Démocratie et citoyenneté
Jean-Claude Piris
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ENJean-Claude Piris
Le 23 juin 2016, les électeurs britanniques, consultés par référendum, se sont exprimés en faveur du retrait de leur pays de l'Union européenne. La déclaration par laquelle le Gouvernement pourrait déclarer son "intention" de sortir de l'Union européenne sur la base de l'article 50 § 2 du Traité sur l'UE (TUE) n'a toutefois pas encore été adressée à Bruxelles. Contrairement aux attentes de certains médias, surtout au Royaume-Uni, cet événement n'a pas été immédiatement suivi d'un effet de contagion dans d'autres Etats membres. Au contraire, les sondages effectués depuis lors ont montré une augmentation de l'attachement des opinions publiques à l'Union européenne. Aucun Etat membre n'envisage de quitter l'Union à court ou à moyen terme. Les difficultés qui commencent déjà à assaillir les gouvernants et les opérateurs économiques au Royaume Uni, alors que nul ne sait encore si et quand le pays va se retirer de l'Union, incitent plutôt à serrer les rangs.
Cependant, sur le long terme, on ne peut nier que l'euro-scepticisme a gagné du terrain un peu partout en Europe. Pour le dire simplement, beaucoup d'Européens sont moins certains qu'ils ne l'étaient autrefois que l'Union européenne soit une bonne chose pour leur avenir et celui de leurs enfants.
Certains font coïncider cette perte de crédibilité avec l'échec de la Constitution de l'Europe, mort-née en 2005. Les échos du coup de tonnerre du rejet du projet, dit "Traité Constitutionnel", par des référendums en France et aux Pays-Bas, sont toujours audibles en 2016. L'effet contre-productif de ce chef d'oeuvre d'ambiguïté n'a pas été réparé par le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009. Laisser entendre que l'on avance vers la construction d'un Etat fédéral alors que l'on est en train de s'en éloigner ne peut qu'aviver la défiance des électeurs, quelles que soient leurs opinions.
De ce fait notamment, envisager de proposer un projet de modification des Traités reste politiquement difficile. Les dirigeants de la plupart des Etats membres sont encore tétanisés. L'état des opinions publiques est tel que même des référendums sur des sujets non essentiels, mais "pro-européens", donnent des résultats négatifs, comme récemment au Danemark [1] et aux Pays-Bas [2]. Malgré cela, certains suggèrent que, après le retrait éventuel du Royaume-Uni, les 27 négocient un nouveau traité, prévoyant une plus forte intégration de l'Union européenne.
Cela est-il envisageable?
Les Européens apprécient que l'Europe soit en paix, qu'elle constitue le premier marché commun du monde et, grâce à sa politique commerciale commune, le premier exportateur et importateur du monde. Ils tiennent cela pour acquis. Ils ont bien conscience que le monde globalisé dans lequel nous vivons crée des défis auxquels les Etats européens, même les plus grands, ne peuvent répondre seuls : lutte contre la criminalité et le terrorisme, protection de l'environnement et maîtrise du changement climatique, contrôle des grands mouvements migratoires, puissance de négociation commerciale à l'échelle du globe, etc. Ceci dit, les Européens souffrent de problèmes aigus : chômage massif dans certains pays, croissance économique faible, immigration illégale mal contrôlée. Ils pensent que l'Union européenne, bien qu'ayant affiché des objectifs ambitieux en matière économique et monétaire ou d'immigration, a mal géré les crises dans ces domaines et n'aide pas à les résoudre. C'est de ce fait, tout particulièrement, que l'Europe connaît un regain de nationalisme et de populisme.
Quelles sont les options envisageables pour changer cette situation, et que l'Europe redevienne populaire?
Première option : réviser les Traités pour accroître les pouvoirs de l'Union européenne, pour lui permettre de mieux atteindre ses buts, est exclu à court terme, et probablement aussi à moyen terme.
Le marché unique et la politique commerciale sont des réussites, parce que les États membres ont conféré à l'Union européenne les pouvoirs nécessaires pour les établir et les gérer. En revanche, du fait de leur réticence à partager leur souveraineté sur des sujets sensibles, ils ne l'ont pas fait pour l'union économique et monétaire et la politique d'immigration. C'est en raison de ce déséquilibre que ces politiques sont des semi-échecs. En effet, il est difficile de concilier une politique monétaire centralisée au sein de la zone euro, qui est économiquement hétérogène, avec la préservation de la décentralisation des politiques économiques, budgétaires et bancaires. De même, la libre circulation à l'intérieur de l'espace Schengen est difficilement compatible avec des politiques d'immigration qui restent déterminées au niveau national. Il est donc naturel que certains envisagent une révision substantielle des Traités, qui conférerait à l'Union européenne les pouvoirs nécessaires à la réussite de ces politiques.
Cependant, cette option est actuellement politiquement exclue. Nombre d'Etats membres, bien au-delà du seul Etat britannique, refusent de partager leurs pouvoirs dans ces domaines. En outre, nul n'a encore trouvé le moyen de garantir la légitimité démocratique des décisions prises après d'éventuels partages de souveraineté.
Mais le statu quo comporte des risques. La poursuite de la navigation, dans l'état actuel du navire européen, est hasardeuse. Le navire est déjà en mer. Celle-ci étant agitée, le risque serait grand d'un naufrage en cas de crise dans l'un ou l'autre Etat membre. Ne rien faire et attendre une miraculeuse accalmie entraînerait donc des risques sérieux dans le cas d'une tempête. De plus, un retour en arrière n'est guère possible : les politiques européennes entreprises dans ces domaines, l'euro et Schengen, ne peuvent être abandonnées en l'état. Dès lors, la seule possibilité est de tenter de réparer le navire autant que faire ce peut, tout en continuant à naviguer et en essayant de garder tout le monde à son bord. L'avenir à plus long terme permettra peut-être d'effectuer les réparations plus importantes qui sont nécessaires.
Deuxième option : la transformation de la zone euro en un groupe cohérent, "noyau dur" de l'Union européenne, est devenue illusoire.
Pour la plupart des économistes, les bases institutionnelles et décisionnelles de la zone euro devraient impérativement être renforcées. Cela seul lui permettrait de survivre à long terme, tout en permettant une croissance acceptable pour tous les participants. Ses 19 membres devraient partager leur souveraineté en matière de politique économique et budgétaire, et réaliser une union bancaire complète ainsi qu'un véritable marché unique des capitaux, en association avec un contrôle démocratique approprié. Certains ajoutent même que, par la suite, les 19 membres pourraient également harmoniser partiellement d'autres politiques, par exemple en matière d'immigration, ou/et adopter des standards minimums dans le domaine de la politique sociale et de la fiscalité des entreprises et des capitaux. Ils formeraient ainsi progressivement un "noyau dur" de l'Union européenne, susceptible de s'élargir par la suite à d'autres Etats membres.
Cette idée est notamment défendue en France, tout particulièrement pendant cette période "préélectorale" qui précède l'élection présidentielle du printemps 2017.
Un "momentum" existait peut-être en ce sens au plus fort de la crise de la zone euro en 2010. J'avais suggéré à l'époque [3] des moyens d'aller dans cette voie. Le gouvernement britannique avait commencé à fonder sa politique sur cette hypothèse. Il pensait que la zone euro n'avait pas d'autre option. Dans un tel cas, la zone euro aurait besoin de l'accord du Royaume-Uni pour adopter la révision des Traités. Le gouvernement britannique avait fait savoir qu'il pourrait donner son accord à cette révision, en échange de l'octroi d'un statut spécial pour son pays.
Cela n'a pas été politiquement possible, et ce "momentum", s'il a jamais existé, a disparu. Les difficultés étaient énormes, et elles le sont toujours. Elles sont de deux ordres.
D'une part, quels Etats, des plus riches ou des plus pauvres, accepteraient les premiers des obligations? Les dirigeants des premiers, protégeant leurs électeurs et contribuables, refusent une solidarité budgétaire avec les seconds. Ils craignent que cela ne les conduise à combler un gouffre sans fond. L'Allemagne a toujours souligné qu'une telle voie était exclue tant que les autres Etats n'auraient pas accepté la discipline et le partage des pouvoirs indispensables. Quant aux Etats débiteurs, ils ne sont pas prêts à s'engager sur cette voie avant que leurs partenaires plus fortunés n'aient pris d'engagement formel de solidarité.
D'autre part, ces deux catégories d'Etats partagent un même problème, encore plus difficile : celui de la légitimité politique des futures décisions à prendre. Quelle seraient les entités politiques démocratiquement élues et politiquement responsables devant les électeurs qui adopteraient définitivement, entre autres, les budgets nationaux, la nature et la quotité des impôts, le montant et la durée des prestations sociales et des pensions de retraite?
En réalité, vouloir transformer à court terme les 19 membres de la zone euro, des Etats baltes à la Grèce, de l'Allemagne au Portugal, de la Finlande à l'Irlande, en un groupe cohérent est illusoire. Leurs économies, leurs dettes publiques, leurs politiques fiscales et sociales, leurs politiques d'immigration, ainsi que leurs ambitions politiques européennes, sont, actuellement en tout cas, trop hétérogènes.
Troisième option : l'idée de se tourner vers les six Etats fondateurs est erronée et obsolète.
Selon certains, l'Allemagne, le Benelux, la France et l'Italie pourraient reprendre l'initiative, comme dans les années 1950, et proposer de faire un pas fédéral, en espérant être suivis par d'autres membres de la zone euro.
Outre la grave division qui s'ensuivrait au sein de l'Union européenne et de la zone euro, les questions qui se posent pour celle-ci, et qui viennent d'être mentionnées, se poseraient de la même façon, et avec la même acuité, pour les Six. Les divergences sont aussi grandes, par exemple (mais pas seulement) entre l'Allemagne et l'Italie, ou entre la Belgique et les Pays-Bas (le Benelux n'est plus ce qu'il était!). Les peuples des Etats créditeurs refuseraient la solidarité budgétaire alors que les nécessaires partages de souveraineté n'auraient pas été admis par les autres. Le problème de la légitimité et de la responsabilité politiques des décideurs devant les électeurs serait tout aussi difficile à régler que pour la zone euro entière.
Quatrième option : une initiative franco-allemande importante paraît improbable, en tout cas à court terme.
Il est vrai que le "moteur franco-allemand" lançait naguère des initiatives. Mais les politiques budgétaires et économiques des deux gouvernements sont actuellement différentes. Après les élections dans les deux pays, entre mai et septembre 2017, leurs dirigeants pourraient peut-être envisager de proposer un renforcement des liens dans la zone euro. Ainsi, ils pourraient suggérer que les 19, ou ceux d'entre eux qui le souhaitent, rapprochent, même d'une façon modeste, certains aspects de leurs politiques, par exemple budgétaires, fiscales, économiques, sociales, d'immigration ou de défense.
Du fait que, aux termes du TUE, "toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux Etats membres", une telle initiative serait juridiquement compatible avec les traités. Mais il n'est pas certain qu'elle soit bien accueillie ; en outre, elle prendrait du temps à être élaborée.
Alors, que pourrait faire l'Union européenne dès maintenant, dans la perspective de la réunion informelle des Chefs d'Etat et de Gouvernement des "27" qui se tiendra à Bratislava le 16 septembre 2016 ?
Des mesures pourraient être suggérées aux institutions et aux Etats membres dans les deux domaines pour lesquels il y a urgence.
Mesures concrètes et immédiates dans la zone euro :
Dans une contribution, le think-tank Bruegel recommande des actions qui paraissent juridiquement possibles dans le cadre actuel des Traités :
• éviter les ajustements budgétaires excessifs dans les pays en crise en acceptant une certaine restructuration de la dette souveraine,
• donner pour mission au futur "Conseil Budgétaire Européen" de prévoir des périodes exceptionnelles au cours desquelles une coordination budgétaire serait nécessaire,
• demander des politiques budgétaires nationales plus stabilisatrices,
• voire envisager la création d'un mécanisme européen de réassurance-chômage en vue de faire face à des chocs asymétriques sévères. Ce mécanisme devrait être créé par un accord intergouvernemental.
Dès lors, aucune de ces mesures n'exigerait une révision des Traités et elles pourraient être appliquées rapidement.
Mesures d'urgence en matière d'immigration :
Il pourrait s'agir d'un ensemble de mesures, dont certaines sont d'ailleurs déjà envisagées :
• transférer des ressources humaines et financières aux pays qui sont en première ligne (Grèce et Italie),
• organiser un contrôle rapide des immigrants à leur arrivée,
• réformer le système de Dublin,
• adopter des actions de politique étrangère à l'égard des pays de la zone allant du Maroc à la Turquie, ainsi que de certains pays d'Afrique sub-saharienne,
• lier les politiques commerciales et d'aide aux résultats sur l'émigration,
• offrir une aide financière massive à la Jordanie, au Liban et à la Turquie qui accueillent des millions de réfugiés,
• aider la Libye et d'autres pays à lutter contre ceux qui organisent les trafics de migrants,
• dans le même temps, construire progressivement un contrôle efficace des frontières extérieures.
Aucune de ces mesures ne paraît exiger une révision des Traités.
Cela ne suffira pas à améliorer l'image de l'Union européenne. Or, une telle amélioration est nécessaire pour que l'Union recouvre la confiance, préalable à la popularité.
L'image de l'Union européenne est actuellement plus floue que jamais. Une image ambigüe ne peut pas être une bonne image, susceptible d'inspirer la confiance. Certes, l'Union européenne est en devenir permanent, et ne peut être définie d'une façon statique. Néanmoins, pour regagner la confiance des citoyens, il serait opportun de pouvoir leur dire sa destination future.
Or, ce sont le flou et l'ambigüité qui caractérisent la finalité future de l'Union, tant sur l'évolution possible de ses compétences que sur celle de ses frontières géographiques.
Au plan des compétences, les deux cercles concentriques de l'Union européenne vont-ils continuer à évoluer séparément? Pour ce qui est de l'Union proprement dite, peut-on s'attendre à une plus forte coopération entre Etats, mais qui préserve leur souveraineté nationale, dans le cadre actuel des Traités, sans nouveau partage de compétences? Pour la zone euro, peut-on s'attendre à une intégration plus étroite, comportant des aspects fédéraux, et accompagnée d'une forte responsabilité conjointe des Parlements nationaux dans les domaines économique et budgétaire?
Au plan géographique, quelle sera, sinon dans l'avenir lointain, en tout cas dans les dix ans à venir, la limite maximale des frontières extérieures de l'Union? Pourrait-elle accueillir la Serbie et d'autres pays des Balkans, et à quelles conditions? la Turquie? l'Ukraine? d'autres Etats à l'Est de l'Europe?
Le temps n'est-il pas venu de choisir entre d'une part, une politique d'élargissement de l'Union utilisée comme un outil de politique étrangère à la disposition des Etats membres, au prix d'un affaiblissement de l'efficacité de l'Union européenne et de sa compréhension par les citoyens et, d'autre part, une Union européenne qui aide ses membres actuels et leurs peuples, qui renforce sa cohésion et sa solidarité interne, tout en aidant les pays extérieurs, sans leur promettre pour autant une adhésion dans les dix ans à venir?
Comment nos leaders politiques peuvent-ils penser que, sans réponse à ces deux questions, la construction européenne pourrait redevenir populaire?
D'une part, le moment est passé depuis longtemps où tout citoyen de l'Union pouvait connaître le nom de tous les Etats membres. Il est difficile d'avoir le sentiment que l'on fait partie d'une famille unie et solidaire, ayant une destinée commune [4] (demos) quand on ne connaît ni le nom, ni le nombre de ses membres. Cela est encore plus difficile lorsque l'on continue à évoquer, pour des raisons de politique étrangère compréhensibles, l'arrivée possible d'un nombre indéterminé d'autres membres, alors que leur manque de respect pour l'Etat de droit s'étale chaque jour dans les gazettes.
D'autre part, les citoyens des pays n'ayant pas l'euro pour monnaie et n'étant pas dans l'espace Schengen craignent que l'on envisage de nouveaux partages de souveraineté qui puissent les affecter, directement ou indirectement. Quant aux citoyens qui vivent dans la zone euro ou dans l'espace Schengen, ils se demandent si l'Union européenne est en train de devenir un Etat fédéral.
Est-il impossible de rassurer les uns et les autres en affirmant solennellement que l'Union européenne n'a pour but, ni de devenir un Etat fédéral, ni d'éroder les souverainetés nationales, mais bien au contraire de renforcer les souverainetés apparentes en les combinant et en les rendant ainsi effectives? Pourquoi ne pas admettre modestement aussi que l'Union européenne est loin d'être responsable de toute chose, et qu'une grande partie des politiques ayant des effets concrets sur les citoyens relève seulement des Etats membres? Des déclarations triomphantes comme la "Stratégie de Lisbonne" de 2000 [5] pourraient être évitées, ainsi que leurs effets boomerang.
Dans le même ordre d'idées, il pourrait être opportun, lors d'une prochaine révision des Traités, d'envisager la suppression de certaines dispositions relatives à des politiques qui, soit ne sont pas essentielles, soit sont considérées par les Etats membres comme relevant du champ de leurs compétences, et à propos desquelles ils ont même interdit à l'Union européenne d'harmoniser leurs législations:
• emploi : articles 145 à 150 du Traité sur le Fonctionnement de l'UE (TFUE), voir l'interdiction à l'article 149, deuxième alinéa,
• éducation, formation professionnelle, jeunesse et sport: articles 165 à 167, voir l'interdiction à l'article 166 § 4,
• culture : article 167, interdiction au § 5,
• santé publique : une partie de l'article 168, voir § 4,
• industrie : article 173, interdiction au § 3, premier alinéa,
• tourisme : article 195, interdiction au § 2,
• protection civile : article 196, interdiction au § 2,
• coopération administrative: article 197, interdiction au § 2.
De telles dispositions sont susceptibles d'être citées à tort, volontairement ou involontairement, comme octroyant à l'Union européenne le pouvoir de légiférer dans ces domaines. Elles n'ajoutent rien aux possibilités d'appui ou de coordination qui peuvent être offertes par l'Union européenne : ainsi l'article 2 § 5 du TFUE, dans lequel l'interdiction d'harmoniser les lois des Etats membres est rappelée, ou l'article 6 de ce même traité.
L'Union européenne peut aider plus efficacement ses Etats membres en se concentrant sur les questions essentielles. C'est pour ces dernières que les Etats membres ont intérêt à partager leur souveraineté, qui n'est souvent, dans ce cas, qu'une apparence. C'est pour ces dernières qu'ils devraient conférer à l'Union européenne les moyens de légiférer, car l'action par l'intermédiaire de l'Union renforcerait leur souveraineté réelle.
La condition sine qua non reste, il est vrai, de trouver le moyen d'assurer une légitimité démocratique effective, et ressentie comme telle par les citoyens, des décisions qui seraient prises.
Pour conclure, avant de se demander comment améliorer la confiance des peuples en l'Union européenne et l'image qu'ils en ont, il convient de se demander pourquoi leur perception a changé, en particulier pour les peuples des Etats fondateurs, dont l'enthousiasme était grand dans le passé.
L'Union européenne a peu de choses en commun avec la Communauté économique européenne créée il y a 60 ans et qui a perduré jusqu'au début des années 1990 :
• Ce n'est plus un club de quelques membres, proches à bien des égards et se connaissant bien. Elle englobe de nombreux Etats, très hétérogènes. Peu de citoyens de l'Union européenne pourraient citer sans se tromper les noms de ces Etats, sans même parler de leurs capitales.
• Les compétences de l'Union ont été élargies, tant par les Traités successifs que par leur interprétation, à de nombreuses matières. A tort, l'impression est donnée que l'Union européenne a la compétence de définir ses propres compétences, alors qu'elles n'existent que si, et dans la mesure où, elles lui sont conférées dans le moindre détail par décision unanime de tous ses Etats membres.
• Parallèlement, pour éviter les éventuels empiètements de ses compétences par l'Union européenne, ou de conférer des pouvoirs excessifs aux institutions en général, ou à l'une d'entre elles en particulier, les Etats membres ont créé dans les Traités autant de contre-pouvoirs que de pouvoirs. Ils ont accompagné la définition des compétences et des procédures de limites, d'exceptions et de dérogations, rendant ainsi le fonctionnement de l'Union si complexe qu'il en est incompréhensible.
• Après 60 ans, les finalités politiques et les frontières géographiques définitives de l'Union européenne ne sont pas définies. Elles sont toujours aussi floues, permettant mensonges et exagérations, telles la création prochaine d'un Etat fédéral européen ou la rapide adhésion de la Turquie.
Le résultat n'est pas surprenant : beaucoup de citoyens de l'Union européenne, bien que favorables à l'idéal du rapprochement des peuples européens, se méfient d'une entité indéfinie, apparemment toujours plus vaste, dont ils ne comprennent pas le fonctionnement complexe et dont les pouvoirs, en tout cas sur le papier, semblent pouvoir s'étendre à l'infini. Ils ne connaissent pas sa destination. Ils ne savent pas quelle sera sa composition finale. Ils en ont souvent une image fausse et déformée. On leur a décrit l'Union européenne, soit comme la terre promise, soit comme la cause de leurs problèmes, en exagérant ses potentialités ou ses erreurs, en oubliant de dire qu'on lui refuse parfois les pouvoirs et les moyens d'agir. Qui croirait que le budget réel de l'Union par tête a été réduit depuis 2004, alors que les budgets nationaux des Etats membres ont continué à augmenter?
L'heure est venue de donner une idée claire des finalités de l'Union, tant du point de vue de ses limites géographiques que de ses buts politiques. Il s'agit aussi de reconnaître que ses capacités réelles d'agir ne sont pas illimitées, mais qu'elles sont bornées par ses faibles ressources budgétaires et par les limites juridiques posées par les traités. Dans le même temps, ces moyens limités devraient être concentrés sur les problèmes essentiels les difficultés concrètes et urgentes des Européens.
[1] : Modification possible, sans suppression, d'une dérogation.
[2] : Consultation sur le projet d'accord entre l'Ukraine et l'Union européenne.
[3] : "The Future of Europe: Towards a Two Speed EU?", Cambridge University Press, 2010.
[4] : Voir la Déclaration de Berlin adoptée par le Conseil européen début 2007.
[5] : Ladite "Stratégie", adoptée par le Conseil européen en mars 2000, visait à faire de l'UE en 2010 "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale".
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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