Modèle social européen
Nicolas Blain
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ENNicolas Blain
Qui aurait pu penser que la Commission européenne, un an et demi après le début de la pandémie, mettrait en place, avec un " certificat européen ", un sésame permettant de voyager sans difficultés au sein de l'Union européenne ?
L'impact mondial de la crise sanitaire de Covid-19 a donné vie à ce scénario digne de la science-fiction, après une tempête d'une violence sans précédent, qui a commencé par faire vaciller les bases de l'unité européenne, puis a mis à mal, probablement de manière durable malgré le succès tangible des campagnes de vaccination, toutes les formes de mobilité européenne et les différents écosystèmes qui lui sont liés.
En cet été 2021, synonyme d'espoir mais également d'interrogations lancinantes, quelles premières conclusions tirer de ce tremblement de terre qu'a constitué la pandémie pour la mobilité des citoyens européens et quelles nouvelles perspectives positives s'ouvrent pour les différents secteurs de la mobilité, tous confrontés à un avant et un après Covid-19 ?
1. Février 2020 : les frontières se ferment, l'Europe vacille
La mobilité des personnes est une valeur fondamentale de la construction européenne et l'espace Schengen, pilier du projet européen, est son cadre. Depuis sa création en 1995 et avec la suppression du contrôle des passeports à l'intérieur de cette zone, le droit à la libre circulation dans l'Union européenne s'est concrétisé pour tous les citoyens européens, qui peuvent vivre, étudier, travailler et prendre leur retraite en tous points de l'Union. Cette possibilité de libre franchissement des frontières est donc le socle de l'unité européenne et, bien entendu, un terrain très fertile pour le développement du marché unique européen, la mobilité étant au cœur des échanges économiques.
Pourtant, dès que les États membres se trouvent confrontés à la certitude de la gravité de la pandémie de coronavirus, l'Union européenne tremble sur ses bases avec des décisions unilatérales de fermeture des frontières, sans information préalable de la Commission ou concertation au sein du Conseil européen. Le 17 février 2021, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, déclare, face au risque majeur de déstabilisation, que les mesures de contrôle aux frontières intérieures "ne stoppent pas le virus, mais portent une atteinte considérable au marché intérieur ". Les rappels à l'ordre sur la liberté de circulation intra-européenne se poursuivront, avec notamment une lettre adressée en février 2021 aux 27 ministres de l'Intérieur et de la Justice par le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, et la commissaire aux Affaires intérieures Ylva Johansson, à la suite de nouvelles fermetures de frontières dans certains États membres.
Une coordination européenne renforcée prendra petit à petit le dessus, cependant la crise a démontré, non seulement dans la brutalité des premiers mois mais aussi au fur et à mesure des vagues successives de la pandémie, la fragilité de ce qui lui semblait un acquis définitif : la mobilité de ses citoyens, fondée sur le droit européen. L'absence de compétences de l'Union européenne dans le domaine de la santé publique, qui relève des États membres, apparaît alors de manière criante, en ruinant dans un premier temps les efforts nécessaires de coordination. La crise de Covid-19 fracture l'Europe.
Au-delà des répercussions majeures de ces fermetures désordonnées de frontières sur l'unité européenne, la crise met aussi à mal la coordination des décisions mondiales face à la pandémie et, par conséquent, le multilatéralisme, alors que la nécessité d'une réponse globale, à la mesure de la rapidité de la diffusion du virus, aurait dû s'imposer. En témoigne alors l'absence d'impact des déclarations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le caractère incertain de l'efficience des fermetures de frontières.
2. Après le choc, la réaction de l'Union européenne
2.1 - L'initiative des " voies vertes " pour la circulation des biens et des services et la survie du marché intérieur
La préservation de la libre circulation des marchandises au sein de l'Union est la véritable clef de voûte du marché unique et les fermetures des frontières risquaient de perturber lourdement les chaînes d'approvisionnement. Afin de préserver la circulation transfrontalière des marchandises, la Commission a rapidement défini, dès le 23 mars 2020, des lignes directrices en matière de fret afin d'assurer la continuité de l'approvisionnement durant la fermeture des frontières. Des " Green Lanes " sont alors mises en place, ouvertes principalement aux points de passage du réseau transeuropéen de transport (RTE-T).
Même si les fermetures unilatérales mises en place par des États membres ont entraîné des embouteillages, immobilisant ainsi pendant parfois 24 heures les véhicules de transport de marchandises aux postes-frontières terrestres, ces " voies vertes " ont, après cette phase de chaos, préservé la fluidité des échanges commerciaux, notamment en limitant à 15 minutes les contrôles et examens de santé des travailleurs du secteur des transports.
Cette initiative des " Green Lanes " fut, bien entendu, cruciale dans la gestion de la crise sanitaire en permettant le bon acheminement des médicaments et des équipements médicaux.
2.2 - Le certificat COVID numérique européen, nouveau sésame pour la libre circulation des personnes ?
Au fur et à mesure des progrès des campagnes de vaccination, Bruxelles s'est penchée, pour relancer la mobilité des citoyens européens et soutenir un secteur du tourisme sinistré en 2020 (en atteste la baisse de la fréquentation hôtelière en Europe de 66,4% en juillet 2020), sur la mise au point d'un système permettant la libre circulation des personnes dans une sécurité la plus élevée possible, alors que le virus circule encore.
Après avoir écarté du débat l'idée d'un passeport vaccinal, perçu comme étant trop restrictif, la stratégie de la Commission européenne a été axée sur l'élaboration d'un " Certificat Vert Numérique ", renommé " Certificat Covid numérique de l'Union européenne ", visant à une approche unifiée et coordonnée entre les 27 Etats mmebres. Cette initiative doit permettre d'éviter les décisions isolées. Par exemple, si un État membre continue à imposer des mesures restrictives, telles qu'une quarantaine ou des tests à l'arrivée sur son sol, au détenteur d'un certificat Covid, il doit en informer la Commission européenne et le Conseil et justifier sa décision.
Le principe de ce " pass sanitaire " est simple : toute preuve de vaccination (par un des quatre vaccins reconnus par l'Agence européenne des médicaments), de test PCR négatif ou de guérison du virus Covid-19 délivré par un État membre sera reconnu par les 26 autres, ainsi que par la Suisse, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein, via un code QR. Valable dans tous les pays de l'Union, ce certificat peut être présenté à quiconque l'exige (police des frontières, compagnies aériennes ou ferroviaires).
Approuvé par les États membres le 14 avril 2021, ce certificat a obtenu ensuite le feu vert du Parlement européen le 28 avril, une décision rapide applaudie par les professionnels des secteurs du transport et du tourisme. Le Parlement et le Conseil ont finalisé leur accord le 20 mai, le règlement a été officiellement adopté le 14 juin par les trois institutions européennes. Le " Certificat Covid européen " est opérationnel depuis le 1er juillet. En deux mois et demi, le processus interinstitutionnel européen a démontré son fonctionnement efficace dans l'urgence.
Tous les Européens ont donc désormais les mêmes règles pour voyager, les mêmes preuves à fournir et un même outil interopérable, pour toutes les destinations au sein de l'Union. Point très important, le " certificat européen " n'est pas obligatoire pour voyager au sein de l'Union européenne. Il ne constitue pas une condition préalable à la libre circulation, qui est un droit fondamental dans l'Union. Mais les personnes qui voyageront sans ce " pass sanitaire " seront probablement soumises aux exigences en vigueur des États membres en matière de tests et de mesures de quarantaine. Le certificat européen est donc supposé être moins discriminant qu'un passeport vaccinal, mais le sujet reste cependant épineux, compte tenu des différences existant entre États membres dans la gestion de la crise et des campagnes de vaccination.
Le risque d'une "mosaïque inquiétante d'approches" au sein de l'Union a été souligné par les grandes compagnies aériennes et les aéroports d'Europe dans une lettre adressée récemment aux dirigeants nationaux. Ils relèvent l'importance d'une approche uniformisée et le fait que des contrôles supplémentaires et une amélioration des équipements pour lire les QR codes sont nécessaires.
Au Parlement européen, les questionnements ont été nombreux, avec pour fil directeur la question des risques de discrimination que ce système peut véhiculer entre les personnes vaccinées et immunisées et les personnes non vaccinées potentiellement porteuses du virus. Qu'en est-il du secret médical ou du respect et de la vie privée quand, pour voyager au sein de l'Union, son état de santé doit obligatoirement être divulgué ?
La crise de Covid-19 a habitué depuis de longs mois les citoyens européens à des restrictions des libertés individuelles qui auraient été inimaginables il y a un an et demi, mais cette mobilité intra-européenne partiellement retrouvée, sécurisée et contrôlée pour des raisons de santé publique partagées par le plus grand nombre, n'est pas la moindre de ces restrictions.
Soucieuse de ce risque d'une mobilité fragmentée, " à géométrie variable ", qui porte en germe la fragilisation de l'unité européenne, la Commission multiplie les initiatives permettant de préserver le plus possible la circulation des personnes, malgré un contexte sanitaire encore fragile et incertain.
À l'occasion de la présentation de la refonte de sa stratégie industrielle, le 5 mai 2021, elle a annoncé la présentation, en 2022, d'un " instrument d'urgence pour le marché unique ", qui permettra d'assurer la liberté de circulation des biens et des personnes en cas de crise, et d'éviter ainsi les fermetures de frontières en ordre dispersé comme cela a pu être le cas au début de la pandémie. Une répétition de cet enchaînement de décisions unilatérales des États membres, en cas de nouvelles pandémies dans les années à venir, risquerait en effet tout simplement de sonner le glas de l'espace Schengen.
Dans sa communication "Pour un espace Schengen plus fort et plus résilient " présentée le 2 juin 2021, la Commission porte un message sans ambiguïté : Quelles que soient les circonstances, Schengen doit être consolidé car il en va de l'existence même du projet européen. Cette mise en garde est essentielle, car malgré l'avancée de cet outil de contrôle harmonisé que représente le certificat Covid numérique, la situation reste tendue. Les États membres tiennent à garder le dernier mot concernant la circulation sur leur territoire et prendront des restrictions aux arrivées et départs en fonction de la situation sanitaire.
Le " variant Delta " menace comme une épée de Damoclès et de premières fractures apparaissent Lors du Conseil européen du 24 juin, des États membres se sont inquiétés que la Grèce commence à alléger les restrictions sanitaires pour accueillir des touristes et l'Allemagne a pris récemment la décision d'interdire purement et simplement les déplacements vers et depuis le Portugal, où la situation sanitaire se dégrade à nouveau, et Malte projette de n'autoriser à rentrer sur son territoire que les voyageurs vaccinés, alors même que le certificat de vaccination ne peut être une pré-condition à la libre circulation des personnes dans l'espace européen.
3. Une tempête sur les écosystèmes de la mobilité collective
Au-delà de la liberté de circulation individuelle bloquée puis contrôlée, la crise sanitaire a affecté de manière très brutale l'ensemble des écosystèmes de la mobilité collective. De l'avion au train en passant par le transport public urbain, tous les acteurs de la mobilité européenne ont affronté une tempête sans précédent. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.
En Europe, selon l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI), les estimations des pertes de revenus des compagnies aériennes depuis le début de la crise se chiffrent à 92 milliards $ pour le trafic international. Eurocontrol estime à 140 milliards € les pertes pour les compagnies aériennes, les aéroports et les prestataires de services de navigation aérienne en 2020. L'IATA (International Air Transport Association) estime que des pays comme la France, l'Allemagne et la Belgique ont perdu 74% de leurs passagers aériens, et considère que le retour à la normale du trafic aérien mondial ne se fera pas avant 2024.
Selon la Communauté Européenne du Rail (CER), les chemins de fer européens ont perdu 26 milliards € de recettes (passagers et fret) sur l'ensemble de l'année 2020, et l'association des régulateurs du secteur ferroviaire estime que la pandémie a fait chuter en moyenne de 48% la fréquentation des trains en Europe. Les services de transport de passagers ont été plus touchés que le fret, mais la pandémie a fait des ravages dans tous les secteurs. Alors que le fret semble avoir réussi à atténuer quelque peu les pertes au cours du second semestre 2020, la situation des services de passagers a recommencé, après la courte reprise de l'été 2020, à se détériorer à l'automne pour atteindre des pertes de recettes record de - 50% en décembre.
Les liaisons ferroviaires à grande vitesse qui symbolisent l'Europe, Thalys et Eurostar, sont frappées de plein fouet. Thalys a affiché une perte de 70% de son chiffre d'affaires en 2020 et ne prévoit pas un retour à 100% de son offre avant l'année prochaine. Eurostar a perdu 80% de son chiffre d'affaires en 2020 et s'est trouvé au bord de la cessation de paiement. Un accord de financement conclu en mai 2021 entre ses actionnaires et ses banques lui a permis d'échapper à la faillite.
Le transport public urbain a vu ses réseaux se vider de ses passagers pendant les confinements et, malgré un rebond et les efforts considérables accomplis par les autorités organisatrices et les opérateurs de transport pour rétablir la confiance des passagers, n'a pu à ce jour rétablir ses niveaux normaux de fréquentation. Selon l'Union Internationale des Transports Publics (UITP), on peut chiffrer à près de 40 milliards € les pertes subies par le secteur en 2020. À titre d'exemples, les pertes de revenus dues à la réduction des ventes de billets dans les transports publics urbains en Allemagne se sont élevées à environ 6 milliards € en 2020 et les pertes cumulées 2020/2021 d'Ile-de-France Mobilités, l'autorité régionale organisatrice des transports en Ile-de-France, avoisinent 4 milliards €.
Face à ce choc sans précédent, les institutions européennes ont vite réagi et poursuivi leur aide dans le temps.
Le Conseil a accepté de renoncer, dès le 30 mars 2020, aux créneaux horaires pour aider les transporteurs aériens à faire face à la chute drastique du trafic.
La baisse du trafic ferroviaire étant persistante au premier semestre 2021, la Commission européenne a publié un règlement délégué le 28 juin prolongeant jusqu'au 31 décembre le dispositif permettant aux États membres d'alléger les redevances d'infrastructure que paient les entreprises ferroviaires, tout en compensant les gestionnaires d'infrastructure des pertes de recettes occasionnées.
Surtout, la Commission, dans un acte inédit, a décidé de suspendre, dès le 20 mars 2020, le contrôle des aides d'État, afin que le secteur de la mobilité puisse disposer des ballons d'oxygène nécessaires à sa survie. Le transport aérien en bénéficie à une grande échelle, comme en témoigne l'approbation du plan d'aide du gouvernement injectant 4 milliards € pour Air France, frappée par l'effondrement du trafic passagers. Au total, plus de 35 milliards € d'aides d'État en faveur du transport aérien ont été autorisées par la Commission. Le transport ferroviaire en a aussi bénéficié, mais à une moindre échelle (environ 7 milliards €), ce dispositif exceptionnel est prolongé jusqu'au 31 décembre 2021.
4. Quel avenir pour la mobilité en Europe ? : entre bouleversement des paradigmes et nouvelles opportunités - l'exemple de la mobilité urbaine
Les grandes crises sont toujours des moments de profonds changements des comportements et des modes de fonctionnement, qui peuvent apporter leur lot de nouvelles opportunités. Il en est ainsi de la mobilité en ce temps de pandémie et nous prendrons, pour illustrer ces bouleversements, l'exemple de la mobilité urbaine.
4.1 - La pratique du télétravail et son impact sur le modèle économique du transport public
Avec les confinements à répétition, la pratique du télétravail s'est de plus en plus ancrée dans le quotidien d'un nombre significatif de citoyens. Avant le début de la pandémie, selon Eurostat, seuls 15% des salariés de l'Union européenne avaient déjà eu recours au télétravail, et seulement 7% des salariés français. Dorénavant, selon les premières estimations d'Eurofound, près de 40% des personnes travaillant dans l'Union ont télé-travaillé à temps plein au pic de la crise.
Si l'évolution encourageante de la situation sanitaire permet un retour progressif du travail " au bureau " dans de nombreux États membres, on ne sait toujours pas dans quelle mesure la pratique du télétravail va se pérenniser. Mais il apparaît avec une quasi-certitude que l'organisation du travail va évoluer dans de très nombreux secteurs, avec une part accrue du travail à domicile ou dans des espaces de co-working proches du domicile. Cette augmentation durable du télétravail aura des effets conséquents sur la mobilité urbaine, notamment dans les grandes métropoles où les temps de trajet domicile-travail sont souvent longs pour les personnes habitant en périphérie du centre-ville.
À titre d'exemple, sur un réseau de l'importance de celui de la RATP en région Ile-de-France, une baisse de 5 à 7% de la fréquentation du transport public est anticipée, correspondant à deux jours de télétravail par semaine. L'extension de l'offre de transport permettra sans doute de compenser ce manque à gagner mais, cumulé au développement puissant du commerce électronique et à la baisse temporaire de la fréquentation touristique, l'impact sera non négligeable, nécessitant une stratégie de développement allant au-delà du simple transport public de masse (nouvelles mobilités, espaces multifonctionnels urbains, énergie, connectivité, logistique urbaine, etc.).
Les transports aérien et ferroviaire seront aussi indéniablement confrontés au développement du télétravail et, notamment, à son impact sur les déplacements d'affaires, dans une proportion sans doute encore plus importante que le transport urbain.
4.2 - Rétablir la confiance dans le transport public : un enjeu crucial pour le secteur
Lors de la première vague de la pandémie, l'utilisation des réseaux de transport public a chuté de manière vertigineuse en Europe, avec des baisses de trafic atteignant parfois 90%. Durant de longs mois, de très nombreux clients ont continué à percevoir le transport public comme un potentiel lieu de contamination, sentiment qui a pu parfois être renforcé par des expressions publiques, comme la recommandation de l'Académie de médecine française de ne plus parler ou téléphoner dans les transports en commun, ou la décision, en janvier 2021, de la Bavière d'imposer le port du masque FFP2, plus onéreux et porteur d'un message plus anxiogène, dans les transports publics.
Pourtant, le port obligatoire du masque est particulièrement respecté dans les transports en commun. Ainsi, en France, l'Union des Transports Publics (UTP) a indiqué que 95% des passagers respectent cette obligation. Les interactions entre les passagers sont rares, les gares et les matériels roulants sont régulièrement désinfectés et ventilés.
Logiquement, de nombreuses études ont démontré que les transports en commun ne sont pas des foyers de contamination : en Allemagne, l'institut Robert Koch a publié en août 2020 un article indiquant que 0,2% des " clusters " traçables en Allemagne étaient liés au transport collectif. En octobre 2020, une étude de Santé Publique France, se basant sur des données recueillies entre le 9 mai et le 28 septembre, affirmait que seul 1,2% des foyers Covid-19 étaient liés aux transports publics (contre 24,9% pour les lieux de travail).
Malgré ces faits et le retour progressif des passagers dans les réseaux, la pleine confiance doit encore se reconstruire et les opérateurs de transports publics engagent les budgets et les solutions innovantes pour rassurer leurs clients. Par exemple, la RATP, pour réduire au maximum le risque de propagation du virus, a mis en place des procédés quotidiens de nébulisation, une technique de pointe utilisée dans l'aéronautique consistant à vaporiser des produits virucides sur l'ensemble des surfaces ; elle a aussi créé le système " HoloStop ", un bouton holographique permettant de demander l'arrêt du bus sans contact physique.
Cette confiance retrouvée peut s'appuyer sur les conclusions de l'Organisation mondiale de la santé, qui considère que la pollution atmosphérique est très probablement un facteur aggravant de la propagation du virus Covid-19, car l'air pollué, enflammant les poumons et provoquant des maladies respiratoires et cardiaques, est un facteur de vulnérabilité. Or, le transport public urbain contribue de manière évidente à la réduction de la pollution atmosphérique : pour chaque kilomètre parcouru, l'on émet 60 fois moins de CO2 en prenant le métro ou un transport urbain qu'en utilisant une voiture individuelle.
4.3 - Le retour à l'autosolisme urbain : un danger pour le Pacte vert
Si la confiance dans l'usage des transports publics ne se rétablissait pas complétement, un recours massif à l'utilisation de la voiture individuelle entraînerait un retour des phénomènes de congestion et de pollution urbaine, notamment dans les grandes métropoles. Un des aspects stratégiques du Pacte vert européen, la ville durable, serait alors fragilisé.
En Europe, selon Eurostat, la voiture personnelle durant la crise a été privilégiée dans 51% des déplacements, suivie par la marche à pied (38%). En France, pendant le premier confinement, 66% des utilisateurs des transports publics ont eu recours à l'autosolisme, et l'UTP a estimé, dans son édition 2020 de l'Observatoire de la Mobilité, que près d'un tiers des voyageurs souhaitaient délaisser partiellement ou totalement les transports en commun.
L'urgence environnementale provoque, dans l'industrie automobile, le développement exponentiel de la voiture électrique, ce qui est bien entendu un phénomène positif pour la diminution des émissions de CO2 et des nuisances sonores. Mais l'autosolisme électrique reste l'autosolisme et ne résoudra pas le problème de la congestion dans les villes et les zones urbaines. Par ailleurs, de plus en plus de questions sont soulevées quant au recyclage des batteries de ces voitures électriques et au caractère peu durable de leur fabrication, les batteries étant composées de métaux rares dont l'extraction fait grimper la dette carbone des voitures électriques. Progrès indéniable, la voiture électrique n'est donc pas la panacée pour la mobilité urbaine et doit être considérée comme le complément individuel de réseaux de transport public verts, intelligents et sûrs.
4.4 - L'essor des mobilités douces, compléments du mass transit
Le développement des mobilités urbaines douces était déjà une réalité avant la pandémie, comme en atteste la première réunion, en 2015, des 28 ministres européens des transports avec pour ordre du jour le développement du vélo.
Avec la crise sanitaire, le phénomène a pris de l'ampleur. Le 21 avril 2020, l'OMS recommande que le vélo ou la marche à pied soient privilégiés, lorsque cela est possible. De nombreuses autorités publiques encouragent le vélo et la marche en créant de nouvelles " green zones " piétonnes ou des pistes cyclables.
À Milan, à l'été 2020, la municipalité propose la transformation de 35 kilomètres de rues en zones piétonnes ou en pistes cyclables. La Ville de Paris met en place en mai 2020 50 kilomètres de nouvelles pistes cyclables, nommées " coronapistes " ! En Finlande, les villes d'Helsinki et d'Espoo décident d'avancer l'ouverture de la saison des vélos de ville, malgré les contraintes climatiques. À Barcelone, l'usage du vélo progresse de 82% pendant la crise.
Ces modes de déplacements urbains, écologiques et bénéfiques pour la santé, seront probablement confortés après le traumatisme de la pandémie. À titre d'exemple, l'Observatoire des risques routiers et de la mobilité indiquait en mai 2020 que 58% des Français souhaitaient modifier durablement leurs habitudes de déplacements, 24% envisageant de marcher davantage et 13% souhaitant se tourner vers l'usage du vélo.
Progrès indéniable, l'essor des mobilités urbaines douces - qui ne peuvent cependant être accessibles pour tous, notamment les personnes à mobilité réduite - doit être considéré comme le complément des réseaux de transport public (train urbain, métro, tramway, bus), intégré dans des plans de déplacements urbains durables. Ces mobilités douces sont également un aiguillon pour les autorités organisatrices et les opérateurs de transport, afin qu'elles s'engagent résolument dans la mise en place de systèmes numériques intégrés et multimodaux de mobilité urbaine et péri-urbaine, ce que l'on nomme désormais le MaaS (Mobility as a Service).
5. D'une grande crise peut naître l'innovation
Comme toute grande crise, la pandémie peut être une source d'innovations qui rétabliront la confiance dans le transport collectif et entraîneront un rebond d'une mobilité plus intelligente et plus durable.
5.1 Le MaaS, pour une mobilité urbaine " sans coutures ", numérique et durable
Le concept de Mobility as a Service (MaaS) est né du constat suivant : les usagers ont à leur portée un large choix de services de mobilité, entre transports en commun, VTC ou taxi, marche, vélo, auto-partage et co-voiturage, mobilités douces (trottinettes et scooters électriques en libre-service) et les voyageurs doivent très souvent jongler entre plusieurs applications pour s'y retrouver. Le MaaS a donc pour but de proposer une solution simplifiée pour l'amélioration de l'intermodalité, avec une plateforme unique regroupant les différents choix possibles pour une mobilité de " porte à porte ", en utilisant plusieurs modes de transport et en permettant le paiement du trajet multimodal dans une même application.
Le MaaS revêt un second avantage, non négligeable, dans la crise sanitaire : il peut être un instrument utile pour redonner confiance aux usagers dans les transports publics. Avec la reprise de l'activité économique et le retour progressif du travail sur site, les passagers peuvent craindre un non-respect des distanciations sociales, notamment dans les transports publics aux heures de pointe. L'intérêt du MaaS est d'offrir la possibilité d'être alerté en temps réel en cas de perturbations (trafic routier, transports en commun), d'informer sur les jauges d'affluence et de proposer des solutions alternatives.
À plus long terme, le MaaS, dans l'environnement incertain post-Covid, a le potentiel d'influencer positivement les modèles et les comportements de mobilité d'une manière plus intelligente et plus durable (smart and sustainable mobility), permettant d'éviter l'autosolisme et les phénomènes de congestion et de pollution. C'est donc un instrument de résilience, aux potentialités considérables, encouragé par la Commission européenne, qui donnera lieu dans les années à venir à des échanges de bonnes pratiques des autorités organisatrices de la mobilité et des opérateurs de transport.
5.2 Des avions et des trains plus " verts " : le renouveau de la mobilité passera par des modes de transports écologiquement vertueux
En clouant les avions au sol, la crise sanitaire a très fortement ébranlé l'économie du transport aérien. Mais elle a également été l'occasion d'une accélération de la réflexion du secteur pour faire entrer résolument l'aviation dans un modèle plus soutenable, attendu par les passagers.
La pandémie entraînera très probablement un renforcement des préoccupations écologiques et, pour ce mode fortement émetteur de CO2, une véritable révolution doit être engagée. Les vols court-courriers seront interrogés ; selon la Banque européenne d'investissement, dans son enquête climat 2019-2020, 62% des Européens seraient favorables à une interdiction des vols court-courriers au bénéfice du train ! De même, l'utilisation de carburants durables pour l'aviation s'imposera comme en témoigne la déclaration commune, le 8 février 2021, de huit Etats membres (Allemagne, Danemark, Espagne, Finlande, France, Luxembourg, Pays-Bas, Suède) demandant à l'exécutif européen d'encourager l'utilisation de carburants d'aviation durables, ou les récentes propositions de la Commission sur le projet " ReFuelEU Aviation " pour augmenter progressivement la part de carburants durables (25% en 2035, 32% en 2040, 63% en 2050 dont 28% de carburants synthétiques).
Le transport ferroviaire met également de plus en plus l'accent sur l'innovation durable, avec les expérimentations lancées sur le train à hydrogène, générant sa propre électricité et dont le seul rejet est de la vapeur d'eau. En France, la SNCF prévoit fin 2025 la circulation commerciale de 12 à 14 Trains Express Régionaux hydrogène.
***
La mobilité est un pilier de la construction de l'unité européenne et la clef de voûte de l'ouverture au monde. Fortement ébranlée par la crise sanitaire, qui a remis en cause bien des schémas établis et laissera des traces profondes, la mobilité reprendra ses droits une fois la pandémie totalement maîtrisée, car elle est intrinsèquement liée à l'accès à l'emploi, à la culture, à la découverte de l'autre. C'est la question du lien social européen qui est ici en jeu.
Mais cette mobilité post-Covid sera différente : plus sûre car le renouveau de la confiance des passagers l'exige, plus intelligente car elle est un creuset des innovations numériques, plus verte car il s'agit d'une attente européenne et mondiale. On peut donc penser que du traumatisme de la crise sanitaire naîtra un progrès de la mobilité.
Pour la jeunesse européenne, contrainte aux confinements successifs à l'âge des voyages et des découvertes, cette mobilité retrouvée et améliorée sera synonyme d'espoir. N'oublions pas que les fermetures de frontières, des universités et les restrictions de voyage ont eu un lourd impact sur des programmes de mobilité bien connus des jeunes et incarnant l'Union européenne, tel que Erasmus +. En mai 2020, 25% des échanges d'étudiants ont été annulés en raison de la pandémie, 37,5% des étudiants se sont retrouvés dans une situation problématique liée à leur échange (impossibilité de rentrer à leur domicile, problèmes d'hébergement) et 50% des étudiants ont dû suivre leurs cours en ligne.
Frappée en son cœur, puis résiliente, l'Union européenne rebondira après la crise et notre jeunesse retrouvera confiance en l'avenir !
Avec mes plus vifs remerciements à Sarah Delhaie, étudiante en Master 2 Affaires européennes à l'Institut d'Etudes Politiques de Grenoble, pour sa contribution active à cet article.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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