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Thierry Chopin
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ENThierry Chopin
Depuis le début de la crise de la zone euro, la priorité a été donnée au renforcement de la gouvernance économique de l'Union économique et monétaire (UEM) ce qui était dans un premier temps compréhensible. Mais, dans le même temps, les problèmes qui se posaient en termes de légitimité démocratique n'ont pas été pris en compte de manière aussi importante [2].
En 2012, un premier rapport présenté par Herman Van Rompuy sur la réforme de la zone euro faisait de la question de la responsabilité démocratique l'un des 4 axes structurants de la feuille de route stratégique alors acceptée par les Chefs d'Etat et de gouvernement [3]. Il est notable que, si des progrès importants ont été réalisés en matière de solidarité financière, de surveillance renforcée des budgets nationaux et de mise en place de l'Union bancaire, la question démocratique a été reléguée au second plan et est restée le parent pauvre des initiatives prises.
En 2015, le rapport, "Compléter l'Union économique et monétaire européenne" (dit "rapport des 5 Présidents"), présenté à l'occasion du Conseil européen de juin 2015 [4] par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et préparé en étroite collaboration avec les présidents du Conseil européen, de la Banque centrale européenne, du Parlement européen et de l'Eurogroupe, s'inscrit dans le droit fil du précédent et distingue deux phases de réformes : la première entre juillet 2015 et juin 2017 prévoyant un certain nombre de mesure immédiates ; la seconde qui vise à parachever l'architecture de la zone euro à l'horizon 2025.
Dans cette perspective, la Commission européenne a engagé une série de consultations sur la poursuite de la réforme de la zone euro. Dans le cadre de la préparation de la 2ème phase des réformes, un groupe d'experts, alimenté par les contributions recueillies dans les Etats membres à travers des conférences et des débats, sera chargé de la rédaction d'un Livre Blanc dessinant les prochaines étapes de la réforme de la zone euro.
Dans ce contexte, les développements qui suivent visent à : fournir quelques éléments de contexte de crise du régime politique de l'Union européenne qui caractérise non seulement la zone euro mais aussi l'Union dans son ensemble et qui permet d'évaluer le diagnostic et l'orientation du rapport des 5 Présidents, qui sont les bienvenus mais restent incomplets concernant le problème de légitimité démocratique posé à l'UEM ; et proposer des préconisations concrètes permettant de contribuer à la résolution du double déficit de leadership politique et de légitimité démocratique qui affecte la zone euro et plus largement l'Union.
1. Eléments de contexte
1.1 Un contexte de crise du régime politique de l'UE
Après plus de 5 ans de crise, pour retrouver leur souveraineté face aux marchés et ainsi la capacité de décider de leur avenir, les Etats européens, notamment ceux de la zone euro, ont cherché à consolider l'UEM dans l'urgence mais sans changer sa nature politique.
Des instruments de solidarité financière ont été mis en place avec le Mécanisme européen de stabilité et le Fonds de résolution bancaire. Des règles communes plus strictes ont été adoptées pour tenter d'éviter l'accumulation des déséquilibres budgétaires, macroéconomiques et financiers responsables de la crise. Surtout, la BCE a joué un rôle déterminant au travers de sa politique monétaire et des nouvelles compétences qui lui ont été confiées en matière de supervision des banques.
Mais dans le même temps, la zone euro a fait très peu de progrès sur le plan politique. Il n'a été que trop évident que des décisions n'ont pu être prises au niveau national ou européen que sous la contrainte de l'urgence. Cependant cette contrainte a un coût considérable, économiquement et politiquement, puisqu'elle réduit l'espace du choix politique.
Hors de l'urgence, la capacité de décision semble extrêmement réduite : la répétition de négociations conflictuelles et prolongées a souligné les limites du modèle intergouvernemental [5], dans lequel la diplomatie l'emporte sur la démocratie. Plus exactement, chaque Etat membre se prévaut de sa légitimité démocratique nationale sans qu'une légitimité démocratique européenne permette de résoudre les conflits entre mandats démocratiques nationaux dont l'addition ne produit pas un mandat démocratique européen. Il en résulte une frustration grandissante qui nourrit l'euroscepticisme. Et, dans un cercle vicieux, cette frustration rend plus difficile l'union politique qui permettrait de créer les conditions d'une intégration mieux légitimée.
En outre, la gestion des crises à répétition a montré que le temps des négociations diplomatiques est trop lent et fortement anxiogène. L'issue des négociations est toujours incertaine et la prise de décision manque de transparence, ce qui permet à chacun de rejeter sur les autres la responsabilité du résultat. En dernier lieu, ce système donne le sentiment d'un "jeu de poker menteur" et de "roulette russe". Cela n'a rien à voir avec le système de démocratie constitutionnelle qui prévoit et fournit les instruments nécessaires pour prendre des décisions dans un contexte de préférences politiques divergentes : le vote à la majorité accompagné de règles constitutionnelles protégeant la minorité.
Le statu quo ne paraît pas tenable à long terme et pourrait remettre en cause l'intégration européenne si la prise de conscience nécessaire ne s'impose pas au plus haut niveau d'un nécessaire renforcement de la légitimité démocratique à l'échelle de la zone euro et, plus largement, de l'Union dans son ensemble.
1.2 Le rapport des 5 Présidents : une orientation bienvenue malgré un diagnostic incomplet de la crise de légitimité démocratique
Le rapport des 5 Présidents est important à cet égard. Au-delà de la réaffirmation de la nécessité de prévenir les crises au travers d'une surveillance commune, quelques éléments sont plus ambitieux : en particulier, le système de garantie des dépôts des épargnants doit être mis en commun ; la convergence entre les 19 membres de la zone euro doit être relancée en adoptant un socle commun de normes par exemple en matière financière ou fiscale, permettant in fine la création d'un instrument commun de stabilisation budgétaire.
Surtout, le rapport reconnaît que pour que la zone euro fasse plus que "survivre" et qu'elle "prospère", il est nécessaire de partager la souveraineté des Européens au sein d'institutions communes reposant sur des mécanismes de légitimité et de responsabilité politiques suffisamment forts.
Cette clarification, qui s'est trop longtemps fait attendre, est bienvenue. Pourtant, si les propositions contenues dans le rapport des 5 Présidents vont dans le bon sens (renforcer le contrôle parlementaire dans le cadre du Semestre européen, accroître le niveau de coopération entre le Parlement européen et les parlements nationaux ; renforcer le rôle de l'Eurogroupe, consolider la représentation extérieure de la zone euro, etc.), l'approche privilégiée par le rapport repose sur un certain nombre de présupposés et pose certaines questions qui doivent être discutés :
• Tout d'abord, depuis le début de la crise, les réflexions portant sur les réformes à mettre en œuvre à l'échelle européenne se limitent le plus souvent au cadre de la zone euro. Or, limiter une réforme de l'Union européenne à la seule zone euro (ce qui pose toute une série de problèmes), ne devrait pas être un préalable, mais un éventuel "plan B". Le problème de la légitimité démocratique se pose pour l'ensemble de l'Union et non pas seulement pour la zone euro.
Il convient de partir toujours d'une tentative sincère d'évoluer à 28 ; lorsque cette tentative débouche sur un blocage insurmontable, il convient d'essayer de mettre en œuvre la mesure en question pour le périmètre d'Etats membres le plus large ; de ce point de vue, l'échelle de la zone euro n'est qu'une possibilité parmi d'autres. C'est ainsi que l'Union a avancé sur le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance, avec 25 Etats sur 27. Un repli automatique de l'Union européenne à la zone euro aurait débouché sur une solution sous-optimale, créant de surcroît des tensions et des frustrations supplémentaires au sein de l'Union [6].
• Ensuite, il est frappant de constater que la question de la légitimité démocratique est réduite à celle de la responsabilité qui en constitue l'une des composantes nécessaires mais non suffisantes. Il s'agit là d'une réduction abusive de la légitimité à la responsabilité.
Fondamentalement, la démocratie repose sur 3 exigences fondamentales : définir de manière démocratique des objectifs politiques ; choisir démocratiquement des gouvernants responsables devant l'ensemble du corps politique européen ; exercer une capacité de contrôle démocratique sur les décisions prises permettant d'évaluer si les objectifs ont été atteints ou non. Dans cette perspective, le régime politique démocratique suppose au moins deux critères : celui de compétition et celui d'alternance ; et, ce qui fait défaut à l'Union européenne, d'un point de vue civique, réside dans l'absence d'une alternance politique européenne équivalente à celle qui existe dans les Etats membres et qui existe aussi dans les Fédérations.
Les représentants des citoyens au sein des institutions politiques de l'Union européenne bénéficient certes d'une légitimité démocratique directe ou indirecte : les Chefs d'Etat et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen sont désignés à l'issue de processus démocratiques ; c'est le cas aussi des ministres qui siègent au sein du Conseil ainsi que des membres de la Commission européenne, désignés par des gouvernements issus d'un processus démocratique et, de surcroît, investis par les députés du Parlement européen, élus au suffrage universel. Néanmoins, les représentants des États membres au Conseil doivent certes leur présence au fait d'appartenir à un gouvernement soutenu par une majorité parlementaire : mais cette majorité parlementaire est rarement mise en place suite à une campagne centrée sur les enjeux européens ; et le Conseil dans son ensemble ne peut réellement subir d'alternance nette puisque ses membres sont renouvelés au gré des élections nationales, et sur un rythme discontinu et désynchronisé.
Seules les élections désignant les députés européens permettent d'établir un lien direct entre citoyens et détenteurs de pouvoirs au niveau communautaire ; mais le fait que les députés européens soient élus via des scrutins proportionnels et sur des bases largement nationales empêche le plus souvent la formation d'une majorité claire au sein de l'hémicycle strasbourgeois.
Certes, la procédure du Spitzenkandidaten permet de renforcer le lien politique entre le résultat des élections européennes et le choix du Président de la Commission. Pourtant ce système n'est pas suffisant : d'abord, parce que les logiques "parlementariste" et "diplomatique" s'y mêlent de manière confuse [7] ; ensuite, parce que les commissaires sont choisis par les gouvernements nationaux, ce qui conduit à une Commission intergouvernementale où les commissaires sont aussi la voix des intérêts nationaux ; enfin, parce qu'il n'est pas certain que le précédent de l'élection de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne en 2014 fera jurisprudence et que la procédure du Spitzenkandidaten sera respectée à l'avenir.
Dans cette perspective, le diagnostic qui peut être fait de la crise de légitimité du régime politique de l'Union doit donc être plus large que celui du déficit de responsabilité. L'Union européenne est une Union de démocraties qui repose sur un système institutionnel démocratique sur le plan formel mais qui ne parvient pas à faire vivre suffisamment la dimension "politique" (au sens partisan du terme) en son sein [8]. Il s'agit là d'un obstacle structurel à l'appropriation démocratique ("democratic ownership" [9]) par les citoyens du système politique européen.
Au total, seule la mise en place d'une authentique "union politique" à l'échelle de l'Union européenne, notamment fondée sur la prééminence d'institutions parlementaires et présidentielle dont les membres seront désignés au suffrage universel direct, pourrait donner aux citoyens européens la possibilité de désigner et de révoquer les détenteurs du pouvoir au sein de l'Union et de changer les lois et décisions adoptées en leur nom.
• Enfin, la réforme politique de l'Union et, a minima, de la zone euro suppose de clarifier au préalable ce que l'on veut faire [10], ce qui n'est pas le cas jusqu'à maintenant :
- réformer "simplement" le système actuel en conservant la logique sur laquelle fonctionnent les institutions communautaires, c'est–à-dire une logique d'équilibre des intérêts et non pas des pouvoirs ?
- aller plus loin et transformer le régime politique européen en véritable régime parlementaire avec un gouvernement responsable devant un parlement voire en régime présidentiel comme aux Etats-Unis et son corollaire la mise en place d'un véritable système de séparation des pouvoirs ?
Il est indispensable de lever cette ambiguïté. La nature des propositions et des étapes à venir en matière de renforcement de la légitimité démocratique de l'Union européenne et/ou de la zone euro, dépend des réponses apportées à ces questions fondamentales. Un débat devrait être lancé sur ce sujet.
Dans le cadre de la seconde option (faire prévaloir l'équilibre des pouvoirs plutôt que l'équilibre des intérêts), il serait alors nécessaire de définir et séparer plus clairement les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ainsi que clarifier leurs rapports.
En particulier, dans le système institutionnel actuel, il est notable que :
- la Commission mélange pouvoir exécutif et judiciaire ;
- le Conseil mélange pouvoir législatif et exécutif (voire judiciaire en matière de surveillance économique et budgétaire) ;
- le Parlement ne dispose pas de toutes les prérogatives d'un parlement national puisqu'il ne vote pas l'impôt et qu'il n'exerce pas de pouvoir d'initiative législative.
Pour que les citoyens puissent comprendre et s'approprier le système politique européen, il faudrait qu'il se rapproche davantage des systèmes politiques nationaux avec :
- la Commission comme seul exécutif (gouvernement) politique ;
- la Cour de justice comme gardienne des traités (et non plus la Commission) seule (chambre au sein de la Cour de justice) ou en lien avec des autorités indépendantes (par exemple en matière de concurrence) ;
- le recentrage des pouvoirs du Conseil sur ses prérogatives législatives (dans la perspective d'une transformation en deuxième chambre, comme le Bundesrat, par exemple) ;
- La formalisation de la possibilité pour le Parlement européen, le Conseil et les parlements nationaux (dans le cadre d'un système de "green card" par exemple) de proposer à la Commission une initiative législative.
2. Que faire ? Répondre au double déficit de leadership politique et de légitimité à l'échelle européenne
[11]
2.1 Créer un véritable pouvoir exécutif européen
La crise économique lance un défi en termes de leadership, de cohérence et d'efficacité à la gouvernance européenne [12]. Dans une situation de crise, qui exige que l'Union européenne et ses Etats membres puissent apporter des réponses aux difficultés qu'ils traversent, les Européens découvrent avec frustration les limites de la gouvernance européenne et son "déficit exécutif" [13]: faiblesse du pouvoir exécutif européen ; caractère polyarchique des institutions communautaires et son corollaire l'absence d'un leadership politique clair ; concurrence entre les institutions et les Etats ; lenteur et imprévisibilité du processus de négociation entre Etats membres. Pour la zone euro, le leadership est assumé par la BCE qui n'a pas d'autre pouvoir que le sien propre et qui n'a pas d'interlocuteur politique fort ; l'absence d'un exécutif plus légitime que l'Eurogroupe est ici particulièrement problématique.
Dans cette perspective, résoudre le "déficit exécutif" européen doit passer par la création d'un leadership politique plus clair, plus légitime et plus responsable :
• Le président de la Commission, leader d'une majorité parlementaire et représentant (désigné en avance) du groupe politique ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au Parlement européen.
Cette interprétation de l'article 17.7 TUE semble s'être imposé - avec l'élection de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission en 2014. Néanmoins, il faudra attendre 2019 pour voir si cette façon de procéder sera devenue un précédent qui sera respecté à l'avenir par tous les acteurs du jeu institutionnel.
C'est l'inévitable point de départ de tout agenda visant à politiser le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, les Traités restant ambigus sur ce point, cet acquis reste fragile. En effet, il faut d'abord que les partis politiques européens jouent le jeu et ensuite que le Parlement européen soit en mesure de s'imposer face au Conseil, qui risque d'avoir - comme c'était aussi le cas en 2014 - les velléités de s'en tenir à une interprétation minimaliste de l'article précité.
Toutefois, même si cette disposition devient la norme, sans des mesures d'accompagnement adaptées, elle ne sera pas suffisante.
• La fusion du poste de Président de la Commission et de Président du Conseil européen.
La Convention, qui avait rédigé le projet de traité constitutionnel européen, n'était pas allée aussi loin par crainte de concentrer trop de pouvoirs entre les mains d'une seule personne. Mais le traité de Lisbonne n'écarte pas ce scénario pour l'avenir : il suffirait que le Conseil européen décide de nommer la même personne pour les deux fonctions, ce qui permettrait de substituer au risque de concurrence actuel une cohérence plus forte du système. C'est pour ouvrir la voie dans cette direction que l'interdiction du cumul avec un mandat national a été conservée dans le traité de Lisbonne, alors que celle avec un autre mandat européen a été retirée. Elle présente les avantages suivants :
- éviter une rivalité potentiellement dommageable à l'efficacité et à la lisibilité de l'action de l'Union ;
- permettre à l'Union européenne de parler d'une seule voix ;
- créer un poste doté d'une forte légitimité, à la fois démocratique et intergouvernementale ;
- simplifier le schéma institutionnel européen et le personnifier davantage, ce qui est sans doute un préalable nécessaire à une plus grande identification (qu'elle soit positive ou négative) entre les citoyens et l'Union.
Utiliser cette possibilité reviendrait à conférer définitivement un rôle politique majeur au Président de la Commission, qui cumulerait ainsi les légitimités communautaire et intergouvernementale, et qui serait responsable politiquement devant le Parlement européen.
Une telle modification ne nécessite pas de modifier les traités. Un accord interinstitutionnel suffirait [14].
Ce Président unique pourrait être élu au suffrage universel indirect sur le modèle en vigueur dans la grande majorité des 28 Etats membres (désignation par le parlement), ce qui supposerait que le Conseil européen s'engage, même informellement, à nommer au poste de président de la Commission le candidat proposé par le parti ou la coalition majoritaire au Parlement européen.
A traités constants, le Conseil européen peut prendre l'engagement de proposer comme président de la Commission le candidat présenté par le parti qui sort vainqueur des élections européennes (ce qui serait cohérent avec l'obligation prévue par les traités que le Conseil européen prenne en compte le résultat de ces élections), et d'élire comme président du Conseil le président de la Commission européenne.
• En attendant, réviser la procédure de désignation du Président du Conseil européen.
La désignation de H. Van Rompuy, comme celle de D. Tusk, a été le résultat d'une négociation opaque entre les chefs d'Etat et de gouvernement et sans débat public accessible aux citoyens. Tant que la désignation du titulaire de ce poste n'évoluera pas vers une fusion avec la présidence de la Commission, il faudra évoluer vers une procédure qui en fasse un moment fort du débat politique européen en :
- exigeant un véritable acte de candidature, incluant un programme politique clair de chaque candidat et en excluant la possibilité qu'une personnalité puisse être portée à cette fonction sans ce préalable ;
- organisant une audition publique des candidats et un débat public entre eux ;
- rendant public le débat et le vote du Conseil européen à ce sujet.
• La position de président de l'Eurogroupe devrait être fusionnée avec celle de Vice-président de la Commission en charge de l'euro, de façon à créer un ministre des Finances européen responsable devant le Parlement européen [15].
- Il s'appuierait sur le groupe de travail Eurogroupe pour la préparation et le suivi des réunions en format zone euro, et sur le Comité économique et financier en vue des réunions concernant l'ensemble des Etats membres.
- Il aurait sous son autorité un secrétariat général du Trésor de la zone euro dont l'étendue des missions serait fonction des objectifs de l'union budgétaire en cours de constitution (notamment au travers des mécanismes d'assurance et des instruments budgétaires existants). La création récente d'un comité budgétaire européen indépendant peut constituer une solution permettant d'éviter le risque attaché à cette fusion : que le ministre des Finances européen ainsi créé puisse en effet "requérir des sanctions contre un Etat et présider ensuite le Conseil au cours duquel cette proposition serait validée ou rejetée ?" [16] ; le comité budgétaire européen indépendant peut permettre d' "extérioriser la surveillance des déficits excessifs en la confiant à une autorité distincte des services de la direction générale des affaires économiques et financières (ECFIN), (...), sur laquelle le commissaire n'aurait pas autorité. La mise en place d'un tel comité budgétaire indépendant libèrerait le commissaire de son rôle de procureur et permettrait alors d'envisager qu'il cumule ses fonctions avec celle de président de l'Eurogroupe" [17].
De ce point de vue, le fait que la nomination des membres du comité budgétaire européen, institué le 1er novembre 2015, dépende uniquement de la compétence de la Commission et son secrétariat de ses services, pose la question de l'indépendance réelle du comité. Les règles de nomination de ses membres et de fonctionnement doivent donc être revues dans le sens d'une plus grande indépendance [18].
- Le Vice-président de la Commission et du Conseil en charge de l'euro et des affaires économiques serait le visage et la voix politique de l'euro. Il serait chargé de la communication des décisions de l'Eurogroupe et de la représentation externe de la zone euro au sein des institutions financières internationales. Il aurait la charge d'expliquer dans quelle mesure les politiques budgétaires ou structurelles des membres de la zone euro forment avec la politique monétaire de la BCE un policy mix cohérent.
- Enfin, il devrait s'exprimer régulièrement devant la Conférence interparlementaire.
Les attributions du Vice-président de la Commission et du Conseil en charge de l'euro et des affaires économiques pourraient être précisées dans le cadre du Protocole sur l'Eurogroupe.
2.2 Renforcer la légitimité démocratique des décisions européennes par les parlements nationaux et le Parlement européen
En matière de renforcement de la légitimité démocratique, les parlements nationaux et le Parlement européen ont un rôle décisif à jouer.
2.2.1 Associer les parlements nationaux à la supervision économique et budgétaire
Au-delà de l'activité de contrôle des gouvernements des Etats membres par les parlements nationaux (dont l'intensité est variable selon les Etats membres), il pourrait s'agir de :
• Accroître le rôle de la Conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union créée par le TSCG [19] - qui n'est pas évoquée par le rapport des 5 Présidents.
Pour cela, il faudrait changer le format de la conférence interparlementaire (qui comprend trop de participants), par exemple dans un format ECON + 2 participants par parlement national, et lui donner un mandat explicite (sans quoi elle n'aura pas de pouvoir et ne sera qu'un forum), par exemple en matière de contrôle budgétaire.
Cette Conférence interparlementaire se verrait confier un rôle important dans les mécanismes de supervision économique et budgétaire prévus pour les Etats membres de l'UEM ;
- Ses deux réunions annuelles devraient avoir lieu à des moments clés du semestre européen (en novembre/décembre après l'examen annuel de croissance et en juin après les propositions de recommandations de la Commission européenne sur les programmes de stabilité et de réforme et avant l'adoption, par le Conseil, de ses recommandations [20] ;
- Elle se réunirait non seulement lors de sessions régulières mais qui pourraient être complétées par la possibilité de convoquer des sessions exceptionnelles ;
- Sur le fondement des rapports présentés par les Etats membres et la Commission (qui devraient permettre d'établir une vision consolidée des comptes publics de la zone euro), mais également de missions d'enquête qu'elle pourrait décider de sa propre initiative, cette Conférence pourrait s'assurer de la solidité de la zone euro et du respect des engagements pris par les Etats membres ;
- Elle aurait aussi à connaître de l'état d'avancement des mesures prises dans le cadre de la conditionnalité des programmes d'aide ;
- Elle aurait enfin le pouvoir d'auditionner les ministres de l'Economie et des finances des Etats membres, les membres de la Commission européenne en charge des questions économiques, financières et monétaires, le président de la BCE, le président de l'Eurogroupe ainsi que les membres du comité budgétaire européen.
Une révision du traité est nécessaire selon la procédure simplifiée visée à l'article 48-3 TFUE. Toutefois, selon le périmètre de compétence de la conférence interparlementaire, il n'est pas à exclure que soit requise une modification des traités selon la procédure de révision ordinaire (CIG précédée d'une convention).
Une modification institutionnelle dans le domaine monétaire (pour l'audition du président de la BCE, si obligation lui est faite de se rendre à l'invitation de la conférence interparlementaire) est possible selon la procédure de révision simplifiée prévue à l'article 48-6 TUE mais requiert une décision du Conseil européen statuant à l'unanimité après consultation du Parlement européen, de la Commission et de la BCE.
2.2.2 Renforcer le rôle et la légitimité du Parlement européen
Au-delà des initiatives prises par le Parlement européen afin de renforcer le contrôle parlementaire dans le cadre du semestre européen (sous la forme notamment des "dialogues économiques" entre le Parlement, le Conseil, la Commission et l'Eurogroupe), il pourrait s'agir de :
• Créer une "sous-commission de la zone euro" au sein du Parlement européen sur la base d'une simple modification de son règlement intérieur. Les progrès de l'intégration de la zone euro, notamment sur le plan budgétaire, pose la question d'un renforcement de la différenciation sur un plan politique et institutionnel. A titre d'exemple, afin de renforcer la légitimité et le contrôle démocratiques des décisions européennes prises concernant l'UEM, la question de la création d'une assemblée spécifique à la zone euro a été posée. Le Parlement européen préfère à l'évidence que cette assemblée ne lui fasse pas concurrence et qu'elle soit donc une de ses sous-formations, comme l'Eurogroupe est d'ores et déjà une sous-formation du Conseil Ecofin et le sommet de la zone euro est une sous-formation du Conseil européen.
Les institutions de la zone euro (MES, etc.) devraient rendre compte de leur action devant cette sous-commission. Le président de cette sous-commission serait en outre invité aux réunions de l'Eurogroupe et aux sommets de la zone euro pour y être entendu [21]. Cette modification pourrait intervenir dans le cadre d'une révision du Protocole sur l'Eurogroupe.
• Une représentation plus proportionnelle à la population renforcerait la légitimité démocratique du Parlement européen. A l'heure actuelle, la composition du Parlement européen est éloignée du principe d'équité démocratique de la représentation : le nombre de députés par habitant est, par exemple, plus de deux fois plus élevé en Finlande qu'en France. Or, les citoyens devant tous avoir les mêmes droits politiques dans un système démocratique, leur vote devrait avoir le même poids [22]. Autrement dit, le nombre d'habitants par député devrait être le même dans tous les pays (avec une représentation minimale néanmoins pour s'assurer que même les Etats les moins peuplés soient représentés) [23], ce qui constitue un critère objectif difficilement contestable. Or, compte tenu de l'accroissement substantiel des pouvoirs du Parlement européen au fil des Traités, renforcer la légitimité démocratique de cette institution, par ailleurs la seule à être élue au suffrage universel direct, constitue un véritable enjeu, comme le rappelle la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande [24].
Une telle modification nécessite une révision de l'article 14-2 TUE selon la procédure de révision ordinaire des traités (CIG précédée d'une Convention).
• Reconnaître un droit d'initiative législative conjoint du Parlement européen et du Conseil. Il ne s'agirait pas de restreindre les prérogatives de la Commission mais bien davantage pour ajouter un élément de démocratie au stade initial du processus de décision communautaire. Un partage de l'initiative entre la Commission (qui conserverait cette prérogative), les députés européens et les gouvernements des Etats membres (sous la forme par exemple d'un droit d'initiative conjoint entre ces deux branches du pouvoir législatif européen) présenterait une double valeur ajoutée, en comparaison au système actuellement en vigueur : en permettant d'abord de répondre aux exigences démocratiques au fondement de la démocratie représentative (dans laquelle les organes exécutif et législatif partagent le pouvoir de proposer les lois) ; en donnant le sentiment aux citoyens qu'ils peuvent être entendus et que leurs représentants tant européens que nationaux ont la capacité de relayer leurs demandes [25]. Cette innovation pourrait être présentée comme un complément au droit d'initiative citoyenne introduit par le Traité de Lisbonne.
Une telle modification nécessite une révision des traités (art. 225 TFUE) selon la procédure ordinaire (CIG précédée d'une Convention).
***
La crise, la méfiance croissante des citoyens vis-à-vis des institutions européennes et les réformes en cours placent l'Europe face à un défi politique majeur. Soit les leaders européens sont capables de s'entendre sur des avancées concrètes pour répondre aux critiques formulées à l'égard de son déficit de légitimité démocratique et de son déficit exécutif et, au travers de ces avancées, ils contribueront à faire émerger un demos européen et à donner du sens à la citoyenneté européenne ; soit ils prennent le risque de voir l'euroscepticisme se renforcer dès lors que les progrès dans l'intégration ne s'accompagneront pas d'un contrôle démocratique et d'une capacité de prise de décision suffisants. Beaucoup d'Européens risquent de se replier sur leur appartenance nationale, dont ils auront le sentiment qu'elle est la seule qui garantit leurs droits politiques.
[1] : L'auteur s'exprime à titre personnel.
[2] : Cette contribution a été présentée lors de la conférence organisée à la Maison de l'Europe (Paris), le 21 mars 2016, par la Représentation en France de la Commission européenne "Zone euro : comment aller plus loin ? Débat sur l'avenir de l'Union économique et monétaire".
[3] : Rapport présenté au Conseil européen du 29 juin 2012 "Vers une véritable Union économique et monétaire" http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/131278.pdf
[4] : https://ec.europa.eu/priorities/sites/beta-political/files/5-presidents-report_fr.pdf
[5] : Cf. B. Coeuré, membre du directoire de la BCE "Tirer les bonnes leçons de la crise pour la zone euro", discours au ministère français des Affaires étrangères, Paris, 27 août 2015. et "L'avenir de la zone euro", discours prononcé devant Europartenaires, Paris, 21 mars 2016.
[6] : Cf. T. Chopin et L. Macek, "Réformer l'Union européenne : un impératif politique" in L'Union européenne entre implosion et refondation, Y-C. Zarka, P.Perrineau et A. Laquièze, Editions Mimésis, coll. "Philosophie et Société", à paraître fin 2016.
[7] : Cf. Y. Bertoncini et T. Chopin, "Qui présidera la Commission européenne ? Une question à choix multiples", Policy paper, Institut Jacques Delors / Fondation Robert Schuman, juin 2014.
[8] : En ce sens, l'Union européenne peut être analysée en termes de "démocratie impolitique" selon le concept emprunté à P. Rosanvallon, in "La Contre-démocratie. La politique à l'âge de la défiance", Le Seuil, 2006.
[9] : "Ownership and Accountability. How can Democratic Legitimacy of Policies Be Reinforced?", Completing Europe's Economic and Monetary Union, Background Note, European Political Strategy Centre, European Commission, 2 March 2016 http://ec.europa.eu/epsc/pdf/publications/5p_bg_note_2016-03-02_democratic_accountability.pdf
[10] : Cf. S. Goulard et M. Monti, "De la démocratie en Europe". Voir plus loin, Paris, Flammarion, 2012.
[11] : Les propositions qui suivent ont été présentées sous une première forme dans les textes suivants : T. Chopin, J.-F. Jamet et F.-X. Priollaud, "Une Union politique pour l'Europe", Question d'Europe, Fondation Robert Schuman, n°252, septembre 2012 et "Réformer le processus décisionnel européen : légitimité, efficacité, lisibilité", Revue politique et parlementaire, juillet 2013.
[12] : Cf. T. Chopin "L'Europe face à la nécessité de décider : un leadership politique européen est-il possible ?", in Rapport Schuman sur l'Europe. L'état de l'Union 2011, Lignes de repères, 2011 et "Vers un véritable pouvoir exécutif européen : de la gouvernance au gouvernement", Question d'Europe, Fondation Robert Schuman, n°274, avril 2013.
[13] : N. Véron "The Political Redefinition of Europe", Opening Remarks at the Financial Markets Committee (FMK)'s Conference on "The European Parliament and the Financial Market", Stockholm, June 2012.
[14] : Un accord interinstitutionnel est un acte adopté conjointement par les institutions européennes dans leur domaine de compétences, par lequel celles-ci règlent les modalités de leur coopération ou s'engagent à respecter des règles de fond. Les accords interinstitutionnels sont nés de la nécessité pratique éprouvée par les institutions de préciser certaines dispositions des traités les concernant afin d'éviter les conflits et d'ajuster leurs compétences respectives. Non prévus à l'origine par les traités, ils ont été formellement introduits par le traité de Lisbonne, à l'article 295 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
[15] : Cf. Discours de J-C Trichet, alors Président de la BCE, à l'occasion de la remise du Prix Charlemagne à Aix-la-Chapelle le 2 juin 2011. Voir T. Chopin, J.-F. Jamet et F.-X. Priollaud, "Une Union politique pour l'Europe", op. cit. 2012 et "Réformer le processus décisionnel européen : légitimité, efficacité, lisibilité", op. cit., 2013. Pour une contribution complémentaire, se reporter à H. Henderlein, J. Haas, "Quel serait le rôle d'un ministre européen des finances ?", Policy paper, Institut Jacques Delors, octobre 2015.
[16] : J. Pisani-Ferry, "Assurance mutuelle ou fédéralisme : l'euro entre deux modèles", Bruegel, 2012.
[17] : Ibid.
[18] : Rapport d'information déposé par la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale française sur la gouvernance de la zone euro et présenté par C. Caresche, 18 novembre 2015, p. 12-15.
[19] : Cf article 13 du TSCG. La Conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique et la gouvernance européenne se réunit au moins deux fois par an, en coordination avec le cycle du semestre européen. Au cours du premier semestre de chaque année, la Conférence se tient à Bruxelles et est organisée et présidée conjointement par le parlement de la Présidence du Conseil et le Parlement européen. Au second semestre de chaque année, la Conférence se tient dans l'Etat membre assurant la Présidence du Conseil et est présidée par le parlement de la Présidence. Depuis 2013, la Conférence interparlementaire s'est réunie 6 fois.
[20] : Rapport d'information déposé par la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale française sur la gouvernance de la zone euro et présenté par C. Caresche, op. cit..
[21] : Sur la répartition des tâches entre cette sous-commission de la zone euro et la conférence interparlementaire, cf. Y. Bertoncini, "Les parlements de l'UE et la gouvernance de l'UEM. Quelle dimension parlementaire pour l' "Union politique" ? , Tribune, Institut Jacques Delors, avril 2013 et Y. Bertoncini et A Vitorino, "Réformer la "gouvernance européenne", Etudes et rapports, Institut Jacques Delors, septembre 2014, p. 70-71.
[22] : Cf. T. Chopin et J.-F. Jamet, "La répartition des sièges de député au Parlement européen entre les Etats membres: un enjeu démocratique autant que diplomatique", Question d'Europe, Fondation Robert Schuman, n°71, 2007.
[23] : Une solution simple serait d'avoir un député pour X (par exemple 1) million d'habitant avec un minimum d'un député par Etat membre.
[24] : L'arrêt de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe sur le traité de Lisbonne souligne que le principe démocratique, appliqué à un Etat, impose de respecter certaines conditions que l'Union ne remplit pas, et notamment le fait que les élections européennes ne s'effectuent pas selon le principe "un homme, une voix". cf "Les conséquences du jugement de la cour constitutionnelle fédérale allemande sur le processus d'unification européenne", Fondation Robert Schuman / Konrad Adenauer Stiftung, septembre 2009.
[25] : Y. Bertoncini, "Europe : le temps des fils fondateurs", Michalon, 2005.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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