Les enjeux de la présidence française du Conseil

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Eric Maurice

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10 janvier 2022
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Maurice Eric

Eric Maurice

Responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation

Les enjeux de la présidence française du Conseil

PDF | 364 koEn français

La France a pris le 1er janvier, pour six mois, la présidence du Conseil de l'Union européenne. L'exercice, qui consiste principalement à diriger les réunions des ministres européens, est également l'occasion pour le pays qui en a la charge temporaire de porter ses priorités, voire une vision politique pour l'Europe. À cet égard, la présidence française intervient à un moment particulier pour l'Union européenne, pour la France et pour son Président, Emmanuel Macron.

Durement touchée par la pandémie, l'Union européenne est à la fois en phase de sortie de crise et d'adaptation aux mutations globales accélérées par la crise. La France, quant à elle, se prépare à une échéance politique majeure, l'élection présidentielle en avril, suivie des élections législatives en juin. Pour Emmanuel Macron, la présidence française du Conseil vient clore un mandat présidentiel fortement axé sur les questions européennes, presque cinq ans après son discours de la Sorbonne.

Même si, par facilité de langage, le mandat de la France est souvent qualifié de "présidence française de l'Union européenne" (PFUE), il s'agit en réalité de la présidence du Conseil de l'Union, l'institution qui représente les États membres au sein du "triangle institutionnel" formé avec la Commission et le Parlement. Le Conseil européen, qui réunit les chefs d'État et de gouvernement, dispose pour sa part d'un Président permanent, l'ancien Premier ministre belge Charles Michel. Pour la France, il s'agit de la treizième présidence du Conseil, la première ayant eu lieu en 1959.

La présidence est chargée de planifier et présider les réunions du Conseil dans 9 de ses 10 configurations ministérielles[1] et ses instances préparatoires au niveau des experts et des ambassadeurs, ainsi que d'organiser diverses réunions formelles et informelles à Bruxelles et dans le pays qui exerce la présidence. Plus de 400 événements sont ainsi prévus en France, dont 19 réunions informelles des ministres européens. La présidence est également chargée de représenter le Conseil dans les relations avec les autres institutions de l'Union, en particulier la Commission, et le Parlement avec lequel il est co-législateur et doit s'accorder pour adopter les lois européennes.

Chaque présidence semestrielle s'inscrit dans un "trio" de présidences, généralement composé d'un grand État membre et de deux plus petits, tous issus d'une région différente de l'Union. Les trois États publient un programme commun pour les 18 mois à venir, afin d'assurer une continuité des travaux du Conseil. Chaque État publie dans ce cadre son programme de présidence semestrielle, dans lequel il met en avant les thèmes et projets qu'il souhaite privilégier parmi les dossiers en cours. Le trio de la France est complété par la République tchèque et la Suède, qui assureront la présidence du Conseil, respectivement au second semestre 2022 et au premier semestre 2023.

Dans leur programme, les trois pays se donnent pour priorité la protection des citoyens et des libertés, la promotion d'un nouveau modèle de croissance et d'investissement européen, la construction d'une Europe plus verte, plus équitable socialement et plus protectrice de la santé des Européens, et une Europe globale, acteur mondial. Dans son programme de présidence, la France dégage trois grands axes : une Europe plus souveraine, un nouveau modèle européen de croissance, une Europe plus humaine.

Chaque trio inscrit son programme dans la lignée du programme du trio précédent. Tous sont élaborés dans le cadre du programme stratégique défini par le Conseil européen tous les cinq ans (le programme actuel a été adopté en 2019), en lien avec le programme de travail annuel de la Commission qui en est la transcription

"opérationnelle". La présidence du Conseil est donc un exercice institutionnel très cadré, au service d'objectifs communs définis en amont, dans la perspective d'une action à court, moyen et long terme. Le cœur de son activité est législatif, puisqu'il s'agit principalement de faire progresser ou aboutir les propositions de directives, règlements ou décisions présentées par la Commission.

Dans la mécanique complexe des institutions européennes, la présidence du Conseil est l'égale de la présidence de la Commission, l'institution qui a le droit exclusif d'initiative législatif, et de la présidence du Parlement, l'institution qui partage avec le Conseil les fonctions législative et budgétaire de l'Union. Mais le poids politique des États membres et la légitimité historique de leurs représentants confèrent également à la présidence du Conseil une dimension symbolique forte dont peuvent se saisir les dirigeants des pays qui la détiennent pour en élargir le cadre. La fonction institutionnelle se double alors d'une fonction programmatique destinée à imprimer une marque politique plus ou moins forte sur les évolutions de l'Union. En déclarant le 9 décembre que, "au fond, il nous faut définir ensemble ce que sera l'Europe de 2030," Emmanuel Macron revendique ouvertement et plus que d'autres dirigeants cette fonction pour la PFUE.

Cette caractéristique est renforcée par le fait que le pays qui assume la présidence, en la personne de son représentant permanent qui préside le Comité des représentants permanents (Coreper), joue un rôle majeur dans la préparation des réunions du Conseil européen, l'organe politique suprême de l'Union qui en définit les orientations principales. Il peut aussi jouer un rôle diplomatique, puisque le Coreper prépare les réunions du Conseil "Affaires étrangères", ou par l'intermédiaire du Comité politique et de sécurité qu'il préside.

La PFUE doit s'analyser dans cette double perspective, qui permet de distinguer les enjeux d'une présidence, entre ce qui se rapporte à la stricte fonction institutionnelle et ce qui ressort de la dimension politique, afin de mieux en évaluer l'action et les résultats.

***

Dans sa communication politique, le programme de la PFUE est résumé par le slogan "relance, puissance, appartenance".

"S'il fallait résumer en une phrase l'objectif de cette présidence, je dirais que nous devons passer d'une Europe de coopération à l'intérieur de nos frontières à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin. C'est ça, l'objectif que nous devons poursuivre", a expliqué Emmanuel Macron le 9 décembre.

Ce slogan, qui exprime autant les priorités européennes portées par le trio que la vision personnelle du président français, inscrit également la PFUE dans différentes temporalités d'action. L'Europe doit en effet consolider son économie touchée par le choc sans précédent de la pandémie de Covid-19 et poser les bases d'une prospérité de long terme. Depuis la mise en commun du charbon et de l'acier, le "développement durable de l'Europe" (article 3 du Traité du l'Union européenne) a été la condition de la stabilité sociale et politique des États membres. Mais à la différence de l'époque de la construction du Marché commun, l'Union évolue désormais dans une économie mondialisée et une architecture globale dont les règles communes ne sont plus spontanément partagées et sont de moins en moins respectées. Renforcer l'Europe économiquement, mais aussi politiquement, diplomatiquement, voire militairement, est nécessaire à moyen et long terme pour garantir la sécurité des Européens et la maîtrise de leur destin. Pour cela, un sentiment d'identité culturelle, sociale et politique commune est indispensable, pour ancrer et approfondir les "solidarités de fait" engendrées par Robert Schuman.

L'activité de la France à la tête du Conseil, qui couvrira tous les domaines de compétence de l'Union, n'est pas entièrement réductible à ce triptyque, mais plusieurs thèmes permettent d'en dégager les enjeux.

Relance et réorientations économiques

La priorité immédiate pour l'Union européenne est la relance économique, qui recouvre la sortie de crise mais également l'adaptation des outils industriels et commerciaux aux défis technologiques, climatiques et géoéconomiques, et la préparation de la politique budgétaire à venir. Ce domaine ne sera pas au cœur de l'activité législative de la PFUE, mais il occupera une place centrale des discussions pilotées par la France au Conseil, ou dans d'autres forums, notamment la réunion informelle des chefs d'État et de gouvernement sur un "nouveau modèle européen de croissance et d'investissement" prévue à Paris les 10 et 11 mars.

Le programme européen de relance est en grande partie inscrit dans le plan NextGenerationEU de 750 milliards € et sa composante principale, la Facilité de reprise et de résilience, dotée de 672,5 milliards € pour financer les plans nationaux des État membres. Au 1er janvier, 22 plans sur les 26 soumis à la Commission ont été approuvés et les 22 pays concernés ont reçu un préfinancement de 13%. La France devrait présider à l'adoption par le Conseil des plans suédois et bulgare, ainsi qu'à celle du plan néerlandais, lorsque le nouveau gouvernement l'aura présenté. La validation des plans hongrois et polonais reste soumise au respect par les gouvernements concernés des conditions posées en matière d'État de droit et de garanties sur l'utilisation des fonds.

Pour les plans déjà approuvés, le versement des tranches de subventions et prêts, prévues en fonction d'objectifs à remplir par les États membres, est piloté par la Commission, après consultation des États membres, et ne sera donc pas une responsabilité de la présidence française du Conseil. La mise en œuvre des plans de relance sera toutefois suivie par les ministres des Finances, en lien avec l'application du Semestre européen et le débat sur la réforme de la gouvernance économique de l'Union.

La question principale de cette réforme sera la révision des règles du Pacte de stabilité et de croissance. Suspendues en mars 2020 pour faciliter la réponse à la crise pandémique, ces règles doivent être à nouveau appliquées en 2023. Leur révision, déjà prévue avant la pandémie, a changé de dimension avec la crise, les plans de relance et l'accélération des transitions climatique et numérique. La France dirigera au Conseil les discussions entre les ministres à ce sujet, mais elle veut profiter de sa présidence pour ne pas limiter la discussion à une simple redéfinition des critères de déficit ou de dette et des mécanismes de sanctions, et pour aller plus loin vers une gouvernance plus politique de la zone euro et des politiques économiques de l'Union européenne.

Le sommet informel des 10 et 11 mars sera pour la France le moment d'imposer ce thème à l'agenda européen au-delà du 30 juin. Lors de sa conférence de presse le 9 décembre, Emmanuel Macron a tracé des lignes très larges de la réflexion dans laquelle il veut engager ses partenaires européens, de la double transition climatique et numérique jusqu'aux coopérations industrielles et au financement de l'innovation. Certains éléments recouvrent des projets déjà engagés par l'Union européenne mais qui demandent un soutien politique pour leur mise en œuvre, comme les stratégies sur les batteries, l'hydrogène ou les semi-conducteurs. Le Président français n'obtiendra pas de décisions fermes sur le nouveau modèle qu'il appelle de ces vœux, mais il tentera d'obtenir l'appui politique des partenaires de la France, notamment l'Allemagne, pour une réorientation à long terme des politiques de l'Union européenne en la matière.

A court terme, l'enjeu pour le président français sera de lier la révision des règles budgétaires à l'accompagnement des plans de relance pour en prolonger et sécuriser les effets et au nécessaire financement de la double transition climatique et numérique. La PFUE sera un moment pour orienter les discussions et décisions futures en ce sens. Dans une tribune commune, Emmanuel Macron et Mario Draghi, Président du Conseil italien, ont déjà appelé à une "stratégie européenne de croissance pour la prochaine décennie", qui intègre les règles révisées à un plan d'investissements communs et une "coordination accrue" permanente.

La France aura également la charge de lancer les discussions sur un autre sujet crucial pour la capacité d'action de l'Union : les ressources propres. Ces dernières, qui permettent à l'Union de financer son budget sans dépendre des contributions des États membres (dites ressources RNB), sont depuis longtemps un sujet de désaccord entre les institutions et les États. Elle est devenue plus importante et urgente avec le retrait du Royaume-Uni, qui a entraîné une baisse des ressources RNB, et le plan de relance NextGenerationEU, financé par un emprunt qui doit être remboursé d'ici à 2057. Le 22 décembre, la Commission a présenté ses propositions pour diriger vers le budget de l'Union, d'ici 2026-2030, 3 sources de revenus : 25% des recettes tirées du système d'échange de quotas d'émission (SEQE), 75% de celles du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, et 15% de l'impôt sur les bénéfices résiduels des multinationales reversés aux États dans le cadre de l'accord à l'OCDE sur la taxation mondiale des entreprises. Un accord d'ici fin juin paraît peu probable.

Transition climatique

Grande priorité de l'Union, la transition climatique constitue de fait une partie importante du programme de la PFUE. En particulier, le paquet d'ajustement à l'objectif 55 (Fit for 55), présenté par la Commission en juillet 2021, est examiné par les Conseils "Environnement, Transports, Énergie" et "Affaires économiques et financières".

Trois dossiers cristallisent la difficulté de la tâche : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), un système d'échange de quotas d'émission (SEQE) spécifique aux secteurs du bâtiment et du transport routier, et le Fonds social pour le climat, en partie financé par les recettes du nouveau SEQE.

Le MACF est un objectif prioritaire de la France pour "concilier compétitivité industrielle avec l'ambition climatique" selon Emmanuel Macron. Un accord au Conseil, et plus encore une adoption définitive avant le 30 juin, semblent toutefois difficile à atteindre, en raison de la complexité du dossier et des enjeux qui s'y rattachent. Tandis que certains Etats s'opposent au projet tel qu'il a été présenté par la Commission, parce qu'ils en craignent notamment les conséquences pour le commerce et la compétitivité des entreprises, d'autres soutiennent le projet mais s'opposent à ce que les recettes perçues abondent principalement le budget européen plutôt que les budgets nationaux.

La discussion entre les ministres de l'Environnement, lors de leur dernière réunion le 20 décembre, a également mis en lumière les divergences entre États membres sur les deux autres mesures phares. D'une part, une importante minorité s'oppose au SEQE bâtiment-transport. D'autre part, des divergences existent entre ceux qui soutiennent le Fonds, ceux qui estiment que le Fonds n'est pas nécessaire et ceux qui jugent qu'il est insuffisant pour atténuer l'impact du SEQE sur les populations les plus fragiles.

Les autres dossiers, également complexes à gérer, concernent la répartition de l'effort, le règlement sur l'utilisation des terres et de la foresterie (UTCATF), et la révision des règles sur les émissions de CO2 pour les voitures et camionnettes neuves.

Santé et politique sociale

La santé, qui n'est selon les traités qu'une compétence partagée dans certains cas, est devenue avec la pandémie de Covid-19 un enjeu tout autant européen que national, et sera un thème important des six mois de présidence française.

La France aura pour objectif de conclure les négociations entre le Conseil et le Parlement pour adopter le projet d'Union européenne de la santé présenté par la Commission fin 2020. Alors que le Conseil et le Parlement doivent valider leurs accords conclus en novembre sur le rôle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et de l'Agence européenne des médicaments (EMA), la France tentera de conclure les négociations avec le Parlement sur le règlement sur les menaces transfrontières graves pour la santé. Le texte doit renforcer la surveillance des maladies infectieuses et autres menaces sanitaires, ainsi que la planification et la coordination des mesures à prendre. Le Conseil doit également définitivement adopter le cadre sur des contre-mesures médicales urgentes, qui permettra à la nouvelle Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA) de fonctionner.

Les ministres de la Santé seront sans aucun doute amenés à se saisir régulièrement de l'évolution de la pandémie et à discuter de nouvelles mesures. Ils tiendront également une réunion le 18 janvier pour échanger sur la résilience des services de santé dans leurs pays et l'échelle de l'Union.

S'agissant des questions sociales, la France devrait pouvoir obtenir l'adoption d'un texte à forte portée symbolique et tentera de faire avancer deux dossiers concernant l'égalité hommes-femmes.

Le texte prioritaire à conclure, puisqu'il répond à une demande du discours de la Sorbonne, sera la directive sur un cadre pour des salaires minimaux adéquats. Les États membres ont adopté leur position commune sur le texte le 6 décembre, et les négociations avec le Parlement, qui a adopté la sienne en novembre, devraient pouvoir commencer assez vite en 2022. Un salaire minimal commun à tous les États étant exclu, les discussions porteront principalement sur la proportion de travailleurs qui doivent être couverts par des conventions collectives (au moins 70% pour le Conseil et 80% pour le Parlement), et sur l'opportunité de fixer un niveau de salaire minimal (la Commission a proposé 60 % du salaire médian brut et 50 % du salaire moyen brut).

La France souhaiterait également entamer les négociations avec le Parlement sur le projet de directive sur la transparence des rémunérations, destinée à lutter contre les écarts de salaires entre les hommes et les femmes, pour laquelle le Parlement doit encore adopter sa position. Elle s'est également engagée à "faire progresser" les discussions sur le projet de directive sur l'équilibre hommes-femmes dans les conseils d'administration, qui reste bloqué au Conseil depuis plusieurs années en raison de l'opposition de plusieurs États membres au nom du principe de subsidiarité.

Le Conseil commencera également à examiner la proposition de la Commission pour réglementer le statut des travailleurs des plateformes présentée en décembre. Les discussions devraient cependant se tenir au niveau des experts et ne pas atteindre le niveau politique avant la fin de la PFUE.

Régulation des plateformes

Depuis le discours de la Sorbonne, la maîtrise par l'Union européenne de l'activité des grandes plateformes numériques et, plus généralement, le contrôle des normes et des données est considéré par la France comme un élément central de la souveraineté européenne. L'adoption de la double législation sur les services et les marchés numériques (DSA et DMA), proposée par la Commission en décembre 2020, sera donc une priorité de la PFUE.

La législation sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA), dont l'objectif est de garantir une concurrence équitable entre les acteurs dominants et les autres, devrait pouvoir être finalisée pendant la PFUE. Le Conseil et le Parlement ont adopté leur position fin 2021 et la divergence principale, qui concerne les seuils de chiffre d'affaires et de capitalisation boursière au-dessus desquels les entreprises sont considérées comme des "contrôleurs d'accès" soumis aux obligations de la législation, devrait pouvoir être résolue.

La législation sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), destinée à lutter contre les contenus illégaux et limiter le rôle des algorithmes, sera plus difficile à faire aboutir avant la fin de la PFUE. Le Conseil a adopté sa position fin 2021, mais le Parlement ne votera sur la sienne qu'en janvier, ce qui repousse le début des négociations entre les deux institutions. Le texte est complexe et les positions des États membres et des députés seront probablement plus difficiles à réconcilier que dans le cas du DMA.

Sécurité et défense

Un temps fort de la PFUE sera l'adoption par le Conseil européen, en mars, de la Boussole stratégique de l'Union. Ce document, en préparation depuis l'automne 2020 sous présidence allemande, doit fournir à l'Union européenne ses orientations politiques et stratégiques pour la décennie à venir dans quatre domaines : la gestion des crises, la résilience, les capacités opérationnelles et les partenariats internationaux.

Il s'agit d'un sujet majeur pour la France et Emmanuel Macron, qui estimait dans son discours de la Sorbonne que "ce qui manque le plus à l'Europe aujourd'hui, cette Europe de la Défense, c'est une culture stratégique commune". La mesure la plus visible proposée par la Commission est la mise en place d'une "capacité de déploiement rapide" de 5 000 hommes d'ici à 2025 pour répondre à des menaces imminentes ou à réagir à une situation de crise, mais le Haut Représentant de l'Union pour les affaires extérieures, Josep Borrell, propose également de renforcer le mandat des missions civiles et militaires de l'Union et de développer des liens opérationnels avec les coalitions européennes comme la Task Force Takuba au Sahel. Le projet de boussole prévoit également de renforcer les cyberdéfenses de l'Union, ainsi que la planification et la coopération en matière de développement des capacités et d'industrie de défense, avec notamment la création, dès 2022, d'un centre d'innovation de défense au sein de l'Agence de défense européenne.

Pour la France, l'enjeu sera d'imposer un rythme rapide à la mise en œuvre de la Boussole. La publication par la Commission, prévue le 9 février, d'un "paquet défense" comprenant une feuille de route sur les technologies de sécurité et de défense, devrait lui permettre de maintenir le sujet à l'agenda, même si le sommet sur la défense annoncé en septembre dernier par la Présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, n'est plus au programme.

Migration et asile

Le dossier de la migration et de l'asile est l'un des plus importants pour la sécurité et la cohésion de l'Union européenne, mais il est aussi de ce fait l'un des plus complexes et difficiles à faire aboutir. Le nouveau pacte pour la migration et l'asile, proposé par la Commission en septembre 2020, prévoit entre autres une révision des règles d'examen des demandes d'asile pour mieux filtrer les migrants et alléger la charge des pays de première entrée, un mécanisme plus flexible de répartition des demandeurs d'asile entre États membres et une recommandation pour un mécanisme de de préparation et de gestion des crises migratoires. Mais en raison des divergences profondes entre les États membres, en particulier ceux de la Méditerranée et ceux d'Europe centrale et orientale, l'examen du pacte en est resté au stade des discussions exploratoires. Seule la nouvelle Agence européenne de l'asile a pu être mise en place.

L'adoption du pacte dans sa forme présentée en 2020 paraît compromise. Dans son programme de présidence, la France s'engage simplement à "s'appuyer sur le pacte" pour définir "des solutions aux problèmes les plus urgents". Les discussions seront davantage articulées autour des demandes des chefs d'État et de gouvernement, confrontés d'une part à la situation en Méditerranée et désormais aux frontières orientales de l'Union, et d'autre part pour certains d'entre eux à une pression politique interne.

Face à l'afflux continu de migrants qui ne peuvent prétendre à l'asile, les États membres se concentrent sur la protection des frontières et la dimension dite externe de la politique migratoire avec, en particulier, les retours vers les pays d'origine. Dans ses conclusions de décembre 2021, le Conseil européen presse ainsi la Commission de "prendre rapidement des mesures pour assurer des retours effectifs", mais aussi de rendre opérationnels "sans plus attendre" les plans d'action présentés pour les pays d'origine et de transit, et de mettre en œuvre

"sans tarder" des financements pour "des actions liées à la migration sur toutes les routes".

Le sommet avec l'Union africaine prévu à Bruxelles les 17 et 18 février, organisé par la Commission et le Président du Conseil européen, sera en grande partie axé sur les questions migratoires et les partenariats avec les pays d'origine et de transit. La France, par sa position particulière vis-à-vis de l'Afrique, promeut un "New Deal économique et financier" et utilisera la présidence du Conseil pour tenter d'élargir les discussions.

Cette orientation externe de l'action migratoire doit s'articuler avec un "pilotage politique" de l'espace Schengen de libre circulation, "à travers des réunions régulières des ministres en charge de ces questions", selon le président français. La France veut s'appuyer pour cela sur la révision du mécanisme d'évaluation et de contrôle de Schengen proposé par la Commission en juin 2021 pour accélérer les procédures en cas de manquement grave et accroître la "pression des pairs" sur les pays fautifs. La France devrait pousser pour une adoption avant juin. Elle lancera également l'examen de la révision du code Schengen présenté par la Commission le 14 décembre afin de mieux contrôler les flux migratoires aux frontières externes et internes et pour mieux encadrer la gestion de crises comme des menaces terroristes ou de futures pandémies.

Démocratie et État de droit

Avertie par les élections américaines de 2016, et face aux campagnes de manipulations de l'information qui se sont amplifiées pendant la pandémie, l'Union européenne tente de mettre en place des outils et des mécanismes pour protéger son système démocratique des interférences étrangères. La France veut faire avancer les travaux pour l'adoption de la révision du statut et du financement des partis politiques, l'encadrement des publicités politiques en ligne et à la modification de l'Acte électoral présentées par la Commission en novembre 2021. Elle s'est également engagée à mener une réflexion sur la préservation et la promotion du pluralisme des médias et à travailler à la création d'un fonds de soutien européen au journalisme indépendant et d'investigation, dans la perspective d'une loi européenne sur la liberté des médias que la Commission prévoir de présenter fin juin.

La démocratie et l'État de droit sont également menacés dans certains États membres par leur propre gouvernement. A la présidence du Conseil "Affaires générales", la France est pour 6 mois chargée de poursuivre les procédures ouvertes contre la Pologne et la Hongrie dans le cadre de l'article 7. Elle s'engage à rechercher une solution "par le maintien d'un dialogue ouvert et constructif", et ne devrait donc pas tenter d'organiser un vote pour constater le "risque clair de violation grave" des valeurs de l'Union dans les deux pays, même si une audition des deux pays par le Conseil est prévue. Si la Commission engage des procédures contre l'un ou l'autre, ou un autre pays, dans le cadre du règlement sur la conditionnalité budgétaire, la France assure qu'elle "veillera à une mise en œuvre rapide et adéquate" des sanctions prévues. Néanmoins, puisque la Commission attend que la Cour de Justice se prononce sur la validité du règlement et qu'une procédure, une fois enclenchée, prendra au minimum 5 mois, il est très improbable qu'une décision soit prise pendant la présidence française.

Grand projet de démocratie participative initié par la France, la Conférence sur l'avenir de l'Europe se terminera pendant la PFUE. Un événement "de haut niveau" se tiendra à Strasbourg en mai et les recommandations des citoyens devraient être discutées au Conseil européen fin juin. La PFUE touchera à sa fin et la position de la France sur l'avenir de l'Union dépendra alors en partie des résultats des élections présidentielle et législatives qui viendront de se tenir.


[1] Le Conseil "Affaires étrangères" est présidé par le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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