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La répartition des sièges de député au Parlement européen entre les Etats membres : un enjeu démocratique autant que diplomatique

Institutions

Thierry Chopin,  

Jean-François Jamet

-

10 septembre 2007

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Chopin Thierry

Thierry Chopin

Directeur des études de la Fondation Robert Schuman, professeur associé à l'Université catholique de Lille (ESPOL)

Jamet Jean-François

Jean-François Jamet

Enseigne l'économie européenne et internationale à Sciences Po.

Dans le cadre de la relance institutionnelle en cours, la question de la composition future du Parlement européen n'a pas été tranchée lors du Conseil européen de juin dernier. La redistribution des sièges entre les Etats membres au sein du Parlement européen est certes moins épineuse que les questions relatives à la pondération des voix de chaque Etat au Conseil des ministres et de la taille de la Commission. Néanmoins, elle n'en est pas moins importante sur le plan politique, ce dont témoigne le fait qu'il s'agisse du seul point échappant aux juristes chargés de mettre en forme le compromis obtenu en juin sur le traité modificatif.

Si cette question a une dimension diplomatique incontournable en ce sens qu'elle met en jeu la représentation politique des 27 Etats membres de l'Union européenne au sein du Parlement, elle comporte également un enjeu plus spécifiquement démocratique. En effet, de la règle choisie pour organiser une telle répartition des sièges dépend le poids du vote des citoyens de tel ou tel Etat membre. Le choix de cette règle appelle donc aussi, et en réalité d'abord, une interrogation sur la légitimité démocratique du Parlement européen, et ce d'autant plus que le critère de l'équité démocratique n'apparaît pas en tant que tel dans le mandat de la Conférence intergouvernementale.

L'enjeu est important. En vue des prochaines élections au Parlement européen (2009), le Conseil européen devra adopter une nouvelle répartition des sièges de députés entre les Etats membres. Le Parlement européen doit formuler une proposition sur ce sujet aux Chefs d'Etat et de gouvernement qui se réuniront à Lisbonne les 18 et 19 octobre prochains, sur la base d'un rapport qui doit être adopté par la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement.

L'objet de cette note est de définir la meilleure règle de répartition parmi les options envisageables. Dans cette perspective, les développements s'organiseront autour de 2 axes :

il s'agira, tout d'abord, de rappeler le contexte institutionnel général dans lequel s'inscrit la question de la composition du Parlement européen, pour montrer que la résolution de celle-ci pourrait constituer un élément de démocratisation supplémentaire de la réforme institutionnelle en voie d'achèvement ; il s'agira, ensuite, d'un point de vue technique et statistique, de définir la meilleure règle de répartition des sièges de député au Parlement européen compte tenu des objectifs à atteindre (respect du mandat de la CIG, réponse à l'exigence démocratique, prise en compte de la contrainte diplomatique).

I – La relance institutionnelle et la question de la composition du Parlement européen

1. La réforme institutionnelle et le débat efficacité / légitimité

1.1. Les réformes prévues au Conseil des ministres et à la Commission

Le compromis institutionnel, établi par le Conseil européen de juin 2007, vient clore un cycle politique ouvert au début des années 90, qui a mobilisé une énergie politique considérable, et pendant lequel l'Union européenne a cherché à sortir d'un dilemme apparemment inextricable : il lui fallait, à la fois, accueillir de nouveaux Etats, pour approfondir le projet de réconciliation européenne engagé au début des années 50, et, face aux risques de lourdeurs et de blocages qu'un tel afflux de nouveaux membres peut provoquer, redéfinir la manière dont les Etats membres participent aux prises de décisions communes, tout en maintenant la légitimité de ces décisions. A cet égard, le compromis institutionnel récemment conclu par les 27 chefs d'Etat et de gouvernements permet de sortir non seulement de la crise politique ouverte par les deux " non " du printemps 2005, mais aussi de la querelle ouverte depuis le début des années 90.

Il est connu que l'avènement d'une Union de 27 Etats membres a suscité, depuis plus de 10 ans, des négociations intergouvernementales portant, à la fois, sur les modalités de prise de décision au Conseil des ministres et sur la composition de la Commission européenne.

Pour le Conseil des ministres, les termes du problème étaient assez simples : si le vote à l'unanimité continue à être nécessaire, l'Union aura de grandes difficultés à prendre ses décisions et sera menacée d'inefficacité voire de paralysie ; les Etats peuvent-ils cependant abandonner leur pouvoir d'appréciation à l'égard de décisions européennes ayant des implications sans cesse croissantes sur leur économie, leur société et leur diplomatie ? Pour tenter de régler ce problème, le traité modificatif prévoit, tout d'abord, une extension du vote à la majorité à de nouveaux domaines (par exemple le contrôle aux frontières extérieures, l'asile ou l'immigration, etc.). L'extension du vote majoritaire au Conseil des ministres est, par ailleurs, assortie d'un nouveau mode de calcul des voix dont disposent les Etats membres. Le traité modificatif reprend la formule retenue pour le projet de Constitution européenne, fondée sur une " double majorité " d'Etats et de population : elle prévoit que le Conseil des ministres peut prendre une décision dès lors qu'elle obtient l'accord d'au moins 55% des Etats de l'Union (soit 15 Etats membres dans l'Union à 27) représentant au moins 65% de la population. Le compromis établi par le Conseil européen, notamment sur l'insistance de la Pologne, prévoit que ce nouveau système de calcul entrera en vigueur à partir de 2014 ou, au plus tard, en 2017 si certains pays en font la demande.

Pour la Commission européenne, la situation est plus ambiguë : alors même qu'elle est supposée incarner " l'intérêt général européen ", cette institution pourra-t-elle continuer à être composée d'un représentant de chaque Etat membre, au risque de compter un jour une trentaine de membres et de voir ainsi mis en cause son efficacité et sa collégialité ? En même temps, est-il envisageable pour les Etats membres de n'être plus représentés au sein d'une institution communautaire majeure, qui dispose notamment du monopole de l'initiative législative et exerce d'importants pouvoirs en matière de concurrence ? Autre question : est-il vraiment important de réduire le nombre des Commissaires pour garantir l'efficacité du collège, alors que ce dernier prend ses décisions à la majorité simple, ou souhaite-t-on réduire ce nombre pour d'autres raisons, tenant notamment à la volonté de certains pays de renforcer leur influence ? Aucune réponse vraiment convaincante n'a pour l'instant été trouvée, ni dans les traités actuels, ni même dans le traité modificatif, qui prévoit que, à partir de 2014, la Commission européenne sera composée de seulement 18 commissaires, que les Etats membres désigneront à tour de rôle. La question de la composition de la Commission constitue un autre cas exemplaire, mais non résolu, du dilemme efficacité/légitimité au sein de l'Union.

1.2. Le cas du Parlement européen

La redéfinition du " poids décisionnel " des 27 Etats membres au Parlement européen ne pose pas a priori de problèmes majeurs, en tout cas qui présenteraient la même acuité que celles de la règle de vote au Conseil ou encore de la composition de la Commission. Les députés européens étant les représentants directs des peuples de l'Union, il est apparu naturel d'augmenter substantiellement leur nombre pour prendre en compte l'arrivée de nouveaux pays. Il a également semblé légitime de faire dépendre le nombre de députés désignés par chaque pays de la taille de sa population – d'où, par exemple, davantage d'eurodéputés allemands ou français que d'eurodéputés luxembourgeois ou maltais. Enfin, le Parlement européen prenant la quasi-totalité de ses décisions à la majorité simple, l'accroissement du nombre de ses membres n'a logiquement pas été considéré comme une source de blocage potentiel.

Pourtant, à la suite de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie le 1er janvier 2007, le Parlement européen compte 785 députés. En tout état de cause, le Conseil a pris acte que ce nombre devrait être réduit. Le mandat de la CIG précise que le Parlement européen ne devra pas être composé de plus de 750 sièges et, par conséquent, certains pays verront le nombre de leurs eurodéputés diminuer. Ceci rendra la négociation difficile : il est probable que certains Etats chercheront à défendre leurs acquis y compris quand cela va à l'encontre du principe d'équité de la représentation, tandis que d'autres s'appuieront au contraire sur ce principe, facilement compréhensible par les citoyens de l'Union. A l'heure actuelle, la composition du Parlement européen en est éloignée : le nombre de députés par habitant est, par exemple, plus de deux fois plus élevé en Finlande qu'en France. Or, les citoyens devant tous avoir les mêmes droits politiques dans un système démocratique, leur vote devrait avoir le même poids. Autrement dit, le nombre d'habitants par député devrait être le même dans tous les pays, ce qui constitue un critère objectif difficilement contestable. Paradoxalement, ce critère n'apparaît pourtant pas nécessairement comme prioritaire dans une négociation diplomatique entre Etats, où chacun refuse de perdre des députés.

C'est précisément ce qui rend complexe la question, pourtant en apparence simple, de la composition du Parlement européen et de la répartition des sièges en son sein. Or, il nous semble que, compte tenu de l'accroissement substantiel des pouvoirs du Parlement européen, renforcer la légitimité démocratique de cette institution, par ailleurs la seule à être élue au suffrage universel direct, constitue un véritable enjeu de la relance institutionnelle actuelle, si l'on veut bien considérer que la démocratisation du système institutionnel communautaire constitue l'un des deux grands défis, à côté de l'accroissement de l'efficacité du système décisionnel, que l'Union doit relever depuis plus de dix ans maintenant.

2. La composition du Parlement européen : un enjeu démocratique

2.1. Une institution élue au suffrage universel dont les pouvoirs se sont accrus au fil des traités

Dans ce contexte, il est d'autant plus important de rappeler que les pouvoirs du Parlement européen et l'influence de cette institution sur la production des décisions européennes sont désormais très substantiels.

Sur le plan législatif, les traités de Maastricht (1992), d'Amsterdam (1997) et de Nice (2000) ont fait du Parlement européen un véritable législateur à côté du Conseil des ministres, ces traités conduisant à un accroissement très important des domaines sur lesquels s'applique la procédure de codécision (de 23 à 35 domaines) : celle-ci concerne, par exemple, la liberté de circulation des travailleurs, le marché intérieur, l'environnement, la protection des consommateurs, etc.

En matière budgétaire, le Parlement européen exerce une influence croissante sur les dépenses communautaires, puisqu'il détient, depuis le milieu des années 70, le droit d'amender les dépenses dites " non obligatoires ", qui représentent près de 50% du budget global (plus de 100 milliards d'euro par an, soit moins de la moitié du budget de la France, mais 5 fois plus que celui de l'Irlande). Par ailleurs, le Parlement européen évalue l'efficacité de la gestion des fonds communautaires et décide chaque année de l'octroi ou du refus de la " décharge " (sorte de quitus) sur l'application du budget par la Commission européenne [1].

Le Parlement européen possède, de manière croissante, un pouvoir de contrôle sur les autres institutions de l'Union européenne, en particulier sur la Commission. Ce contrôle s'exerce aussi bien sur le plan administratif (contrôle de la gestion administrative, budgétaire et financière) que sur le plan politique (appréciation des orientations et des priorités de l'action de l'Union européenne). Sur le registre administratif, le Parlement européen constitue un véritable relais pour les citoyens qui peuvent le saisir (droit de pétition et médiateur). Le Parlement a, en outre, le pouvoir de nommer des commissions d'enquête.

Sur le plan politique, le Parlement dispose de pouvoirs de contrôle à l'égard de la Commission européenne, puisqu'il a non seulement le pouvoir de l'investir (ratification de la nomination du Président de la Commission, audition des personnalités proposées pour devenir membres de la Commission, et investiture de la Commission par un vote de confiance [2]), mais également de la renverser.

Enfin, au moment des élections européennes de juin 2009, le contexte juridique de l'Union européenne aura changé, le traité modificatif prévoyant un certain nombre de dispositions élargissant les prérogatives du Parlement européen. Par exemple, il est probable que les compétences législatives du Parlement européen seront accrues. Le traité modificatif, dont la ratification parlementaire en France aura, sans doute, lieu courant 2008, prévoit ainsi une extension notable des matières soumises à codécision (du Parlement et du Conseil). Son entrée en vigueur consacrera définitivement l'avènement d'un Parlement européen puissant.

2.2. Un accroissement de l'équité de la représentation au sein du Parlement européen : la légitimité démocratique en jeu

Dans ce contexte d'affirmation institutionnelle du Parlement européen, la question de sa composition constitue une occasion nouvelle pour renforcer la légitimité démocratique de la seule institution communautaire à être élue au suffrage universel. Si la question de l'efficacité ne se pose pas avec autant d'acuité que pour les autres institutions, le Parlement européen prenant la quasi-totalité de ses décisions à la majorité simple, celle de sa légitimité peut être abordée, de manière renouvelée, à partir d'une interrogation sur sa composition.

Il est frappant de constater que le critère d'équité démocratique n'apparaît pas en tant que tel dans le mandat de la Conférence intergouvernementale. Le Conseil européen des 21-23 juin 2007 a repris les dispositions de l'article I-20 du traité constitutionnel dans le mandat qu'il donne à la CIG pour le choix de la composition du Parlement européen : le nombre total d'eurodéputés ne doit pas dépasser 750 membres ; un plafond est fixé à 96 députés pour un Etat membre ; un plancher est fixé à 6 députés pour un Etat membre ; la représentation des citoyens doit être assurée de façon dégressivement proportionnelle, i.e. le nombre de députés par habitant doit être une fonction décroissante de la population des Etats membres. Ces règles rendent nécessaire une entorse au principe de l'équité démocratique de la représentation au Parlement européen (notamment en surreprésentant la population des petits Etats et en sous-représentant celle des grands) : elles révèlent une ambivalence de la légitimité même sur laquelle repose le Parlement européen qui doit prendre en considération non seulement le poids démographique de chaque Etat membre mais aussi la volonté, également légitime, des petits Etats à se voir représentés.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la recherche épineuse d'une règle de répartition des sièges de député au Parlement européen. C'est aussi dans ce contexte que nos propositions chercheront à tenir ensemble les différentes exigences en présence : le mandat de la Conférence intergouvernementale, l'équité démocratique de la représentation de citoyens de l'Union et la prise en compte des contraintes diplomatiques traduisant le poids des réalités étatiques.

II – Quelle règle de répartition des députés ? Evaluation des options envisageables et conclusions

1. Formalisation des objectifs à atteindre et critères d'évaluation

Les exigences auxquelles doit satisfaire la nouvelle répartition des sièges de députés au Parlement européen sont multiples. Le choix de la composition du Parlement doit donc respecter ces contraintes. Cependant, il importe de bien distinguer la nature de chacune d'elles, ce qui va permettre de les hiérarchiser.

1.1. Respecter le mandat de la CIG

Le mandat donné à la CIG lors du Conseil européen des 21-23 juin 2007 est clair et a fait l'objet d'un accord entre l'ensemble des Etats membres. Son objectif est de garantir une représentation minimale aux Etats les moins peuplés de l'Union et de limiter les écarts de représentation entre Etats. Les termes de ce mandat doivent être, en tout état de cause, respectés. Nous les rappelons succinctement :

le nombre total de députés est plafonné à 750 membres ; un plafond est fixé à 96 députés pour un Etat membre ; un plancher est fixé à 6 députés pour un Etat membre ; la représentation des citoyens doit être assurée de façon dégressivement proportionnelle, i.e. le nombre de députés par habitant doit être une fonction décroissante de la population des Etats membres.

Le respect de ces critères est en pratique très facile à contrôler.

1.2. Répondre à l'exigence démocratique

Le mandat de la CIG force la sur représentation des Etats membres les moins peuplés et la sous représentation des Etats les plus peuplés, afin de limiter un écart trop grand dans la représentation entre " grands " et " petits " pays. Néanmoins, une fois ces critères pris en compte, il faut s'assurer que la répartition des sièges de député est la plus démocratique possible. Autrement dit, il faut que le nombre d'habitants pour un député varie le moins possible d'un Etat membre à l'autre. C'est un critère d'équité de la représentation.

L'évaluation du respect de ce critère peut sembler difficile. Il existe pourtant une méthode statistique simple et peu contestable pour y parvenir, présentée ci-après.

1.3. Prendre en compte les contraintes diplomatiques

Bien que le Parlement européen représente les citoyens de l'Union et non les Etats membres, le choix de la répartition des sièges de députés constitue un enjeu politique entre les Etats et donne, par conséquent, lieu à une négociation diplomatique, le Conseil ayant du reste le pouvoir de décision finale quant à la règle qui sera retenue dans le traité modificatif. Chacun des Etats membres espère conserver ses députés et ne pas voir sa situation se détériorer par rapport à l'accord précédent, même si cela se fait au détriment du principe d'équité de la représentation. Le mandat de la CIG rend inévitable une diminution du nombre de députés de plusieurs Etats, puisqu'il faudra ramener le total de députés au Parlement européen de 785 à 750 et le nombre de députés allemands de 99 à 96.

Dans ce contexte, comment formaliser la " contrainte diplomatique " ? Un critère possible est que la répartition qui sera retenue dans la prochaine composition du Parlement européen n'enlève de député à aucun pays par rapport à la répartition qui découle de l'application du traité de Nice modifié par le traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie et corrigé pour respecter le plancher et le plafond de députés par Etat membre fixé par la CIG.

1.4. Deux hiérarchisations possibles : quelle priorité accorder respectivement à l'exigence démocratique et aux contraintes diplomatiques ?

Pour hiérarchiser les 3 objectifs présentés précédemment, on peut d'abord constater que le mandat de la CIG est jugé prioritaire en raison de son caractère juridique ; par ailleurs, il bénéficie de la légitimité issue de l'accord politique obtenu entre tous les Etats membres, lors du Conseil européen de juin 2007. La difficulté consiste à savoir s'il convient de donner la priorité à l'exigence démocratique ou aux contraintes diplomatiques.

De notre point de vue, faire passer la contrainte diplomatique d'abord présente certes l'avantage de faciliter l'obtention d'un accord - ce qui n'est pas négligeable - mais ne fait aucun cas de l'impératif de construction d'une légitimité démocratique dont les responsables politiques savent pourtant l'importance au regard des citoyens de l'Union. Les enquêtes d'opinion et les débats qui ont entouré le traité constitutionnel montrent qu'ils souhaitent un approfondissement démocratique du système institutionnel communautaire. Le Parlement européen devrait, en outre, être l'institution qui se préoccupe le plus de sa légitimité démocratique puisque son rôle est précisément de représenter les citoyens de l'Union.

Donner la priorité à la contrainte diplomatique relève d'une préférence pour le court terme et serait, d'une certaine façon, un rendez-vous manqué de l'Union avec ses citoyens. Conscients néanmoins de la difficulté de cette question, nous présenterons deux propositions, l'une donnant la priorité à l'exigence démocratique, l'autre à la contrainte diplomatique.

2. Evaluation des options envisageables

2.1. Les règles de répartitions envisageables

Nous comparons la composition actuelle du Parlement européen, les règles de répartition actuellement envisagées pour remplir le mandat donné à la CIG, ainsi que deux propositions des auteurs, baptisées respectivement " proposition Fondation Robert Schuman n°1" et " proposition Fondation Robert Schuman n°2". Les options sont donc les suivantes :

2007-2009 : c'est la composition actuelle du Parlement européen. Elle ne respecte pas le mandat de la CIG : le nombre de député est de 785 avec un minimum de 5 pour Malte et un maximum de 99 pour l'Allemagne. En outre, la répartition actuelle ne respecte pas le principe de proportionnalité dégressive.

Nice modifié 2009/2014 : c'est la répartition qui résulterait de l'application des dispositions du Traité de Nice, modifiées par l'acte d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, sans tenir compte du mandat de la CIG.

Nice + I-20 (UE 27) : il s'agit de la proposition 2/ modifiée pour respecter le plancher de 6 députés par Etat membre et le plafond de 96 députés. Le principe de proportionnalité dégressive n'est cependant pas parfaitement respecté.

UE 27/proposition espagnole : il s'agit de la proposition de l'institut espagnol Elcano, sur la base de l'application d'une règle d'ajustement statistique [3]. Elle respecte le mandat de la CIG à une exception près : le principe de proportionnalité dégressive n'est pas respecté pour la République tchèque et la Hongrie.

Proposition Carnero : c'est une proposition formulée par le député européen espagnol Carlos Carnero, qui respecte complètement le mandat de la CIG.

Proposition Fondation Robert Schuman n°1 : cette proposition respecte parfaitement le mandat de la CIG et donne la priorité à l'exigence démocratique par rapport à la contrainte diplomatique. Sur le plan diplomatique, c'est la solution qui accorde le plus de députés à la Pologne, à l'Espagne, à la France, à l'Italie et au Royaume-Uni. Les pays qui perdent des députés dans cette proposition conservent un nombre de députés par habitant très supérieur à celui des Etats membres les plus peuplés de l'Union.

Proposition Fondation Robert Schuman n°2 : cette proposition respecte parfaitement le mandat de la CIG et donne la priorité à la contrainte diplomatique par rapport au principe d'équité de la représentation. Elle se base sur la solution 3/ à laquelle elle ajoute 16 sièges répartis de façon à respecter le mandat de la CIG, et secondairement à améliorer l'équité de la représentation.

On se reportera à l'annexe 1 pour une caractérisation complète de chacune des solutions présentées ci-dessus. La répartition des sièges de députés est donnée pour chaque option dans le tableau suivant :

2.2. Evaluation des règles de répartition envisageables

Pour hiérarchiser les options envisageables, nous les avons comparées selon les critères présentées plus haut. Les résultats figurent dans le tableau suivant :

Les courbes de Lorenz, associées aux différentes options, sont présentées dans l'annexe 2.

Le nombre d'habitants par député de chaque Etat membre est présenté dans l'annexe 3 pour les trois solutions qui respectent le mandat de la CIG.

Un point de comparaison intéressant sur le plan de l'équité de la représentation :

la Chambre des représentants aux Etats-Unis

Le coefficient de Gini mesurant l'équité de la représentation des citoyens des différents Etats américains à la Chambre des représentants aux Etats-Unis est égal à 0,056 (contre 0,271 pour le Parlement européen actuel). Autrement dit, les Etats-Unis se conforment beaucoup plus que l'Union européenne au principe démocratique d'équité de la représentation.

La répartition des sièges par Etat à la Chambre des représentants repose sur les règles suivantes :

le nombre total de sièges est fixé à 435. tous les Etats ont le droit à au moins un représentant pour le reste, la représentation est proportionnelle à la population (à l'heure actuelle, la base moyenne est d'un représentant pour 646 952 habitants) la répartition est réajustée tous les dix ans, après chaque recensement fédéral

3. Résultats de l'évaluation : quelle règle défendre ?

Au regard de l'analyse conduite, deux choix peuvent être faits :

Si l'on souhaite avant tout prendre en compte les difficultés de la négociation sur le plan diplomatique, il faut retenir la proposition "Fondation Robert Schuman n°2" Si l'on souhaite donner la priorité à l'exigence démocratique par rapport aux contraintes diplomatiques, la proposition " Fondation Robert Schuman n°1 " est la meilleure. Cette solution permet un gain important sur le plan de l'équité de la représentation des citoyens de l'Union.

Ces deux solutions respectent parfaitement le mandat de la CIG.

Pour tenir compte des évolutions démographiques, il serait opportun de proposer une clause de révision régulière, par exemple toutes les deux législatures, qui préciserait en outre que la nouvelle répartition adoptée à cette occasion devrait faire au moins aussi bien sur le plan de l'équité de la représentation que la répartition précédente.

Un exemple est donné ci-dessous, en prenant comme hypothèse l'entrée de la Croatie dans l'Union. La répartition des sièges de députés pourrait alors être la suivante dans le cas de la proposition Fondation Robert Schuman n°1 modifiée :

Cette répartition présente un coefficient de Gini de 0,238, ce qui signifie qu'elle est plus équitable que la situation préalable. Elle remplirait ainsi tous les critères de la clause de révision telle que nous l'avons définie.

Dans le contexte de la réforme des institutions de l'Union européenne engagée au début des années 1990, le Parlement européen apparaît comme un élément de démocratisation important. La répartition des sièges de députés entre Etats membres est l'occasion de montrer que l'exigence démocratique formulée par les citoyens européens est prise en compte de façon croissante dans les institutions communautaires. Nous donnons ici un moyen de l'évaluer au travers de la mesure que nous proposons de l'équité de la représentation des citoyens de l'Union et nous donnons un exemple d'amélioration possible de cette équité dans le cadre du mandat de la CIG. Nous avons néanmoins montré qu'il sera difficile d'y parvenir si l'on en reste à un statu quo sur le plan diplomatique, la meilleure solution dans ce cas permettant de respecter le mandat de la CIG mais pas de réaliser des progrès notables dans l'équité de la représentation des citoyens au Parlement. Ce serait alors un exemple de plus de la difficulté d'accompagner l'amélioration de l'efficacité des institutions de l'Union européenne d'un renforcement de leur légitimité démocratique.


[1] En 1999, c'est ainsi le refus de voter l'octroi de cette décharge qui a enclenché le processus ayant conduit la Commission présidée par Jacques Santer à démissionner.
[2] En 2004, "l'affaire Buttiglione" a une nouvelle fois révélé le rapport de forces politique favorable au Parlement européen puisque les députés ont fait plier le Président de la Commission et le Conseil de l'Union en imposant le remplacement du commissaire pressenti pour les questions liées à l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
[3] Victoriano Ramirez Gonzàlez, The parabolic method for the allotment of seat in the European Parliament among Member States of the European Union, Real Instituto Elcano, mai 2007.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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