Liberté, sécurité, justice
Philippe Delivet
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Le Royaume-Uni se trouve d'ores et déjà dans un régime largement dérogatoire au regard des politiques de l'Union européenne dans le domaine de la justice et de l'intérieur. S'il décidait de rester dans l'Union européenne à la suite du référendum du 23 juin, ce régime dérogatoire continuerait à s'appliquer. En outre, l'arrangement pour le Royaume-Uni, arrêté lors de la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement de février 2016, aurait vocation à être mis en œuvre, avec en particulier ses mesures concernent la libre circulation des personnes, sous réserve des modifications nécessaires du droit dérivé. En cas de sortie de l'Union européenne, le Royaume-Uni devrait rechercher, dans le cadre d'un accord de retrait et, le cas échéant, d'accords sectoriels, à régler ses relations avec l'Union. Il pourrait alors tenter de reproduire le régime sélectif tel qu'il ressort actuellement de l'exercice de ses opt in dans le cadre des traités européens. L'Union européenne pourrait en retour veiller à préserver son autonomie décisionnelle et à assurer un contrôle juridique du respect de ses engagements par le Royaume-Uni. Lequel ne pourrait plus influer sur le contenu du droit de l'Union qu'il aurait vocation à appliquer dans le cadre de ces accords.
I. La situation actuelle du Royaume-Uni au regard des politiques " Justice/Intérieur"
1. Rappel historique
Le Royaume-Uni avait pris une part active dans les premiers pas de la coopération en matière de sécurité et de justice dans l'espace européen. Cette démarche s'était concrétisée, en 1975, dans la création du groupe de TREVI[1] qui prenait la forme d'un réseau intergouvernemental des ministres de l'intérieur et de la justice des 12 Etats membres de l'époque, en dehors du cadre des institutions européennes.
Le Royaume-Uni participait aussi aux coopérations que les Etats membres pouvaient mettre en œuvre à travers les conventions du Conseil de l'Europe[2] et concluait des accords bilatéraux dans différents domaines. Il avait aussi adhéré à la convention de Naples pour l'assistance mutuelle entre les administrations douanières[3].
Le Royaume-Uni avait également été partie prenante au développement de la coopération judiciaire civile qui avait pris une forme intergouvernementale. On pense en particulier à la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale de 1968 à laquelle il a adhéré en 1978[4] et à la convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles[5].
En revanche, les Britanniques étaient restés à l'écart des accords de Schengen, conclus en 1985 entre cinq Etats membres (Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et Allemagne de l'Ouest) qui choisirent de lever les contrôles frontaliers entre eux.
Avec le traité de Maastricht (1992) qui a fondé l'Union européenne, les questions concernant la justice et la sécurité furent inscrites dans le cadre institutionnel communautaire. Toutefois, la nouvelle politique dite " justice et affaires intérieures " (JAI) fut insérée dans un cadre spécifique de nature intergouvernementale, le " troisième pilier ". Si, ce faisant, les Etats membres reconnaissaient que ces matières pouvaient présenter un intérêt commun, ils avaient néanmoins pris la précaution de se réserver, à travers la règle de l'unanimité, un droit de veto dont il leur suffisait de brandir la menace pour obtenir des concessions conformes à leurs intérêts nationaux. Le Royaume-Uni pouvait y trouver son compte.
Le traité d'Amsterdam (1997), qui a fixé la perspective ambitieuse de faire de l'Union européenne un " espace de liberté, de sécurité et de justice ", a sensiblement modifié le paysage. D'abord parce qu'il a intégré l'acquis de Schengen (qui inclut outre les accords proprement dits, la convention d'application de 1990). Ensuite, parce qu'il a inséré dans la troisième partie du traité sur les Communautés européennes (TCE) un titre IV " visas, asile, immigration et autres politiques en lien avec la libre circulation des personnes " recouvrant des politiques qui étaient ainsi transférées du troisième pilier intergouvernemental vers le premier pilier communautaire. Ce qui signifiait concrètement l'application de la règle de la majorité qualifiée au Conseil privant les Etats membres de leur droit de veto. En outre, l'Union européenne était désormais habilitée à conclure des accords internationaux avec des pays tiers portant sur la coopération policière et judiciaire en matière pénale. On peut notamment mentionner les accords qui seront passés par l'Union européenne dans les années 2000 avec les Etats-Unis, le Canada et l'Australie concernant le transfert des données des passagers des vols aériens (données " PNR ").
Dans ce contexte, le Royaume-Uni a obtenu un statut spécial pour ce qui concerne le nouveau titre du traité soumis au pilier communautaire à travers 3 protocoles. Un protocole exemptait le Royaume-Uni des dispositions prises en vertu du titre IV, à moins qu'il ne décide d'exercer un opt in pour des mesures particulières[6]. Il s'agissait pour le pays de s'assurer que ses intérêts nationaux seraient effectivement protégés, notamment en ce qui concerne la préservation des spécificités de son système juridique.
Concrètement, l'opt in passe par une notification au Conseil de l'intention de participer à la mesure en cause, dans un délai de 3 mois à compter du dépôt de la proposition. En cas de blocage de la prise de décision du fait du Royaume-Uni (ou de l'Irlande), le Conseil peut quand même adopter la mesure qui ne s'appliquera pas à ce pays. La notification de l'opt in peut aussi intervenir après l'adoption de la mesure visée. Le Royaume-Uni a, par exemple, choisi d'exercer son opt in pour les 6 dispositifs législatifs du " paquet asile " qui ont été adoptés entre 1999 et 2005 [7].
Un autre protocole permettait d'établir un mécanisme propre au Royaume-Uni (et à l'Irlande) pour sa participation à Schengen[8]. Le pays n'est donc pas lié par l'intégralité de l'acquis de Schengen. Il peut cependant demander à tout moment de participer à tout ou partie des dispositions de cet acquis. Sa demande notifiée au Conseil doit être acceptée par celui-ci à l'unanimité. C'est ainsi qu'il participe depuis 2000[9] à l'acquis Schengen qui concerne la coopération policière et judiciaire en matière pénale, la lutte contre les trafics de drogue et le Système d'information Schengen (SIS). Cela l'oblige à participer à toutes les initiatives et propositions qui concernent ces domaines. En revanche, il reste à l'écart de toutes mesures qui constituent un développement des dispositions de l'acquis de Schengen auxquels il ne participe pas. N'ayant pas souhaité s'associer aux dispositions concernant le contrôle des frontières (et les visas), il n'a ainsi pas pu participer à l'adoption et à l'application du règlement instituant l'agence FRONTEX[10].
2. Le nouveau régime dérogatoire issu du traité de Lisbonne
Le traité de Lisbonne a modifié sensiblement le cadre juridique dans lequel sont adoptées les questions relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice[11]. Supprimant la structure existante " en piliers ", il a soumis presque toutes les nouvelles mesures à la règle de la majorité qualifiée au Conseil, là où elles étaient adoptées à l'unanimité sous le régime de l'ex-troisième pilier. En outre, presque toutes ces mesures doivent désormais être adoptées en codécision avec le Parlement européen. Les exceptions concernent des questions jugées sensibles par les Etats membres : la création d'un Parquet européen (article 86 TFUE), le droit de la famille (article 81 TFUE), la coopération policière opérationnelle (article 89 TFUE) ainsi que les dispositions concernant les passeports, les documents d'identité et les permis de résidence (article 77 TFUE). Le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée au Conseil, pour les mesures de coopération policière et judiciaire pénale, a eu pour effet de priver les Etats membres de leur droit de veto et donc de leur capacité à infléchir les textes dans le sens de leurs intérêts nationaux. C'est pourquoi le Royaume-Uni et l'Irlande ont négocié des protocoles amendés leur reconnaissant le droit de décider de participer ou non pour toute législation concernant les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Dans le contexte du traité d'Amsterdam, l'opt in britannique a permis au Royaume-Uni (et à l'Irlande) de décider de participer ou non à des propositions de législations européennes concernant l'asile, l'immigration et le contrôle des frontières, ainsi que la coopération judiciaire civile et les affaires familiales. Cet opt in compensait la fin de la règle de l'unanimité au Conseil pour ces matières qui avaient été reclassées dans le pilier communautaire. Si le Royaume-Uni fait usage de son droit d'opt in mais bloque la prise de décision, le Conseil peut décider d'adopter la mesure sans le Royaume-Uni, auquel elle ne s'appliquera pas. Le Royaume-Uni (et l'Irlande) peut aussi décider d'exercer son opt in à tout moment après l'adoption de la mesure, en notifiant son intention à la Commission et au Conseil. Cependant, le protocole de 1997 ne précisait pas si le Royaume-Uni était automatiquement lié par une modification ultérieure d'un acte auquel il participe, ce qui est source d'insécurité juridique[12].
Dans le nouveau contexte du traité de Lisbonne, supprimant la structure en piliers, le protocole n°21 étend le régime spécifique dont bénéficiaient les Britanniques à l'ensemble des questions intéressant l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce qui signifie que ce régime dérogatoire concerne désormais également la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui, jusque-là, étant soumise à la règle de l'unanimité, pouvait faire l'objet d'une opposition de la part du Royaume-Uni sans qu'il soit besoin d'un régime dérogatoire. Les conséquences d'un refus du Royaume-Uni d'être lié par une modification d'un acte auquel il participe sont clarifiées. Si cette non-participation rend l'application de la mesure " impraticable par les autres Etats membres ou l'Union ", le Conseil (à la majorité qualifiée) peut contraindre le Royaume-Uni de cesser de participer à la mesure dans son intégralité. Le Conseil (toujours à la majorité qualifiée) peut aussi décider que le Royaume-Uni supporte, le cas échéant, les conséquences financières directes découlant " nécessairement et inévitablement " de la cessation de sa participation à la mesure existante. On peut citer, à titre d'illustration, un refus de participer à une nouvelle version du système d'information Schengen qui entraînerait une modification du système[13].
En outre, en application de l'article 10 du protocole n°36, le Royaume-Uni devait décider avant le 31 mai 2014 s'il souhaitait continuer à être lié par toutes les mesures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, adoptées avant que le traité de Lisbonne n'entre en vigueur, ou au contraire d'exercer son droit d'opt out pour toutes ces mesures. Le protocole n°36 ouvrait aussi la faculté pour le Royaume-Uni de se joindre aux mesures individuelles. Le 24 juillet 2013, à la suite de votes dans les deux chambres du Parlement, le pays a décidé d'exercer son droit d'opt out pour toutes les mesures en cause. Le gouvernement avait néanmoins fait part de sa volonté de réintégrer un plus petit nombre de mesures qui lui paraissaient de nature à apporter à la police britannique et aux agences de sécurité un appui vital et concret. En novembre 2014, il notifia au Conseil le souhait britannique de participer à 35 mesures de coopération répondant à son intérêt national, parmi lesquelles Europol, le partage d'information avec les pays de la zone Schengen et le mandat d'arrêt européen. L'exercice de son opt out a aussi permis au Royaume-Uni de limiter, pour ce qui le concerne, la compétence de la Cour de justice aux mesures "JAI " prises antérieurement au traité de Lisbonne et auxquelles il participe.
Le protocole n°19 a confirmé la faculté pour le Royaume-Uni de demander à tout moment de participer à tout ou partie des dispositions de l'acquis de Schengen. Il pourra en outre choisir de participer ou non au développement de l'acquis de Schengen auquel il participe. En contrepartie, un dispositif presque similaire à celui prévu par le protocole sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice a été mis en place pour les cas de refus.
Le protocole n°30 a pris en compte les spécificités revendiquées par le Royaume-Uni (et la Pologne) pour ce qui concerne l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il indique que la Charte n'étend pas la faculté de la Cour de justice ou d'une juridiction britannique d'estimer que les lois et règlements ou les pratiques administratives nationales sont en contradiction avec les principes fondamentaux réaffirmés par la Charte.
II. Maintien ou sortie : un régime dérogatoire à préserver
1. Le maintien dans l'Union européenne : l'opt in et l'arrangement de février 2016
Dans le cas où le Royaume-Uni décidait, le 23 juin, de rester dans l'Union, ce régime dérogatoire issu du traité de Lisbonne et des décisions prises par les autorités britanniques sur son fondement continuerait à s'appliquer. S'y ajouteraient les dispositions résultant de l'arrangement pour le Royaume Uni, telles qu'elles ressortent de la réunion des Chefs d'Etat et de gouvernement des 18 et 19 février 2016, qui concernent les conditions de mise en œuvre du principe de libre circulation[14]. Ces dispositions constituent des engagements politiques du Conseil européen et n'impliquent pas de révision des traités. Cependant, leur application supposera au préalable des modifications du droit dérivé, en tant que de besoin. L'application de la procédure de codécision permettra au Parlement européen de faire valoir son point de vue sur l'arrangement. En outre, elle supposera un certain délai avant que les mesures ne puissent entrer effectivement en vigueur.
Sur le fond, l'arrangement reconnaît qu'il est légitime de tenir compte d'une situation exceptionnelle. Il est donc possible de prévoir au niveau de l'Union comme au niveau national des mesures qui permettront de limiter le flux des travailleurs quand il est d'une telle importance qu'il a des incidences négatives autant pour les États membres d'origine que pour les États membres de destination.
Aussi, des limites peuvent être fixées au droit à la libre circulation pour des raisons sociales et économiques et aussi pour des raisons d'ordre public, de sécurité ou de santé publique. Ainsi, si des raisons impérieuses d'intérêt général le justifient, la libre circulation des personnes peut être restreinte par des mesures proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi.
L'arrangement prévoit un mécanisme d'alerte et de sauvegarde (" frein d'urgence ") destiné à faire face à l'afflux – d'une ampleur exceptionnelle et pendant une période prolongée – de travailleurs en provenance d'autres États membres. En conséquence, un État membre pourra, après examen et sur proposition de la Commission, restreindre l'accès aux prestations liées à l'emploi de caractère non contributif. Il pourra limiter, pendant une durée totale pouvant aller jusqu'à 4 ans, l'accès des travailleurs communautaires à ces prestations non contributives. Cependant, cette limitation doit être graduelle et un accès progressif doit être aménagé afin que le travailleur touche l'intégralité de ces prestations au terme de ces 4 ans. Ce type d'autorisation aura une durée limitée de 7 ans. La Commission européenne admet dans l'arrangement qu'au regard de sa situation le Royaume-Uni peut déjà prétendre activer ce mécanisme.
L'arrangement reconnaît par ailleurs aux États membres la faculté d'indexer les allocations familiales pour les enfants restés dans le pays d'origine sur les conditions qui prévalent dans l'État membre où l'enfant réside. Mais cette faculté ne pourra s'appliquer qu'aux travailleurs qui arriveront après l'entrée en vigueur de l'arrangement. Après 2020, la mesure pourra être généralisée.
L'arrangement prévoit aussi des dispositions pour lutter contre les mariages de complaisance de ressortissants d'un État membre avec des personnes extra-communautaires dans le seul but de leur assurer l'entrée sur le territoire de l'Union et pour empêcher l'entrée de certaines personnes en provenance d'autres États membres et présentant une menace pour l'ordre public ou la sécurité. Enfin, des mesures transitoires seront prises, lors des futurs élargissements de l'Union, pour limiter la libre circulation des personnes en provenance des nouveaux entrants. Les nouvelles dispositions seront intégrées dans les traités lors de leur prochaine révision.
Les considérations de l'arrangement sur la portée du principe d'une "Union sans cesse plus étroite " ne pourra aussi que conforter le positionnement du Royaume-Uni fondé sur le opt in/opt out à l'égard des politiques " JAI ". L'arrangement précise, en effet, que le Royaume-Uni ne sera plus tenu désormais de prendre part à une intégration politique plus poussée dans l'Union. De plus, l'accord reconnaît, à ce propos, que la référence à une " union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe " ne constitue pas une base légale pour étendre la portée des dispositions des traités et du droit dérivé de l'Union et ne peut en aucun cas être utilisée à l'appui d'une interprétation extensive des compétences de l'Union ou des pouvoirs de ses institutions.
Cette référence à une " union sans cesse plus étroite " ne peut pas non plus empêcher les États membres " d'emprunter différentes voies d'intégration " ni contraindre l'ensemble des États membres à aspirer à un destin commun. Est ainsi actée l'idée d'une Europe à deux vitesses, qui permettra au Royaume-Uni de faire valoir sa singularité tout particulièrement dans la définition et la conduite des politiques " JAI ".
En outre, le Royaume-Uni pourra aussi chercher à bloquer des propositions dans ce domaine qui lui paraîtrait contraire à ses intérêts nationaux en s'appuyant sur les engagements du Conseil européen à l'égard des parlements nationaux dans le cadre du contrôle de subsidiarité. Dans le cas où les avis motivés des parlements nationaux sur le non‑respect du principe de subsidiarité par un projet d'acte législatif de l'Union représenteront plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, la présidence du Conseil inscrira la question à l'ordre du jour afin que ces avis motivés et les conséquences à en tirer fassent l'objet d'une délibération approfondie. À la suite de cette délibération, les représentants des États membres mettront fin à l'examen du projet d'acte en question ou ils le modifieront pour prendre en compte les préoccupations exprimées dans les avis motivés.
2. Sortie du Royaume-Uni : vers une approche sectorielle préservant la singularité britannique ?
Différentes options peuvent être envisagées pour gérer la situation qui serait créée par une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne[15]. On peut néanmoins considérer que le pays devra nécessairement trouver un accord avec l'Union, en particulier pour ce qui concerne le règlement des questions relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice. D'abord, parce que les ressortissants britanniques qui vivent dans les Etats membres perdront les droits attachés à la citoyenneté européenne. Ensuite, parce que le Royaume-Uni a manifesté son intérêt pour des mesures de coopération qu'il a souhaité réintégrer en novembre 2014 après son opt out de juillet 2013, notamment à travers Europol, le partage d'informations dans le cadre de Schengen et le mandat d'arrêt européen. Réciproquement, les Etats membres trouveraient intérêt à un tel accord pour des motifs similaires : d'une part, il faudrait régler la situation de leurs propres ressortissants résidant au Royaume-Uni ; d'autre part, la participation britannique aux mesures de coopération policière ou judiciaire pénale est une condition pour que ces mesures produisent leur pleine efficacité[16]. Toutefois, quelle que soit la forme de l'accord qui pourrait être passé, la situation britannique, désormais hors de l'Union, se caractériserait par l'application de mesures arrêtées par l'Union européenne sans que le Royaume-Uni ne puisse désormais influer sur leur contenu.
Des mesures pourraient être envisagées dans l'accord de retrait prévu par l'article 50-2 du traité sur l'Union européenne (TUE). Dans ce cadre, le Royaume-Uni pourrait tenter de promouvoir une approche sectorielle des questions " JAI ", lui permettant de reproduire dans l'accord les choix qu'il avait lui-même effectués en tant que membre de l'Union au titre de son opt in ou de retrouver le bénéfice en tout ou partie des dispositions de l'arrangement, devenues caduques à la suite de sa décision de sortir de l'Union. Si, sur le principe, les Etats membres pourraient trouver eux-mêmes un intérêt à un tel compromis, plusieurs obstacles peuvent être identifiés qu'il faudrait surmonter pour parvenir à un accord. D'abord, l'Union devrait être réticente à une approche trop sectorielle qui conduirait à n'accorder à un pays qui a décidé de la quitter que les avantages qu'il recherche sans lui faire supporter les contraintes que partagent les Etats membres au sein de l'Union ; ensuite, l'Union veillerait à préserver son autonomie décisionnelle et à prévoir dans l'accord des dispositions propres à assurer un contrôle juridique du respect de ses engagements par le Royaume-Uni. Sur le plan procédural, les termes de l'accord devraient obligatoirement recueillir un assez large assentiment. Ses " orientations " devraient en effet faire l'objet d'un consensus au sein du Conseil européen ; la décision de conclure l'accord lui-même devrait être prise à la majorité qualifiée du Conseil avec l'approbation du Parlement européen ; un avis de la Cour de justice pourrait par ailleurs être requis sur sa compatibilité avec les traités (article 218§11 TFUE)17. En outre, en vertu de l'article 50 TUE, les traités cesseraient d'être applicables au Royaume-Uni en principe à partir de la date d'entrée en vigueur de l'accord de retrait ou, à défaut 2 ans après la notification de sa décision de se retirer sauf, si en accord avec le Royaume-Uni, le Conseil européen décidait à l'unanimité de proroger ce délai. La procédure peut donc ouvrir la voie à des discussions longues pendant lesquelles les traités continueraient à s'appliquer au Royaume-Uni.
Cette approche sectorielle des questions " JAI " pourrait se retrouver si les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne devaient emprunter la " voie suisse ". A la suite du refus de la Suisse, le 6 décembre 1992, de ratifier par référendum l'accord sur l'espace économique européen, des accords bilatéraux ont été négociés afin d'éviter un isolement de la Suisse sur le continent. Plusieurs de ces accords concernent précisément des questions relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice : libre circulation des personnes, Schengen ; Dublin ; Europol ; Eurojust ; Bureau européen d'appui en matière d'asile[18]. Là encore, il convient de ne pas sous-estimer les obstacles qu'une telle solution pourrait rencontrer. Certes, ces accords bilatéraux sont fondés sur le droit international classique. Le partenaire de l'Union européenne ne se trouve en principe pas lié par les décisions de la Cour de justice. En pratique, il se trouve dans l'obligation d'appliquer le droit dérivé (directives et règlements) de l'Union sans avoir pu participer à leur élaboration[19]. En outre, l'Union européenne a exprimé, en décembre 2010, son souhait de revoir le cadre de ses relations avec la Suisse qu'elle juge très complexes. Elle a décidé, en mai 2014, d'engager des négociations en vue d'un accord qui devrait conférer un rôle de surveillance à la Commission européenne et un contrôle judiciaire à la Cour de justice. Si l'on ne peut préjuger de l'issue des négociations que l'Union serait appelée à conduire avec le Royaume-Uni, on voit néanmoins à travers ce " précédent suisse " qu'elle pourrait être sa ligne de conduite.
Si l'on examine les principaux domaines qui seraient concernés par un (ou plusieurs) accord(s) avec le Royaume-Uni, on peut penser que la libre circulation des personnes serait au cœur des discussions. Elle fut en effet un axe fort des demandes du Premier ministre britannique et de l'arrangement de février 2016. Elle constituerait une priorité pour régler la situation des ressortissants britanniques installés dans l'Union européenne et réciproquement celle des ressortissants de l'Union résidant au Royaume-Uni. Là encore, l'exemple suisse peut offrir une piste de réflexion. L'accord du 21 juin 1999 accorde aux ressortissants suisses le droit de choisir librement leur lieu de travail et leur domicile sur le territoire des Etats parties. Mais pour cela ils doivent avoir un contrat de travail valide, exercer une activité indépendante ou encore - s'ils n'exercent pas d'activité lucrative - disposer de moyens financiers suffisants et d'une assurance maladie. Le Royaume-Uni pourrait chercher à pérenniser les concessions qu'il avait obtenues dans l'arrangement. Le contexte suisse peut là aussi fournir un éclairage : depuis que, le 9 février 2014, les citoyens suisses ont accepté l'initiative populaire " Contre l'immigration de masse ", les nouvelles dispositions constitutionnelles exigent que l'immigration soit encadrée par des plafonds et des contingents tenant compte des intérêts économiques du pays. Elles excluent la conclusion d'accords incompatibles avec la mise en place de contingents pour les immigrants. On peut aussi relever que la libre circulation des personnes a été assortie de mesures d'accompagnement contre la sous-enchère salariale et sociale. Cependant, cette position suisse se confronte aux principes que l'Union européenne cherche elle-même à a promouvoir pour la libre circulation[20].
La relation du Royaume-Uni avec l'espace Schengen devrait être réglée par l'accord de retrait ou par un accord sectoriel. Ce ne serait pas le premier pays non membre de l'Union s'associant à l'espace Schengen puisque l'Islande, la Suisse, la Norvège et le Liechtenstein se trouvent dans cette situation. A l'inverse, quatre Etats membres, la Bulgarie, Chypre, la Croatie et la Roumanie, n'en font pas partie. Cependant, le Royaume-Uni chercherait à conserver le statut spécifique qui est actuellement le sien. De son point de vue, l'accord devrait donc ne viser qu'une partie de l'acquis concernant la coopération policière et judiciaire en matière pénale, la lutte contre les trafics de drogue et le Système d'information Schengen (SIS).
A l'égard des mesures en matière de droit d'asile, la position britannique est d'évaluer chacune d'entre elles en fonction de ses mérites propres[21]. C'est ainsi qu'il a souscrit au premier " paquet asile " mais pas au nouveau sur les conditions d'accueil, les qualifications pour la protection internationale et les procédures en matière d'asile. En revanche, il a décidé d'opter pour les règlements " EURODAC " et " Dublin " qui permettent respectivement l'enregistrement des demandeurs d'asile (avec une prise d'empreinte) et la détermination d'un Etat seul responsable du traitement de la demande d'asile. Les mécanismes de coopération concrète, par exemple à travers le bureau d'appui en matière d'asile, devraient retenir l'attention dans le cadre d'un nouvel accord. En revanche, le Royaume-Uni devrait rester à l'écart des dispositifs en matière de retour[22]. De même, il devrait rester réticent face aux dispositifs concernant la migration légale de ressortissants de pays tiers à l'Union, l'appréciation dominante étant que des procédures nationales de contrôle sont plus propices aux intérêts nationaux et à la prise en compte des besoins de l'économie britannique[23].
Le Royaume-Uni coopère avec EUROPOL dans le cadre prévu par la décision du Conseil de 2009. Au cours de la revue de compétences, les responsables de l'agence ont souligné que cette participation à EUROPOL était bénéfique pour le pays. Le ministre de l'immigration, James Brokenshire, avait préconisé d'opter pour le nouveau règlement EUROPOL[24], à condition qu'elle ne soit pas dotée de pouvoirs de direction à l'égard des agences nationales, de celui de déclencher des enquêtes ou de bénéficier d'un partage des données qui serait incompatible avec la sécurité nationale[25]. On peut donc penser que le Royaume-Uni souhaiterait - en cas de sortie de l'Union - maintenir cette coopération sur ces mêmes bases dans le cadre, par exemple d'un accord passé directement avec EUROPOL[26].
En matière de coopération judiciaire pénale, le Royaume-Uni participe à EUROJUST. Il ne devrait en revanche pas participer au futur Parquet européen si celui-ci voyait le jour. L'EU Act de 2011 spécifie, en effet, que le gouvernement britannique ne peut pas accepter de participer à une telle structure sans un référendum et un Acte du Parlement. Le gouvernement britannique a ainsi choisi de ne pas opter pour la réforme d'EUROJUST, considérant notamment son interaction avec le projet de Parquet européen. En toute hypothèse, les compétences du Parquet européen qui seraient, au moins dans un premier temps, limitées à la protection des intérêts financiers de l'Union ne seraient pas susceptibles d'intéresser un pays qui en serait sorti[27]. En revanche, le Royaume-Uni pourrait trouver un intérêt au maintien du principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, qui guide la coopération judiciaire au sein de l'Union depuis le programme de Tampere de 1999. Cependant, la revue des compétences faisait état d'analyses soulignant que l'objectif poursuivi pourrait tout aussi bien être atteint par des accords intergouvernementaux ou des moyens non-législatifs[28]. Ces deux voies pourraient donc être privilégiées au détriment d'une approche globale dans le cadre d'un accord avec l'Union européenne. La faculté ouverte par le traité de Lisbonne d'une harmonisation en matière pénale (article 82 TFUE) n'a jusqu'à présent pas suscité un grand intérêt de la part du Royaume-Uni qui a considéré que, dans la plupart des cas, sa législation répondait déjà aux standards minimum établis par l'Union européenne[29]. Il a également sélectionné les mesures européennes d'harmonisation de la procédure pénale[30]. Il devrait en être de même dans le cadre de négociations d'un accord " post-Brexit ". Le Royaume-Uni a par ailleurs pu tirer bénéfice des accords internationaux multilatéraux passés dans ce domaine par l'Union européenne. Cependant, le gouvernement britannique fait valoir, dans la revue de compétences, que les objectifs pourraient être atteints en particulier par des accords bilatéraux.
Dans le domaine de la coopération judiciaire civile, le Royaume-Uni a jusqu'à présent utilisé son opt in en fonction de son évaluation au regard de ses intérêts nationaux. En pratique, il a adopté la majorité des propositions de législations dans les 3 mois de leur publication. Il s'est néanmoins réservé la faculté d'attendre l'adoption de la mesure en cause, par exemple pour le règlement " Rome I ", en raison des difficultés posées par la proposition initiale pour le Royaume-Uni. On relève par ailleurs dans la revue de compétences le souci de préserver l'intégrité du système juridique britannique et d'une relation constructive avec des organisations internationales telles que la Conférence de La Haye sur le droit international privé[31]. Ces deux axes pourraient inspirer le Royaume-Uni dans un scénario " post-Brexit ".
Enfin, en matière de droits fondamentaux, la question de la Charte européenne pourrait paraître définitivement résolue puisqu'en toute hypothèse, celle-ci n'a vocation à s'appliquer que lorsque les Etats membres " mettent en œuvre le droit de l'Union ". On peut néanmoins considérer que, dans le cadre d'un accord passé avec l'Union européenne, le Royaume-Uni serait appelé à appliquer au moins en partie le droit de l'Union, même s'il n'aurait pas contribué à son élaboration. Mais la position britannique devrait demeurer celle de préserver son droit interne de l'interférence de la Charte. Au reste, s'appuyant sur une longue tradition, le Royaume-Uni peut se prévaloir de solides garanties dans ce domaine. Membre de l'ONU, il est partie aux différents instruments et conventions de l'organisation en matière de droits de l'Homme et aux conventions de l'Organisation internationale du travail. Membre du Conseil de l'Europe, il est par ailleurs lié par la Convention européenne des droits de l'Homme[32], même si l'on garde à l'esprit les controverses suscitées par certaines décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme le concernant[33].
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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