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La politique agricole commune 2023-2027 : Le changement dans la continuité

Agriculture

Bernard Bourget

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20 septembre 2021
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Bourget Bernard

Bernard Bourget

Ingénieur général honoraire des ponts, des eaux et des forêts, Membre correspondant de l'Académie d'agriculture de France

La politique agricole commune 2023-2027 : Le changement dans la continuité

PDF | 165 koEn français

1. Une évolution continue de la PAC depuis 1992

Avant d'examiner le contenu de cette "nouvelle" PAC, il paraît utile de rappeler les évolutions qu'elle a connues au cours des trois dernières décennies, depuis la grande réforme de 1992, et d'en dresser un bilan.

On considère qu'une politique est vivante si elle sait évoluer et s'adapter aux changements de son environnement. De ce point de vue, la PAC apparaît encore bien vivante.

La réforme de 1992 a consisté à remplacer le soutien des prix agricoles par l'attribution d'aides directes compensant les baisses de prix. La PAC a ensuite connu des révisions périodiques, liées le plus souvent aux programmations pluriannuelles du budget de l'Union européenne.

Ce fut en 1999 la création du "deuxième pilier" de la PAC qui rassemble diverses mesures, notamment les mesures agroenvironnementales (MAE) cofinancées par les États membres et un fonds européen spécifique : le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

La seconde réforme importante de la PAC a été décidée en 2003 : elle s'est traduite par le découplage, au moins partiel, des aides directes par rapport aux productions, qui s'est poursuivi en 2008.

Dans le cadre de la programmation financière 2014-2020, le principal changement de la PAC a été le verdissement qui a consisté à réserver 30% des aides directes à un paiement vert, dont l'attribution est subordonnée au respect de trois conditions : le maintien des prairies permanentes, la diversification des cultures et la réservation d'au moins 5% des terres arables à des surfaces d'intérêt écologique telles que les haies ou les mares.

Pourtant, selon la Cour des comptes européenne, le verdissement n'a pas vraiment rendu les pratiques agricoles plus favorables à l'environnement et au climat[1], en raison notamment d'un manque de ciblage des mesures offertes au choix des agriculteurs qui leur permettait de ne modifier qu'à la marge leurs pratiques culturales pour bénéficier du paiement vert.

Cependant, l'évolution de la PAC au cours des trente dernières années a bien été marquée par une montée progressive de la prise en compte de l'environnement, avec les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) exigées des agriculteurs pour l'attribution des aides directes du premier pilier et surtout les mesures agroenvironnementales du deuxième pilier qui sont devenues des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC).

L'autre évolution de la PAC durant cette période concerne l'organisation des marchés, qui était le fondement de cette politique lorsqu'elle a été mise en place en 1962 : la suppression ultérieure des organisations de marché par produit remplacées par une organisation unique, la suppression des quotas de production et la limitation de l'intervention à un simple filet de protection ont incité les agriculteurs à mieux répondre aux signaux des marchés ; mais la désorganisation des marchés agricoles mondiaux, aggravée par les effets du changement climatique, et la volatilité des prix agricoles qui en résulte, montrent qu'on est allé trop loin dans le démantèlement des outils de régulation des marchés de la PAC.

La dernière évolution marquante est l'extension de l'application du principe de subsidiarité dans la PAC, qui devrait connaître un nouveau développement au cours des années 2023 à 2027 dans le cadre des programmes stratégiques nationaux. Il fallait évidemment tenir compte de la diversité des agricultures européennes à la suite des élargissements successifs de l'Union européenne, mais il faut éviter de transformer la PAC en une "politique agricole à la carte" conduisant ensuite à sa renationalisation.

2. Une longue négociation pour la PAC 2023-2027

La principale nouveauté figurant dans les propositions présentées par la Commission européenne pour la politique agricole commune, au mois de juin 2018, dans le cadre de la programmation financière pluriannuelle 2021-2027, consistait à confier à chaque État membre l'élaboration d'un plan stratégique national lui permettant d'adapter les outils de la PAC à ses besoins propres et à ses priorités.

Elle a été bien accueillie par les États membres au sein du Conseil des ministres de l'agriculture, qui auront plus de souplesse, mais également une plus grande responsabilité, dans l'élaboration et l'application de leurs plans stratégiques nationaux, car ils seront jugés sur leurs résultats.

En revanche, cette proposition a suscité quelques réticences chez les députés européens qui craignaient de voir les négociations directes entre la Commission et les États membres leur ôter une partie de leur pouvoir alors que l'extension de la compétence du Parlement européen au premier pilier de la PAC ne date que du traité de Lisbonne.

La Commission a tenté d'engager rapidement la négociation sur sa proposition de façon qu'elle puisse être adoptée avant le renouvellement du Parlement européen en mai 2019. Le Conseil et le Parlement ont refusé de s'engager dans une négociation précipitée qui avait d'ailleurs fort peu de chances d'aboutir dans ce délai, d'autant que le budget de l'Union européenne pour les années 2021 à 2027 n'était pas arrêté et que les crédits prévus pour la PAC étaient annoncés en baisse.

La négociation n'a véritablement débuté qu'en 2020, après le renouvellement du Parlement européen et l'installation de la nouvelle Commission. La mise en œuvre de la "nouvelle" PAC a donc été reportée, dans un premier temps, de 2021 à 2022.

La Commission, présidée par Ursula von der Leyen, a fait des questions environnementales et climatiques une priorité de son mandat et a ainsi présenté en 2020, dans le cadre de son Pacte vert, deux stratégies interférant avec la négociation de la PAC :

- La stratégie "de la ferme à la table" qui préconise, d'un côté, de réduire d'ici 2030 de 50% les usages de pesticides en agriculture et des antibiotiques dans les élevages, de 20% ceux des engrais de synthèse et, de l'autre, de fortement augmenter la part des surfaces agricoles en agriculture biologique pour la porter de moins 10% actuellement à 25% à l'échéance de 2030 ;

- La stratégie pour la biodiversité qui prévoit de retirer 10% des terres agricoles de la production pour les réserver à une protection écologique renforcée.

Ces deux stratégies ont suscité des craintes dans le monde agricole, car il ne suffit pas de fixer des objectifs environnementaux ambitieux aux agriculteurs ; il faut aussi s'assurer qu'ils auront les moyens de les atteindre.

Quant à l'objectif de 25% de surfaces pour l'agriculture biologique, il pourrait se heurter à une saturation du marché pour certains produits dans la mesure où les produits issus de l'agriculture biologique sont en général plus chers que les produits de l'agriculture conventionnelle.

Il a ensuite fallu attendre la fin de l'année 2020 pour connaître le montant des crédits alloués à la PAC dans la programmation budgétaire 2021- 2027 : soit 387 milliards €, dont 270 milliards pour les paiements directs aux agriculteurs. La mise en œuvre de la "nouvelle" PAC a dû à nouveau être reportée d'un an, pour n'être appliquée que pendant les cinq dernières années de la programmation financière, de 2023 à 2027.

Entretemps, le Conseil des ministres de l'agriculture et le Parlement européen avaient chacun adopté leur projet pour la PAC en octobre 2020. Les deux projets différaient principalement sur le pourcentage minimal des paiements directs à réserver aux programmes écologiques ("éco-régimes") dans les plans stratégiques des États membres : Le Parlement reprenait à son compte le seuil de 30% proposé par la Commission, tandis que le Conseil se prononçait pour un seuil minimal de 20%.

Le Parlement avait également suivi la Commission pour rendre obligatoire le plafonnement des paiements directs par exploitation et leur dégressivité, ce que le Conseil refusait.

C'est à partir de ces deux positions que le trilogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement s'est ensuite engagé pour aboutir à l'accord du 25 juin 2021.

3. La PAC pour les années 2023 à 2025 et les plans stratégiques nationaux

Les trois projets de règlement qui ont fait l'objet de l'accord le 25 juin dernier portent respectivement sur les plans stratégiques, l'organisation des marchés, le financement, la gestion et le suivi de la PAC. Ils vont maintenant être mis en forme et soumis pour approbation au Conseil et au Parlement européen.

Les points principaux de cet accord portent sur ce que la Commission appelle la nouvelle architecture verte et le renforcement de la position des agriculteurs dans la chaîne alimentaire.

La nouvelle architecture verte de la PAC repose sur :

- une conditionnalité renforcée pour les paiements directs ;

- es programmes écologiques du premier pilier (éco-régimes) et les mesures agroenvironnementales et climatiques du deuxième pilier qui devront être intégrés dans les plans stratégiques nationaux.

Le renforcement de la conditionnalité environnementale sera assuré par des exigences accrues au titre des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) telles que :

- la rotation des cultures qui devient obligatoire pour les exploitations d'au moins 10 hectares, sauf pour celles qui ont beaucoup de prairies ou qui pratiquent l'agriculture biologique ;

- l'obligation pour ces exploitations de consacrer au moins 4% de leurs terres à des surfaces non productives d'intérêt écologique, comme les haies, les mares ou la jachère. Ce seuil est abaissé à 3% pour les exploitations qui consacrent d'importantes surfaces aux cultures de plantes fixatrices d'azote(légumineuses).

Les programmes écologiques, dénommés "éco-régimes" par la Commission, constituent la véritable nouveauté du volet environnemental de la PAC. Ils ont pour objet de soutenir des pratiques agricoles respectueuses du climat et de l'environnement, comme l'agriculture biologique, l'agroforesterie ou l'agriculture de précision, ainsi que l'amélioration du bien-être animal. La part des paiements directs qui leur seront alloués (25%) est le résultat d'une âpre négociation entre le Conseil et le Parlement qui se reflète dans le compromis final, puisque pendant les années 2023 et 2024, qualifiées de période d'apprentissage, les États membres auront la possibilité de consacrer moins de 25% des paiements directs aux programmes écologiques.

La part des crédits du second pilier de la PAC, qui cofinancent les mesures agroenvironnementales et climatiques, devra être d'au moins 35% au lieu de 30% actuellement.

Si le verdissement de la PAC connaît de réelles avancées, ce n'est pas le cas pour la répartition des aides entre les exploitations qui devrait rester aussi inégalitaire. Certes, le paiement redistributif est reconduit : il sera obligatoire pour tous les États membres et devra représenter au moins 10% de l'enveloppe des paiements directs. Le Conseil a de nouveau refusé de rendre obligatoire le plafonnement et la dégressivité des paiements directs proposés par la Commission pour les grandes exploitations. La course à l'agrandissement des exploitations va donc se poursuivre et rendre plus difficile l'installation en agriculture hors du cadre familial, bien que la part de l'enveloppe des paiements directs réservée aux jeunes agriculteurs soit par ailleurs augmentée de 50%.

Les abus constatés dans des exploitations employant une importante main d'œuvre, surtout saisonnière, ont conduit à introduire une dimension sociale dans la PAC pour sanctionner les chefs d'exploitation ne respectant pas les obligations des directives relatives, d'une part, à la prévisibilité et à la transparence des conditions d'emploi[2], et, d'autre part, à la sécurité et à la santé des travailleurs agricoles[3].

L'organisation des marchés regagne un peu de terrain après plusieurs décennies de dérégulation des marchés agricoles européens.

L'instabilité des marchés agricoles mondiaux, qui risque de s'accroître avec le changement climatique, entraîne une forte fluctuation des prix agricoles et de graves difficultés pour les agriculteurs lorsqu'il y a une surproduction, comme lors de la crise laitière de 2015 et 2016.

Les mesures adoptées en juin 2021 s'inscrivent dans le prolongement de celles du règlement "omnibus[4]" et devraient contribuer à prévenir et à mieux gérer les crises agricoles, en rendant possible la réduction volontaire de la production avant la généralisation de la crise dans le secteur concerné et en assurant le suivi des marchés agricoles par des observatoires européens.

En outre, la possibilité de gérer collectivement une production, actuellement limitée à quelques produits sous AOP (appellation d'origine protégée) sera étendue à l'ensemble des produits bénéficiant d'une AOP ou d'une IGP (indication géographique protégée).

Le soutien aux organisations de producteurs, qui a fait la preuve de son efficacité pour les fruits et légumes, sera étendu à tous les secteurs agricoles.

Enfin une réserve financière d'au moins 450 millions € par an sera créée pour faire face aux crises futures.

4. Le plan stratégique de la France

Tous les États membres devront soumettre leurs projets de plans stratégiques, qui sont les déclinaisons nationales de la PAC, à la Commission européenne avant la fin de l'année 2021.

L'élaboration du plan stratégique de la France, qui a été précédée d'une large consultation de la population conduite par la commission nationale du débat public, est bien avancée. Des consultations ont ensuite été organisées par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation au cours du printemps 2021.

Pour la France, le plan stratégique national doit contribuer à la fois à faciliter la transition écologique de l'agriculture française et à améliorer sa compétitivité tant à l'international, où les parts de marché de l'agroalimentaire français se sont érodées depuis une vingtaine d'années (de 8% en 2000 à 4,7% en 2019), qu'au sein de l'Union européenne. En effet, la concurrence des États membres ayant des coûts de production plus faibles que la France est de plus en plus vive, en particulier de la part de la Pologne qui a su pleinement utiliser les moyens mis à sa disposition dans le cadre de la PAC.

Comme la plupart de ses collègues des autres États membres, le ministre s'attache à faire bénéficier le plus grand nombre possible d'agriculteurs français des financements de l'"éco-régime", en accordant une égalité de traitement entre les exploitations certifiées au titre de l'agriculture biologique et celles qui ont la certification "haute valeur environnementale" (HVE).

La France devrait notamment utiliser les marges de manœuvre offertes dans la PAC pour soutenir son programme de développement des légumineuses, afin de réduire la trop forte dépendance de la France aux importations de protéines végétales, et augmenter le soutien aux jeunes agriculteurs, dont la mise en œuvre est confiée aux régions.

***

Dans une perspective de long terme, la PAC des années 2023 à 2027 s'inscrit indéniablement dans le prolongement des programmations précédentes. Ainsi, la prise en compte de l'environnement et du climat franchit un nouveau pas, que certaines organisations environnementales jugent insuffisant, mais qui va demander des efforts importants à nombre d'agriculteurs pour répondre à de nouvelles exigences : c'est une évolution, pas une révolution.

Il convient de rappeler que la PAC ne peut être dissociée d'autres politiques européennes, en particulier de la politique commerciale de l'Union européenne. En effet, les exigences environnementales, sanitaires, sociales et de bien-être animal imposées aux agriculteurs européens ne seront supportables que si elles sont aussi imposées aux importations en provenance de pays tiers. Cela vaut tout particulièrement pour les grands pays agricoles avec lesquels l'Europe a conclu ou négocie des accords de libre-échange, tels que le Brésil, l'Argentine, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande. Or, dans ce domaine, on n'en est encore qu'au stade des déclarations d'intention.

De même, la contribution de l'agriculture à la lutte contre le changement climatique implique une augmentation du prix du carbone harmonisée à l'échelon européen et la création d'une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne, dont les contours ont déjà été présentés par la Commission européenne dans son "Ajustement à l'objectif 55", rendu public le 14 juillet dernier.


[1] Rapports spéciaux 13/2020 sur la biodiversité des terres agricoles et 16/2021 sur la PAC et le climat
[2] Directive (UE) 2019/1152 du 20 juin2019
[3] Directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 et Directive 2009/104/CE 16 septembre 2009
[4] Règlement (UE)2017/2393 du 13 décembre 2017

Directeur de la publication : Pascale Joannin

La politique agricole commune 2023-2027 : Le changement dans la continuité

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