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Multilatéralisme à la chinoise

Asie et Indopacifique

Francisco Juan Gomez Martos

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16 décembre 2019
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Gomez Martos Francisco Juan

Francisco Juan Gomez Martos

Docteur en Sciences politiques, économiste et ancien fonctionnaire de l'Union européenne

Multilatéralisme à la chinoise

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La Chine a soutenu certaines des propositions de l'Union européenne et d'autres membres de l'OMC visant à améliorer l'efficacité du fonctionnement de l'institution, à accroître la transparence de l'Organe d'appel et à satisfaire les préoccupations partagées par les agents économiques européens. Mais elle n'est pas disposée à soutenir la proposition de l'Union de mettre en place un mécanisme parallèle, sans les États-Unis, pour éviter la paralysie totale du mécanisme d'arbitrage.

Le multilatéralisme est la pierre angulaire de l'ordre international depuis la seconde Guerre mondiale. Il est cependant en crise et certains analystes prédisent même sa fin. Dans ce contexte, il convient de se demander dans quelle mesure le multilatéralisme et le bilatéralisme sous-tendent la politique étrangère de la Chine et le comportement factuel de ses représentants dans les organisations qui composent le système multilatéral des Nations unies et de ses agences.

De quoi le multilatéralisme à la chinoise est-il le nom ?

"Il fut un temps où la Chine doutait également de la mondialisation de l'économie et n'était pas sûre de devenir membre de l'Organisation mondiale du commerce. Mais nous sommes arrivés à la conclusion que l'intégration dans l'économie mondiale est une tendance historique. Pour développer son économie, la Chine doit avoir le courage de nager dans le vaste océan du marché mondial. Si on a toujours peur de se préparer à la tempête et d'explorer le nouveau monde, il se retrouvera tôt ou tard noyé dans l'océan. Par conséquent, la Chine a pris une mesure courageuse pour embrasser le marché mondial. Nous avons eu notre part d'étouffement dans l'eau et rencontré des tourbillons et des vagues agitées, mais nous avons appris à nager dans ce processus. Il s'est avéré être un bon choix stratégique" (discours du président Xi Jinping, Davos 2017)."

Dans quelle mesure cette déclaration du président chinois, prononcée dans un discours salué dans le milieu international des affaires, reflète-t-elle la capacité et la volonté d'adaptation de la Chine à la mondialisation économique et commerciale ainsi qu'aux règles et pratiques du multilatéralisme incarné par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et par les institutions du système des Nations unies ?

S'agit-il simplement d'une nouvelle preuve de la complaisance et de la satisfaction avec lesquelles les dirigeants du Parti communiste chinois (PCC) considèrent le succès historique de leur pays, dû à l'efficacité de son modèle de gouvernance économique et politique, qu'ils ont eux-mêmes baptisée "économie de marché socialiste aux caractéristiques chinoises" ?

Dans ce contexte, il est nécessaire d'analyser les faits et le comportement, empiriquement vérifiable, de la Chine dans les organisations multilatérales, de les comparer avec les déclarations de ses dirigeants et d'essayer de répondre aux questions suivantes :

• La Chine joue-t-elle pleinement le jeu du multilatéralisme ?

• Prendra-t-elle soin du respect du droit international et des règles commerciales ?

• Comment le modèle de gouvernance de la Chine a-t-il fonctionné au sein d'institutions clefs du processus de mondialisation telles que l'OMC, l'Organisation des Nations unies et l'Organisation internationale du Travail (OIT) ?

• La Chine est-elle un acteur crédible et cohérent dans la mise en œuvre du droit international et des règles et conventions des agences des Nations unies ?

• Les faits, et non les déclarations de propagande si fréquentes dans le discours politique des dirigeants chinois, permettent-ils de faire la lumière sur le type de multilatéralisme et de mondialisation promu par le PCC, principalement à travers son projet One Belt, One Road ?

Un modèle qui n'en est pas un

La première question qui se pose est de savoir si la Chine a créé un modèle de développement original lui permettant de naviguer avec succès sur les eaux turbulentes de la mondialisation. La réponse est négative. Pragmatique et avisé, Deng Xiaoping avait décidé, en 1978, de copier et d'adapter les idées économiques de Lee Kuan Yew, ancien Premier ministre de Singapour de 1959 à 1990, en suivant le modèle économique des autres pays asiatiques (Japon, Corée du Sud, Taïwan). Deng mettra fin ainsi à trente ans d'autarcie et d'isolement de son pays, en ouvrant avec prudence les portes du marché chinois aux produits et investissements étrangers, à la technologie et au savoir-faire des entreprises occidentales pour moderniser l'économie chinoise.

En fait, le multilatéralisme commercial a pu "vivre" et se développer sans la Chine pendant trente ans, en favorisant la prospérité économique et sociale mondiale, alors que la Chine sous le régime communiste et révolutionnaire du grand timonier Mao Zedong ne réussissait pas à se libérer du sous-développement et de la pauvreté chronique.

C'est dans une large mesure grâce au multilatéralisme, notamment aux énormes débouchés sur les marchés internationaux, surtout depuis l'adhésion de la République populaire de Chine à l'OMC en 2001, que la Chine a pu lancer un développement économique spectaculaire. Celui-ci s'appuyant sur un modèle de croissance fondé sur les exportations, grâce au coût extrêmement bas de la main d'œuvre et à une énorme accumulation de capital subventionné par l'État.

Si la Chine a grandement bénéficié du multilatéralisme, notamment après son adhésion à l'OMC, ses gains de croissance ont été très inégalement répartis entre les régions montagneuses et côtières, les zones rurales et urbaines et les différents segments sociaux en fonction de leurs connexions avec le centre du pouvoir.

Bien que la croissance économique ait augmenté spectaculairement les indicateurs de revenu par habitant et de bien-être de l'ensemble de la population chinoise (700 millions de personnes sont sorties de la pauvreté), des études empiriques récentes confirment que les niveaux d'inégalité restent très élevés : les 10% les plus riches bénéficient de 40% du revenu national, tandis que les 50% les plus pauvres n'obtiennent que 15% du revenu national. En termes de richesse, le niveau d'inégalité est même plus élevé : la part de richesse des 1% les plus riches représente 30% de la richesse des ménages et les 10% les plus riches bénéficient de 68% de la richesse nationale, contre 78% aux États-Unis et 55% en France[1].

Dès lors, le modèle de développement chinois non seulement augmente fortement le PIB par habitant, qui représente encore 20% environ de celui des Etats-Unis, mais rattrape rapidement les niveaux d'inégalité du modèle américain. Dans les années 1980 et 1990, le modèle chinois a aussi grandement bénéficié de l'octroi unilatéral de la clause de la nation la plus favorisée (NPF) par les économies développées de l'OCDE.

Ces concessions et les bénéfices tirés des multilatéralismes, additionnés aux efforts des travailleurs chinois, ont eu une plus grande influence sur l'essor de l'économie chinoise que l'expertise supposée de ses dirigeants, contrairement à ce que le suggère le président Xi dans son discours.

En outre, ces résultats économiques n'auraient pas été aussi remarquables si les gouvernements occidentaux n'avaient pas péché par naïveté, erreurs de calcul et excès de tolérance face aux manquements systématiques de la Chine aux engagements pris pour mener les réformes structurelles afin de se transformer en une véritable économie de marché.

La Chine avait assumé et accompli certains engagements de libéralisation de son marché, en 2001, mais ses progrès vers la mise en place complète d'une économie de marché n'ont pas répondu aux attentes de la communauté internationale. Au contraire, elle a consolidé un système économique de dirigisme d'Etat piloté par un parti unique, avec une très forte intervention de l'État dans la politique industrielle et financière, une approche mercantiliste du commerce extérieur et la présence d'un puissant secteur des entreprises d'Etat. L'intervention de l'Etat dans la fixation des prix de biens et de services a entraîné une distorsion de la concurrence sur une grande partie du marché intérieur chinois.

Après dix-huit ans de participation à l'OMC, l'économie chinoise est toujours considérée par ses dirigeants comme une économie en développement qui a encore besoin de subventions de l'État pour faire face à la concurrence internationale.

Cela nourrit efficacement le discours officiel chinois envoyé au continent africain pour souligner la proximité du modèle chinois et se présenter comme le partenaire idéal de l'Afrique, la Chine étant un pays en développement comme ses frères africains. Il suffit pourtant d'analyser les données statistiques officielles d'organisations internationales pour vérifier que ce message ne correspond pas à la réalité. Si la comparaison de la Chine avec les pays africains était justifiée il y a trente ans en termes de revenu par habitant et de niveaux de pauvreté, ce n'est plus le cas désormais, compte tenu du développement spectaculaire et continu de l'économie chinoise.

En 2017, selon les chiffres de la Banque mondiale, le RNB par habitant de la Chine s'élevait à 8 690 $, ce qui en fait un pays à revenu moyen supérieur (supérieur à celui de l'Afrique du Sud et du Brésil et très proche de la Russie) avec un niveau de revenu plus élevé que celui enregistré dans les 54 pays africains, à deux exceptions près : les Seychelles et Maurice.

En conclusion, le modèle économique chinois ne peut être défini ni comme économie de marché ni comme économie en développement et, par conséquent, il provoque de fortes distorsions de concurrence aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement.

La Chine cherche à imposer la légitimité de son modèle au sein de la communauté internationale mais il est clair qu'elle n'y parviendra pas tant que les réformes essentielles ne verront pas le jour. Ces réformes devraient viser l'indépendance judiciaire, la rationalisation et la réduction significative des entreprises d'Etat, ainsi que l'élimination du système hukou pour assurer la mobilité des travailleurs et la fin de l'ingérence du parti communiste dans la vie économique et sociopolitique du pays.

La tendance est tout à fait contraire, comme le montrent les lignes directrices adoptées en octobre 2017 par le 19e Congrès du PCC : l'objectif est d'impliquer le parti dans tous les domaines de la vie depuis les entreprises privées au travers de cellules qui contrôlent le processus de décision, jusqu'à la diplomatie, aux universités, aux associations et autres représentants de la société civile.

D'ailleurs, la communauté internationale s'inquiète des dérives autoritaires et des violations des droits de l'Homme. Ce sujet, abordé régulièrement lors des rencontres des diplomates chinois avec la Commission européenne, s'apparente à un dialogue de sourds. La partie chinoise rejette toute critique, faisant valoir à toute occasion son droit inaliénable pour gérer les affaires internes sans ingérence extérieure.

Ainsi le sort des minorités Ouïghours soumises au goulag de la "rééducation" reste dramatique. La société civile est réprimée, massivement surveillée et politiquement aliénée. Le Soft Power de la Chine souffre d'un déficit car elle est incapable de vendre son modèle à l'opinion publique internationale, malgré des investissements importants dans ce domaine et plus de 500 instituts Confucius opérant dans le monde. Par ailleurs, la Chine met tout en œuvre, y compris des moyens illégaux comme la coercition économique et la corruption des académiciens dans les universités et les think-tanks occidentaux, pour contrer les critiques et promouvoir ses intérêts.

Boulimie chinoise

Si le modèle chinois n'est pas original et rappelle celui des "tigres asiatiques", il présente néanmoins deux caractéristiques qui le rendent unique : la taille gigantesque de son marché intérieur (18% de la population mondiale) et le degré de dirigisme et d'interventionnisme de l'Etat par le biais d'un secteur pléthorique d'entreprises publiques, à tous les niveaux territoriaux, contrôlé par le PCC.

La nécessité d'atteindre des taux de croissance à deux chiffres et l'objectif de devenir le premier fournisseur mondial de nombreux produits et secteurs ont conduit les autorités chinoises à prendre des décisions économiques erronées, qui ont entraîné des excédents structurels mondiaux (acier, ciment, aluminium, panneaux solaires, etc.). La politique d'encouragement à la production d'excédents structurels dans des secteurs clés de l'économie a provoqué des perturbations majeures dans de nombreux pays de la communauté internationale, qui ont subi le coût social du comportement irresponsable chinois.

Depuis le début des années 2000, les déséquilibres des marchés et les effets de destruction des échanges provoqués par le modèle chinois dans les pays tiers sont évidents. Le démantèlement de l'Arrangement multifibres dans le secteur textile en 1995 avait permis de consolider la Chine en tant qu'"usine du monde". L'essor de la Chine a entraîné d'énormes surproductions à prix cassés qui ont déplacé les produits locaux d'exportation fabriqués dans de nombreux pays tiers développés ou en développement (par exemple, le textile en Égypte et dans les pays d'Amérique latine, l'acier dans l'Union européenne et les pays d'Amérique latine et les panneaux solaires dans l'Union européenne).

La Chine a provoqué de profondes distorsions dans les échanges internationaux, inondant non seulement les marchés de produits fabriqués à bas prix, souvent de qualité médiocre, en augmentant toutefois le pouvoir d'achat des consommateurs à revenu moyen et faible des pays développés et/ou en développement. La Chine a aussi "exporté le chômage" vers des pays tiers, en détruisant des secteurs industriels du fait d'une concurrence déloyale et d'exportations massives de ses excédents structurels à des prix faisant l'objet d'un dumping. En outre, il convient de rappeler que la Chine est à l'origine de 84,5% de tous les produits contrefaits et piratés[2].

Au cours de la dernière décennie, le problème chinois n'a plus ses origines dans les bas salaires. Depuis 2010, ceux-ci ont augmenté de 60% et provoquent des délocalisations aux États-Unis, dans l'Union européenne ou dans d'autres pays de l'Asie du Sud-Est comme le Vietnam, l'Indonésie ou la Thaïlande. La stratégie des bas salaires, des imbrications industrie-État (par exemple les champions nationaux tels que Zaibatsu au Japon et Chaebol en Corée du Sud) et une sorte de manipulation du taux de change ont également été appliquées par d'autres pays asiatiques comme le Japon, la Corée du Sud et Taiwan.

Le véritable problème de la Chine se trouve dans les distorsions que son secteur gigantesque des sociétés publiques (SOE) provoque sur les marchés internationaux au moyen de subventions massives et cachées. Celles-ci risquent de saper les bases fragiles du système GATT-OMC conçu pour des économies de marché ayant toutes des dimensions et des caractéristiques structurelles similaires.

Ces dernières années, les États-Unis ont pris conscience avec une grande inquiétude des avancées technologiques de la Chine dans des secteurs clés pour l'économie numérique, la sécurité nationale et la protection des libertés démocratiques (telles que les applications de la technologie de réseau 5G à l'Internet des objets, l'intelligence artificielle, les biotechnologies, les technologies de contrôle numérique des citoyens).

L'Union européenne partage ce diagnostic, bien que désapprouvant la plupart des méthodes de l'Administration Trump, qui, dans de nombreux cas, violent ouvertement les normes multilatérales que les États-Unis ont contribué à créer. Nous assistons dorénavant à une nouvelle lutte pour la suprématie technologique entre les États-Unis et la Chine, même si le degré de développement technologique de la Chine n'a pas encore atteint le niveau des pays les plus avancés.

En résumé, le modèle économique chinois a donné sans doute des résultats impressionnants en termes de croissance et de réduction de la pauvreté, notamment grâce à certaines réformes internes du marché chinois, faciles à mettre en œuvre et sans risques pour la stabilité politique du régime. Le fait que la communauté internationale, en particulier les États-Unis, ait sous-estimé en 2001 les effets de divers facteurs tels que l'absence de réciprocité de la part de la Chine, les subventions massives accordées aux entreprises d'État, la faible mise en œuvre des droits de propriété intellectuelle par la Chine, l'absence d'un pouvoir judiciaire indépendant et le transfert coercitif de technologie imposé aux entreprises étrangères ont également contribué de manière décisive à l'essor de la Chine.

La question essentielle que la communauté internationale aurait dû se poser en 2001 était de savoir si l'OMC devait modifier ses règles avant l'entrée de la Chine pour tenir compte de son poids et des contradictions de son modèle économique, relatives notamment aux subventions aux entreprises publiques, à la propriété intellectuelle et aux procédures décisionnelles pour imposer des sanctions en cas de non-respect. Actuellement, la Chine est déjà plus avancée et beaucoup trop forte pour qu'on puisse l'obliger à faire marche arrière.

Sécuriser les intérêts, négliger les valeurs

Le comportement international de la Chine dans les organes du système général des Nations unies le montre : elle est déterminée à poursuivre ses objectifs commerciaux et géopolitiques en contournant, si nécessaire, les règles commerciales multilatérales et le droit international. La Chine poursuit ses objectifs sans hésiter, quel que soit leur impact sur les pays tiers, négligeant les valeurs fondatrices de l'ordre multilatéral international et montrant une "insensibilité prononcée aux sensibilités étrangères", pour reprendre la formule du politologue Edward Luttwak.

Trois exemples significatifs, parmi d'autres, permettent de faire la lumière sur la façon dont la Chine conçoit le multilatéralisme.

Premier exemple : les contradictions du comportement de la Chine contre le droit international, en particulier en ce qui concerne la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM-UNCLOS). L'analyse comparative de la politique chinoise à l'égard de l'océan Arctique et des îles de la mer de Chine méridionale révèle les incohérences et contradictions du discours officiel des dirigeants chinois.

Il est surprenant que la Chine se présente géographiquement comme "un État proche de l'Arctique, l'un des États continentaux les plus proches du cercle polaire arctique", et lance la politique qui lui donne la place d'un acteur majeur dans l'avenir du transport maritime dans l'Arctique : un partenaire fiable, respectueux du droit international et solvable pour l'exploitation durable à la fois de la route maritime et des ressources minérales et halieutiques du continent arctique.

Toutefois, s'agissant des îles du sud de la mer de Chine (Paracels, Spratly et Scarborough Shoal), dans le cadre d'un litige opposant les cinq pays demandeurs de l'Asie du Sud-est, la Chine rejette la décision rendue par la Cour internationale d'arbitrage établie conformément à la Convention UNCLOS.

Les contradictions ont été relevées en juillet 2016 par les juges de la Cour internationale d'arbitrage créée par la Convention pour traiter la demande des Philippines. En effet, la Chine affirme avoir la souveraineté exclusive sur toutes les îles de la mer de Chine méridionale (une zone géographique d'une extension équivalente à la mer Méditerranée) et des droits historiques fondés sur elle. Cependant, ce point de vue n'est reconnu par aucun autre pays demandeur, pas plus que par la Cour internationale.

La Chine déclare adhérer au principe de la coopération multilatérale, plurilatérale ou bilatérale en matière de développement durable des ressources de l'Arctique et coopère avec des partenaires puissants (États-Unis, Russie, Canada et Norvège). Dans les faits, la Chine rejette la coopération plurilatérale avec les pays riverains de la mer de Chine méridionale, la grande majorité d'entre eux étant des pays en développement et à faible potentiel militaire. Au fond, la Chine ne souhaite pas bâtir un vrai partenariat avec les pays riverains de la mer de Chine méridionale, ayant recours aux actions d'intimidation, voire de chantage.

La Chine n'est pas non plus prête à enregistrer auprès des Nations unies un éventuel Code de conduite régissant l'exploitation conjointe des ressources économiques et acceptant le contrôle de cette organisation multilatérale.

De surcroît, la Chine préconise la préservation de l'environnement et de la biosphère dans l'Arctique mais construit des îlots artificiels, modifiant gravement l'équilibre écologique, afin de militariser et de contrôler l'espace maritime et aérien de la mer de Chine méridionale qui, conformément à la CNUDM-UNCLOS, doit être un espace où la liberté de navigation est garantie pour tous les pays du monde.

Deuxième exemple : le statut économique de la Chine au sein de l'OMC en tant qu'économie non marchande. La Chine tente de contourner les règles de l'OMC pour obtenir par d'autres moyens bilatéraux la condition que cette organisation multilatérale ne lui reconnaît pas : le statut d'économie de marché. C'est pourquoi elle utilise son pouvoir coercitif ou la taille de son marché pour "convaincre" d'autres partenaires commerciaux plus faibles.

Au lieu de mettre en œuvre les réformes engagées dans son protocole d'accession à l'OMC, la Chine a contraint ses partenaires commerciaux d'Asie du Sud-est (ANASE) et d'autres pays en développement, désireux d'avoir un accès préférentiel à son vaste marché, à inclure dans ses accords de libre-échange un article spécifique dans lequel ces pays reconnaissent que la Chine "est une économie de marché".

Il va sans dire que ni les pays industrialisés, ni d'autres pays émergents tels que l'Inde, n'accordent ce statut à la Chine et, par conséquent, appliquent la méthodologie de comparaison des prix décrite au point 15 du protocole d'accès de la Chine à l'OMC pour le calcul de la marge de dumping des produits chinois.

En mai 2019, la Chine a subi un échec historique, qui n'a toutefois eu que peu d'écho dans les médias non spécialisés : le groupe spécial de l'OMC chargé d'étudier le recours de la Chine à l'encontre de l'Union européenne pour son refus de reconnaître le statut de la Chine en matière d'économie de marché était sur le point de se prononcer et de publier son rapport final. Selon des sources bien informées, le rapport donnait raison à l'Union européenne et rejetait la demande chinoise. En d'autres termes, dix-huit ans après avoir accédé à l'OMC, cette organisation du multilatéralisme commercial continue d'affirmer que la Chine n'est pas une économie de marché.

Afin d'éviter l'impact négatif que la publication et la diffusion du rapport auraient eu sur l'opinion publique internationale, la Chine a décidé de suspendre le travail du panel et de geler la procédure contre l'Union européenne. Voilà une preuve de l'aversion des autorités chinoises pour la transparence.

En outre, les décisions prises par le 19e Congrès du PCC en octobre 2017 ont confirmé que la Chine n'est pas disposée à appliquer les réformes juridiques et institutionnelles nécessaires pour obtenir le statut d'économie de marché dans un avenir proche, car ces réformes pourraient mettre en péril la stabilité sociale et politique. Il en résulte que la Chine ne va pas renoncer à son modèle économique et n'a pas l'intention d'assumer les fondements du multilatéralisme commercial.

Enfin, troisième exemple : le comportement de la Chine au sein de l'Organisation internationale du travail (OIT) et le respect par elle des règles multilatérales dans le domaine essentiel des droits de l'Homme au travail. Il se trouve que la Chine n'a pas encore ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies de 1966 ni la plupart des conventions fondamentales de l'OIT, bien qu'elle ait été membre fondateur de cette organisation internationale il y a juste un siècle (1919).

Il est surprenant que la Chine n'ait ratifié que 26 des 177 conventions de l'OIT contrairement à l'Inde et à la plupart des pays en développement voisins de la Chine participant à l'initiative OBOR en Asie centrale, en Asie du Sud et du Sud-Est ainsi qu'en Afrique de l'Est. Tous ces pays ont ratifié un plus grand nombre de conventions fondamentales de l'OIT que la Chine.

Plus important encore, c'est la valeur symbolique et l'impact social des quatre conventions fondamentales que la Chine n'a pas encore ratifiées : la convention sur le travail forcé et sur l'abolition du travail forcé, la convention sur la liberté syndicale, la protection du droit syndical et la convention sur le droit d'organisation et de négociation collective. D'ailleurs, la Chine refuse systématiquement de se conformer aux recommandations formulées par les comités d'évaluation et de suivi de l'OIT.

Dès lors, il est difficile d'imaginer comment la Chine peut projeter dans le monde entier un "modèle social" attrayant, capable de concurrencer globalement le modèle de l'OIT, qui encourage le respect des droits de l'Homme au travail et s'engage à inculquer l'application universelle d'un code minimum de normes sociales sur le lieu de travail.

Le bilatéralisme est-il mauvais ?

Avec ce titre provocateur, le prix Nobel d'économie 2008, Paul Krugman[3], publia en 1989 une étude dans laquelle il démontra que les accords commerciaux multilatéraux augmentent le bien-être mondial dans une plus large mesure que les accords bilatéraux ou régionaux.

L'expérience des négociations internationales le confirme. Lorsque les différences de poids économique entre pays sont considérables, le multilatéralisme est probablement le système qui permet le mieux de prendre en compte les intérêts des pays les moins avancés (PMA).

Le bilatéralisme tend à imposer la supériorité des plus forts. Au niveau multilatéral, les pays les plus faibles peuvent résister plus facilement à la pression des pays puissants grâce à l'assistance technique fournie par les organismes multilatéraux dont ils peuvent bénéficier. Dès lors, ils peuvent défendre plus efficacement leurs intérêts dans les négociations.

La négociation bilatérale est plus exigeante car elle nécessite un pouvoir de négociation similaire et la même capacité technique des parties concernées. Par conséquent, malgré ses lacunes, un multilatéralisme commercial efficace place les PMA dans une meilleure position de négociation en assurant une plus grande transparence.

À la fin de la seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont piloté la conception et de la mise en œuvre du système commercial multilatéral existant, qui a permis le progrès économique et social à une grande partie, mais pas à tous, des pays de la planète.

L'administration Trump a adopté depuis 2017 une position intransigeante contre le multilatéralisme, qui méprise la théorie économique, les résultats tangibles de la libéralisation commerciale pour les entreprises américaines, leur prestige et le Soft Power dont ont bénéficié les États-Unis au cours des sept dernières décennies.

En adoptant des mesures protectionnistes unilatérales tous azimuts, sans concertation préalable avec les pays concernés dans le cadre multilatéral de l'OMC, la politique commerciale de l'administration Trump expose la communauté internationale au risque d'escalade du protectionnisme, avec son corollaire de récession économique, en oubliant les vrais problèmes de distorsion de concurrence et asymétries du système multilatéral de commerce actuel provoqués par l'irruption brutale de la Chine.

Il est clair que le système commercial multilatéral a besoin de nouvelles règles qui tiendraient compte des caractéristiques du modèle chinois et parviendraient à canaliser raisonnablement la concurrence déloyale actuellement pratiquée par ce pays.

Cependant, au lieu de faire pression sur la Chine dans le cadre multilatéral de l'OMC pour corriger les graves distorsions générées au commerce international par ce pays, l'administration Trump tente depuis des mois de bloquer le fonctionnement opérationnel de l'OMC, empêchant le renouvellement des membres de son organe d'appel qui garantissent le règlement des conflits commerciaux par le biais d'un arbitrage multilatéral et hautement professionnel, ce qui a démontré un bon degré d'efficacité dans presque 600 cas depuis sa création en 1995.

Il est paradoxal que l'administration Trump bloque le fonctionnement d'un organe qui a donné de bons résultats dans la défense des intérêts du gouvernement et des entreprises américaines. Cela ne peut être compris que sur la base de l'isolationnisme et de la méfiance traditionnelle envers le multilatéralisme d'une partie de la classe politique des Etats-Unis depuis une grande partie du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle.

Par ailleurs, en bloquant le fonctionnement de l'Organe d'appel, l'administration Trump annule l'innovation la plus importante introduite par la transformation de l'ancien GATT (un simple accord intergouvernemental basé sur les rapports de force entre les pays) en une organisation internationale (l'OMC) beaucoup plus opérationnelle et supranationale, avec le pouvoir de sanctionner les violations de ses règles. En outre, en raison de l'incertitude juridique concernant des conflits potentiels entre entreprises, il est à craindre que le commerce international et les investissements étrangers directs se mettent à diminuer considérablement, entraînant des conséquences négatives sur la croissance et l'emploi.

Multi-égoïsmes versus multilatéralisme

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la Chine continue de défendre officiellement qu'elle est le plus grand pays en développement du monde, aux côtés des autres pays en développement, et demande donc dans ses propositions de réforme de l'OMC que soit maintenu son traitement spécial et différencié pour assurer l'inclusion du système commercial multilatéral.

En mai 2019, un mois avant de suspendre le panel contre l'Union européenne en raison de l'évidence de ne pas obtenir le statut d'économie de marché, la Chine a publié ses propositions de réforme de l'OMC, soulignant que ce sont les entreprises publiques chinoises opérant sur les marchés internationaux qui font l'objet de discrimination.

Cette prétendue "discrimination" par les pays tiers est toutefois bien fondée car les entreprises d'Etat chinoises reçoivent une multiplicité de subventions publiques qui faussent la concurrence avec les entreprises des pays tiers et agissent conformément aux directives du gouvernement chinois et non aux indications du marché.

Pour "corriger" cette anomalie et veiller à ce que les entreprises appartenant à des propriétaires différents exercent leurs activités dans un environnement de concurrence loyale, la Chine propose ce qui suit : "Premièrement, lors des discussions sur les disciplines en matière de subventions, aucune discipline spéciale ou discriminatoire ne devrait être instituée sur les entreprises d'État au nom de la réforme de l'OMC. Deuxièmement, les examens de la sécurité des investissements étrangers doivent être menés de manière impartiale et respecter des principes tels que la transparence et une procédure régulière. Un traitement non discriminatoire doit être accordé aux investissements similaires d'entreprises de structures de propriété différentes".[4]

N'étant pas reconnue par l'OMC comme une économie de marché, la Chine agit tous azimuts pour défendre et imposer la "légitimité" de son modèle de dirigisme et d'entreprises d'État face à toute future réforme de l'OMC qui, par ailleurs, devrait être approuvée par consensus par toutes les parties. La Chine n'est en aucun cas disposée à réformer son modèle ni à l'adapter aux règles du multilatéralisme libéral actuel.

Présentant ses propres propositions, la Chine a clairement annoncé qu'elle n'acceptera jamais les propositions de réforme de la Trilatérale (États-Unis, Union européenne et Japon) visant à adapter les normes de l'organisation aux nouveaux problèmes et défis, dont beaucoup sont illustrés par le modèle de développement de la Chine. En fait, elle considère que ces propositions vont contre elle et poursuivra donc son ambitieux programme de substitution des importations "Made in China 2025".

La Chine se sent à l'aise et défend le statu quo à l'OMC, organisation dont elle a tant profité et qui lui permet de continuer à exporter, sans aucun contrôle efficace des subventions que ses entreprises d'État reçoivent et de conditionner sélectivement l'accès à son marché à des pratiques illégales de transfert de technologies. Cela explique pourquoi la Chine soutient la proposition européenne et d'autres pays visant à débloquer la nomination des juges de l'Organe d'appel de l'OMC.

Comme la Chine n'est pas considérée comme une économie de marché par l'OMC et ne respecte pas systématiquement les règles de transparence, il semble logique qu'elle défende la mise en œuvre de règles commerciales ad hoc considérablement moins exigeantes que celles des pays libéraux démocratiques. En effet, elle tente de baisser le niveau d'exigence des règles commerciales de l'OMC en imposant ses propres règles moins exigeantes ainsi que des pratiques non transparentes en matière d'échanges commerciaux avec les pays en développement tiers bénéficiant des prêts de son projet One Belt One Road. N'oublions pas que la Chine avait besoin de l'assistance technique de l'OMC pour ses services douaniers jusqu'en 2012. Cette tendance dangereuse semble être systématique et palpable dans certains pays africains, selon des diplomates et des experts occidentaux.

***

Si la communauté internationale veut défendre le fragile système commercial multilatéral actuel, préserver ses principes fondamentaux et moderniser ses règles de fonctionnement, seule une action concertée des États-Unis, de l'Union européenne, du reste des pays de l'OCDE et de quelques économies émergentes pourrait contraindre la Chine à reconsidérer son comportement actuel. Malheureusement, la politique protectionniste de l'administration Trump rend cette action concertée peu probable.

La Chine ne veut ni signer ni accepter de normes internationales dans les secteurs de la quatrième révolution technologique. Il est significatif à cet égard que la Chine et la Russie aient refusé de signer les principes de l'OCDE sur l'intelligence artificielle (IA), qui visent à assurer le respect de l'État de droit, des droits de l'Homme et des valeurs démocratiques tout au long du cycle de vie de tout système d'IA.

Si la Chine consolide son avantage technologique, le multilatéralisme du monde libre subira les conséquences d'une Chine arrogante, égoïste et convaincue de la supériorité de son modèle dirigiste et autoritaire sur le modèle européen que nous aurions intérêt à défendre avec plus de force et de pertinence.

Le temps presse pour défendre et réformer le multilatéralisme politique et commercial que l'ONU et l'OMC incarnent en tant que garants du droit international.

Le récent discours du président Xi à l'occasion du 70e anniversaire de l'accès au pouvoir du PCC ne laisse planer aucun doute sur les intentions des dirigeants chinois : "Aucune force ne peut ébranler le statut de notre grande patrie, et aucune force ne peut arrêter le progrès du peuple chinois et de la nation chinoise".

Force est de constater que les Européens ne doivent pas baisser la garde face à la Chine, ayant à l'esprit que le renforcement du multilatéralisme fondé sur des règles et des valeurs est une condition sine qua non à de la préservation de la paix et du progrès économique et social à l'échelle globale.


[1] Alvaredo, Piketty et autres. WID. world.2016
[2] Rapport conjoint de l'OCDE et de l'EUIPO, 2017
[3] Is Bilateralism Bad? National Bureau of Economic Research Working Paper No.2972; mai 1989
[4] WT / GC / W / 773.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Multilatéralisme à la chinoise

PDF | 199 koEn français

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