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Eric Maurice
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ENEric Maurice
Le 9 mai, après un an de travaux, la Conférence sur l'avenir de l'Europe a rendu ses conclusions pour tracer la voie d'une "nouvelle Europe efficace et plus démocratique (...) souveraine et capable d'agir", selon les mots de l'un de ses co-présidents, Guy Verhofstadt (BE, Renew).
Exercice sans précédent de démocratie participative à l'échelle de l'Union européenne, impliquant des citoyens, des experts, des représentants des institutions et des responsables politiques, la Conférence n'aura rempli son objectif que si l'Europe, et en particulier ses États membres, suivent et s'approprient au moins en partie ses recommandations. Une première discussion se tient lors du Conseil européen les 23 et 24 juin, tandis que le Parlement a déjà exprimé sa position et ses attentes.
Alors qu'un débat sur l'opportunité de réviser les traités s'est très rapidement engagé autour de quelques mesures fortes comme la suppression de l'unanimité dans la prise de certaines décisions, les questions soulevées par la Conférence concernent avant tout le contenu et l'objectif des politiques européennes et la participation des citoyens dans la définition et l'élaboration de ces politiques. Initiée avant la pandémie de Covid-19, lancée et conduite entre différentes phases de restrictions sanitaires et conclue en pleine guerre en Ukraine, la Conférence constitue un état des lieux du projet européen à une époque de profonds changements, tout autant qu'un appel à le renouveler. Il convient donc d'examiner ses propositions et les possibilités de leur mise en œuvre.
La Conférence sur l'avenir de l'Europe a été proposée en mars 2019 par le Président français Emmanuel Macron dans sa lettre aux Européens, afin de "proposer tous les changements nécessaires à notre projet politique, sans tabou, pas même la révision des traités". L'idée a été reprise à son compte par la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avec le soutien du Parlement. Retardée par de longues discussions entre institutions sur son fonctionnement, puis par la pandémie, la Conférence s'est ouverte le 9 mai 2021 sous la présidence conjointe du Parlement, de la Commission et du Conseil.
Dans une déclaration commune, les présidents des trois institutions soulignaient qu'il s'agissait d'un exercice "centré sur les citoyens, du bas vers le haut", et s'engageaient à "écouter les Européens et assurer un suivi des recommandations de la Conférence". En incluant les citoyens dans un large débat institutionnel, l'Union européenne avait pour objectif de renforcer sa légitimité démocratique et de consolider le lien entre les institutions et les citoyens. La Conférence a été fondée sur les principes d'inclusion, d'ouverture et de transparence, et sur le respect des valeurs européennes. Le dispositif, complexe, a été élaboré de manière à croiser les perspectives en multipliant les échelles et les acteurs.
Au total, 6 465 événements ont été organisés dans les vingt-sept Etats membres, auxquels ont participé 652 532 personnes. Une plateforme mise en ligne dans toutes les langues officielles a enregistré cinq millions de visiteurs, et 52 346 participants actifs y ont partagé 17 671 idées et laissé 21 877 commentaires. Des panels de citoyens nationaux se sont tenus dans six pays : la Belgique, la France, l'Allemagne, l'Italie, la Lituanie et les Pays-Bas. Quatre panels thématiques, composés de 200 Européens tirés au sort, ont été organisés et ont produit 178 recommandations. Ces dernières ont été évaluées et synthétisées par l'assemblée plénière de la Conférence, composée à égalité de représentants des trois institutions et de représentants des parlements nationaux, ainsi que de citoyens et de représentants des partenaires sociaux et de la société civile. Le rapport final a été rédigé par un conseil exécutif de neuf représentants, issus du Parlement, de la Commission et du Conseil, en collaboration avec la plénière de la Conférence. Au total, les conclusions de la Conférence rassemblent plus de 320 mesures réparties en 49 propositions sur neuf grands sujets.
La répartition des propositions de la Conférence sur l'avenir de l'Europe
Un plan pour une Europe idéale
Au travers de leurs propositions, les participants à la Conférence dessinent un projet d'une Europe qui serait à la fois plus écologique, sociale et démocratique, intervenant davantage et plus directement dans la vie quotidienne et les cadres politiques nationaux. Les mesures proposées vont, pour la plupart, dans le sens des priorités déjà exprimées ou mises en œuvre par l'Union, mais en allant plus loin. "L'Union européenne doit être plus qu'une union économique. Les États membres doivent faire preuve de plus de solidarité les uns envers les autres. Nous sommes une famille et nous devons nous comporter comme telle dans les situations de crise", déclarent les représentants des citoyens, qui estiment que l'Union "doit oser et agir rapidement pour devenir un leader en matière d'environnement et de climat".
Cette ambition se traduit notamment par une demande d'investissement politique et financier plus important pour réduire les dépendances à l'égard des importations de pétrole et de gaz, y compris par la prise en compte des "implications géopolitiques et sécuritaires de tous les fournisseurs d'énergie de pays tiers, notamment en termes de droits de l'Homme, d'écologie, de bonne gouvernance et d'état de droit" (proposition 3.2), et pour mettre en place des réseaux de transports européens et locaux plus durables et accessibles. Elle se traduit aussi par des objectifs collectifs comme des normes sanitaires minimales communes au niveau européen (proposition 10.1) ou la promotion de l'emploi et la mobilité sociale "afin que les personnes aient toutes les chances d'épanouissement personnel et d'autodétermination" (proposition 13.9). On retrouve également cette ambition dans les propositions pour renforcer le modèle européen de protection des données (proposition 26) ou lutter davantage contre la désinformation, y compris par une "révision du modèle économique des médias" pour garantir leur intégrité et leur indépendance (proposition 27.1).
Dans cette quête d'une Europe idéale, la Conférence n'hésite donc pas à appeler à une Union plus dirigiste, qui mettrait, par exemple, en place "un système de coercition et de récompense pour lutter contre la pollution qui applique le principe du pollueur-payeur" (proposition 2.2) ou réduirait les subventions à la "production agricole de masse" pour les rediriger vers "une agriculture durable sur le plan environnemental" (proposition 30.3). Les délégués demandent aussi à l'Union européenne de "ne pas faire de compromis sur les droits sociaux (santé publique, éducation publique, politiques du travail)" (proposition 14.2), ou d'"obliger les enfants, dès l'école primaire, à acquérir des compétences dans une langue active autre que la leur au niveau le plus élevé possible" (proposition 48.2). Elle entend également que l'Union européenne prenne des mesures pour "garantir que toutes les familles bénéficient des mêmes droits familiaux dans tous les États membres", y compris le droit au mariage et l'adoption pour tous (proposition 15.5).
Si les mesures proposées tendent dans leur ensemble à une européanisation accrue des politiques et des moyens d'action, elles traduisent aussi une demande de réglementation surprenante au regard des reproches traditionnellement adressés à l'Union, s'éloignant du "big on big things, small on small things[1]" initié par la Commission. La Conférence souhaite ainsi voir l'Union européenne "promouvoir un régime alimentaire végétal pour des raisons de protection du climat et de préservation de l'environnement" (proposition 6.8), "élaborer, au niveau de l'Union, un programme pédagogique standard sur les modes de vie sains" (proposition 9.2), ou protéger les piétons et cyclistes en "garantissant la sécurité routière et en proposant des formations au code de la route" (proposition 4.7).
Pour des compétences et institutions renforcées
La grande majorité des propositions de la Conférence, en particulier dans les domaines de l'environnement et de l'énergie, du numérique, de l'économie et du social, correspondent à un approfondissement des politiques existantes, afin d'en accentuer la portée ou en accélérer les effets. Mais les participants à la Conférence recommandent aussi un approfondissement de l'intégration communautaire dans des domaines identifiés comme importants, pour affronter les crises actuelles ou renforcer le sentiment d'appartenance des Européens. C'est le cas de la santé, de l'environnement, de l'éducation et de la politique étrangère. Cette intégration plus poussée se traduirait soit par un élargissement des compétences de l'Union européenne, soit par un renforcement des institutions et agences.
La Conférence demande ainsi l'inscription de la "santé et des soins de santé" parmi les compétences partagées entre l'Union européenne et ses États membres, "afin de parvenir à la réalisation de l'action coordonnée et à long terme nécessaire au niveau de l'Union" (proposition 8.3). Comme on a pu le constater lors de la pandémie de Covid-19, l'Union européenne ne dispose jusqu'à présent que d'une compétence d'appui[2] en matière de santé publique et d'une compétence partagée dans un nombre limité de domaines, comme l'amélioration de la santé publique, la prévention des maladies et des causes de danger pour la santé physique, la lutte contre les grands fléaux et la surveillance de menaces transfrontières graves sur la santé[3].
La Conférence propose la mise en place de nouvelles compétences partagées dans le domaine de l'éducation, qui n'est pour l'instant qu'une compétence d'appui, afin de permettre d'ici à 2025 la création "d'un espace européen inclusif de l'éducation avec un accès égal à l'éducation". Les participants demandent ce changement "au moins en ce qui concerne l'éducation civique" (proposition 46.1), dont l'éducation au changement climatique et à l'environnement (proposition 6.7), ou la protection des données (proposition 26.3). Cet élargissement des compétences communautaires se traduirait par une coopération accrue en ce qui concerne les programmes scolaires nationaux, régionaux et locaux.
La mise en place de ces nouvelles compétences supposerait la modification de l'article 4 TFUE, qui précise les domaines concernés. De même, elle propose le renforcement des compétences de l'Union européenne en matière de politiques sociales (proposition 14.1) pour avancer vers une mise en œuvre "intégrale" du socle européen des droits sociaux adopté en 2017.
Pour les participants à la Conférence, le renforcement des institutions communautaires est un corollaire de l'élargissement des compétences de l'Union européenne. Parmi les propositions les plus importantes : doter le Parlement d'un droit d'initiative législative (proposition 38.4), et le "laisser décider" du budget comme le font les parlements nationaux (proposition 38.4). Cette dernière proposition, qui permettrait au Parlement d'amender le Cadre financier pluriannuel et non plus seulement de l'approuver ou le rejeter comme c'est le cas actuellement, est contestée par le Conseil, qui estime qu'elle n'émane pas des citoyens, et par les membres des panels citoyens, qui soulignent qu'ils n'ont pas eu assez de temps pour l'étudier - ce qui laisse entendre qu'elle a été introduite par le Parlement.
Conséquence logique de la communautarisation accrue des politiques qui transparaît derrière ces propositions, la fin du vote à l'unanimité au Conseil est une des autres mesures fortes recommandées par la Conférence. Les délégués estiment que "toutes les décisions actuellement prises à l'unanimité devraient, à l'avenir, être adoptées à la majorité qualifiée[4]", en admettant pour "seules exceptions" les décisions concernant l'adhésion de nouveaux Etats ou portant sur la modification des principes fondamentaux (proposition 39.1). Ils mentionnent tout particulièrement la politique étrangère et de sécurité commune (proposition 21.1) et la politique fiscale (proposition 16.1). Sans plus de précision, ils suggèrent que la majorité qualifiée soit utilisée pour des décisions portant sur des "thèmes définis comme présentant un 'intérêt européen', comme l'environnement".
Des citoyens plus impliqués
La Conférence, qui a été conçue comme l'exercice le plus ambitieux d'implication des citoyens dans la définition des futures politiques européennes, a abouti à une série de propositions visant à renforcer le rôle des citoyens dans la prise de décision. Elle propose même d'établir une Charte européenne pour la contribution des citoyens aux affaires européennes, sur la base de ses recommandations (proposition 36.11).
Afin de créer une "expérience citoyenne complète" pour les Européens, la Conférence propose des mesures de trois ordres : pour une meilleure implication dans les décisions et la vie des institutions ; pour une mobilisation renforcée ; pour des institutions plus proches.
Une première proposition consiste à offrir aux citoyens un rôle plus important dans le choix du président de la Commission, par son élection directe, ou par la pérennisation du système des candidats chefs de file (spitzenkandidaten), selon lequel le candidat du parti arrivé en tête aux élections est désigné par le Conseil européen puis élu par le Parlement (proposition 38.4). Appliqué en 2014 avec l'élection du candidat du Parti populaire européen (PPE), Jean-Claude Juncker, ce système a été contesté en 2019 par le Conseil européen, qui a rejeté Manfred Weber (DE, PPE) et proposé Ursula von der Leyen au vote du Parlement. Il demeure une revendication forte de celui-ci.
La Conférence propose également un vote direct des citoyens, à l'occasion de référendums qui seraient organisés dans l'Union européenne, "à l'initiative du Parlement européen, de manière exceptionnelle, si un thème se révèle particulièrement important pour l'ensemble des citoyens européens" (proposition 38.2). Ces référendums ne devraient néanmoins être organisés que dans des "circonstances exceptionnelles" en raison de leur coût.
En amont de la prise de décision, la Conférence suggère, sans le détailler, un renforcement de la coopération entre les législateurs et les organisations de la société civile (proposition 36.10). Elle recommande en outre l'instauration d'assemblées citoyennes tirées au sort sur des critères de représentativité (proposition 36.7). Créées sur une base juridiquement contraignante, elles se tiendraient tous les douze à dix-huit mois avec la participation d'experts et pourraient émettre des recommandations que les institutions seraient tenues de suivre, sauf si elles peuvent motiver leur refus.
De manière plus générale, la Conférence suggère que les processus de participation des citoyens se déroulent en association avec les organisations de la société civile, les autorités régionales et locales, ainsi que des organes communautaires comme le Comité économique et social européen et le Comité des régions (proposition 36.5). Elle avance aussi l'idée d'un "contrôle par les jeunes" de la législation, lorsque celle-ci est "susceptible d'avoir une incidence" sur eux (proposition 36.9), qui impliquerait une analyse d'impact et un mécanisme de consultation des représentants de la jeunesse. Comme c'est le cas pour la plupart des propositions, peu de détails sont fournis concernant les modalités de mise en œuvre ou leur contenu, relevant plus de la suggestion que de la proposition concrète.
En complément, la Conférence suggère des mesures pour renforcer l'exercice de la démocratie à l'échelle européenne et accroître la mobilisation des citoyens aux élections européennes et, plus largement, dans les débats sur les politiques de l'Union. Elle estime que l'octroi du droit de vote à partir de 16 ans aux élections européennes "mériterait d'être débattu et envisagé" (proposition 47.2). L'enjeu est l'harmonisation des législations nationales dans l'Union, puisque l'âge du droit de vote aux élections européennes a déjà été abaissé à 16 ans en Autriche, à Malte et en Belgique, et à 17 ans en Grèce.
La Conférence souhaite que "certains députés européens soient élus sur des listes paneuropéennes ou transnationales" (proposition 38.3). Cette proposition, qui reprend des discussions de longue date entre partis européens, est en cours d'adoption puisque le Parlement a adopté le 3 mai un projet d'acte législatif qui prévoit l'élection de 28 députés européens dans une nouvelle circonscription à l'échelle de l'Union européenne. Ce projet doit désormais être approuvé à l'unanimité par le Conseil, puis être formellement adopté par les députés européens et les Etats membres.
Un dernier ensemble de propositions a pour but d'aider les citoyens à se sentir plus européens et mieux connaître l'Union. Cela reposerait sur le renforcement des "maisons de l'Europe" et autres points de contact de l'Union au niveau local ou la création de Conseillers locaux de l'Union (proposition 36.6). Dans la continuité du fonctionnement de la Conférence, les délégués suggèrent la création d'une "plateforme numérique conviviale" où les citoyens pourraient "faire part de leurs idées, poser des questions aux représentants des institutions européennes et exprimer leur point de vue sur des questions européennes importantes ainsi que sur des propositions législatives" (proposition 36.3).
De manière plus originale, une proposition porte sur la création d'un fonds de l'Union qui encouragerait les interactions en ligne et hors ligne, comme des programmes d'échange, des panels ou des réunions, des concours, de plus ou moins longue durée entre les citoyens de l'Union (proposition 37.6). La proposition ne précise cependant pas les thèmes qui pourraient être couverts par le fonds.
Mesures applicables à traités constants
Dans une première analyse des conclusions de la Conférence le 17 juin, la Commission européenne classe les mesures en quatre catégories : les initiatives existantes prenant en compte les propositions, comme la loi européenne sur le climat ; celles déjà proposées et actuellement discutées par le Conseil et le Parlement, comme le nouveau pacte sur la migration ; les actions prévues qui pourront prendre en compte les réflexions de la Conférence, comme la législation sur la liberté des médias; de nouvelles initiatives ou de nouveaux domaines de travail s'inspirant des propositions, qui relèvent de la compétence de la Commission, comme les questions liées à la santé mentale.
Une grande partie des recommandations faites par les participants à la Conférence peut être mise en place sans réforme des traités. Ainsi, de nombreuses mesures proposées pour lutter contre le réchauffement climatique et protéger l'environnement, ou concernant la politique extérieure ne nécessitent pas de réforme de traités mais des changements de ligne politique ou l'approfondissement de certaines politiques. "Sur de nombreux points, nous pouvons agir sans retard", a assuré la Présidente de la Commission le 9 mai. Cela requiert cependant une volonté politique partagée entre les Etats membres, la Commission et le Parlement.
Quelques propositions qui concernent des domaines sur lesquels les traités restent vagues pourraient être mises en application par l'instauration d'une "coutume constitutionnelle" qui ferait entrer de nouvelles pratiques dans le fonctionnement politique et institutionnel de l'Union. C'est le cas du système du Spitzenkandidat (proposition 38.4), déjà issu d'une interprétation extensive de l'article 17.7 TUE. Ce pourrait être le cas également d'une évolution "vers des listes paneuropéennes" (proposition 38.3), si les candidats aux élections européennes faisaient campagne en affichant davantage, voire exclusivement, leur appartenance à un parti européen plutôt qu'à un parti national.
Proposition phare de la Conférence, le passage généralisé à la majorité qualifiée au Conseil peut être effectué sans ouvrir une procédure de révision des traités. Il est en effet possible par les clauses passerelles prévues à l'article 48.7 TUE, qui permet d'instaurer le vote à la majorité qualifiée "dans un domaine ou dans un cas déterminé". Cette procédure n'est cependant pas exempte de difficultés, car l'abandon de l'unanimité au Conseil doit être décidé à l'unanimité au Conseil européen et soumis aux parlements nationaux. Dans une résolution adoptée le 9 juin, le Parlement propose de contourner cet obstacle en établissant l'adoption des clauses passerelles à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité.
Une nécessaire révision des traités
Outre l'élargissement des compétences de l'Union en matière de santé, d'éducation et de climat, un certain nombre de mesures proposées, en particulier dans le domaine de la démocratie européenne, requièrent une révision des traités dont l'ampleur dépendra des choix politiques des dirigeants européens.
C'est le cas pour l'établissement d'un référendum européen (proposition 38.2), l'élection directe du Président de la Commission, l'attribution du droit d'initiative législative au Parlement (proposition 38.4) ; la révision du mécanisme d'examen des propositions législatives par les parlements nationaux et la possibilité pour ceux-ci de proposer des initiatives législatives européennes (proposition 40.2). La proposition (39.3) de renommer la Commission "Commission exécutive de l'Union" et le Conseil "Sénat de l'Union" ne pourrait se faire non plus sans retoucher les traités.
D'autres propositions, imprécises en l'état, pourraient aussi requérir une révision des traités en fonction de la manière dont elles seraient mises en œuvre. C'est le cas du souhait d'"examiner la possibilité d'emprunts communs au niveau de l'Union" (proposition 16. 5), s'il signifie pérenniser dans les textes ce qui a été accompli en 2020 pendant la pandémie avec le plan de relance européen de 750 milliards €. C'est également le cas de la proposition 23.1, qui envisage "des forces armées communes prêtes à se déployer dans un but d'autodéfense et destinées à prévenir toute action militaire agressive de quelque nature que ce soit". L'objectif de plus long terme d'élire le Parlement à partir de listes uniquement paneuropéennes ou transnationales nécessiterait de changer le Traité TUE, qui spécifie le nombre d'élus par Etat membre.
Demandes du Parlement
Alors qu'elle ne concerne qu'une minorité des mesures recommandées par la Conférence, la révision des traités est la question la plus débattue parce que la plus lourde sur le plan institutionnel, et la plus périlleuse sur le plan politique. Traditionnellement favorable à une évolution du droit primaire de l'Union pour approfondir l'intégration communautaire et renforcer les pouvoirs des institutions et, en particulier, le sien, le Parlement a d'ores et déjà demandé au Conseil européen d'enclencher une procédure de révision en convoquant une convention.
La Convention, composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d'État ou de gouvernement des États membres, du Parlement et de la Commission, est prévue par l'article 48 TUE dans le cadre de la procédure de révision ordinaire. Elle examine les projets de révision qui tendent à "accroître ou à réduire les compétences attribuées à l'Union" et adopte par consensus une recommandation à une Conférence des représentants des États membres. Cette conférence doit, à son tour, trouver un accord sur les modifications à apporter aux traités, lesquelles doivent ensuite être ratifiées par tous les États membres.
Une autre procédure existe, dite de révision simplifiée, qui ne concerne que les modifications à la troisième partie du TFUE sur les "politiques et actions internes de l'Union". Le Conseil européen prend à l'unanimité une décision qui est ensuite ratifiée par les Etats membres. Cette procédure pourrait être nécessaire en fonction de l'ampleur des décisions prises pour mettre en œuvre les recommandations de la Conférence, en particulier dans les domaines de l'environnement, de l'énergie, des transports et des politiques économiques et sociales.
Dans sa résolution adressée au Conseil européen, le Parlement dresse la liste des changements qu'il souhaite voir introduits dans les traités, outre l'octroi pour lui-même du droit d'initiative et du plein exercice de la codécision sur le budget. Il veut "adapter" les compétences de l'Union, "particulièrement dans les domaines de la santé et des menaces transfrontières sur la santé, dans le cadre de l'achèvement d'une union de l'énergie fondée sur l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables (...), en matière de défense et dans les politiques économiques et sociales". Il demande que le socle européen des droits sociaux soit "pleinement mis en œuvre", et que le progrès social soit intégré à l'article 9 TFUE qui précise les exigences sociales de l'Union européenne. Il propose d'introduire dans les traités des références au renforcement de la compétitivité et de la résilience de l'Union, et au soutien aux investissements pour les transitions "justes, vertes et numériques". Il demande que les traités révisés renforcent la procédure de protection des valeurs de l'Union européenne et précisent "la délimitation et les conséquences des violations des valeurs fondamentales".
Des Etats membres réticents
Les responsables des deux autres institutions ont exprimé une position plus prudente. La Présidente de la Commission, qui présentera ses propositions en septembre lors du discours sur l'État de l'Union, s'est engagée à donner suite aux travaux de la Conférence "soit en exploitant au maximum toutes les possibilités que nous offrent les traités — soit en modifiant ces traités si nécessaire", tout en rappelant comment son institution a su répondre aux crises récentes "en nous appuyant uniquement sur les compétences existantes". Le Président français Emmanuel Macron, dont le pays préside le Conseil jusqu'au 30 juin, s'est déclaré favorable à l'ouverture d'une convention, tout en précisant qu'il faudra "définir nos objectifs de manière très claire parce qu'il faut commencer une convention en sachant où on arrive".
La révision des traités, ordinaire ou simplifiée, et l'activation des clauses passerelles, ne sont possibles que si les Etats membres au Conseil et leurs parlements respectifs sont unanimes. Or treize Etats membres[5] ont mis en garde, dans un document commun, contre les "tentatives inconsidérées et prématurées" de révision, qui risqueraient de "détourner l'énergie politique" des vraies questions que sont la recherche de solutions pour répondre aux citoyens et la gestion des défis géopolitiques auxquels l'Europe est confrontée. Parmi ces treize pays réticents se trouvent la République tchèque et la Suède, qui présideront successivement le Conseil à partir du 1er juillet et jusqu'au 30 juin 2023 et seraient, à ce titre, chargées de conduire les travaux de révision des traités. A l'inverse, six Etats membres[6] se sont déclarés "en principe ouverts aux changements de traités nécessaires conjointement définis" et ont appelé à des discussions entre les trois institutions pour y parvenir.
C'est donc vers une révision des traités ciblée, et strictement encadrée, que pourrait s'orienter l'Union européenne, tout en examinant ce qui, dans les 326 mesures proposées, peut être mis en œuvre sans s'engager dans de longues discussions institutionnelles. Il faut cependant s'attendre à un débat intense entre Etats membres et entre les colégislateurs, Conseil et Parlement, pour définir le caractère indispensable des modifications de traités demandées par les uns et les autres.
Répondre aux attentes
Au-delà de la question épineuse de l'ampleur de la révision des traités, les institutions et les États membres devraient se mettre d'accord sur un ensemble de mesures susceptibles de concrétiser une part plus ou moins importante des propositions de la Conférence. D'une part, parce que la légitimité des décisions à venir sera renforcée si elles s'appuient sur les demandes des citoyens ; d'autre part, parce ces dernières convergent en grande partie avec les projets des dirigeants européens. Une étude du service de recherche du Parlement estime que 37 des 49 propositions convergent partiellement ou de manière significative avec les priorités identifiées par le Conseil européen. La convergence est d'autant plus forte que la pandémie et la guerre en Ukraine ont incité l'Union européenne à accélérer la double transition climatique et numérique tout en développant des stratégies nouvelles en matière de santé, d'industrie ou de convergence économique.
Le bilan de long terme de la Conférence dépendra des réponses qui y seront apportées et de leur adéquation avec les priorités exprimées par les citoyens. La guerre en Ukraine, lancée par la Russie le 24 février 2022, alors que le dernier panel de citoyens achevait ses travaux, a modifié la perception des citoyens européens. Une enquête Eurobaromètre publiée le 15 juin montre que la défense et la sécurité sont devenues la principale priorité en 2022 pour 34% des personnes interrogées, alors que la question est peu développée dans les conclusions de la Conférence. Mais les priorités suivantes, l'autonomie de l'Union européenne en matière d'approvisionnement énergétique (26%), la gestion de la situation économique (24%), l'environnement et le changement climatique (22%) et le chômage (21%), sont largement exprimées dans les propositions de la Conférence.
Dans son analyse du 17 juin, la Commission met en garde contre toute "réinterprétation ou sélection" des mesures proposées mais ne s'engage pas sur la direction à suivre. Pour s'assurer un soutien continu des citoyens, elle envisage une "rencontre de partage des commentaires sur la conférence" à l'automne. Ce qui laisse aux Etats membres le temps d'examiner les nouveautés qu'ils seraient prêts à accepter.
[1] Parfois traduit par la Commission par "très visible sur les grands enjeux, mais plus discrète sur les questions de moindre importance".
[2] C'est-à-dire que l'Union européenne ne peut pas légiférer mais peut soutenir, coordonner ou compléter l'action des Etats membres.
[3] Article 168 TFUE
[4] Un texte ne peut être adopté au Conseil que s'il recueille les voix d'au moins 55% des États membres (soit 15 sur 27), représentant au moins 65% de la population de l'Union.
[5] Bulgarie, Croatie, Danemark, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovénie, Suède.
[6] Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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