La directive d'exécution sur le détachement des travailleurs : et maintenant ?

Modèle social européen

Sébastien Richard

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29 février 2016
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Richard Sébastien

Sébastien Richard

Enseignant en politiques européennes à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne

La directive d'exécution sur le détachement des travailleurs : et maintenant ?

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1. La directive d'exécution

La directive d'exécution 2014/67 du 15 mai 2014 est en large partie le fruit d'un compromis au Conseil entre Etats défavorables à une révision des dispositions en vigueur - en premier lieu le Royaume-Uni et les pays d'Europe centrale et orientale - et pays favorables à un renforcement des contrôles en amont, à l'image de la France. Les articles 9 et 12 ont longtemps cristallisé ces difficultés entre les États.

La rédaction initiale de l'article 9 prévoyait une codification de la jurisprudence communautaire en matière de contrôle. Elle prévoyait ainsi une liste précise de mesures pouvant être imposées par l'État membre d'accueil à une entreprise étrangère qui détache des salariés sur son territoire : obligation de déclaration et de conservation durant toute la durée du détachement du contrat de travail, des fiches de paie, des relevés d'heures ou des preuves du paiement des salaires. Un correspondant chargé de négocier au nom de l'employeur avec les partenaires sociaux du pays d'accueil doit pouvoir être désigné. Aucune autre disposition ne pouvait être imposée à une entreprise qui détache. Un certain nombre d'États membres à l'instar de la France, de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la Finlande ou des Pays-Bas militaient pour une liste ouverte de contrôles. Il s'agissait d'être le plus réactif possible face à des mécanismes de fraude de plus en plus complexes. La rédaction définitive de l'article 9 répond en large partie à cette demande. Le principe d'une liste ouverte est reconnu. La Commission doit être informée de toute nouvelle mesure sans pour autant qu'il s'agisse d'un dispositif de pré-autorisation.

L'article 12 du projet de directive instituait un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre, limité au sous-traitant direct. Il s'agissait de renforcer la protection des travailleurs du secteur de la construction principalement concerné par le phénomène de sous-traitance. La France et ses partenaires souhaitaient une extension du mécanisme de responsabilité solidaire pour le donneur d'ordre à tous les secteurs d'activité mais aussi à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance. Le texte adopté est moins ambitieux. Le mécanisme de responsabilité solidaire est limité au secteur de la construction, ce qui ne reflète pas le recours au détachement dans des secteurs tels que l'agriculture, les transports ou l'événementiel. La directive d'exécution laisse néanmoins la possibilité à un État membre d'étendre ce dispositif à d'autres secteurs, l'objectif d'harmonisation européenne n'étant cependant pas atteint. L'ampleur du mécanisme est par ailleurs réduite : seule la relation entre le contractant et son sous-traitant direct est visée. Toute la chaîne de sous-traitance n'est donc pas visée par le nouveau dispositif. Le contractant peut être tenu responsable par le travailleur détaché pour les questions relatives au salaire et au versement de cotisations sociales. À défaut de la mise en place du mécanisme prévu par la directive d'exécution, l'État peut mettre en place d'autres mesures d'exécution entraînant des sanctions effectives et proportionnées. La question de la taille des chaînes de sous-traitance n'est pas non plus abordée. La limitation de celle-ci peut cependant être mise en place par les Etats membres, à l'instar de ce qu'ont déjà fait l'Allemagne et l'Espagne. De telles dispositions permettent de réduire les risques de fraude.

Au-delà de ces deux articles, ils convient de relever certaines avancées.

L'article 4 prévoit que les autorités de contrôle des États membres relèvent un certain nombre d'éléments en vue d'apprécier si l'entreprise qui détache ses salariés exerce réellement une activité substantielle dans le pays où elle est affiliée : lieu d'établissement du siège, lieu de recrutement, lieu d'exercice de l'activité, nombre de contrats exécutés ou montant du chiffre d'affaires réalisé dans l'État d'établissement notamment. Ce faisceau d'indices est destiné à vérifier tant la réalité du détachement que l'existence réelle de l'entreprise. Il s'agit là encore d'une liste ouverte, en dépit des réserves formulées par certains Etats membres souhaitant alléger les charges administratives portant sur les entreprises. Le délai de transmission des documents est de 25 jours, une procédure d'urgence permettant un échange d'informations sur deux jours (article 6).

L'article 4 intègre surtout une référence à la Convention de Rome[4]. Celle-ci détermine le droit applicable aux travailleurs exerçant leur activité en dehors de leur pays de résidence ou de celui d'établissement de leur entreprise. Aux termes du règlement dit Rome I[5], qui transpose cette convention dans le droit européen, un salarié ne peut être privé du bénéfice des dispositions obligatoires que lui accorde l'État membre dans lequel ou à partir duquel il accomplit habituellement son travail. L'environnement professionnel et politique influençant directement son activité, le respect des règles de protection du travail prévues par le droit de ce pays s'impose. La directive d'exécution prévoit que le règlement Rome I s'applique si le détachement ne peut être totalement caractérisé.

L'article 11 de la directive d'exécution offre aux syndicats professionnels, aux syndicats de salariés et aux associations la possibilité de se constituer partie civile dans certaines affaires, pour le compte ou à l'appui du travailleur détaché, avec son accord préalable. Compte tenu des pressions que peuvent subir certains travailleurs, cette faculté est indispensable. Il s'agira à la fois de défendre la situation des travailleurs détachés, dont la situation est parfois proche de l'esclavage moderne mais aussi de garantir les intérêts de certains corps de métier fragilisés par cette concurrence déloyale.

Cette amélioration substantielle de l'encadrement du dispositif ne saurait gommer les écarts significatifs entre certains États membres en ce qui concerne le coût du travail puisque le principe de l'affiliation des salariés au régime de sécurité sociale du pays d'envoi n'est pas remis en cause. Si la directive met en avant le principe du pays d'accueil en ce qui concerne la rémunération et les conditions de travail, elle ne vise pas l'affiliation aux régimes de sécurité sociale. Celle-ci était encadrée à l'origine par le règlement n°1408/71 de coordination des systèmes de sécurité sociale des Etats membres. Sa modification en 2004 ne modifie en rien le principe retenu pour les travailleurs détachés dans ce domaine : le maintien au régime de sécurité sociale de l'Etat d'envoi. Ce détachement ne peut toutefois dépasser 24 mois[6].

La transposition de la directive d'exécution dans le droit interne des États membres s'étalera jusqu'au 18 juin 2016. Dans l'attente du nouveau texte de la Commission européenne, il apparaît déjà urgent que les États membres transposent le dispositif adopté en mai 2014, afin de lutter plus efficacement contre les fraudes au détachement et le dumping social. La France a intégré la directive d'exécution dans le droit national dès juillet 2014[7].

2. Les réponses nationales : le cas du secteur du transport

Le secteur des transports, en particulier le transport routier, est un bon exemple du renforcement des dispositifs nationaux en vue de lutter contre la fraude au détachement des travailleurs. La libéralisation des livraisons internationales en 1992 et l'adoption de dispositions européennes en matière de cabotage ont contribué à bouleverser les marchés nationaux et facilité le recours à des entreprises issues d'autres Etats membres de l'Union européenne. L'utilisation des véhicules lors des trajets de retour entre deux pays est au cœur des difficultés actuelles. Il s'agit, en effet, pour le législateur européen, d'éviter un retour "à vide" des camions, coûteux pour les entreprises.

Un premier règlement européen, datant de 1993, permettait aux entreprises de transports d'assurer des opérations de fret au sein d'autres États membres à condition que ces services soient effectués à titre temporaire. Aucun délai n'était alors déterminé. Un règlement de 2009 a comblé, par la suite, cette imprécision en encadrant la pratique du cabotage[8]. Celui-ci est désormais limité à trois opérations dans les sept jours suivant la livraison intégrale des marchandises ayant motivé le transport international. Une opération de cabotage est autorisée dans chaque État membre parcouru sur le trajet du retour, dès lors que le véhicule passe la frontière à vide. Cette opération doit être effectuée dans un délai de trois jours suivant l'entrée d'un véhicule sur le territoire dudit État et au maximum sept jours après la livraison des marchandises ayant fait l'objet du trajet aller. Rien n'interdit pour autant à un transporteur d'effectuer un transfert de marchandises entre deux États dont il n'est pas ressortissant sur le trajet du retour. Une telle opération, considérée comme une livraison internationale, lui permet alors de retrouver un droit complet de cabotage au sein de l'État où il décharge (trois opérations sur sept jours). Des bourses de fret en ligne permettent aux transporteurs d'orienter leurs véhicules vers la demande et optimiser ainsi leur utilisation. La question des normes sociales applicables à ces opérations reste entière. Aux termes d'un considérant du règlement de 2009, les dispositions de la directive de 1996 sur le détachement de travailleurs s'appliquent aux sociétés de transport effectuant du cabotage. Cette référence n'est, cependant, pas reprise dans le corps du règlement.

Le règlement de 2009 laisse la porte ouverte au cabotage permanent (" grand cabotage "). Le franchissement d'une frontière ouvre mécaniquement le droit à cabotage sur le trajet du retour. La notion de trajet de retour perd d'ailleurs tout son sens dès lors qu'il est permis d'effectuer sur celui-ci de nouvelles opérations internationales, qui ouvrent de nouveaux droits ensuite sur les territoires traversés qui autorisent ensuite à ces camions de caboter durant sept jours sur le territoire de l'État de déchargement. Un transporteur roumain parti effectuer une livraison en France peut ainsi optimiser le retour et effectuer trois opérations de cabotage en France, puis trois en Italie, puis trois en Autriche et trois en Hongrie avant de regagner son pays. Rien ne l'interdit non plus de prendre à rebours son itinéraire de retour, en prenant depuis l'Autriche ou l'Italie une livraison pour un autre Etat, Belgique ou Allemagne. Compte tenu du différentiel salarial, en partie lié aux différences de coût du travail, ce cabotage quasi permanent fausse les conditions de concurrence sur les marchés intérieurs des États traversés.

C'est dans ce contexte que l'Allemagne a décidé, le 1er janvier 2015, que le salaire minimum qu'elle mettait en place (8,50 € de l'heure) s'appliquait à tous les salariés travaillant en Allemagne, quelle que soit la localisation de leur employeur. Elle respecte ce faisant les termes de la convention de Rome. Les travailleurs mobiles sont bien évidemment concernés par une telle disposition. Des amendes pouvant aller jusqu'à 500 000 € devraient en effet sanctionner les entreprises contrevenantes. Il convient de relever qu'avant l'entrée en vigueur du salaire minimum l'Allemagne faisait néanmoins partie des principaux pays caboteurs. Les chauffeurs issus des Länder d'ex-Allemagne de l'Est étaient en effet moins bien rémunérés que leurs compatriotes de l'Ouest. 10% du cabotage européen était ainsi réalisé, avant 2015, par des transporteurs allemands, 12% par des Néerlandais et 18% par des Polonais. La France est vingt fois plus cabotée qu'elle ne cabotait elle-même. Le ratio caboté/caboteur allemand s'établissait jusqu'alors à 3,3[9].

Cette initiative allemande a suscité des réserves chez ses partenaires. Une délégation de 14 États membres (Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Irlande, Lituanie, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont ainsi transmis leurs réserves à la Commission européenne. Celle-ci a, dans ces conditions, lancé une procédure préliminaire pour vérifier la conformité de la disposition allemande au droit européen et demander à cet effet des clarifications au gouvernement allemand. Face à ces réactions, le gouvernement allemand a partiellement suspendu son projet, le 30 janvier 2015. Cette suspension ne concerne que le transit opéré sur son territoire. Les livraisons effectuées en Allemagne ou le cabotage doivent continuer à être indemnisés selon les règles allemandes. La décision est, par ailleurs, temporaire, le gouvernement attendant également les réponses de la Commission européenne aux plaintes de ses partenaires.

La France a souhaité lever les ambiguïtés portant sur cette question du cabotage. Un décret de 2010, destiné à transposer le règlement européen de 2009, prévoit que les entreprises établies hors de France réalisant une opération de cabotage ne sont pas soumises à l'obligation de déclaration de détachement[10]. Cette absence de déclaration préalable limitait la possibilité de contrôle et l'application du noyau dur prévu par la directive de 1996. La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite "loi Macron ", du 6 août 2015 permet de dépasser ce hiatus, en prévoyant qu'une attestation de détachement soit fournie par les employeurs (article 281)[11]. Celle-ci devra informer les chauffeurs de leurs droits, notamment en ce qui concerne le salaire. Un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre est également mis en place. Il s'agit là d'une application concrète de l'article 12 de la directive d'exécution qui laisse toute latitude aux Etats en la matière.

3. Vers un nouveau texte ?

Les intentions de la Commission européenne

Le 33e considérant de la directive d'exécution insiste sur la nécessité de promouvoir une approche plus intégrée en matière d'inspections du travail. Le texte invite ainsi à définir des normes communes dans l'optique de la mise en place de méthodes, de pratiques et de standards minimaux comparables à l'échelle de l'Union. Cette ambition affichée trouve un prolongement dans la proposition de décision visant à créer une plateforme européenne destinée à améliorer la coopération à l'échelle de l'Union pour prévenir et lutter plus efficacement contre le travail non déclaré, présentée par la Commission européenne en avril 2014, au moment même où s'achevaient les discussions entre les co-législateurs sur la directive d'exécution[12]. La Commission européenne estime, en effet, que le travail au noir affecte les conditions de travail, instaure une concurrence déloyale et grève les finances publiques. Elle observe que cette question n'est pas traitée de façon coordonnée au sein de l'Union européenne. Elle rappelle, pour justifier son intervention, qu'en 2013 plus d'un Européen sur dix reconnaissait avoir acquis des biens ou sollicité des services en ayant recours au travail non déclaré au cours de l'année précédente et 4% d'entre eux admettaient avoir effectué un travail non déclaré. Ce projet répond, en outre, au souhait du Parlement européen, exprimé dans sa résolution du 14 janvier 2014, d'améliorer la coopération entre les services d'inspections du travail[13].

La Commission européenne propose dans ces conditions de réunir, au sein d'une plateforme, les différents organes nationaux en charge de la lutte contre le travail non déclaré : inspections du travail et des impôts, organismes de sécurité sociale et offices de contrôle des migrations. Les partenaires sociaux seraient également inclus dans ce dispositif. Il s'agit, en premier lieu, de créer un espace destiné au partage de l'information et des bonnes pratiques. La Commission européenne souhaite également utiliser cette plateforme pour étudier les moyens à mettre en œuvre afin de résoudre des problèmes communs. Elle cite ainsi le faux travail indépendant ou le travail non déclaré au sein des chaînes de sous-traitance, cas que l'on retrouve notamment dans les affaires de fraudes au détachement. Elle entend enfin améliorer les échanges de données entre les administrations nationales, développer des sessions communes de formation, d'échange de personnel ou d'inspection, et élaborer des principes communs et des lignes directrices en matière d'inspection pour lutter contre le travail non déclaré.

Par ailleurs, la Commission européenne avait indiqué dans son programme de travail pour 2015 qu'elle entendait proposer un paquet sur la mobilité des travailleurs[14]. Dans un contexte marqué par les négociations avec le Royaume-Uni, sa présentation a finalement été différée. Le nouveau dispositif devrait être dévoilé le 8 mars. Il serait composé d'une communication sur la mobilité de la main d'œuvre, d'une révision ciblée de la directive sur le détachement des travailleurs et d'une révision des règlements sur la coordination de la sécurité sociale. Il convient d'être extrêmement prudent sur le projet de révision. La précédente Commission européenne avait fait le choix de présenter un projet de directive d'exécution. Le choix de cet instrument juridique avait pu surprendre. Ce faisant, la Commission européenne avait souhaité garantir les acquis du texte de 1996. Une révision complète de la directive initiale pourrait conduire, en effet, à une remise en cause complète du dispositif existant par un certain nombre d'Etats.

Sept gouvernements, dont la France, ont appuyé cette proposition de révision de la directive dans une lettre adressée, le 5 juin 2015, à Marianne Thyssen, Commissaire européenne à l'emploi et aux affaires sociales[15]. Les ministres insistent, dans ce document, sur le principe d'un salaire égal sur un même lieu de travail. Il s'agit de fait de dépasser le " noyau dur " de règles minimales qui se traduit dans la pratique par l'application du salaire minimum aux travailleurs détachés, indépendamment de leurs qualifications ou de la technicité de l'emploi. A l'inverse, neuf gouvernements ont manifesté leur opposition à tout projet de révision dans un courrier également adressé à la Commissaire européenne[16]. Ils soulignent l'absence de transposition complète de la directive d'exécution et considèrent que toute révision pourrait remettre en cause la liberté de service et fragiliser le marché intérieur. Ils rappellent également leur attachement au maintien de l'affiliation au régime de sécurité sociale du pays d'envoi, insistant sur les conséquences pour les membres des familles des travailleurs détachés, en cas de changement régulier de régime.

La contribution française au débat

Saisi par le Premier ministre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a présenté le 22 septembre 2015 des pistes de travail pour une révision précise du dispositif européen, qu'il considère comme prioritaire[17]. La directive d'exécution n'épuise pas, à ses yeux, la question. Au-delà de la révision du texte, le CESE plaide pour une consolidation du régime juridique applicable au détachement des travailleurs, qui relève à la fois du droit du travail et du droit de la sécurité sociale européens, au risque de la contradiction.

Le CESE souhaite que le principe d'égalité de traitement mis en avant par les sept ministres de l'emploi et du travail dans la lettre du 5 juin 2015 soit au cœur de la directive. Il insiste pour que le texte prévoit que les prestataires de services recourant au détachement de travailleurs prennent à leur charge les frais de transports, de nourriture et d'hébergement éventuels.

Il milite parallèlement pour une révision du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale de 2004. Deux amendements au dispositif actuel concerneraient la systématisation de l'envoi de la déclaration de détachement (formulaire A1) aux autorités du pays d'accueil avant le début de chaque opération et un meilleur encadrement du détachement de salariés dans leur propre pays de résidence. Le règlement " sécurité sociale " devra également intégrer la notion d'activité substantielle de l'entreprise qui détache, notion déjà retenue dans la directive et tout travailleur détaché devra disposer d'une ancienneté d'un trimestre d'affiliation au sein du régime de sécurité sociale du pays d'envoi. Il convient de rappeler à ce stade qu'un règlement de 2009 prévoit déjà que l'employeur doit exercer normalement son activité sur le territoire de l'État d'envoi[18]. Une telle disposition vise directement les entreprises "boîte aux lettres" ou les bureaux administratifs. Le salarié détaché doit effectivement avoir été, au préalable, affilié au régime de sécurité sociale de l'État d'origine. Il ne saurait en conséquence être recruté puis immédiatement envoyé en détachement. Un délai d'un mois doit, de fait, s'écouler entre le recrutement et le détachement. Un lien organique entre l'employeur et le détaché doit, par ailleurs, être prouvé durant toute la durée du détachement. Un délai de carence de deux mois s'impose entre deux détachements dans une même entreprise.

Le CESE préconise également des solutions non législatives, à l'instar de la détermination, dans le cadre du dialogue social européen, de la durée de détachement qui serait modulable en fonction des secteurs d'activité. Le CESE appelle de ses vœux la mise en place d'une coopération renforcée, telle que prévue par les Traités, pour améliorer la coopération administrative entre États volontaires, via un meilleur partage des données ou la mise en place d'opérations de contrôles conjointes. Il souhaite la mise en place d'une carte européenne des travailleurs détachés, permettant une meilleure identification des personnes concernées et un partage d'informations. La loi " Macron " met en place un dispositif semblable dans le secteur du bâtiment[19].

La mission commune d'information du Sénat français sur la commande publique a, dans son rapport publié le 14 octobre 2015, appelé de ses vœux un recouvrement direct par les États d'accueil des cotisations sociales. L'idée poursuivie est de renforcer ainsi le contrôle quant à la réalité du détachement, la fraude aux cotisations sociales constituant souvent le prolongement direct de la fraude au droit du travail[20].

Conclusion

La directive d'exécution de mai 2014 apparaît donc comme une première étape avant une révision, certes ciblée, de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs. Un tel objectif peut paraître ambitieux tant les négociations autour de la directive d'exécution ont révélé des divisions au sein du Conseil, que l'on retrouve dans le débat autour de l'application de la législation allemande sur le salaire minimum aux transporteurs routiers issus d'autres États membres. Tout aussi légitime et souhaitable qu'il soit, un nouveau texte visant à lutter contre la fraude et le dumping social dans le cadre du détachement ne saurait aboutir à une harmonisation complète du coût du travail, tant que le principe d'une affiliation du travailleur détaché au régime de sécurité sociale de l'État dont il est ressortissant sera maintenu.


[1] : Directive 2014/67/UE du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n ° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur,
[2] : cf Sébastien Richard, L'encadrement du détachement des travailleurs au sein de l'Union européenne, Fondation Robert Schuman - Questions d'Europe n°300, 27 janvier 2014. Questions d'Europe n° 300
[3] : Voir l'article - Les Echoes
[4] : Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
[5] : Règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I)
[6] : Règlement (CE) n°883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale
[7] : Loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale.
[8] : Règlement (CE) n°1072/2009 du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l'accès au marché du transport international de marchandises par route
[9] : Le droit en soute ? Le dumping social dans les transports européens, rapport n°450 (2013-2014) d'Éric Bocquet, au nom de la commission des Affaires européennes du Sénat
[10] : Décret n°2010-389 du 19 avril 2010 relatif au cabotage dans les transports routiers et fluviaux
[11] : Loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
[12] : Proposition de décision établissant une plateforme européenne dans l'objectif de renforcer la coopération visant à prévenir et à décourager le travail non déclaré (COM (2014) 221 final)
[13] : Résolution du Parlement européen du 14 janvier 2014 sur des inspections du travail efficaces à titre de stratégie pour l'amélioration des conditions de travail en Europe (2013/2112 (INI))
[14] : Communication de la Commission : Programme de travail de la Commission pour l'année 2015 - Un nouvel élan (COM (2014) 910 final)
[15] :Allemagne, Autriche, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et Suède.
[16] : Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lituanie, Lettonie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et République tchèque.
[17] : Les travailleurs détachés, Avis du Conseil économique, social et environnemental, présenté par Jean Grosset, rapporteur avec l'appui de Bernard Cieutat, septembre 2015.
[18] : Règlement (CE) n° 987/2009 du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale
[19] : Titre IX de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
[20] : Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable au PME. Rapport d'information n°82 (2015-2016) de Martial Bourquin au nom de la mission commune d'information sur la commande publique du Sénat.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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