L'UE et ses voisins orientaux
Iris Muraz
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1. Le contexte
Les Ukrainiens sont appelés aux urnes le 31 mars 2019, pour élire leur président. Cinq millions d'entre eux (soit presque 12% de la population) ne seront pas autorisés à se rendre aux bureaux de vote, car le scrutin ne se déroulera ni en Crimée annexée par la Russie en 2014, ni dans les territoires séparatistes du Donbass[1], réduisant ainsi le poids de l'électorat " pro-russe ". En revanche, 1,7 million de réfugiés " internes " pourront voter, tandis que d'autres (Ukrainiens de Russie, citoyens à la double nationalité russe et ukrainienne) seront soumis à de sévères restrictions et pressions. Pourtant, en 2014, à peine 10% de cet électorat avait voté, alors que les consulats et les ambassades Ukrainiens leur étaient ouverts.
Mais alors que le pays traverse une cinquième année de guerre dans sa région industrielle du Donbass, une profonde fatigue se fait sentir. Depuis le printemps 2014, plus de 10 300 personnes ont trouvé la mort, dont près de 3 000 civils. Chaque mois, on compte plus d'un millier de violations de cessez-le-feu, pourtant instauré depuis longtemps par les accords de Minsk signés en septembre 2014 et renouvelés depuis février 2015. Parfois, ce chiffre monte à 10 000, comme au mois d'octobre 2018. Dorénavant, la majorité des Ukrainiens veulent la paix. Cela, les candidats à l'élection présidentielle l'ont bien compris, mais il reste à savoir dans quelles conditions. Si pour l'actuel président, Petro Porochenko, aucune concession ne doit être faite à la Russie, certains se disent prêts pour la paix. C'est le cas de Vladimir Zelenskiy, acteur et humoriste, en tête des sondages, tandis que Ioulia Timoshenko et Yuri Boiko, héritiers de l'ancien système, se présentent comme seuls interlocuteurs de Moscou.
À la crise économique qui ébranle le pays depuis plusieurs années s'ajoutent de profondes fractures au sein d'une société unie dans sa douleur, mais divisée, facilement manipulable, et marquée par une Révolution sanglante que la justice n'a toujours pas apaisée. Malgré tout, ces dernières années témoignent d'avancées spectaculaires dans l'histoire du pays. Vivant pendant près d'un siècle sous l'autorité administrative de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), l'Ukraine est encore souvent perçue comme une nation fragile, aux structures étatiques instables. Pourtant, l'important chantier de réforme des institutions issu du Maïdan dans lequel se lance Petro Porochenko aux côtés de l'Union européenne et des institutions internationales dès 2014, et le rôle de la société civile garante de leur application, suscitent des aspirations optimistes en Europe et dans le monde surtout que, depuis 2014, l'Ukraine a réalisé bien plus de réformes que depuis 1991. À l'heure où les promesses de campagne vont bon train, les Ukrainiens réclament le " changement ". À tour de rôle, les candidats imaginent un " nouveau chemin pour l'Ukraine " (Timoshenko), creusé soit par les élans d'une " démocratie directe et participative " (Zelentskiy) soit par la loyauté d'un peuple uni par " son Église, son armée et sa langue " (Porochenko).
Mais le doute plane quant au destin du pays : en janvier 2019, environ 40% des électeurs se montraient encore indécis dans leur choix[2]. Par ailleurs, les instituts de sondage, pris au cœur d'enjeux oligarchiques, invitent à manier ces résultats avec précaution. D'autant que le nombre élevé de candidats - 39 - risque de troubler les électeurs au moment du vote[3]. Une seule chose semble certaine : quel que soit le candidat élu, celui-ci devrait maintenir les grandes lignes politiques d'un modèle de gouvernance occidental tourné vers une " intégration graduelle du pays aux structures euro-atlantistes "[4], au regret de la Russie, qui, de son côté, tente de placer ses pions sur l'échiquier politique ukrainien par le biais de stratégies d'influence variées.
2. Enjeux du scrutin et stratégies électorales des principaux candidats
Parmi les 39 candidats[5], Vladimir Zelenskiy entré en compétition que, poussé par l'oligarque Kolomoiskyi, serait crédité de 20,7% des intentions de vote, devant ses principaux rivaux, Petro Porochenko (13,2%), et Ioulia Timoshenko (11%), selon un sondage publié par l'agence SOCIS. Pour autant, ce chiffre ne garantit pas une victoire certaine, laissant présager un second tour mouvementé le 21 avril 2019. D'après cette étude, les préoccupations des Ukrainiens s'orienteraient autour de trois thèmes : sécurité (guerre dans le Donbass pour 61,4% d'entre eux), économie et social (hausse des prix pour 30,9%, chômage pour 22,5%, bas salaires pour 55,2%), et politique (lutte contre la corruption pour 21,8%). Il s'agit de comprendre de quelle manière s'articulent les stratégies électorales des candidats favoris au regard de ce que les Ukrainiens considèrent comme les enjeux majeurs du scrutin.
3. Résoudre le conflit armé dans le Donbass
Après cinq années de combats qui se sont soldés par l'annexion illégale de la Crimée par la Russie et la naissance de républiques auto-proclamées à l'est de l'Ukraine, l'arrêt de la guerre est devenu l'enjeu principal du scrutin présidentiel. À l'origine de nombreux maux de la société ukrainienne, la guerre est devenue la cause d'une profonde lassitude au sein de la population, qui ne s'identifie pas (ou plus) à ce conflit. Une forme de " populisme anti-guerre "[6] commence à émerger tant du côté du peuple que des élites qui orientent désormais leur discours autour de la résolution du conflit et non plus de sa continuation.
Chacun appelle à l'arrêt des combats - sans pour autant avoir établi de plan d'action concret - à l'exception de Petro Porochenko qui, malgré les critiques perceptibles au sein de la classe politique[7], alimente un discours très ferme vis-à-vis de Moscou. Petro Porochenko prépare sa réélection depuis longtemps. Les discours qu'il prononce, empreints de slogans patriotiques, prônent la " continuité " politique qu'il incarne depuis 2015. De son triptyque " Armée ! Langue ! Foi ! ", il est passé au slogan " soit [lui], soit Poutine ". Il n'envisage vis-à-vis de la Russie aucune négociation sans l'application complète des Accords de Minsk. Egalement, il faut rappeler que le président sortant a été le seul capable de signer l'accord d'association avec l'UE.
Vladmir Zelenskiy et Ioulia Timoshenko se montrent plus ouverts vis-à-vis de Moscou. Alors que le premier envisage de se " mettre autour de la table " avec Poutine et de négocier " point par point " le rétablissement de la paix, - une proposition loin d'être prise au sérieux par tous –, la seconde évoque son expérience politique pour rassurer les électeurs sur ses aptitudes à négocier avec le Kremlin. Elle propose notamment un format plus large de négociation pour la paix - " Budapest Plus " - intégrant les États-Unis.
4. Enjeux économiques et sociaux du scrutin
- Les difficiles réformes à mettre en œuvre
Depuis 2014, l'Ukraine a réalisé d'importantes réformes économiques et sociales, surveillées de près par une société civile extrêmement active soutenant les structures étatiques transies par les événements en Crimée et à l'Est du pays. En effet, le Maïdan a permis l'émergence d'une société civile dynamique, venue nourrir le débat public sur des sujets majeurs comme la corruption, le niveau des salaires, la sécurité sociale, etc., par le biais d'organisations publiques et non gouvernementales (ONG) nouvellement constituées. Des progrès importants ont été orchestrés par Petro Porochenko concernant les secteurs bancaire et énergétique, en matière de décentralisation et dans ses relations avec l'Union européenne (instauration d'un régime sans visas). Récemment, la reconnaissance de l'autocéphalie de l'Église orthodoxe ukrainienne par le Patriarcat de Constantinople a permis à Petro Porochenko de gagner en popularité.
Mais il semble que ces avancées aient atteint leurs limites. D'un côté, les actions du président sortant, cherchant à évincer toute forme d'opposition au sein de l'État, a provoqué la colère des réformateurs écartés du pouvoir au profit d'autres personnes plus " loyales " aux postes clés des structures étatiques[8]. De l'autre, des soupçons persistent quant à la volonté du président sortant d'affaiblir volontairement les structures en charge des nouvelles réformes dans le pays pour conserver les intérêts des oligarques proches du pouvoir.[9] Un long chemin reste donc à accomplir en particulier dans les domaines de la lutte contre la corruption et de la justice, que Vladimir Zelentskiy se presse de rappeler lorsqu'il se présente comme un candidat " antisystème " et " serviteur du peuple "[10] avec des discours qui séduisent de plus en plus l'opinion publique.
- Face à la crise économique, de fortes attentes sociales
En Ukraine, le niveau de vie est bas. Les salaires et les retraites ne suffisent pas à assurer la stabilité des foyers qui craignent de plus en plus la hausse des prix des carburants. Avec la guerre, la situation économique du pays s'est fragilisée et les conditions de vie de la population se sont considérablement détériorées. La destruction, quotidienne, des infrastructures prive chaque mois des milliers de foyers d'eau et d'électricité, et met en danger les populations vivant près de la ligne de front. Chaque jour, plus de 35 000 personnes traversent celle-ci à la rencontre de proches, risquant leur vie dans cette région devenue l'une des plus minées au monde.
Face à cette situation de crise humanitaire, économique et sociale, la majorité des candidats ont placé la question sociale au cœur de leur stratégie électorale. Ainsi, pour sa troisième candidature depuis 2010, Ioulia Timoshenko, peut compter sur un électorat fidèle (plutôt âgé et issu des couches les plus défavorisées, vivant dans les campagnes et villages à l'ouest et au centre) et très sensible à ses discours : elle promet de répondre aux attentes sociales de la population notamment par la baisse des tarifs communaux et du prix du gaz, ce qui inquiète les bailleurs de fonds internationaux.
5. Dimension politique
L'élection attire un nombre record de candidats, sans que l'on sache s'il faut l'interpréter comme un signe de bonne santé ou, au contraire, de crise politique profonde. Mais cela n'effraye pas les électeurs, puisque 80% d'entre eux indiquent être certains d'aller voter au second tour. 50% des Ukrainiens disent ne pas avoir confiance en leurs élites politiques, risquant d'alimenter les votes " par défaut ".
- Une crise de la représentation ?
Lors d'une conférence tenue à Paris le 14 mars dernier, Volodymyr Fesenko, directeur du centre ukrainien d'études politiques " Penta ", déplorait la perte totale de confiance des Ukrainiens envers leurs élites politiques. " La situation en Ukraine est comparable à celle de la France ; le peuple est critique vis-à-vis de toutes les institutions, [...] il vote pour un candidat, puis devient critique à l'égard de son élu ".
Comment expliquer cette crise de confiance ? Une première réponse serait de rappeler les attentes et espoirs suscités à travers le pays par le Maïdan en 2013-2014 et la brutalité avec laquelle les Ukrainiens les ont vus s'essouffler dès 2015 avec Petro Porochenko, qui tient d'une main ferme le système politique (ralentissement des réformes en matière de justice et de lutte contre la corruption en particulier). Une seconde réponse parierait sur la totale perte de confiance[11] de la population dans les autorités politiques. Régulièrement, les promesses des candidats sont balayées par des affaires de corruption et des scandales dans lesquels les candidats sont impliqués et qui noircissent le portrait d'une " Ukraine [des] rêves "[12].
En effet, la majorité des Ukrainiens aspire à un renouvellement de la classe politique et à l'émergence de nouveaux visages prêts à gouverner au service du peuple et non plus d'intérêts financiers. Selon Volodymyr Fesenko, " les électeurs seraient prêts à voter non pas pour un candidat mais pour un homme, capable de briser quelque chose, le lien entre le business et le pouvoir ".
C'est ainsi que s'est construit le mythe populaire de Vladimir Zelenskiy [13] désormais en tête des sondages. Perçu comme " étranger" à ce système, il suscite l'étonnement à travers le pays et à l'étranger. Il propose une forme de démocratie directe et participative, d'Il veut en finir avec la corruption et s'entourer de " jeunes professionnels sans expérience politique préalable "[14]. Il touche un électorat jeune, qui n'a plus confiance en ses gouvernants. Pour la première fois, il réunit des électeurs issus à la fois des régions plutôt russophones à l'est, et des régions plus européennes à l'ouest. Dès lors, la disparition - encore faible mais présente - de ce clivage régional face à la candidature de Zelenskiy fascine.
Mais il n'est pas le seul à se positionner comme " acteur du changement ". Ioulia Timoshenko mise tout là-dessus. Elle a troqué ses nattes blondes traditionnelles pour un style plus moderne. Si elle souhaite atteindre le second tour, elle aura besoin de séduire un électorat plus jeune et urbanisé.
Pourtant, il semblerait que les relations qu'entretiennent certains candidats avec des oligarques puissants, ajoute encore au désenchantement d'une partie des électeurs.
- Le rôle des oligarques
Malgré tous les efforts entrepris par la société civile depuis 2014, les oligarques détiennent toujours un rôle décisif dans la construction du système politique ukrainien.
D'une part, la vie économique et politique dépend encore, en grande partie, d'intérêts oligarchiques réduisant l'avenir du pays aux mains d'une poignée d'hommes très influents. L'élection présidentielle ne fera pas exception : en quatre ans, Petro Porochenko s'est assuré de puissants soutiens[15], capables d'orienter le choix des électeurs s'il se qualifiait pour le second tour face à Timoshenko ou Zelenskiy. Ses alliances avec des personnalités comme l'oligarque Rinat Akhmentov lui permettent d'accroître son audience (chaîne de télévision Ukrayina) bien que ses conflits ouverts avec Igor Kolomoyski ou Arsen Avakov l'empêchent de se positionner en tête des sondages. De son côté, Ioulia Tymoshenko est soutenue par l'oligarque Igor Kolomoyskiy (soutien financier de sa campagne) et par le ministre de l'Intérieur, Arsen Avakov. Enfin, Zelenskiy serait en relation étroite avec l'oligarque Igor Kolomoyskiy qui, par ailleurs, détient la chaine télévisée " 1+1 " sur laquelle est diffusée la série dont le candidat tire sa popularité.
D'autre part, la grande majorité des médias sont détenus par les oligarques. Il est important de souligner ce fait dans un pays où 80% de la population s'informe uniquement en regardant la télévision et estime ce média comme étant " fiable ", sans trop chercher à diversifier ses sources d'information.
Ainsi les oligarques sont-ils des acteurs du scrutin. Véritables stratèges, ils assurent la préservation de leurs intérêts économiques et financiers, et luttent pour le pouvoir. Malgré les désaccords persistants et les conflits d'intérêt, la majorité d'entre eux s'exprimerait plutôt en faveur d'une continuité politique prônée par Petro Porochenko, dont l'objectif est de maintenir le système politique tel quel, sans rendre des comptes à la justice.
6. Les acteurs internationaux
- L'Union européenne
Pour l'Union européenne, la guerre du Donbass constitue un enjeu de taille. Dès 2014, la France et l'Allemagne se sont positionnées au cœur des négociations entre la Russie et l'Ukraine (signature des Accords de Minsk, établissement d'un Groupe de contact trilatéral sur l'Ukraine[16]), pour mettre un terme au conflit armé. À mesure que les relations diplomatiques entre Kiev et Moscou se détériorent, le couple franco-allemand est mis à rude épreuve dans sa quête de légitimité aux yeux d'autres États membres de l'Union, traversée par de profondes crises dont celle liée au Brexit.
" L'Union européenne ne soutient aucun candidat, mais un peuple " expliquait Peter Wagner, directeur et chef du groupe d'appui pour l'Ukraine à la Direction générale " Voisinage et Négociations d'Élargissement " de la Commission européenne. Mais quel que soit le candidat élu, le pouvoir devrait suivre une ligne politique plutôt pro-européenne en faveur des réformes, au risque de soulever une vague de mécontentement dans le pays. Parmi les candidats issus de l'opposition et en faveur des réformes, Andryi Sadoviy, du parti Samopomish, et Anatoliy Hrytsenko, du parti Position civique, sans atteindre le second tour pourraient avoir leur mot à dire pour les élections législatives en octobre. Crédités respectivement de 3% à 4% et de 6% à 10% dans les sondages, ils se présentent comme candidats pro-européens et réformateurs, en faveur de l'OTAN et opposés à la Russie et aux intérêts oligarchiques.
- Stratégie d'influence de la Russie
Depuis 2014, le Kremlin a vu plusieurs de ses leviers d'influence bloqués par les réformes en Ukraine (statut officiel de la langue ukrainienne, reconnaissance de l'autocéphalie de l'Église ukrainienne, plusieurs médias russes bloqués, etc.) Dès lors, sa stratégie a changé : en premier lieu, il s'agit pour lui de s'assurer que la question de la Crimée disparaisse du débat public pour garantir, par la suite, la reconnaissance de son rattachement à la Russie en échange des territoires séparatistes. En second lieu, Moscou estime vouloir assurer la " sécurité " de l'Ukraine en luttant contre le nationalisme radical[17] qui sévirait dans le pays. Ainsi, bien qu'elles aient presque disparu du paysage politique ukrainien, les formations ultranationalistes ou d'extrême droite[18]en Ukraine se retrouvent régulièrement à la une des médias pro-étatiques en Russie. L'image d'une Ukraine en proie à la " junte fasciste " inquiète, et participe à l'instabilité du pays, que Moscou recherche pour faire valoir la solidité de son régime.
Le Kremlin parie donc sur les scrutins présidentiel et législatifs, dans l'espoir de voir se former, dans le cas ou Petro Porochenko serait élu, une large coalition contre lui venant discréditer sa place en tant que chef de l'État. De ce fait, il s'assure de soutenir aux postes clés du pouvoir à Kiev des personnalités comme Ioulia Timoshenko qui partage des idées proches celles de Poutine, est contre l'OTAN, pour l'Église orthodoxe sous le patriarcat de Moscou, et Viktor Medvedchuk, proche de Poutine et ...du KGB.
Toutefois, le candidat que Moscou souhaiterait voir élu est Yuri Boiko. Candidat du compromis entre plusieurs forces politiques regroupées autour de la plateforme d'opposition Za Zhitya, Yuri Boiko pourrait jouer un rôle non négligeable, mais ses chances électorales apparaissent bien faibles. Affirmant être le seul capable d'apporter la paix dans les négociations avec Moscou, il peut compter sur un électorat pro-russe des régions orientales du pays et sur une forte couverture médiatique grâce à ses alliances avec de nombreux oligarques influents.
7. Le rôle de la société civile
" Pour que les programmes de soutien de l'Union européenne à l'Ukraine restent en place, toutes les conditions doivent être remplies. Les deux élections présidentielle et législatives doivent être libres, équitables, transparentes et crédibles ". L'intervention de Peter Wagner est une mise en garde : " le plus grand ennemi de l'Ukraine est le pays lui-même ".
L'Europe a mis en place " toutes les structures possibles " pour surveiller le scrutin, car l'objectif est de limiter le risque de fraude électorale. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'Homme (BIDDH) de l'Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe (OSCE) sera présent pour assurer le bon déroulement du processus électoral dans le pays. Mais c'est surtout sur le travail des organisations de la société civile ukrainienne, particulièrement actives depuis 2014, que le pays peut compter comme l'initiative civile OPORA[19] pour l'observation et l'analyse à long terme du processus électoral ; la surveillance citoyenne du Parlement et des partis politiques ; l'analyse de la législation et des politiques mises en œuvre ; la protection des intérêts et des droits des citoyens.
Pourtant, l'erreur serait de croire que tout se joue uniquement lors du scrutin. Le travail des organisations de la société civile en faveur des réformes et d'une société plus démocratique s'opère sur un temps long, au quotidien et avec ferveur, comme l'explique Oleksandra Matvitchuk, fondatrice et directrice de l'ONG " Centre des Libertés Civiles "[20].
***
Dans un récent sondage, VoxChek 2018 plaçait en tête des candidats les plus menteurs, Ioulia Timoshenko (31% de vérité 27% manipulation 33% mensonges et 8% exagération), suivie d'Oleg Liachko (41% de vérité 17% manipulation 31% mensonges et 11% exagération) et Petro Porochenko (56% de vérité 16,5% manipulation 14,8% mensonges et 16,3% exagération).
La défiance de la population ukrainienne à l'égard de sa classe dirigeante ne fait aucun doute et, malgré les sondages plaçant Zelenskiy en tête, l'incertitude plane encore à quelques jours du scrutin. Son électorat, composé majoritairement de jeunes, est aussi la partie de la population la moins mobilisée et pourrait bien, décider finalement de ne pas se rendre aux urnes. Si les scores s'avéraient très serrés entre deux candidats, l'élection risquerait de n'être pas reconnue par tous (par la Russie notamment) et considérée dès lors comme frauduleuse.
Les enjeux sont lourds, que ce soit pour la population ukrainienne, épuisée par la crise économique et la guerre qui sévit depuis 5 ans dans le Donbass, que pour la communauté internationale pour qui l'équilibre des États est un défi de plus en plus important à relever dans un contexte économique d'interdépendance de plus en plus fort.
Annexe 1
Entretien avec Oleksandra Matvitchuk,
Fondatrice et directrice de l'ONG Centre des Libertés Civiles
Dans quel contexte la société civile en Ukraine s'est-elle mobilisée en 2014 ?
Après l'Euromaidan, il n'y a pas eu de renouveau du système politique. C'est l'une des raisons principales qui explique le caractère fragmentaire des réformes menées ces cinq dernières années. D'un côté, les élites politiques ont tenté d'apporter un certain nombre de changements positifs à la vie des citoyens et, d'un autre, elles ont cherché à conserver leur contrôle sur les principales institutions. L'important est de savoir s'il y a suffisamment de volonté pour faire un bond en avant et sortir l'Ukraine de la zone de transition dans laquelle elle se trouve. En d'autres termes, les changements positifs survenus dans le pays ont-ils atteint un tournant ?
Quel a été le rôle de la société civile dans la mise en œuvre des réformes depuis 2014 ?
La plupart des changements positifs ont été entrepris sous la pression ou avec l'aide de la société civile. Suite aux manifestations et à l'effondrement du régime autoritaire de Viktor Ianoukovitch, un phénomène est apparu, appelé "l'énergie d'Euromaidan". Il s'agit de centaines de milliers de personnes autoorganisées qui, pendant la première année de la guerre, ont assumé des fonctions gouvernementales. Ce sont des bénévoles et des militants activistes de la société civile qui ont aidé à réformer l'armée, à venir en aide à plus d'un million et demi de personnes déplacées et à élaborer puis mettre en œuvre les réformes. La recette pour obtenir des changements positifs est assez simple - un coup de pied de la part de la société civile, un autre de la part de la communauté internationale - et l'appareil sous-réformé se met à aller dans la bonne direction. Le Centre pour les libertés civiles, contribue à ce travail.
De quelle manière les organisations de la société civile sont-elles garantes du bon déroulement des élections ?
Le Centre pour les libertés civiles observe en permanence où en est le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en Ukraine. Le processus électoral ne se déroule pas en vase clos et ne se résume pas au temps nécessaire pour remplir et déposer un bulletin de vote dans l'urne. Les élections doivent respecter les standards démocratiques. C'est pourquoi il est très important de surveiller non seulement les violations directes du processus électoral, mais également le niveau de garantie de la liberté d'expression, de réunion, d'accès à la justice, etc. C'est exactement en quoi consiste le travail des organisations de défense des droits de l'Homme.
[1] Oleksandr Ivantcheskil, "Вибори президента України 2019: цифри, дати і кандидати" (Élection présidentielle en Ukraine 2019: chiffres, dates et candidats), Pravda.com.ua, 3 janvier 2019, en ukrainien.
[2] Boulègue, M. Les élections présidentielles ukrainiennes de mars 2019. Enjeux du scrutin et stratégies des candidats. (Note de Recherche n°71) IRSEM, 28 février 2019.
[3] Par exemple en raison d'homonyme (Ioulia Timoshenko et Yuriy Tymoshenko) si sur les bulletins apparaît seulement l'inscription Yu. Tymoshenko.
[4] Boulègue, Op. cit..
[5] La Commission électorale centrale a enregistré officiellement 44 candidats sur les 89 déclarés. Depuis le lancement de la campagne, 5 ont abandonné la course électorale.
[6] Taras Kuzio, "Anti-war populism is set to dominate the 2019 elections", Kyiv Post, 13 octobre 2018.
[7] Christine Dugoin-Clément, "Ukraine, Russie et mer d'Azov : mutation du conflit ?", tribune, Revue Défense Nationale, décembre 2018.
[8] Nomination d'Ihor Konomenko en tant que vice-président de la faction Bloc de Porochenko (BoP) à la Rada malgré sa suspension dans le cadre de l'affaire Abromavicius en janvier 2016 et qui possède une influence très forte sur le Bureau national de lutte contre la corruption (NABU).
[9] Depuis 2014, l'activité du Bureau national de lutte contre la corruption (NABU) nait à la demande de la société civile et des bailleurs internationaux, est constamment remis en cause par des désaccords institutionnels avec l'Agence nationale de prévention de la corruption (NAPC).
[10] Volodymyr Zelenskiy a joué le rôle de président dans une série télévisée intitulée "Serviteur du peuple", au sujet d'un professeur d'histoire dont le discours sur la corruption devient viral sur YouTube et le propulse au pouvoir.
[11] D'après les récents sondages de l'agence SOCIS, 50% des Ukrainiens n'ont pas confiance en leurs élites.
[12] " L'Ukraine de mes rêves ", slogan du candidat V. Zelenskiy.
[13] Série télévisée Sluha Narodu (Serviteur du peuple), op. cit.
[14] Boulègue, op. cit..
[15] L'ancien président Viktor Iouchtchenko, le nouveau métropolite de l'Eglise orthodoxe ukrainienne dont il a obtenu l'autocéphalie ou encore le maire de Kiev, Vitali Klitschko
[16] Le Groupe de contact trilatéral sur l'Ukraine réunit l'Ukraine, la Russie, l'OSCE et les représentants des territoires séparatistes de Donetsk et Louhansk.
[17] Inozemtsev. V. Kremlin-linked forces in Ukraine's 2019 elections. On the Brink of Revenge ? Institut Français de Relations Internationales, février 2019.
[18] Leurs scores devraient être proches de 1%.
[19] OPORA est une des principales initiatives civiles non gouvernementales qui organise la surveillance des élections.
[20] Le Centre pour les libertés civiles est une organisation de défense des droits de l'Homme créée en 2007 à Kiev.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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