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Jean-Michel De Waele,
Ramona Coman
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Jean-Michel De Waele
Ramona Coman
La Constitution européenne, adoptée les 17/18 juin 2004 au sommet de Bruxelles, a été signée par les chefs d'Etat et de gouvernement à Rome, le 29 octobre 2004. Pour entrer en vigueur, le Traité établissant la Constitution doit être ratifié jusqu'en 2006 par tous les Etats membres, selon leurs règles constitutionnelles respectives.
La Constitution européenne ne modifie pas le contenu de l'article 52 du Traité sur l'Union européenne relatif à la ratification et l'entrée en vigueur des Traités, bien que cette question ait fait l'objet d'un vif débat dans le cadre des travaux de la Convention. Devant le risque d'accident de parcours, un fort courant s'est développé plaidant pour la modification des articles relatifs à la révision (art. 48 TUE) et à la ratification et l'entrée en vigueur des Traités (art. 52 TUE). Une partie des conventionnels et certains membres du monde académique ont présenté des propositions visant à contourner l'unanimité requise par ces deux dispositions communautaires. Pendant les travaux de la Convention, l'idée selon laquelle une majorité d'Etats serait suffisante pour que le texte de la Constitution entre en vigueur a été défendue ou critiquée. De nombreuses propositions, qui répondaient à la crainte de la non entrée en vigueur du Traité constitutionnel, ont été soumises à l'attention des conventionnels. Notons par exemple le projet élaboré par l'Institut européen de Florence, connue sous son nom de « Pénélope » ou la proposition formulée par Jean-Louis Bourlanges, rapporteur de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen. Plusieurs amendements (introduits entre autre par Alain Lamassoure, Elmar Brok, Andrew Duff ) contenaient des propositions de nature à faciliter la mise en œuvre du Traité par un vote à la majorité (super) qualifiée et l'introduction d'une mesure alternative pour les Etats qui ne l'auraient pas ratifié. Les arguments « pour » et « contre » étaient nombreux, tant dans le camp des adeptes de ces solutions « novatrices » que dans celui des défenseurs de l'unanimité. Des arguments juridiques et politiques venaient à l'encontre des arguments pragmatiques, du bon fonctionnement de l'Union européenne. Les premiers considéraient que l'Union ne pouvait plus avancer en trouvant des solutions ad hoc après des référendums négatifs (voire la ratification du Traité de Maastricht par le Danemark) ou suite à la non ratification des Traités par les parlements nationaux ; « qu'aucun pays de l'Union ne pourra être obligé à participer à des réalisations qu'il ne souhaite pas, mais en même temps aucun pays ne pourra empêcher les autres d'avancer » [1] ; « qu'il est impensable que le projet essentiel de l'Europe future, et deux années de négociations, puissent finir dans les « poubelles de l'histoire » parce qu'à la dernière minute le Parlement d'un petit pays changerait d'avis ou parce que le parti travailliste reviendrait au pouvoir à Malte et retirerait la demande d'adhésion (comme il le fait régulièrement)» [2]. Les adeptes de l'abandon de l'unanimité ont évoqué le « non » des Danois lors de la ratification du Traité de Maastricht et le « non » des Irlandais au moment de la ratification du Traité de Nice. De l'autre côté, les partisans du maintien de l'unanimité, plus nombreux que les précédents, qualifiaient ces solutions « novatrices » de « contraignantes ». Selon eux, l'Europe a toujours avancé en étant une. Par ces nouvelles propositions, il s'agissait de contraindre les Etats à faire partie d'une Union fondée sur une Constitution de peur de ne pas être obligés de la quitter. Des propositions ont aussi été faites pour l'organisation d'un référendum européen. Mais cette procédure de ratification, qui exigeait une révision préalable des Constitutions nationales qui ne contenaient pas de dispositions en la matière, n'était pas sans « risque ». Certains conventionnels ont attiré l'attention sur le fait que les électeurs auront tendance à « répondre à la personne qui pose la question et non pas à la question » [3], surtout si le référendum a lieu seulement dans certains pays de l'Union.
Les membres de la Convention n'ont pas trouvé de compromis sur cette question. De la sorte, le Traité constitutionnel reprend dans la partie IV, consacrée aux « Dispositions générales et finales » le contenu de l'article 52 du Traité sur l'Union européenne. Le Traité établissant une Constitution européenne doit être ratifié par tous les Etats membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, en fonction des traditions de chaque pays : par voie parlementaire (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède pour la ratification des trois derniers traités de l'Union européenne), par voie référendaire (en France, en Irlande et au Danemark pour la ratification du Traité de Maastricht) ou par une combinaison de ces deux mécanismes (au Danemark ou en Irlande pour la ratification du Traité d'Amsterdam et du Traité de Nice).
Parmi les quinze anciens Etats membres de l'UE, qui ont ratifié les traités antérieurs par voie parlementaire, certains d'entre eux ont opté pour la tenue de référendums contraignants ou consultatifs pour la ratification de la Constitution européenne (l'Espagne, le Luxembourg, les Pays-bas, le Portugal, le Royaume-Uni). Les informations présentées dans cette fiche de synthèse sont susceptibles de modification, les discussions sur les procédures de ratification se poursuivent et des changements pourront s'enregistrer dans les mois à venir. En Belgique, par exemple, le Premier ministre Verhofstadt, qui avait annoncé en 2004 l'organisation d'un référendum consultatif sur la Constitution, ne bénéficie plus dans cette démarche du soutien de son partenaire de la coalition gouvernementale, la formation « Spirit » [4]. « Spirit » craint que le Vlaams Belang profitera de cette occasion pour focaliser le débat sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. La voie parlementaire reste la principale procédure de ratification, étant utilisée dans 15 des 25 Etats membres de l'Union. Parmi ceux-ci se trouvent 8 des 10 nouveaux Etats membres de l'Union européenne, les pays dont les Constitutions ne permettent pas la tenue d'un référendum (comme l'Allemagne [5] ou l'Italie [6]) et les Etats (la Suède, par exemple) qui ont jugé ce mécanisme de ratification trop « dangereux » [7].
Le choix de la procédure parlementaire par la majorité des nouveaux Etats membres pourrait s'expliquer par le fait que ces pays ont organisé des consultations populaires en 2003, au moment de la ratification des Traités d'adhésion à l'UE ainsi que par la crainte de multiplier les scrutins européens. Le Parlement lituanien est le premier à avoir ratifié la Constitution, le 11 novembre 2004, quelques semaines après sa signature par les chefs d'Etat et de gouvernement à Rome, avec 84 votes « pour », 4 « contre » et 3 abstentions [8]. Il a été suivi par le Parlement hongrois (304 voix « pour », 9 « contre » et 8 abstentions, 64 députés absents) [9] puis par le Parlement slovène, le 1er février dernier (79 voix « pour », 4 « contre » et 7 abstentions). Chypre, le seul pays des dix nouveaux Etats membres qui n'a pas organisé de référendum pour l'entrée dans l'Union européenne, ratifiera la Constitution par un vote au Parlement national.
En Allemagne et en Italie, bien que certains partis politiques et l'opinion publique aient été favorables à l'idée de la ratification de la Constitution par voie référendaire, c'est la procédure parlementaire qui a été retenue. Le chancelier Schröder a rejeté l'idée de l'organisation d'un référendum, se déclarant pour une ratification « traditionnelle », par le Bundestag et le Bundesrat à la majorité des deux tiers. Le 25 janvier, le jour où le partenaire de la coalition gouvernementale belge, la formation « Spirit », annonçait qu'il ne soutenait plus à la Chambre la proposition de loi visant la tenue d'un référendum consultatif, en Italie, la Chambre des Députés votait le Traité constitutionnel avec 436 voix « pour », 28 « contre » et 6 « abstentions » [10]. La Constitution, doit être approuvée aussi par le Sénat. En Suède, le dernier référendum a été organisé en septembre 2003, quand la population s'est prononcée contre l'introduction de la monnaie unique dans le pays. Les gouvernements maltais, finlandais, grec, slovène, suédois s'engagent cependant à organiser des débats publics avant le vote des assemblées parlementaires.
Certains Etats ont cependant dérogé à la tradition. Des référendums consultatifs, dont les résultats ne préjugent pas le vote des Parlements nationaux, auront lieu en Espagne, aux Pays Bas, au Luxembourg, au Royaume-Uni. Le 20 février 2005, l'Espagne organisera pour la première fois un référendum portant sur des affaires européennes [11]. Les Espagnols sont, par ailleurs, les premiers citoyens européens à se prononcer sur la Constitution par voie référendaire. Selon un sondage réalisé par El País en décembre 2004, 58,8% de la population ne savait pas encore comment voter au référendum du 20 février [12], 90% ignorant le contenu de la Constitution. La campagne a été lancée le 4 janvier et sera soutenue par le président Chirac et le chancelier Schröder. Le référendum sur la Constitution européenne est le premier qui s'organise dans toute l'histoire des Pays-Bas [13] et au Luxembourg, où le vote est obligatoire, la population aura cette année (le 10 juillet) l'occasion de s'exprimer par un référendum national pour la première fois depuis 1937 [14]. Au Royaume-Uni, le dernier référendum portant sur des questions européennes a eu lieu en 1975, les Britanniques s'exprimant à cette occasion pour le maintien du pays dans la Communauté européenne. Des sondages récents montrent qu'un Britannique sur quatre s'oppose à l'entrée en vigueur de la Constitution [15].
Cinq pays (le Portugal, la France, la République Tchèque, la Pologne et le Danemark) se préparent à organiser des référendums à caractère contraignant. Le référendum consultatif en Espagne sera suivi par un référendum contraignant au Portugal, qui aura lieu après les élections générales de 2005. Une campagne « pédagogique » et « collégiale » [16] a été lancée en France, où le référendum sera organisé « avant l'été », d'après les déclarations du président Chirac. Si en septembre 2004, 2/3 de la population française était prête à dire « oui » au Traité constitutionnel [17], le référendum européen pourrait être mis en danger, selon Valéry Giscard d'Estaing, si la question de l'entrée en vigueur de la Constitution n'est pas découplée de celle de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Une campagne du double « non » a été déjà lancée par le Mouvement pour la France (« Non à la Constitution, non à la Turquie dans l'Europe ») et le Front National (« Turquie en Europe, Constitution : je vote non, je garde la France » [18]). En République Tchèque le référendum est prévu pour la fin de l'année 2006, selon la déclaration du Premier ministre, Stanislas Gross [19]. D'après les analystes [20], la stratégie du gouvernement tchèque est basée sur l'hypothèse que la population ne dira jamais « non » si les autres citoyens européens répondent par l'affirmative à la question de l'entrée en vigueur de la Constitution. Vaclav Klaus a refusé de signer à Rome la Constitution, cette mission étant attribuée au Premier ministre du pays [21]. Les principaux opposants à l'entrée en vigueur de la Constitution sont les membres du parti communiste et l'ODS. Un grand débat sur la Constitution et sur la date de l'organisation du référendum a eu lieu dans le Sejm de Varsovie le 8 décembre 2004 [22]. Devant les critiques formulées par la Ligue des familles polonaises, la Plateforme civique et le Parti droit et justice, les membres de la SLD (Alliance de la gauche démocratique) ont souligné l'importance du Traité constitutionnel pour la Pologne et l'Europe. Le président Aleksander Kwaśniewski propose que le référendum soit organisé en 2005, le jour des élections présidentielles. Les sondages montrent qu'une nette majorité des Polonais soutiendrait la Constitution. Le gouvernement doit assurer une participation de 50% au référendum car dans le cas contraire c'est le parlement qui devrait se prononcer et, étant donné la proximité des élections législatives et le succès probable de la droite – nettement plus eurosceptique - les probabilités de voire la constitution ratifiée par voie parlementaire seraient très faibles. Aujourd'hui la Pologne constituerait ainsi une exception. C'est le seul pays où la voie référendaire semble plus prometteuse que la voie parlementaire. L'opposition souhaite que le referendum soit tenu en 2006, après le référendum organisé en Grande Bretagne [23]. Au Danemark, la plupart des Traités de l'Union européenne ont été ratifiés par voie référendaire, en vertu de l'article 20 de la Constitution. Au cours de la dernière décennie, l'Europe a monopolisé l'agenda politique du pays, la population étant appelée à six reprises aux urnes pour se prononcer sur des questions européennes [24]. Le référendum pour la ratification de la Constitution européenne est prévu pour la deuxième partie de l'année 2005. Les membres du Parti socialiste populaire, qui se sont opposés à l'introduction de l'euro, ont approuvé et recommandé l'adoption de la Constitution européenne, lors d'un référendum organisé dans le cadre du parti en décembre 2004. Trois partis s'opposent à sa ratification : le Parti populaire danois, le Parti chrétien démocrate et le Groupe vert.
Que se passerait-il si un des 25 Etats membres de l'UE ne ratifiait pas la Constitution ? Conformément à l'article 48 du Traité sur l'Union européenne, l'absence d'une seule ratification mettrait à néant l'ensemble de l'exercice [25]. Cependant, une déclaration annexée au Traité prévoit que : « si à l'issue d'un délai de deux ans à compter de la signature du traité établissant la Constitution, les quatre cinquièmes des Etats membres ont ratifié ledit traité et qu'un ou plusieurs Etats membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le Conseil européen se saisit de la question ».
[1] Ferdinando Riccardi, Bulletin Quotidien Europe, 8329 – 28/10/2002 & 29/10/2002.
[2] Ibidem.
[3] Agence Europe, 25 avril 2003.
[4] Euractiv, « Belgique : la Constitution européenne ne sera pas soumise à référendum », 20 janvier 2005.
[5] En Allemagne, le référendum est exclu par la Loi fondamentale.
[6] Assemble de l'Union de l'Europe occidentale. Assemblée interparlementaire européenne de sécurité et de défense, Document A/1876, 29 novembre 2004, p. 12.
[7] Assemble de l'Union de l'Europe occidentale. Assemblée interparlementaire européenne de sécurité et de défense, Document A/1876, 29 novembre 2004, p. 12.
[8] Euractiv, « Lithuania first member state to approuve Constitution », 12 novembre 2004.
[9] EUobserver, « Hungarian Parliament ratifies Constitution », 21 décembre 2004.
[10] EUobserver, « Italy 's lower house approuves EU Constitution », 26 janvier 2005.
[11] BBC News, « EU Constitution : Where member states stand », 11 novembre 2004.
[12] Euractiv, « Spanish voters undecided over EU Constitution », 21 décembre 2004.
[13] BBC News, "EU faces Dutch grudge test", 26 octobre 2004.
[14] Gouvernement du Grand Duché de Luxembourg, Actualité gouvernementale, 27 juin 2003.
[15] EUobserver, « Simple question for UK in Constitution referendum », 8 décembre 2004 ; Le Monde, « Une année de bataille s'ouvre pour Tnoy Blair », 3 janvier 2005.
[16] Le Monde, « M. Raffarin pour une campage « pédagogique », 3 janvier 2005.
[17] Euractiv, « Support for Constitution grows in France », 30 septembre 2004.
[18] Le Monde, « Philippe de Villiers et Jean-Marie Le Pen tentent tous deux d'incarner l'opposition au traité européen », 4 janvier 2005.
[19] BBC News, « Czechs delay Constitution vote », 28 octobre 2004.
[20] Jiri Pehe, dans « Czechs delay Constitution vote ».
[21] BBC News, « Czechs delay Constitution vote », 28 octobre 2004.
[22] The Warsaw Voice, « European Debate in the Sejim », 8 décembre 2004.
[23] Warsaw Business Journal, « Politicians begin to grapple with problem of EU Constitution referendum", 27 décembre 2004.
[24] DOSENRODE, Soren, « Les Danois, l'Union européenne et la prochaine présidence », Notre Europe, Etudes et recherches, n° 18, juin 2002, p. 20.
[25] LAMOUREUX, François, « La Constitution « Pénélope » : une refondation pour en finir avec les replâtrages », dans MATTERA, A., « Pénélope ». Projet de Constitution de l'Union européenne, Editions Clément Juglar, 2003, p. 29.
[26] Tableau récapitulatif. Procédures prévues pour la ratification de la Constitution européenne, http://europa.eu.int/futurum/ratification_fr.htm
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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