Multilatéralisme
Jérôme Gazzano,
Andi Mustafaj
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ENJérôme Gazzano
Andi Mustafaj
Les États membres ont adopté le 29 avril des lignes directrices[1] pour mener les négociations avec le Royaume-Uni sur le Brexit[2]. La stratégie européenne définit trois temps de négociation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni :
- un temps dédié à la discussion sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, conduisant à transformer le Royaume-Uni en État tiers ;
- un temps de construction des relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, dont notamment un accord sur les relations commerciales ;
- une possible étape intermédiaire, entre les deux temps précédents, prenant la forme d'accords transitoires.
La position de négociation européenne, à ce stade, consiste donc à solder les comptes tout en envisageant de transformer le Royaume-Uni en État tiers pour recréer d'éventuels liens avec l'Union. Cette stratégie de négociation sera débattue avec le Royaume-Uni. L'Union n'acceptera de parler des relations futures qu'après de substantiels progrès sur les conditions de sa sortie. Theresa May pourrait ainsi se trouver en difficulté, étant donné qu'elle implique trois passages obligés, qui mettent chacun en évidence les coûts de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne :
- solder les comptes au moment de la sortie ;
- accepter la disparition des normes encadrant les situations existantes, tant pour les personnes que pour les entreprises ;
- traiter la réémergence de tensions mises en sommeil du fait de l'appartenance à l'Union européenne.
1. L'importance du coût probable de la sortie constitue une difficulté politique pour Theresa May, quel qu'en soit son montant
Le calcul du montant que le Royaume-Uni devra payer à l'Union européenne, au moment de sa sortie et au titre des engagements, pris comme État membre et rompus par le Brexit, constituera un sujet sensible de négociation. Sur ce point, les Britanniques et les Européens vont s'opposer des arguments techniques, sujet par sujet. Il sera question de la période considérée comme engageante pour le Royaume-Uni, de l'application du rabais à l'ardoise, ou encore de la contribution aux retraites des fonctionnaires européens. Tous ces sujets seront autant de débats vus comme technocratiques et inaudibles par les opinions publiques. Ils n'en seront pas moins symboliques : ils traduiront la complexité et le coût du Brexit, au-delà des simplifications et raccourcis qui caractérisent les débats publics sur la sortie de l'Union européenne.
À écouter certains défenseurs du Brexit avant le référendum du 23 juin 2016, quitter l'Union européenne devait faire regagner des marges budgétaires au Royaume-Uni, en stoppant la contribution britannique au budget de l'Union, permettant par exemple de consacrer plus de crédits au système de santé. Cette vision de la sortie de l'Union européenne est clairement mise à mal par les débats qui vont s'ouvrir sur le calcul de la valeur des différents engagements britanniques nécessitant des versements. Le montant final de l'ardoise britannique, tel qu'imaginé dans de premiers calculs, sera de l'ordre de 55 à 60 milliards €. Même en négociant âprement et en réduisant ce montant à son minimum, Theresa May ne parviendra pas à le rendre moins symbolique et moins contradictoire avec la volonté exprimée au moment du vote le 23 juin 2016. Ainsi, quelle que soit la méthode de calcul et quel que soit le montant final à payer, l'ardoise due aux engagements communautaires britanniques au moment de la sortie de l'Union européenne et que le Royaume-Uni devra solder constituera pour elle un échec politique.
Du point de vue européen, ces engagements sont importants: ils représentent le coût le plus immédiat, le plus visible et peut-être le plus marquant de la sortie de l'Union européenne. Cela constituera donc un message envoyé à ceux qui, dans d'autres Etats membres de l'Union, vanteraient la sortie de l'Union en oubliant ses conséquences.
2. Le vide juridique inédit créé par le Brexit menace gravement les droits des personnes
La sortie de l'Union européenne signifie que, du jour au lendemain, le corpus normatif de l'Union cessera de s'appliquer au Royaume-Uni. De ce fait, Theresa May a indiqué que le gouvernement réaliserait un travail considérable de copie des textes européens dans le droit interne britannique, notamment par la méthode de la secondary legislation (équivalant à des ordonnances en droit constitutionnel français)[3]. Cette ultime contradiction par rapport à la volonté d'indépendance britannique vis-à-vis de l'Union européenne garantira la continuité des affaires. Elle ne règlera néanmoins pas le statut des personnes - Britanniques vivant dans l'Union européenne et Européens vivant au Royaume-Uni.
Les droits des ressortissants britanniques vivant dans l'Union européenne constituent une priorité pour Theresa May dans les négociations à venir. Il en va de même pour les ressortissants européens vivant au Royaume-Uni pour l'Union européenne ; Donald Tusk et Michel Barnier ont indiqué que ce point devrait être traité dès la première phase de la négociation. Cette question est donc d'égale importance pour les deux parties, elle appellera une négociation dès le début des discussions officielles sur le Brexit. L'accord logique serait symétrique, c'est-à-dire offrant une égale protection de part et d'autre.
Sur la question migratoire, deux cas de figures seront exclus de la première phase de négociations proposée par l'Union européenne :
- le statut des ressortissants européens résidant sur le territoire britannique depuis plus de cinq ans ne changera pas, en application du droit britannique déjà en vigueur ; à partir de six ans de résidence, ils pourront même acquérir la nationalité britannique ;
- les ressortissants européens qui arriveront au Royaume-Uni après le Brexit se verront appliquer un droit britannique potentiellement plus strict, mais qui reste encore à définir.
Restera à traiter la situation des ressortissants européens résidant au Royaume-Uni depuis moins de cinq ans, qui est plus incertaine et qui devra, quant à elle, faire l'objet de négociations avec l'Union. Sauf à entrer dans un cycle dangereux de tensions, il n'est pas pensable d'imaginer des expulsions massives ou une complication exorbitante de la vie de ces ressortissants. Les négociations porteront sur la définition des " acquis " de ces ressortissants, c'est-à-dire des droits dont ils continueront à bénéficier. Il sera important, pour les négociateurs européens, de maintenir une parfaite égalité de traitement entre les ressortissants de tous les États-membres, afin d'éviter de segmenter les négociations et de créer des divisions internes. Le maintien de la reconnaissance des diplômes et équivalences professionnelles devra également être discuté.
Les négociations relatives au statut des ressortissants risquent d'être doublement pénalisantes pour Theresa May : le statut des citoyens britanniques en Europe (et dans une moindre mesure des Européens au Royaume-Uni) inquiète les britanniques, tandis que l'atténuation des promesses relatives à la fermeture des frontières britanniques déçoit. La question migratoire a été en effet au cœur des débats qui ont mené au vote en faveur du Brexit. Theresa May a indiqué dans son discours de politique générale du 17 janvier 2017 que l'immigration des citoyens européens vers le Royaume-Uni devait être restreinte, en application du mandat que lui a conféré le référendum du 23 juin 2016. Toutefois, si son mandat l'oblige à des mesures symboliques, elle ne pourra pas risquer de mettre en difficulté des citoyens britanniques résidant dans un État membre de l'Union. Le 4 avril dernier, Theresa May a indiqué que la libre circulation des personnes pourrait faire partie des mesures transitoires, une fois le premier temps de la négociation achevé. Dans ce cas, elle s'appliquerait au-delà de 2019, pour la durée nécessaire à la redéfinition des relations entre le Royaume-Uni et l'Europe.
3. La transformation d'État membre en État tiers fait émerger des conflits mis en sommeil grâce à l'Union européenne
Dans le cadre de la première phase de négociation proposée par l'Union européenne, trois points spécifiques devront faire l'objet de décisions : la frontière entre l'Irlande du Nord (Ulster) et la République d'Irlande, Gibraltar et les bases militaires souveraines britanniques situées à Chypre.
La question chypriote ne devrait pas poser de difficulté majeure. Il s'agira notamment de garantir l'application de l'accord entre le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie créant les deux bases militaires souveraines - Akrotiri et Dhekelia, pour une superficie de 254 km2 - et de garantir le statut et les droits des citoyens européens travaillant sur ces bases.
Gibraltar représentera une difficulté plus grande dans les négociations. En l'état de la stratégie de négociation du Conseil européen, il est prévu que l'approbation de l'Espagne serait nécessaire à l'application d'un accord sur le statut de Gibraltar. Ce territoire de 30 000 habitants jouit d'une situation très favorable : il fait partie de l'Union européenne sans être dans l'Union douanière et ne prélève pas, à ce titre, la TVA à l'importation. Le Brexit réactive la revendication espagnole sur Gibraltar. Depuis la réouverture de la frontière avec l'Espagne, en 1985, cette tension latente entre l'Espagne et le Royaume-Uni était passée au second plan. Face à un Royaume-Uni transformé en un État tiers, la demande espagnole est redevenue concrète et audible.
Enfin, la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande constituera un des grands dangers du Brexit. L'ouverture de cette frontière à la libre circulation des biens et des personnes a contribué à faire baisser les tensions entre communautés Sans réelle séparation entre les deux Irlande, le conflit nord-irlandais avait perdu une de ses causes. Si rien n'indique que la réapparition d'une frontière provoquerait des tensions à moyen ou long terme, il est certain que cette situation représenterait la disparition d'un des facteurs favorables à la paix dans la région. L'objectif de l'Union est de trouver les arrangements qui préservent les équilibres actuels, tout en respectant le droit européen. Ce conflit armé, qui a fait 3 500 victimes est encore récent : les groupes paramilitaires impliqués dans les troubles ont été progressivement désarmés tout au long des années 2000 et c'est en juillet 2007, il y a moins de dix ans, qu'ont pris officiellement fin les opérations militaires britanniques en Irlande du Nord.
Au-delà des considérations très théoriques sur l'unification des deux Irlande - dans ce cas l'Irlande du Nord entrerait automatiquement dans l'Union européenne, suivant le précédent de l'Allemagne de l'Est - les négociateurs européens comme britanniques ont des intérêts convergents en ce qui concerne les relations entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Des deux côtés, l'assurance est donnée qu'une solution spécifique sera recherchée. Toutefois, l'accord sera juridiquement et techniquement difficile à mettre au point.
Il aura fallu attendre presque un an après le référendum du 23 juin 2016 pour que le Royaume-Uni soit mis en face des coûts réels, immédiats et tangibles de sa sortie de l'Union européenne. Le calendrier de négociation, tel que proposé par les Européens, a le mérite de mettre en évidence ces coûts.
Avant même de considérer les conséquences économiques du Brexit, la transformation du Royaume-Uni d'État membre en État tiers prend la forme d'une facture de plusieurs dizaines de milliards €. Elle s'apparente également à une incertitude grave sur la situation des personnes - citoyens britanniques en Europe et européens au Royaume-Uni. Enfin, elle recrée certaines conditions propices à l'apparition ou à la réapparition de tensions que l'on pouvait penser apaisées, notamment pour ce qui concerne le conflit nord-irlandais. Le Brexit rappelle combien l'Union européenne est un facteur et un garant de paix.
[1] http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/04/29-euco-brexit-guidelines/
[2] Policy paper du 30 mars 2017 : "Legislating for the United Kingdom's withdrawal from the European Union".
[3] Policy paper du 30 mars 2017 : "Legislating for the United Kingdom's withdrawal from the European Union".
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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