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Ce que le Parlement européen devrait demander aux futurs commissaires. Les quatre défis de la nouvelle Commission européenne

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14 octobre 2024
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Ce que le Parlement européen devrait demander aux futurs commissaires. Les quatr...

PDF | 205 koEn français

Intronisée le 18 juillet dernier par un vote du Parlement européen, la présidente de la Commission, conformément au Traité d’Union européenne, a présenté la composition de son Collège le 17 septembre à partir des candidats commissaires désignés par les États membres. Après auditions des intéressés par les commissions parlementaires concernées début novembre, il devra être approuvé par le Parlement lors d’un vote global l’intronisant officiellement.

Nombre de questionnements sont apparus après cette présentation, notamment après la publication des lettres de mission adressées aux candidats commissaires et qui préjugent des ambitions et du fonctionnement de la future Commission. La présente étude s’efforce de les rassembler en les synthétisant et en les confrontant aux défis qu’elle aura à affronter. 

Ursula von der Leyen a placé son équipe sous le slogan « Sécurité, Prospérité, Démocratie ». Elle affirme souhaiter une Europe « plus proche des citoyens » et du terrain, plus « souple et plus rapide » qui « démarre sur les chapeaux de roue dès le premier jour ».

Quatre questions majeures interpellent l’Union et la Commission von der Leyen II : la gouvernance des institutions communes, leur action internationale, leur politique économique et la place faites aux normes et contraintes.

I - Les défis d’une gouvernance compliquée

La gouvernance des institutions communes mérite attention. Toutes les critiques qui lui sont généralement adressées ne sont pas injustifiées. Il est temps d’adapter les structures administratives aux évolutions particulièrement rapides des problématiques et des attentes exprimées envers l’Union européenne. La présidente désignée de la Commission déclare le souhaiter. Le Parlement européen devra se hisser au niveau de l’importance du sujet et mener des auditions qui ne s’intéressent pas qu’aux personnalités désignées comme commissaires.

Quid des « vice-Présidents exécutifs » ?

C’est la Commission Juncker qui avait imaginé, à l’initiative de plusieurs Think tanks, dont la Fondation Robert Schuman, d’instaurer des « super-Commissaires » chargés de superviser l’action du Collège dans de grands secteurs. Il s’agissait de tenir compte de la nécessaire réduction du nombre de commissaires, prévue par l’article 17 du traité (TUE) suspendue par le Conseil européen. En effet, comme l’avait fait remarquer Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la Convention européenne, il n’y a pas autant de compétences communautaires que de commissaires et on peut légitimement s’interroger sur la réalité du contenu de certains de leurs portefeuilles. 

A l’origine, les vice-Présidents avaient autorité sur d’autres membres du Collège et constituaient, autour du Président, un groupe restreint chargé de définir les principales orientations du travail de la Commission. Cette conception ne semble plus prévaloir. Ils n’ont plus autorité que sur quelques directions générales et services et leur poids est inégal. Certains commissaires, anciens membres du Collège perdant par ailleurs leur fonction de vice-Président (Valdis Drombovskis, Maros Sefcovic), dépendent directement de la présidente et auront, du fait de leur expérience, un rôle plus déterminant que d’autres.

Qu’en sera-t-il de l’expression publique de la Commission ? S’exprimeront-ils officiellement à la place des commissaires en charge, ou avec eux ? Comment fonctionnera « l’exécutif restreint » qu’ils forment avec la présidente ? Auront-ils, dans cette enceinte ou auprès des services, un rôle prééminent ?

Par ailleurs, il a été beaucoup question, au sein du Parlement et des partis politiques européens, de la répartition politiques au sein du futur Collège, certains– les socialistes – se plaignant d’y être sous-représentés. Le choix des vice-Présidents exécutifs aurait-il pris en compte les résultats des élections européennes ? Les vice-Présidences ont-elles été réparties en fonction de critères politiques plutôt qu’en fonction de nécessités opérationnelles ?

Toujours trop de Commissaires aux fonctions mal définies

L’apparition de nouveaux portefeuilles peut susciter des interrogations. Un commissaire à la Défense, par ailleurs ancien Premier ministre de son pays, se contentera-t-il de travailler sur les industries de défense ou concevra-t-il son rôle comme un véritable quasi-ministre de la Défense ? Les premières déclarations d’Andrius Kubilius, ancien Premier ministre lituanien, laissent penser qu’il entend donner à sa fonction une large définition. Est-ce la bonne méthode pour convaincre les États membres de coopérer davantage dans ce secteur-clé ? Qu’en sera-t-il de ses relations avec la Haute représentante, dont c’est la fonction première ? Il devrait normalement être placé sous son autorité mais Ursula von der Leyen a choisi de le placer directement sous la sienne.

Plusieurs autres portefeuilles interrogent et devraient faire l’objet de questions lors des auditions au Parlement européen.

Par exemple, quelles seront les pouvoirs effectifs du commissaire en charge du logement ou de celui en charge de la démographie, deux domaines de compétences qui ne relèvent pas réellement du niveau communautaire ?

Quelques approximations très cosmétiques confirment le diagnostic. L’ancienne ministre belge Hadja Lahbib est chargée de la « préparation », ce qu’on peut traduire par « prévention », de la gestion des crises, mais aussi de l’égalité entre hommes et femmes et de la non-discrimination, deux compétences assez éloignées.

Les attributions de la première vice-Présidente Teresa Ribera Rodriguez, présentée comme la femme la plus puissante de la Commission, interrogent. Officiellement chargée de veiller à l’application du Pacte vert, elle dispose de l’autorité sur la puissante DG COMP en charge de la concurrence, compétence exclusive de l’Union en pleine reconfiguration, à force d’exceptions et d’interrogations face à l’impératif de souveraineté économique. Très engagée dans la contestation de l’énergie nucléaire, parviendra-t-elle à prendre en compte et respecter l’expression majoritaire au sein des États membres en faveur de cette énergie propre ?

N'y a-t-il pas, par ailleurs, de trop nombreux de portefeuilles un peu disparates, rassemblant des compétences éloignées ou des appellations plus nominales que réelles ?

Comment la présidente, qui entend superviser le travail de tous les commissaires, organisera-t-elle le partage des tâches et des responsabilités ? Le Parlement sera en droit de demander à cet égard des clarifications puisque qu’il est demandé par ailleurs aux membres du Collège de travailler au plus près des commissions parlementaires compétentes et d’être à l’écoute et très présents dans l’enceinte de Strasbourg.

De ce point de vue, la démission brutale de Thierry Breton interroge. On pouvait peut-être lui adresser des reproches mais pas quant à son efficacité et ses résultats. Serait-ce le signe d’une incompatibilité avec les fortes personnalités, qui expliquerait le choix de Commissaires plus discrets ? Cela n’annonce-t-il pas quelques dysfonctionnements potentiels au sein du Collège et dans l’expression publique de la Commission ?

L’examen attentif des lettres de mission adressées par la présidente à ses Commissaires ne devrait-il pas permettre au Parlement d’obtenir des éclaircissements, voire des correctifs en vue d’une optimisation des fonctions au sein du Collège et, peut-être, d’inciter à plus de clarté dans la répartition des responsabilités ?

Verticalité

L’organisation de la Commission von der Leyen II est, en effet, marquée par une forte verticalité. Certains commissaires ne « rapportent » qu’à elle-même ; plusieurs autres se voient conférer une obligation de travailler avec elle et les missions qu’elle assigne à tous les membres de son équipe seront assumées, selon ses propres mots, sous son autorité, « sous ses directives ».

Chacun des commissaires se verra convoqué pour un rendez-vous « structuré » tous les six mois pour rendre compte des progrès accomplis et de ceux qui restent à faire. Cette injonction devrait conduire la présidente à utiliser au moins quatre jours tous les semestres à se pencher sur le travail de ses Commissaires. C’est évidemment illusoire et davantage une occasion supplémentaire de créer une nouvelle obligation administrative pour les collaborateurs et fonctionnaires. En revanche, le Parlement ne pourrait-il pas être en droit d’exiger d’être le juge de l’activité des commissaires et de l’ensemble du Collège ?

Si les règles de collégialité, qui font l’originalité de la Commission européenne, sont bien rappelées par la présidente, leur mise en œuvre ne devrait-elle pas être reprécisée ? 

Ici comme souvent, le véritable équilibre des pouvoirs dépendra des rapports de force entre les Commissaires et de leur capacité à communiquer eux-mêmes, à assumer pleinement leurs fonctions, à s’appuyer sur le Parlement et l’opinion publique. Ils devraient être interrogés aussi sur les méthodes de travail et de communication qu’ils entendent adopter.

De même, les objectifs fixés par Ursula von der Leyen pour les « 100 jours » de la Commission paraissent plus cosmétiques que réels. Certes, la volonté de la présidente de « démarrer sur les chapeaux de roue dès le premier jour » (« Hit the ground running on day one ») est louable, mais ne paraît-elle pas pour le moins ambitieuse, voire irréalisable ? 

Il s’agirait dans ce délai de proposer un Pacte pour l’industrie propre, un Plan d’action pour la cybersécurité, une Stratégie « intelligence artificielle » pour les supercalculateurs, un Livre blanc sur la Défense, une nouvelle vision pour l’agriculture, une nouvelle revue pour la politique d’élargissement et la mise en place de dialogues politiques annuels avec la jeunesse !

Cet inventaire non exhaustif ne relève-t-il pas davantage de l’expression de besoins additionnés que de véritables choix de priorités ? La nouvelle Commission pourra-t-elle mener de front tous ces objectifs sans qu’ils soient altérés ou modifiés par des crises soudaines ? Et est-il vraiment souhaitable de se précipiter à rédiger des propositions sur des sujets aussi essentiels sans prendre le temps d’une réelle concertation ?

A l’évidence, l’architecture de la future Commission souhaite prendre en compte beaucoup des adaptations nécessaires de la gouvernance des institutions européennes, mais le risque de confusion, de double-emploi ou d’imprécision n’est-t-il pas sous-estimé ? L’audition des Commissaires sera-t-elle l’occasion de ramener à plus de réalisme et de pragmatisme, ainsi qu’à plus de logique dans la répartition des fonctions, à moins de verticalité dans le fonctionnement de la Commission et au choix de véritables priorités ?

Par ailleurs, la présidente de la Commission ne lève pas les ambiguïtés sur l’action extérieure de la Commission.

II – L’impensé international

Il est un reproche qu’on ne peut pas adresser à Ursula von der Leyen, c’est celui de n’avoir pas été active sur la scène internationale. Elle a incarné l’Europe à sa manière, c’est-à-dire avec présence et autorité. Mais les traités excluent la politique étrangère de la compétence communautaire, car il est toujours difficile de convaincre les Etats membres de « lâcher la proie pour l’ombre », c’est-à-dire, en l’absence d’autorité politique souveraine, de partager les attributs de ce qu’ils considèrent comme relevant du cœur de leur souveraineté : les Affaires étrangères et la Défense. 

C’est la raison pour laquelle a été créé un service diplomatique commun (SEAE) chargé, en liaison avec les États et intégré dans la Commission, de rapprocher les diplomaties, de superviser l’Agence européenne de défense (AED) et de s’exprimer au nom de l’Union dans le domaine des relations internationales. De surcroît, de son côté, le président du Conseil européen est chargé de représenter l’Union sur la scène internationale.

Au cours de son premier mandat, la présidente de la Commission a empiété à plusieurs reprises sur les compétences des Etats ; elle n’a pas réussi à partager les nombreuses responsabilités avec le président du Conseil ; elle s’est beaucoup exprimée sur des sujets de politique étrangère qui ne sont pas de sa compétence et elle a ainsi souvent compliqué la tâche diplomatique du Haut représentant

Elle a parfois choqué en réagissant seule à des événements internationaux, notamment les conflits en cours, qui auraient exigé l’engagement collectif de toutes les nations européennes.  La fonction de Haut représentant, malgré ces difficultés, s’est pourtant imposée : Josep Borrell a su donner à ses responsabilités un éclat particulier et il a fait preuve de courage, de professionnalisme et de persévérance. Il a même innové en réussissant à contourner le droit de veto et à éviter le silence européen dans certaines des crises récentes qui exigeaient une prise de position. C’est autour de la fonction de Haut représentant que pourra être construite, peu à peu, une parole européenne à l’international.

Or les autres acteurs institutionnels européens entendent aussi y assumer leur présence. A cet égard, la rivalité entre le président du Conseil européen et la présidente de la Commission s’est révélée préjudiciable à l’image de l’Union sur la scène internationale. 

Elle a mis l’accent sur une imprécision des traités qui disposent que : «  Le président du Conseil européen assure, à son niveau et en sa qualité, la représentation extérieure de l'Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des attributions du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » (Article 15 du TUE), pendant que l’article 17 stipule que: « À l'exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités, elle (La Commission) assure la représentation extérieure de l'Union ». 

Quant à l’article 18, il indique : « Le haut représentant conduit la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union. Il contribue par ses propositions à l'élaboration de cette politique et l'exécute en tant que mandataire du Conseil. Il agit de même pour la politique de sécurité et de défense commune ».(al. 2) « Le haut représentant est l'un des vice-présidents de la Commission. Il veille à la cohérence de l'action extérieure de l'Union. Il est chargé, au sein de la Commission, des responsabilités qui incombent à cette dernière dans le domaine des relations extérieures et de la coordination des autres aspects de l'action extérieure de l'Union. » (al. 4)

On comprend alors que seule la bonne entente des différents protagonistes permet une représentation extérieure harmonieuse à défaut d’être unique. Ne pourrait-on pas instaurer entre le Conseil et la Commission quelques règles de conduite communes ?

La présidente de la Commission, dotée d’une forte personnalité et désireuse de répondre à l’exigence d’une meilleure prise en compte des impératifs géopolitiques, a occupé une place qui a pu froisser les États membres. Cela a été le cas pour la solidarité avec l’Ukraine comme dans l’expression européenne pour le conflit à Gaza. 

A sa décharge, il faut rappeler que lorsque l’Europe est incarnée, ce qu’Ursula von der Leyen a bien fait, on lui reproche sa précipitation ou ses prises de position et quand elle est trop prudente, tout le monde regrette son absence !

Mais une politique étrangère commune, recherche ancienne de l’Union, ne pourra vraiment se mettre en place qu’avec l’accord des États membres. Pour les convaincre de s’engager davantage vers une politique étrangère commune, il faut que l’Union européenne leur apporte quelque chose en plus et s’abstienne de donner le sentiment de vouloir d’abord leur ôter des compétences. Le Parlement européen est-il disposé à rechercher une « plus-value » européenne ou entend-il tenter d’imposer son intervention dans les affaires extérieures ?

La fonction de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune a été créée pour peu à peu démontrer l’utilité d’un vrai ministre des Affaires étrangères de l’Union. Or celui-ci, malgré de louables efforts et une présence non négligeable sur la scène internationale de Josep Borrell, a-t-il été utilisé au mieux ?

Dans la répartition des fonctions au sein de la nouvelle Commission, telle que prévue par la présidente, la situation ne semble pas devoir évoluer. Seulement deux Commissaires dépendraient directement de Kaja Kallas, ceux chargés de la Méditerranée et des Partenariats internationaux, tandis que les commissaires à la Défense, à l’Elargissement, à la Prévention des crises, à l’aide humanitaire et au développement, aux migrations et au climat devraient répondre de leurs responsabilités devant d’autres membres du Collège ou devant la présidente elle-même. N’y-a-t-il pas là quelque chose à corriger ? 

Vider de son contenu le portefeuille de la Haute représentante et donc de la force de son expression sur la scène diplomatique, n’est-ce pas préjudiciable à l’intérêt européen ? Ne devrait-on pas plutôt renforcer les moyens administratifs et financiers de ceux qui travaillent au service d’une diplomatie commune ?

D’ailleurs la lettre de mission qui lui a été adressée précise l’intention de la présidente : « Sur tous les sujets vous travaillerez selon mes directives », « vous coordonnerez la présence de la Commission au sein du Conseil des Affaires étrangères » ce qui n’est pas conforme au Traité, qui stipule que la Haute représentante est « mandataire du Conseil » et qu’elle « préside le Conseil des Affaires étrangères ». Cela n’annonce-t-il pas quelques vigoureux bras de fer identiques à ceux dans lesquels Josep Borrell s’est épuisé ?

En réalité, le risque n’est-il pas de confiner la Haute représentante à la « réforme d’un système international fondé sur le droit », c’est-à-dire à la « grande politique étrangère », la privant ainsi de contribuer, elle aussi, à la « politique économique internationale » que Mario Draghi appelle de ses vœux, c’est-à-dire la mise en adéquation des politiques internes de l’Union avec ses objectifs stratégiques ?

Des progrès en ce sens sont-ils possibles sous cette mandature pour éviter, par exemple, qu’à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU du mois de septembre 2024, pas moins de dix commissaires fassent le déplacement à New York !?

L’Union parviendra-t-elle à mieux s’organiser, et comment, pour renforcer sa voix sur la scène internationale ? 

Il va falloir à Kaja Kallas beaucoup d’énergie et de ténacité pour s’imposer. Elle n’en manque pas et l’a montré lorsqu’elle était Première ministre d’Estonie jusqu’en juillet dernier. Pourra-t-elle compter sur le Parlement européen désireux, lui aussi, d’étendre ses prérogatives à un domaine de compétences que les traités lui interdisent ? Rencontrera-t-elle l’opposition de quelque État en mal de souveraineté et comment envisage-t-elle de la surmonter ? Sa place au sein de la Commission sera-t-elle toujours aussi inconfortable ?

L’Union a longtemps eu du mal à valoriser sa force et sa puissance en termes diplomatiques. Pour le moins, ne pourrait-on pas exiger que la Haute représentante soit toujours présente lors du déplacement à l’étranger d’une Autorité des institutions communes et qu’elle ait autorité sur tous les services de la Commission concernés par l’action extérieure ?

La Défense ne devrait-elle pas lui être confiée car il n’y a pas de diplomatie sans outil militaire ? Et si l’on veut convaincre les États membres de davantage travailler ensemble, ne serait-il pas opportun d’englober toutes les questions de relations extérieures ?

En outre, le rapport de Mario Draghi a clairement indiqué qu’une politique économique internationale doit être une priorité pour l’Union, qui a péché dans le passé par des politiques non coordonnées en matière de commerce, de lutte contre le réchauffement, de défense et de migration. Mentionnée dans les lettres de mission adressée par la présidente à ses commissaires désignés, une meilleure coordination est-elle possible et comment ?

III – Quelle politique économique ?

Le rapport Draghi a sévèrement jugé les politiques européennes qui ont conduit à un réel « décrochage » de l’économie du continent par rapport aux États-Unis et à la Chine. Venant après le rapport Letta qui pointait le manque d’achèvement du marché unique, il constitue une critique sévère des concepts économiques qui ont cours dans les institutions européennes. Pour lui, l’Europe n’a pas su affronter les transitions numérique et environnementale en donnant la priorité à une politique de rigueur et à la réglementation, qui expliquent en partie les retards européens. Mario Draghi reproche aux Européens de se préoccuper des moyens plutôt que des objectifs.

La présidente de la Commission en a tenu compte en plaçant son action et celle de ses commissaires sous le slogan « Invest-Europe » et en souhaitant un allègement des règlementations. Mais elle s’est bien gardée jusqu’ici de se prononcer sur la manière de mobiliser les très importantes sommes nécessaires à la relance de l’investissement, estimées par Mario Draghi à plus de 750 milliards € par an. 

Il est vrai que l’idée d’emprunter en commun pour disposer, à l’image des États-Unis, de capacités de financement considérables, a été réfutée immédiatement par le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, et rencontre beaucoup de méfiance chez les tenants d’une gestion traditionnelle (Pays-Bas, Autriche notamment). Il s’agira là d’un débat qui risque d’empoisonner durablement le climat à Bruxelles entre les tenants de recettes « à l’américaine » et les partisans d’une orthodoxie budgétaire pourtant largement dépassée. Ne serait-il pas temps pour le Parlement, de tenir ce débat et de l’organiser avec les commissaires responsables ? Pouvons-nous nous contenter d’un « business as usual » en la matière ?

Ces controverses viendront se heurter par ailleurs aux questions relatives au budget européen. Sans augmentation de celui-ci, beaucoup des ambitions de la nouvelle Commission et des attentes de certains États membres ne resteront-elles pas à l’état de vœux pieux ? 

Ursula von der Leyen a demandé à Piotr Serafin de conduire la réflexion et de faire des propositions sur l’avenir du budget européen. Ne pourront-elles pas conclure qu’à la nécessité de son augmentation et, faute d’accord, sur des ressources nouvelles liées à des activités communes (droits aux frontières extérieures par exemple), qu’à l’augmentation des contributions des Etats-membres ?  Les chances d’aboutir sont donc limitées et les intentions de la Commission, ainsi que la méthode pour y parvenir, pourraient-elles être précisées avant son entrée en fonction ?

C’est à Valdis Drombrovskis qu’est confiée la supervision de la politique budgétaire et donc la gestion du « semestre européen ». L’ancien Premier ministre letton et ancien vice-Président exécutif de la Commission sortante apparaît comme l’homme fort du dispositif économique du nouveau Collège. Il est officiellement chargé de donner des suites concrètes aux conclusions du rapport Draghi et, notamment, à la mise en place d’un « outil de coordination de compétitivité » et d’un « Comité d’examen de la règlementation ». A ce titre, pourra-t-il s’opposer à de nouvelles initiatives règlementaires pesant sur les acteurs économiques, bien que sa lettre de mission n’en dise rien ?

En outre, la convergence budgétaire entre Etats européens va demeurer un sujet délicat pour la Commission européenne. Huit d’entre eux[1] font l’objet d’une procédure pour déficit excessif. De vraies négociations vont donc être nécessaires pour les accompagner vers le retour aux règles européennes qui, elles-mêmes, risquent d’être discutées, notamment au regard du rapport Draghi. Il faudra vraisemblablement, non pas des accommodements, mais la prise en compte d’investissements de compétitivité conformes par ailleurs aux objectifs communs de l’Union. La Commission y est-elle prête ? Une réflexion a-t-elle été menée sur ce sujet ? Quelles en sont les conclusions provisoires ?

IV– La place de la norme dans l’action européenne

Les Européens aiment la norme. La tradition de droit écrit ne craint pas l’activisme juridique pour orienter les politiques publiques. Mario Draghi constate que l’excès de normes a entravé l’innovation. Les acteurs économiques se plaignent souvent des contraintes imposées par les règlementations européennes. Les citoyens sont très critiques avec elles et la poussée des partis extrémistes ou populistes alimente l’euroscepticisme en réaction contre des réglementations toujours plus intrusives. 

Les nations européennes sont autant responsables de ces travers que les institutions communes, mais ces dernières doivent en tenir compte, peut-être plus encore que les gouvernements nationaux, gardiens de modèles sociaux redistributifs et généreux.

Ursula von der Leyen l’a bien compris : dès la fin de son mandat actuel, elle a procédé à des corrections, à la suspension ou au retrait de certaines obligation, par exemple en matière agricole. Dans ses projections pour les travaux de la future Commission, elle tente de prendre en compte la nécessaire agilité des acteurs économiques en période de transition, sans renier le Pacte vert ou le numérique. Est-ce possible et comment ? Plusieurs commissaires se voient demander des propositions pour adapter la règlementation européenne. Le Parlement est-il prêt à ces adaptations ?

Mais la future Commission marche sur une ligne de crête. Sous la pression des acteurs, mais aussi de nombre d’États tiers (Brésil, Malaisie, Indonésie), l’actuelle présidente vient de suspendre la mise en œuvre au 1er janvier 2025 d’une loi interdisant le commerce de produits issus de la déforestation et subit une forte pression pour revenir sur l’interdiction de fabrication des moteurs thermiques en 2035. Devra-t-elle accepter de reculer sur d’autres législations, comme déjà annoncé pour le règlement Reach, ou se contentera-t-elle de calmer les ardeurs législatives des États membres, de ses services et du Parlement européen ? Se sent-elle en mesure de résister aux fortes pressions des ONG qui ont pignon sur rue à Bruxelles et Strasbourg et comment ? Trouvera-t-elle d’autres voies, plus incitatives, pour atteindre les objectifs de décarbonation souhaités ?

Financer les transitions ou règlementer

La grande différence avec les modèles américain ou chinois réside dans la méthode. Pour les Américains, les mesures incitatives et de soutien aux transitions sont les meilleurs moyens d’atteindre des objectifs climatiques ambitieux. Pour les Chinois, les ordres viennent d’en haut et chacun des acteurs doit y être aligné. Les Européens, pour leur part, se concentrent sur les moyens réputés efficaces d’atteindre les mêmes objectifs, c’est-à-dire qu’ils privilégient des obligations de moyen plutôt que des obligations de résultat. 

Ce manque de confiance dans les acteurs, assorti d’une impasse sur le financement qu’il appelle, ne peut fonctionner durablement sans mettre en cause la compétitivité de l’économie européenne. L’alternative semble donc bien être, pour les responsables européens, de financer généreusement les transitions ou de règlementer encore plus. 

A ce jour, malgré une volonté affichée de d’alléger les règles contraignantes, Ursula von der Leyen a passé commande à ses commissaires de plus de quinze actes législatifs nouveaux et d’autant de « stratégies » ou « plans d’action » qui ne manqueront pas, tôt ou tard, d’être déclinés en normes.

La nouvelle composition du Parlement européen conduira-t-elle à freiner la frénésie législative ? Serait-ce l’annonce de reculs sur nombre de règlementations. Le budget européen est-il susceptible d’être augmenté dans les proportions requises et, dans la négative, l’idée d’emprunts en commun pour investir peut-elle prospérer ? Autant de questions vitales pour l’économie européenne. La composition annoncée de la nouvelle Commission ne permet pas véritablement de savoir quelles seront ses orientations capitales.

***

La séquence d’auditions au Parlement européen qui s’ouvre le 4 novembre est particulièrement importante. Les questions évoquées ici seront vraisemblablement abordées dans le dialogue préalable à la confirmation de la Commission. Il est à espérer que les intérêts partisans ne soient pas privilégiés sur les questions de fond. On a vu dans le passé des candidats commissaires rejetés un peu vite à cause de leur étiquette politique. Dans les couloirs du Parlement, tout le monde accepte un peu trop facilement l’idée que le Parlement doit montrer sa force et ses prétentions en refusant un ou deux candidats et que cela doit être équilibré entre la gauche et la droite.

Le contexte international et la situation économique nous rappellent pourtant que nombre de ces questions méritent clarifications et explications. Les réponses détermineront l’efficacité des institutions renouvelées.

La principale recommandation du rapport de Mario Draghi appelle les institutions européennes à se doter d’une stratégie globale de compétitivité qui embrasse tous les sujets alors que l’Union a trop souvent légiféré « en silos », tâtonnant entre verdissement et relance, entre morale et innovation, entre modernisation et prosélytisme extérieur.

Les règlementations à venir ne devraient-elles pas être conformes à un agenda stratégique à définir au préalable ? Quel prix accepter pour des efforts environnementaux ou normatifs ? Quels financements pour ceux des acteurs qui se voient imposer une contrainte nouvelle ? Avant de légiférer le Parlement, le Conseil et la Commission ne devraient-ils pas organiser ce débat et fixer une ligne stratégique claire qui, souvent, ne nous en cachons pas, devra – hélas - choisir entre compétitivité et réglementation ?

Ursula von der Leyen présente une Commission à sa main, organisée verticalement, sans grands ténors politiques de poids. Ses membres devront souvent s’imposer et donc définir eux-mêmes, par la pratique, les véritables contours de leurs responsabilités. Les plus actifs, les plus efficaces, les meilleurs communicants, prendront certainement l’ascendant sur leurs collègues. Est-ce de bonne politique ?

Pour autant, les institutions communes ont démontré leur capacité à s’adapter aux exigences de l’actualité. Les vaccins, l’emprunt commun, la relance post-Covid n’étaient ni prévus ni possibles aux termes des traités. Ils ont permis à l’Union de surmonter une grave crise. Puisse-t-il en être de même face aux périls venus désormais principalement de l’extérieur. Pour cela, il faut une implication forte et positive des États membres, une administration européenne réactive et surtout une stratégie coordonnée dont on puisse décliner logiquement les diverses politiques publiques. C’est possible. N’est-il pas légitime de saisir l’occasion des questionnements du Parlement européen pour en définir la voie ?


[1] France, Italie, Belgique, Hongrie, Pologne, Slovaquie et Malte (depuis le 26 juillet 2024) auxquels il faut ajouter la Roumanie sous procédure depuis 2020.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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