Ajustement à l'objectif 55 : vers la concrétisation d'un compromis politique européen ambitieux pour le climat

Climat et énergie

Clémence Pèlegrin

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5 juillet 2021
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Clémence Pèlegrin

Co-rédactrice en chef d'une revue semestrielle de géopolitique de l'écologie

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L'adoption par le Parlement européen de la Loi climat le 24 juin dernier et par le Conseil le 28 entérine le caractère contraignant de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) " d'au moins 55% " d'ici 2030, par rapport aux niveaux d'émissions de 1990. Après plusieurs mois de dialogue parfois houleux entre États membres, cette adoption est un pas significatif dans la démarche de l'Union européenne de respecter son engagement envers la lutte contre le changement climatique dans le cadre de l'Accord de Paris.

Le 14 juillet prochain doit paraître le paquet " Ajustement à l'objectif 55", qui fait partie du programme de travail de la Commission européenne pour l'année 2021 et qui doit déterminer, plus précisément, les modalités de mise en œuvre de l'ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030. Ce paquet sera présenté dans le contexte particulier de la soumission par les États membres de leurs plans de relance et de leur évaluation -et le cas échéant, de leur soutien- par la Commission.

Ce même soutien doit être accordé au regard du respect des onze critères d'évaluation définis par la Commission, parmi lesquels deux ont plus spécifiquement trait au climat et à l'environnement. Le premier critère concerne le respect par les États membres de la cible de 37% de dépenses fléchées vers le climat. Le deuxième concerne le respect du principe " ne pas causer de préjudice important". À titre d'exemple, le 21 juin dernier, la Commission a approuvé le plan de relance autrichien, qui prévoit 59% des dépenses de relance fléchées vers le climat, soit bien au-dessus de la cible réglementaire de 37%. C'est donc dans ce contexte riche, entre autres, de confirmation de la Loi climat et du pilotage des plans de relance, que prendra place le futur paquet " Fit for 55 ".

L'extension et l'approfondissement du périmètre de l'action climatique

Annoncé initialement par Ursula von der Leyen dans son discours sur l'état de l'Union le 16 septembre 2020, et adopté dans sa communication " Accroître les ambitions de l'Europe en matière de climat pour 2030" parue le 17 septembre 2020, cet objectif rehaussé à l'horizon 2030 a pour principal objectif de renforcer les instruments législatifs et de politiques publiques de l'Union afin de rendre accessible l'objectif de neutralité carbone d'ici 2050.

Selon la communication de la Commission, les instruments existants ne permettraient de réduire les émissions de l'Union européenne qu'à hauteur de 60% d'ici 2050. Au-delà d'accroître la faisabilité de l'objectif lui-même, il s'agit de lisser la trajectoire et d'éviter de laisser une charge trop lourde aux générations futures. Les prévisions des scientifiques — et notamment celles du dernier projet de rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) font état de conséquences potentiellement irréversibles du réchauffement climatique dans un scénario à +1,5°C, et d'une grande diversité de risques en l'absence d'une réduction drastique et rapide des émissions.

2050 apparaît, à tous égards, une échéance trop lointaine pour empêcher les conséquences d'un modèle business as usual.

Le plan " Ajustement à l'objectif 55" consiste donc en un ensemble d'initiatives ciblant différents secteurs de l'économie européenne. Parmi eux, on compte plusieurs mécanismes existants et renforcés. C'est notamment le cas du système européen d'échange de quotas d'émission (SEQE), dont le nombre de permis de polluer serait réduit par rapport à la trajectoire initiale de la quatrième phase (2021-2030), et dont le nombre d'exemptions (permis gratuits) devrait être réduit.

En effet, si le marché carbone concerne déjà des secteurs comme l'industrie lourde et la production d'électricité, certains secteurs concernés par le risque de fuites du carbone (par exemple le risque de délocalisation hors-Union des activités polluantes et, donc des émissions associées) bénéficient actuellement de permis de polluer gratuits.

Or, selon la Cour des comptes européenne, ces secteurs représenteraient jusqu'à 94% des émissions industrielles pendant la phase 4.

Par ailleurs, l'extension du périmètre du marché carbone aux secteurs du bâtiment, du transport routier et au secteur maritime pourrait permettre d'atteindre et d'inclure certains secteurs parmi les plus énergivores de l'Union, alors que le marché actuel couvre déjà 40% des émissions totales de l'Union européenne, ainsi que de l'Islande, du Liechtenstein, de la Norvège et de la Suisse. Les principes du très attendu mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, sur certains produits du moins, comme le ciment, l'aluminium ou l'acier, seront également dévoilés. Ce dernier fait d'ores et déjà face à des défis de taille, comme la compatibilité avec les règles de l'OMC et le maintien pérenne de la compétitivité des industries européennes concernées.

Pour ne mentionner qu'un des nombreux pans du paquet " Ajustement à l'objectif 55", les émissions de méthane font également l'objet de mesures spécifiques. Ce gaz à effet de serre, auquel la Commission porte une attention croissante, a des effets différents — plus élevés, sur une période plus courte — que le CO2 sur le climat, et constitue le deuxième gaz à effet de serre le plus émis dans l'Union européenne. Le paquet devrait comprendre une proposition de règles contraignantes sur la surveillance des émissions, leur déclaration, leur détection et leur atténuation dans le secteur de l'énergie.

Un compromis politique significatif

Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% à horizon 2030 est un objectif politique particulièrement sensible. Il permet certes de suivre la progression de l'Union européenne vers la neutralité carbone, et le paquet " Ajustement à l'objectif 55" le permet avec une granularité plus fine et un niveau d'exigence plus élevé. Mais il comprend également certaines limites.

D'une part, l'objectif de 55% d'ici 2030 prévu par la Loi climat est à ce stade un objectif collectif — cela signifie que les États membres ne sont pas tenus individuellement de l'atteindre, mais que le bilan des 27 membres de l'Union doit s'élever à 55%.

On peut être tenté de considérer cette approche, plus consensuelle, comme le compromis politique nécessaire à l'adoption de l'objectif commun. Il faudra cependant veiller à ce que les États membres jouent individuellement le jeu de l'ambition climatique européenne, à la fois dans le respect des trajectoires contraignantes et dans la réponse aux normes incitatives, afin d'éviter que l'effort européen repose sur un nombre restreint de pays plus ambitieux et, d'ores et déjà, plus avancés dans leur transition écologique. Cela pourra notamment passer par la surveillance régulière de l'avancement de la mise en œuvre de leur plan national intégré énergie-climat, soumis à la Commission en 2020 pour la période 2021-2030, et par la réforme de la législation " répartition de l'effort" qui fixe des cibles annuelles d'émissions de gaz à effet de serre pour chaque État membre.

Par ailleurs, l'objectif de 55% est un objectif " net ", ce qui signifie que 55% constitue un solde net une fois pris en considération les émissions de CO2 absorbées au périmètre d'utilisation des terres, changement d'affectation des terres et forêts (UTCATF) désignant par exemple l'absorption de CO2 permise par la reforestation.

La loi prévoit néanmoins un plafond à la prise en compte des émissions absorbées, à 225 millions de tonnes de CO2. En excluant le périmètre des émissions absorbées, l'objectif de réduction des émissions " positives " s'élève à 52,8%. L'instauration d'un périmètre strict et d'un plafond pour les émissions " négatives " est particulièrement important pour s'assurer que les efforts soient suffisamment portés vers la réduction des émissions " positives ", les mesures de compensation carbone étant encore controversées en termes d'acuité et d'efficacité réelle. La révision de la réglementation relative à l'UTCATF permettra de porter mécaniquement l'objectif de 55% à 57%, en incluant les émissions négatives.

Enfin, en termes plus strictement politiques, le paquet " Ajustement à l'objectif 55" fera à n'en pas douter l'objet de nombreux échanges et négociations entre le Conseil et le Parlement européen. L'adoption de la Loi climat a encore une fois révélé les dissensions profondes au sein de l'Union ; adoptée par 442 voix, contre 203 voix et 51 abstentions, elle rappelle que l'unité européenne n'est pas acquise sur les modalités de mise en œuvre de la transition énergétique et climatique.

Au-delà de ce projet 55%, d'autres grands chantiers européens ont et continueront d'avoir une interaction directe avec la lutte contre le changement climatique et la préservation de l'environnement, parmi lesquels la Politique agricole commune. L'accord politique provisoire atteint le 25 juin 2021 par le Parlement européen et le Conseil pour une politique agricole " plus juste, plus verte " prévoit notamment l'instauration obligatoire pour les États membres de mécanismes appelés " éco-schémas ", instruments volontaires de rétribution aux agriculteurs pour la mise en place de pratiques respectueuses de l'environnement. Ces éco-schémas doivent représenter 25% de leur budget national d'aide, soit un total de 48 milliards € à l'échelle de l'Union européenne.

*

Quelques mois avant la réunion de la COP26 à Glasgow, l'Union européenne continue donc d'afficher un niveau d'ambition et un calendrier exigeant en matière climatique, parmi les parties prenantes des négociations. En 2020, de grandes puissances émettrices ont réaffirmé leurs objectifs : la Chine, en septembre, a annoncé qu'elle visait l'atteinte de son pic carbone en 2030 et la neutralité carbone en 2060 ; le Japon et la Corée du Sud ont également réaffirmé leur objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. Le 22 avril 2021, cinq ans exactement après la signature de l'Accord de Paris, le président américain, Joe Biden, lors du Leaders' Summit on Climate annonçait le rehaussement des objectifs américains, avec la réduction de 52% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 (par rapport au niveau de 2005). Ce positionnement pro-climat de la part des États témoigne certes d'un changement majeur de perspective politique, mais il ne saurait faire oublier que les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial connaissent, après un an et demi de pandémie de Covid-19, un rebond à la hauteur de la reprise économique mondiale. La chute de près de 6% des émissions de CO2 en 2020 est suivie par une reprise estimée à près de 5% en 2021, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Cela reste inférieur au niveau record de 2019. Toujours selon l'AIE, en revanche, le retour de la croissance économique mondiale devrait voir la demande mondiale de charbon dépasser le niveau de 2019 (+4,5%), tirée principalement par la production d'électricité en Asie. Dans un tel contexte, il est difficile de considérer que les efforts de l'Union européenne pour faire advenir sa propre transition énergétique permettront de renverser la tendance mondiale, où la reprise économique est encore très étroitement liée, si ce n'est indexée, à la consommation d'énergies fossiles.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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