Multilatéralisme
Eric Maurice,
Ramona Bloj
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ENEric Maurice
Ramona Bloj
Ce n'est que le 1er janvier 2021, si aucun report n'est décidé, que le Royaume-Uni entrera vraiment dans l'ère post-Brexit. La forme que prendra cette dernière, pour le Royaume-Uni comme pour l'Union européenne, est l'enjeu de la négociation dite " sur la relation future ".
Pour les 27 Etats membres, l'objectif de cette négociation est simple : maintenir les liens les plus étroits possibles avec ce qui était le troisième pays le plus peuplé de l'Union et sa deuxième économie, sans qu'il soit porté atteinte aux acquis de l'intégration européenne, au premier rang desquels figure le marché unique. Les discussions seront donc complexes et difficiles. Il s'agit, selon la déclaration politique qui accompagne l'accord de retrait, de mettre en place "un partenariat ambitieux, large, approfondi et souple en matière de coopération commerciale et économique - avec en son centre un accord de libre-échange complet et équilibré -, de services répressifs et de justice pénale, de politique étrangère, de sécurité et de défense, ainsi que dans des domaines de coopération plus larges".[1]
Il s'agira de limiter l'impact négatif du Brexit et de maintenir l'unité des Européens, tout en parvenant à conclure la négociation avant la fin de l'année. Pour cela, les 27 Etats membres ont décidé de conserver la méthodologie qui leur a permis de mener à bien la négociation sur le retrait britannique.
Une transition progressive vers un retrait définitif
La période de transition qui s'ouvre le 1er février devrait permettre d'éviter une rupture brutale et de régler les conditions définitives du retrait. Elle avait été convenue auparavant, pour un Brexit qui aurait dû avoir lieu le 29 mars 2019, pour une durée de vingt-et-un mois, donc jusqu'à fin décembre 2020. L'accord de retrait prévoit que le Royaume-Uni et l'Union européenne pourraient la prolonger ce délai une fois, d'un commun accord, pour une durée maximum de deux ans, conformément à ce que les négociateurs du Brexit ont décidé le 22 novembre 2018, soit jusqu'au 31 décembre 2022. Le gouvernement de Boris Johnson s'est néanmoins interdit de demander une telle prolongation. Que va-t-il se passer durant cette phase de transition ?
Pour simplifier, rien ne changera. L'Union européenne traitera le Royaume-Uni comme un État membre[2], il conservera tous ses droits d'accès au Marché intérieur et continuera d'appliquer et donc de bénéficier de l'ensemble du droit de l'Union, y compris les règles qui seraient adoptées pendant la transition.
De plus, les Britanniques resteront, même en cas de désaccord, sous l'autorité de la Cour de Justice de l'Union (prévu par l'accord de 2019). En cas de différend portant sur l'accord en lui-même, une consultation politique aura lieu au sein d'une commission mixte. Si aucune solution n'est trouvée, le litige sera soumis à des arbitres spécifiques comme dans tous les accords internationaux. La décision prise sera contraignante pour les deux parties ; en cas de non-respect, le groupe spécial d'arbitrage pourra fixer une somme forfaitaire ou une astreinte à verser à la partie lésée[3].
Les changements attendus au sein des institutions européennes
Si le Royaume-Uni n'a pas nommé de commissaire au sein de la Commission présidée par Ursula von der Leyen, c'est au tour du Parlement européen de prendre acte du départ des Britanniques. Le 1er février 2020, les députés européens ne seront donc plus que 705 à siéger à Strasbourg, puisque les 73 députés britanniques quitteront leur fonction. Sur ces 73 sièges, 46 seront temporairement gelés dans l'éventualité d'un nouvel élargissement. Les 27 restants sont d'ores et déjà répartis entre plusieurs États membres : +5 sièges pour la France et l'Espagne, +3 sièges pour l'Italie et les Pays-Bas, +2 sièges pour l'Irlande, +1 siège pour la Roumanie, l'Autriche, le Danemark, la Croatie, la Finlande, la Suède, la Slovaquie, la Pologne et l'Estonie. Ces députés européens, élus en mai 2019, pourront enfin siéger. Cette nouvelle configuration du Parlement pourrait éventuellement créer des nouveaux rapports de force : le groupe Renew perdra 11 sièges, celui des Verts 6, les Socialistes et démocrates (S&D) 6, le groupe de la Gauche unitaire (GUE/NGL) 1. Le groupe du Parti populaire européen (PPE) en gagnera 5, celui d'Identité et démocratie 3.
Suite à la redistribution des sièges entre les États membres,[4] la liste des membres des commissions et sous-commissions sera finalisée une fois la nouvelle composition du Parlement confirmée.
Il faut également s'attendre à un équilibre plus fragile au sein du Conseil, notamment à cause de la règle de la majorité qualifiée (art. 16 § 4 TFUE).
Michel Barnier au cœur du dispositif
La négociation sur la relation future sera menée par Michel Barnier, qui a mené celle sur les conditions du retrait britannique et qui a su conserver la confiance des acteurs politiques et institutionnels à Bruxelles comme dans les capitales des Etats membres. Il s'appuiera sur une équipe renforcée de près de 80 personnes, baptisée task-force pour les relations avec le Royaume-Uni (UKTF) et rattachée au Secrétariat général de la Commission.
Michel Barnier, qui a rang de directeur général de la Commission, aura autorité sur l'ensemble des directions générales afin de coordonner le travail sur tous les aspects de la négociation. Les commissaires, notamment Phil Hogan, en charge du commerce, travailleront étroitement avec le négociateur en chef.
D'une négociation à l'autre, et d'une Commission à l'autre, certaines nominations témoignent d'un souci de mener au mieux le processus. La nouvelle directrice générale au commerce est Sabine Weyand, ancienne adjointe de Michel Barnier et cheville ouvrière de l'accord sur le retrait. La deuxième adjointe de Michel Barnier dans la task force précédente, Stéphanie Riso, spécialiste des affaires financières, est désormais cheffe de cabinet adjointe de la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen. Les nouvelles adjointes de Michel Barnier sont deux anciennes collaboratrices de Jean-Claude Juncker : Clara Martinez Alberola, qui a dirigé son cabinet à la présidence de la Commission ; et Paulina Dejmek Hack, son ancienne conseillère économique.
L'organisation mise en place en 2017 pour coordonner le travail entre la Commission, le Conseil, le Parlement et les capitales est également maintenue. La task force sera en contact permanent, en particulier pendant les cycles de négociations, avec les Etats membres, qui travailleront au Conseil sous la direction de Didier Seeuws. Au Parlement, le groupe de pilotage, pour l'heure présidé par Guy Verhofsdadt (Renew, BE), sera régulièrement informé par Michel Barnier.
Un calendrier serré
La première étape sera d'approuver le mandat de négociation de Michel Barnier. Il sera présenté par la Commission dès le retrait britannique, avec comme objectif de lancer les discussions "fin février ou dans les premiers jours de mars"[5]. La négociation se déroulera par cycles de plusieurs jours, avec des groupes thématiques travaillant en parallèle. Contrairement au processus de retrait, certains de ces cycles pourraient se tenir à Londres. Un premier bilan sera établi lors d'une conférence de haut niveau entre l'Union européenne et le Royaume-Uni fin juin. C'est à ce moment-là que les deux parties devront décider, au plus tard le 1er juillet, de prolonger ou non, pour un ou deux ans, la période de transition au-delà du 31 décembre 2020, afin de se donner plus de temps pour conclure les négociations.
Le 1er juillet est également la date à laquelle l'Union européenne et le Royaume-Uni se sont engagés pour tenter de conclure et ratifier un nouvel accord de pêche, qui réglementera en particulier l'accès des eaux britanniques aux pêcheurs européens, la gestion des stocks en commun par le biais des quotas annuels.
La date du 30 juin est le délai que les deux parties se sont fixé pour évaluer leurs équivalences respectives en matière de services financiers, un processus qui passera en revue une quarantaine de secteurs. La décision d'accorder ou non l'équivalence financière au Royaume-Uni sera prise par l'Union européenne, sans lien direct avec la négociation globale et, en particulier, commerciale.
Une autre évaluation réciproque sera menée, jusqu'à la fin de l'année, sur les réglementations et mécanismes en matière de protection des données personnelles, dans le but d'adopter des "décisions d'adéquation" pour permettre la libre circulation des données entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. La priorité dans l'évaluation sera donnée au respect des données et des libertés dans le cadre de la coopération policière et judiciaire.
Pour qu'un accord sur la relation future, qu'il soit global, commercial ou étendu à quelques secteurs, entre en vigueur le 1er janvier 2021 au lendemain de la fin de la période de transition, il devra avoir été ratifié par le Royaume-Uni et l'Union européenne. Il devra également avoir été approuvé par les chefs d'Etat et de gouvernement européens. Le calendrier souhaitable serait donc la conclusion d'un accord au plus tard début octobre 2020, une approbation par le Conseil européen des 15 et 16 octobre, et une ratification parlementaire en novembre et décembre.
Le temps de négociation réelle s'en trouve donc réduit à sept ou huit mois et les dirigeants européens ont déjà fait savoir qu'il serait extrêmement difficile de parvenir à un accord global en si peu de temps. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, ayant pour l'heure exclu toute extension de la période de transition, il convient donc de définir les aspects prioritaires pour lesquels un accord est nécessaire pour éviter une situation de "no deal" au 1er janvier 2021.
Un accord en trois volets
L'Union envisage un accord de partenariat global qui inclura trois grandes composantes : un volet général, un volet économique et un volet sur la sécurité. Des accords complémentaires pourront être conclus dans le même temps, ou plus tard.
Parmi tous les domaines de la relation future à définir, trois sont cruciaux pour éviter un "no deal" dans lequel les liens entre Européens et Britanniques ne seraient plus réglementés : le commerce, la pêche et la sécurité (intérieure et extérieure). Ce sont les trois domaines sur lesquels les 27 Etats membres vont faire porter leur effort en priorité. Les services financiers, secteur dans lequel la balance du Royaume-Uni avec l'Union européenne est excédentaire, pourraient être négociés dans un second temps.
Pour simplifier le processus de ratification, l'Union européenne aura également intérêt à conclure, dans un premier temps, un accord qui ne comporte que des dispositions "communautaires" ne nécessitant que la ratification du Parlement européen. Les sujets "mixtes", comme les accords sur les investissements, qui doivent être en outre ratifiés par les parlements nationaux et certains parlements régionaux (43 au total), seraient également négociés plus tard.
Le cœur de l'accord sera un accord de libre-échange, que Michel Barnier résume par la formule "zéro droits de douane, zéro quotas, zéro dumping". Mais l'absence ou le faible niveau de droits de douane et de quotas dépendra de l'absence de dumping du Royaume-Uni. "Le niveau d'ambition de notre futur accord de libre-échange sera proportionnel au niveau et à la qualité des règles du jeu économique entre nous"[6]. Comme le souligne le négociateur en chef, le Royaume-Uni représente 9% des échanges commerciaux des 27, tandis que l'Union représente 43% des exportations et 50% des importations du Royaume-Uni.
Le concept de "level playing field" (conditions équitables), qui décrit la volonté européenne de maintenir des règles du jeu de qualité, est appelé à jouer dans la négociation un rôle aussi important que celui de "backstop" dans les discussions sur le retrait. Il recouvre le maintien de normes réglementaires, fiscales et environnementales le plus proche possible des normes européennes, au 1er janvier 2021 mais surtout à l'avenir, pour assurer à l'Union européenne que son voisin britannique ne deviendra pas un compétiteur déloyal.
En parallèle des négociations sur la relation future, l'Union européenne et le Royaume-Uni devront mettre en place le protocole sur la frontière irlandaise, question la plus épineuse de l'accord de retrait. Un comité mixte doit définir les produits qui pourront franchir la frontière entre la province britannique d'Irlande du Nord et la République d'Irlande - et ainsi entrer dans le marché unique - et ceux qui auront vocation à rester en Irlande du Nord. La différence entre les deux catégories décidera des contrôles douaniers à instaurer entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. L'organisation, la responsabilité et la supervision de ces contrôles doivent également être détaillés.
***
Décisive pour la relation future entre l'Union européenne et son premier Etat membre à la quitter, la période de transition l'est également pour l'achèvement de l'accord de retrait. Comme dans la première négociation, les sujets pouvant tout faire échouer seront nombreux.
ANNEXE[7]
Le cadre des relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni
(Déclaration politique signée en octobre 2019)
[1] Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12019W/DCL(01)&from=FR
[2] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_18_6422
[3] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/MEMO_18_6422
[4] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20200115IPR70329/composition-des-commissions-parlementaires-apres-le-brexit
[5] Michel Barnier, discours à Stockholm le 9 janvier, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/STATEMENT_20_13
[6] Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni
[7] Réalisée avec Kenza Bensaid et Myriam Dziewit Benallaoua
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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