent l’Union à accélérer la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (…) ». L’harmonisation est alors plus que nécessaire : l’article 29 TUE pose comme objectif de l’Union « d’offrir aux citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité et de justice, en élaborant une action en commun entre les États membres dans le domaine de la coopération policière et judiciaire, en prévenant (…) le terrorisme et en luttant contre ce phénomène ». La décision-cadre matérialise la nécessité de remplacer, dans les relations entre États membres, tous les instruments antérieurs relatifs à l'extradition.
Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté, telle qu’une condamnation à un internement psychiatrique.
En France par exemple, la compétence d’émission revient au Ministère public. Il peut émettre ce mandat pour des faits punis d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an ou, en cas de condamnation, lorsqu’une peine a été prononcée et qu’elle est d’au moins quatre mois. Ce document écrit se compose de plusieurs informations dont l’identité de la personne recherchée, le jugement exécutoire, la nature et la qualification légale de l’infraction, la description des circonstances de l’infraction ou la peine prononcée. Son effet est la remise de la personne devant les autorités de l’État qui la réclame pour qu’elle soit poursuivie ou qu’elle exécute sa peine en fonction des faits visés par le mandat. Il est important de noter que l’État qui reçoit la demande est en droit de la refuser mais uniquement pour des motifs prévus par son instrument légal. De ce fait, la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen prévoit trois motifs de non-exécution obligatoire, dont l’un est si la personne était âgée de moins de 13 ans à l’époque des faits, et sept motifs de non-exécution-facultative dépendant du bon vouloir du juge (articles 3 et 4). Il est possible de constater que l’exécution d’un mandat d’arrêt européen est le principe et son refus est l’exception. L’inculpé le plus médiatisé en matière de mandat d’arrêt européen est Salah Abdeslam, à l’origine des attentats de 2015 à Paris et 2016 en Belgique, arrêté en région bruxelloise.
Le mécanisme de lutte contre le terrorisme a rapidement amené à la coopération européenne des policiers et des juges. Cette coopération se traduit par une entraide et est donc permise par des instruments a posteriori avec le mandat d’arrêt européen, puis a priori avec la décision d’enquête européenne.
La décision d’enquête européenne
Le 3 avril 2014, est adoptée une directive ayant pour objectif de faciliter les enquêtes pénales transfrontières et l’obtention de preuves sur le territoire d’autres États membres de l’Union européenne. « La décision d’enquête européenne est une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre – l’État d’émission – afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre – l’État d’exécution – en vue d’obtenir des preuves conformément à la présente directive » explique son article 1.
Elle permet également d’empêcher provisoirement sur le territoire de l’État d’exécution toute opération de destruction ou de déplacement d’éléments susceptibles d’être utilisés comme preuve. Enfin, elle peut avoir pour objet le transfèrement temporaire d’une personne détenue dans l’État d’émission afin de permettre la réalisation d’actes exigeant sa présence. C’est le bon déroulement de la procédure, entendu en commun lorsque les affaires concernent plusieurs États membres, qui assure une décision juste et conforme aux exigences de l’État de droit. Selon un rapport de la Commission européenne du 20 juillet 2021 sur la mise en œuvre de la directive mentionnée, il est indiqué que « dans la majorité des États membres, les autorités compétentes pour l’émission de décisions d’enquête européenne sont les parquets, les juges d’instruction ou les juridictions »[8].
La décision contient diverses informations dont les données concernant l’autorité d’émission, l’objet et les motifs de la décision, les informations sur la personne concernée, la description de l’acte délictueux, la description des mesures d’enquêtes demandées et des preuves à obtenir. Ses motifs de non-exécution sont au nombre de huit, dont l’existence d’une immunité ou d’un privilège au titre du droit de l’État d’exécution rendant impossible la mise en œuvre de la décision d’enquête ou en cas de risque de nuire à des intérêts nationaux essentiels en matière de sécurité (article 11). Mais, là encore, l’exécution est le principe et la non-exécution doit être strictement motivée. À titre illustratif, en Bulgarie, un individu a été poursuivi pour participation à une organisation criminelle liée à des infractions fiscales. Il est accusé d’avoir importé du sucre d’autres États membres, notamment en République tchèque par le biais d’une société, puis de l’avoir vendu en Bulgarie sans payer la TVA et en présentant de faux documents. Le tribunal pénal spécialisé de Bulgarie (Spetsializiran nakazatelen sad) a, le 11 mai 2017, émis une décision d’enquête européenne pour que les autorités tchèques puissent effectuer des perquisitions, saisies et une audience du dirigeant de la société écran. Toutefois, celles-ci ont remarqué que le droit bulgare ne prévoit aucune voie de recours contre des décisions ordonnant la réalisation des actes mentionnés, ni contre l’émission d’une décision d’enquête européenne. Ainsi, en vertu de l’article 11 f) de la directive 2014/41/UE, les autorités tchèques ont refusé d’exécuter la décision bulgare car il existait des motifs sérieux de croire que l’exécution de la mesure d’enquête serait incompatible avec les obligations de l’État d’exécution conformément à l’article 6 TUE et à la Charte des droits fondamentaux, notamment son article 47 sur le droit à un recours effectif[9].
Le documentaire « Escort-girl », co-produit en 2013 par la Fondation Robert Schuman avec le soutien de la Commission européenne, illustre tout particulièrement la coopération judiciaire et policière en Europe avec le suivi du démantèlement d'un réseau de prostitution à travers l'Europe qui proposait des escort girls recrutées en ligne dans les pays d'Europe de l'Est. Cinq pays sont alors impliqués (France, Hongrie, Roumanie, Chypre et la République tchèque) et près de trois ans ont été nécessaires pour la réalisation du documentaire[10].
Comme la réflexion juridique, l’activité judiciaire sur cet instrument est intense ; même si elle se fait loin du bruit de la vie politique médiatisée, elle est à l’image de cette partie de la construction européenne comme illustration de la coopération entre États égaux et unis face à l’adversité.
Une coopération judiciaire européenne florissante : le développement des structures pénales de l’Union
L’instauration de structures pénales européennes s’est révélée nécessaire afin de permettre une coopération judiciaire et policière. L’adoption d’une approche européenne de la justice pénale se matérialise par la mise en place d’organes européens agissant aux différents stades du processus pénal pour assurer une coordination dans l’exercice des enquêtes, des poursuites et de l’exécution des décisions. À travers ce cadre, il est possible d’évoquer les structures d’Europol, d’Eurojust, le mécanisme des magistrats de liaison ou celui du réseau judiciaire européen.
Un dernier organe en matière pénale de l’Union européenne émane d’une procédure prévue à l’article 86 TFUE, le 12 octobre 2017. Le Conseil adopte alors un règlement mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création d’un Parquet européen. Vingt-deux États membres adhèrent à cette structure qui a compétence pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices de certaines infractions pénales, « indépendamment de leurs qualifications par lesdits États », portant une atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Sa compétence matérielle concerne uniquement des actes ou des omissions intentionnels en lien avec le territoire de deux États membres et entrainant un préjudice d’un montant total d’au moins 10 000 €.
Ce parquet fonctionne « comme un parquet unique à structure décentralisée » (article 8), organisé à double niveau. D’une part, un niveau central en charge de superviser et de diriger les affaires. Il est composé d’un chef du Parquet (Laura Kovesi, connue pour sa ténacité dans son pays d’origine la Roumanie), d’un collège de vingt-deux procureurs européens, composé d’un procureur par État membre participant audit parquet[11], et de chambres permanentes. D’autre part, le niveau national ou décentralisé est composé des procureurs européens délégués qui assurent de mener les enquêtes et les poursuites pénales au nom du Parquet européen dans leurs États membres respectifs. Dans l’affaire Goliath, l’inculpation a donc pu être lancée à Hambourg sur la base d’un travail coopératif efficace et fructueux entre polices et justices nationales européennes.
Ainsi, il est possible de constater une réelle implication et intégration de cet organe dans la politique pénale interne en matière d’opportunité des enquêtes et des poursuites. Le dernier rapport annuel du Parquet montre qu’à la fin de l’année 2023, il y avait un total de 1927 enquêtes en cours, avec un préjudice estimé pour le budget de l’Union européenne à 19 milliards €. Il a reçu et traité 4187 signalements d’infractions, 26% de plus qu’en 2022. Cent trente-neuf actes d’accusation ont été déposés et les juges ont accordé aux procureurs européens délégués des ordonnances de gel d’une valeur de 1,5 milliard €.
***
L’harmonisation du droit pénal en Europe ne constitue plus simplement un enjeu capital pour assurer un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures. Elle nous semble être devenue centrale dans la construction européenne et le fait qu’elle fasse si peu l’objet d’attention témoigne probablement du fait qu’elle est nécessairement indiscutable.
[1] Le groupe utilisait des sociétés fictives en Allemagne et dans d'autres États membres, opérant via des "commerçants disparus" dans le but de vendre des « Airpods ».
[2] Chambre criminelle de la Cour de cassation, n° de pourvoi 92-81.241, 21 février 1994.
[3] Chambre criminelle de la Cour de cassation, n° de pourvoi 20-84.212, arrêt du 23 juin 2021, §7.
[4] Article K.6 §2 b) du Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997.
[6] Il est important de noter que ces deux articles disposent d’un §3 prévoyant une clause de sauvegarde des aspects fondamentaux du système de justice pénale des États membres. En effet, un membre du Conseil a la possibilité de suspendre la procédure législative et d’exprimer son refus. Si un consensus n’a pas abouti, alors le projet sera bloqué. Seule la possibilité d’une autre procédure légale prévue par le droit de l’Union, celle de la coopération renforcée pourrait rendre le projet applicable. v. Article 20 §2 TUE ; article 329 §1 TFUE.
[7] CJUE, arrêt dit « Aranyosi et Caldararu » du 5 avril 2016, §77.
[8] En France, sont habilités à demander une telle enquête : les autorités judiciaires (le procureur de la République ou le juge d’instruction) mais également la personne suspecte ou poursuivie, la victime ou la partie civile. Article 694-20, §1 et 2 du code de procédure pénale français. On relève en particulier que le droit allemand autorise le Finanzamt fur Steuerstrafsachen und Steauerfandung Munster (ici, le service des affaires fiscales pénales et des enquêtes fiscales de Munster, autorité administrative) d’émettre une telle décision après validation d’une autorité judiciaire Articles 386-401 de l’Abgabenordnung (code fiscal allemand).
[9] La CJUE a été saisie d’une demande de précision préjudicielle sur ce litige. Dans un arrêt du 11 novembre 2021, elle a indiqué que l’article 14 de la directive 2014/41/UE s’oppose à la réglementation d’un Etat membre d’émission d’une décision d’enquête européenne qui ne prévoit aucune voie de recours contre l’émission d’une décision d’enquête européenne ayant pour objet la réalisation de perquisitions et de saisies ainsi que l’organisation d’une audition de témoin par vidéoconférence.
[10] Olivier Ballande a ensuite réalisé un documentaire sur les enquêtes du trafic d’enfants pickpockets, diffusé sur Arte. Ces documentaires constituent des ressources pour les formations des agents de police et personnels judiciaires.
[11] Le procureur européen français est Frédéric Baab.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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