Industrie
Xavier Lebray
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ENXavier Lebray
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Les enjeux pour l'Europe sont particulièrement importants. La compétitivité du transport aérien conditionne étroitement le devenir de l'industrie aéronautique qui est un contributeur important à la croissance et à l'emploi au sein de l'Union européenne. Le transport aérien européen a généré en 2014 un chiffre d'affaires de 365 milliards €, soit 2,4% du PIB de l'UE [3] ainsi que 2 millions d'emplois directs [4] et 5,1 millions d'emplois au total [5]. Les mêmes données pour l'industrie aéronautique s'élèvent (en 2013) à 140 milliards € de chiffre d'affaires, soit 1,04% du PIB européen et environ 500 000 emplois directs hautement qualifiés [6]. Il convient d'ajouter que les dépenses en Europe des touristes empruntant les voies aériennes auraient été à l'origine de 4,7 millions d'emplois supplémentaires et de 279 milliards $ de CA, d'après les estimations récentes du Conseil économique et social européen [7].
Une stratégie agressive de captation du trafic aérien mondial
Les compagnies du Golfe sont des entités étatiques qui ont été créées et installées sous l'impulsion et avec le soutien des Etats de la région au moyen d'importants financements publics. Il s'agit, pour eux, de politiques publiques destinées à faire du transport aérien une des activités majeures de la diversification de leurs économies. Pour y parvenir, ces Etats mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour attirer progressivement d'importants flux de transports internationaux vers leurs aéroports et les activités qui peuvent y être rattachées.
C'est ainsi que les compagnies étatiques du Golfe sont passées de la maîtrise de 22 à 34% du marché des transports aériens entre l'Europe et l'Asie-Moyen-Orient entre 2008 et 2014, au détriment des principales compagnies européennes et asiati-ques qui ont enregistré des baisses respectives de 23 à 16% et de 15 à 11% de leurs parts du même marché [8]. Cette croissance démesurée de leurs capacités de transport est trois fois supérieure à celle du taux de croissance du PIB mondial entre 2012 et 2020 [9]. Aux Emirats, des capacités de transit de plus de 300 millions de passagers sont prévues pour 2020 avec le développement des hubs existants (quadruplement pour Abu Dhabi, quintuplement pour Doha, +15% pour Dubaï) et la construction de Jebel Ali [10].
Ces surcapacités traduisent l'objectif de capter 78 millions de passagers supplémentaires par an [11], ce qui représente un quasi-doublement du chiffre actuel et les oblige donc à mettre en œuvre, par tous moyens, une stratégie agressive envers les autres compagnies présentes sur le marché mondial. Si ces surcapacités devaient être toutes utilisées, les compagnies du Golfe pourraient se trouver en situation quasi-monopolistique sur certaines destinations et imposer leurs conditions au marché mondial, tant en Europe que dans le reste du monde.
Les compagnies étatiques du Golfe ont déjà capté une part massive du trafic entre l'Europe et l'Asie en doublant entre 2008 et 2014 leur part de marché vers l'Inde, l'Asie du sud-est et l'Australie et en se tournant vers l'Asie orientale. Sur Bangkok, elles ont supplanté l'ensemble des autres compagnies. Ainsi Emirates offre-t-elle 42 vols hebdomadaires sur cette destination.
La stratégie des pays du Golfe est également efficace sur le marché européen et la croissance de leur capacité de transport est plus que significative: entre 2004 et 2015, le trafic entre l'Europe et le Golfe a augmenté de 430% avec 140 vols quoti-diens (dont 80% par leurs compagnies). Il y a plus de sièges offerts entre l'Europe et le Golfe qu'entre l'Europe et la Chine, le Japon et la Corée du sud réunis, alors que le PNB de ces derniers est 250 fois celui des EAU et du Qatar réunis. Il ne s'agit donc pas d'une simple stratégie commerciale résultant d'évolutions de la demande, mais bien d'une volonté étatique, à visée monopolistique, qui trouve son origine en dehors de la logique du marché.
Une perte de connectivité directe pour les Européens
Les consommateurs européens sont de plus en plus dépendants des pays du Golfe et, pour rallier des destinations lointaines autrefois directement et abondamment desservies, perdent peu à peu leur liberté de choisir leurs trajets et leurs transpor-teurs. Les capitales européennes sont de moins en moins connectées par des vols directs à des destinations finales, indispensables à la croissance européenne. Les régions des pays européens sont de plus en plus directement connectées aux pays du Golfe et disposent de moins en moins d'accès aux hubs européens ou à leurs destinations finales, en particulier américaines.
Une véritable distorsion de concurrence
De source américaine [12], les compagnies étatiques Emirates, Etihad et Qatar Air-ways ont reçu au minimum 42 milliards de subventions prouvées ainsi que d'autres bénéfices indus comprenant des prêts sans intérêts ou des "prêts" sans obliga-tion de remboursement. Sans ces subventions, Etihad et Qatar Airways n'auraient jamais pu être viables commercialement selon les audits dont elles ont fait l'objet. La plupart de leurs fournisseurs, y compris les aéroports qui leur servent de hubs, leurs sont intrinsèquement liés et il n'est pas possible d'établir actuellement que les transactions entre eux sont réglées au prix du marché. Liées aux pouvoirs publics, les compagnies du Golfe n'ont pas à présenter de comptes financiers transparents et n'ont pas non plus la nécessité de rétribuer leurs actionnaires [13].
A l'inverse, les compagnies européennes s'inscrivent dans une libre compétition, dont la régularité est strictement organisée par les réglementations qui la garantissent. Les aides d'Etat leur sont interdites et les compagnies font l'objet d'un contrôle continu et d'enquêtes régulières. Elles s'acquittent normalement des coûts d'infrastructures, des redevances aéroportuaires et de navigation. La très grande majorité des compagnies suivent des règles très strictes de transparence, de reporting financier et de rétribution du capital.
Les compagnies étatiques du Golfe ont noué des accords bilatéraux avec 26 Etats membres de l'UE, leur conférant des droits de trafic illimités pour 23 d'entre eux et le droit à la cinquième liberté avec 5 d'entre eux. Elles exploitent ainsi librement tout le champ de la concurrence, tout en jouissant de privilèges exclusifs concédés par leurs autorités nationales. Leur stratégie de captation des marchés européens est destinée aussi à développer dans leur sous-région les industries connexes que sont le tourisme et l'organisation de congrès professionnels au détriment des acteurs européens. L'industrie du tourisme représente en Europe 3,2 millions d'emplois et 213 milliards € de chiffre d'affaires, soit 1,28% du PIB européen [14]. Le tourisme d'affaires (MICE) [15] représente un revenu de 339 milliards € en 2014 [16].
Des pratiques contestées en matière de discrimination sociale et de genre
L'Union européenne ne peut ignorer non plus les pratiques qui touchent à ses valeurs fondamentales, d'ailleurs garanties par des textes ayant force de loi (Charte des Droits fondamentaux par exemple) et avec lesquels elle n'a pas l'habitude de transiger. En l'occurrence, plusieurs pratiques méritent d'être scrupuleusement étudiées. Une illustration en est offerte par la décision de l'OIT du 16 juin 2015 de condamner la politique de licenciements automatiques des personnels de cabine enceintes ou qui se marient (dans les cinq premières années de leur contrat) au sein de Qatar Airways. La compagnie a d'ailleurs dû revoir ses règles internes et il aurait été normal que l'Union s'en préoccupe.
D'autres pratiques de compagnies du Golfe sont critiquées par les syndicats dans le Rapport de l'OIT du 15 juin 2015. Elles concernent, par exemple, l'obligation pour une employée d'être accompagnée à l'entrée et à la sortie de l'avion ou du local de la compagnie, ainsi que la surveillance des activités des salariés sur les réseaux sociaux.
L'Union européenne ne peut pas rester sans réagir.
Les propositions du Parlement européen
La résolution du Parlement européen du 9 septembre 2015 prend acte de cette situation et souhaite que soient introduites des mesures en réponse dans le Paquet sur l'Aviation, prévu pour la fin de l'année. Elle dresse un constat objectif sur le déclin des liaisons directes entre l'Europe et le reste du monde, sur la capacité restreinte d'augmentation du trafic aérien et sur la croissance des services offerts par des compagnies non-européennes.
Elle pose la question de la suppression des pratiques déloyales, notamment des subsides qui faussent le marché, ainsi que des moyens d'assurer la réciprocité. Elle cible directement les Etats du Golfe ainsi que la Turquie avec lesquels un dialogue doit être engagé pour améliorer la transparence financière et "préserver" la concurrence loyale par l'inclusion de "clauses de concurrence loyale" dans les accords de transport aérien.
Elle demande un réexamen des politiques budgétaires et de la réglementation de l'Union et des Etats membres afin de renforcer la compétitivité du secteur européen de l'aviation et garantir une concurrence équitable avec les transporteurs des pays tiers.
Elle demande à la Commission et aux Etats membres d'ajuster et d'abroger les dispositions qui faussent la concurrence et aux compagnies des pays tiers de modifier leurs pratiques.
Cette résolution souhaite le développement cohérent et efficace d'un réseau d'aéroports de l'Union qui doit inclure en premier lieu les principaux aéroports, les "hubs" ou plaques tournantes et, en second lieu, un réseau bien desservi, viable et soutenu d'aéroports locaux et régionaux.
Elle appelle à des mesures propres à combattre les pratiques de contournement de la concurrence loyale sur le plan social, comme les pavillons de complaisance et différentes formes d'emploi atypique et d'externalisation [17]. Il s'agirait en particulier de réviser la réglementation sur l'application des législations sociales et des conventions collectives des compagnies aériennes ayant leurs bases opérationnelles sur le territoire de l'Union [18] et de réviser le concept de "lieu d'activité principal".
La résolution commune des trois principaux groupes du Parlement (PPE, S&D, ALDE), adoptée le 11 novembre 2015 [19] s'est voulue encore plus précise sur la concurrence déloyale d'entreprises de transports de pays tiers, notamment sur les aides d'Etat dont elles bénéficient, interpellant la Commission sur la non-application du règlement 886/2004, sa non-intervention pour rétablir une concurrence loyale et dénonçant expressément des pratiques sociales contraires au droit communautaire et au droit interne des Etats membres. Elle appelle à une réaction ferme de l'Exécutif européen, notamment dans la rédaction de son "paquet avia-tion". Les trois principaux groupes du Parlement semblent en critiquer le contenu prévisible ; ils appellent, en tout état de cause, à ce qu'il reprenne les souhaits réitérés du Parlement en faveur d'une réaction ferme basée sur la réciprocité et une négociation avec les Etats du Golfe, ainsi montrés du doigt.
La réaction politique des États
Les gouvernements français et allemand, par la voix du Secrétaire d'Etat et du Ministre fédéral en charge des transports, se sont exprimés le 13 mars 2015 au Conseil "Transports" de l'Union européenne pour proposer l'adoption d'une stratégie commune destinée à restaurer une concurrence loyale de la part des compagnies du Golfe.
Les deux Etats ont notamment demandé que l'extension des droits de trafic accordés aux compagnies aériennes étrangères soit assortie d'un véritable contrôle du mode de fonctionnement de ces compagnies et qu'un mandat soit donné à cette fin à la Commission. Ces déclarations ouvrent la voie à une révision de la règlementation afin de disposer d'un outil juridique solide et efficace [20].
Des propositions pourraient être faites à cet égard dans le "Paquet sur l'Aviation" que la Commission a annoncé pour la fin de l'année
La réglementation sur la concurrence loyale et la suppression des subventions et pratiques tarifaires déloyales [21], qui date de 2004, devrait être appliquée et réfor-mée (durcie) si nécessaire.
Il y est en effet précisé [22] que les "subventions" sont le fait des Pouvoirs publics ou d'un organisme régional et consistent dans des transferts directs de fonds, qu'il s'agisse de dons, de prêts ou de participations au capital social, de transferts directs potentiels de fonds en faveur de l'entreprise ou encore de la reprise de son passif, par exemple sous forme de garanties de prêt. Il peut aussi s'agir de recettes exigibles abandonnées ou non perçues. Il peut enfin s'agir de la fourniture ou de l'achat de biens et services par les Pouvoirs publics au bénéfice de ces compagnies. Quant aux pratiques tarifaires déloyales, celles-ci consistent dans le bénéfice d'un avantage non commercial ou dans le recours à des tarifs aériens suffisamment inférieurs aux transporteurs européens pour causer un préjudice. Ces pratiques sont clairement distinguées des pratiques tarifaires concurrentielles normales.
Le mode opératoire est également clairement explicité. Le plaignant auprès de la Commission se voit indiqué dans un délai réglementaire de 45 jours si les éléments de preuve sont suffisants ou non. Dans le premier cas, le démarrage de la procédure est constitué par l'annonce de l'ouverture d'une enquête. Si une partie intéressée refuse l'accès aux informations nécessaires ou y fait obstacle, des conclusions préliminaires ou définitives peuvent être établies. Les mesures de réparation prennent de préférence la forme de taxes imposées au transporteur aérien non communautaire concerné.
Mais pour déterminer l'existence d'une subvention, il est nécessaire d'en apporter la preuve. Or les compagnies européennes sont souvent dans l'impossibilité d'établir la preuve des pratiques déloyales du fait de l'absence de transparence de leurs concurrentes. C'est le cas pour les compagnies étatiques du Golfe. Au plan politique, il est également difficile de mettre en cause des Etats, interlocuteurs réguliers des Pouvoirs publics nationaux ou clients de l'industrie aéronautique européenne. Elles sont de facto dissuadées de porter plainte. Et la Commission s'est jusqu'ici refusée à agir de son plein gré, ce qu'on ne peut que regretter.
Il est nécessaire que des propositions soient présentées par la Commission pour traiter efficacement la question de la transparence, dont l'une des missions essentielles est bien d'assurer la concurrence loyale. Les outils à sa disposition doivent être complétés si nécessaire, mais elle n'a, jusqu'ici, pas su faire preuve d'un véritable esprit d'initiative. Dès lors que les compagnies du Golfe veulent travailler sur le marché européen, la Commission devrait demander la publication des données comptables et juridiques qui sont exigées de leurs homologues européennes. Elle devrait également revoir les sanctions prévues et leur donner un caractère dissuasif.
La nécessaire réaction européenne
Elle doit viser à une stricte application des mesures existantes et à la mise en échec de leur contournement volontaire. Elle doit s'intéresser à l'ensemble des éléments constitutifs d'une concurrence libre et non faussée entendu dans son plus large aspect. Elle doit exiger la transparence des acteurs. Elle devrait faire preuve de plus de créativité pour renforcer les acteurs du transport aérien européen.
Renforcer le "contrôle effectif"
Il conviendra également de traiter la question du "contrôle effectif", car une des stratégies des compagnies étatiques du Golfe est de procéder à des prises de participations dans les compagnies européennes. Selon la réglementation qui établit les règles communes pour l'exploitation des services aériens dans l'Union [23], le contrôle effectif doit être le fait d'une compagnie de l'Union européenne et la par-ticipation d'une entreprise étrangère au capital ne peut dépasser 49%. Cependant il est évident que le rachat d'une compagnie européenne, même limité par la règle des 49%, s'accompagne souvent de dispositions et de pratiques qui donnent de facto le contrôle à l'entreprise étrangère.
Interpellée à ce sujet, la Commission a répondu le 23 juillet 2014 à une lettre commune des présidents et directeurs des principales compagnies européennes et a assuré qu'elle examinait plusieurs investissements de pays tiers au sein de compagnies aériennes européennes. Elle cite l'investissement d'Etihad dans Air Berlin en Allemagne, ainsi que dans Air Serbia en Serbie, de Delta dans Virgin Atlantic au Royaume-Uni, du Chinois HNCA dans Cargolux et de Korean Air dans Czech Airlines en République tchèque et un troisième investissement d'Etihad, en précisant avoir "écrit aux autorités italiennes pour leur rappeler les règles européennes en matière de propriété et de contrôle dans l'optique de l'investissement d'Etihad au sein d'Alitalia". La Commission devrait pouvoir être en mesure d'enquêter au-delà du seul respect formel de cette obligation et de procéder, comme elle le fait en matière de concurrence, à l'addition d'éléments convergents quant à la réalité de la direction effective, afin de se former librement une opinion indépendante.
Il est attendu de la Commission qu'elle mette en œuvre les pouvoirs d'investigation dont elle dispose pour faire respecter par des intérêts non-européens les règles en vigueur relatives au "contrôle effectif" des compagnies européennes et ainsi mettre en échec les contournements actuels de la réglementation européenne.
Faire cesser la discrimination en matière d'investissements publics
Compte tenu du lien étroit entre les infrastructures aéroportuaires et l'exercice du métier de transporteur aérien, il conviendrait de mettre un terme à la discrimination existant entre les investissements publics européens soumis au "Market Economy Investor Principle" (MEIP) et les investissements des pays du Golfe qui proviennent de sources publiques et ne sont pas soumis au même contrôle.
Exiger la transparence financière dans la gouvernance des compagnies
L'égalité de traitement en matière de transparence financière exige d'obtenir des garanties sur la gouvernance des compagnies aériennes et notamment la séparation de la direction de l'aéroport, de la régulation, du "duty free", quand il ne s'agit pas de la direction d'une banque d'investissement.
Créer une "toolbox aérienne" calquée sur le modèle maritime
Une "toolbox aérienne" devrait être incluse dans le Paquet sur l'Aviation à l'instar de ce qui a été fait dans le domaine maritime. Le système de transport aérien devrait bénéficier de certaines mesures nationales de nature à renforcer la compétitivité des compagnies européennes, à l'image de celles qui ont été adoptées dans le secteur maritime dès les années 1990. Ces mesures sont autorisées pour autant qu'elles ne conduisent pas à fausser la concurrence entre les Etats.
Cette "toolbox" pourrait comprendre :
- un aménagement des charges patronales et sociales concernant les personnels navigants des vols long-courrier afin de tenir compte des disparités de coûts salariaux sur les lignes internationales entre les compagnies européennes et leurs concurrentes étatiques du Golfe,
- la mise en place d'un cadre plus flexible avec l'amélioration du système de contrôle aérien, ainsi qu'une révision de la fiscalité et des redevances aéroportuaires,
- le soutien aux investissements (amortissement anticipé, exonération des plus-values de cession, etc),
- la formation des personnels. Pour les marins, d'après les orientations communautaires de 2004 à 2014, l'aide à la formation bénéficie de l'exemption par catégorie. On pourrait donc, pour la formation des personnels, s'inspirer du régime maritime dans lequel celle-ci est à la charge des collectivités.
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Une concurrence libre et non faussée doit être garantie sur le marché du transport aérien européen. Pour cela, la transparence et l'égalité de traitement entre les compagnies du Golfe et les compagnies européennes doivent être restaurées.
Dans un premier temps, il est attendu de la Commission qu'elle utilise pleinement les pouvoirs qui lui reviennent au titre du règlement européen (CE) n°868/2004, ce qui n'est pas le cas.
Des mesures complémentaires devraient lui permettre de poursuivre cette mission avec plus d'efficacité :
- Un contrôle effectif de la réalité de la direction des compagnies de transport aérien exerçant sur le territoire européen qui soit plus précis et plus contraignant que le règlement (CE) n°1008/2008 et ne permette pas les contourne-ments actuels. Au vu des nombreux cas déjà soumis à son examen, la Commission devrait établir des critères de nationalité et de contrôle effectif reconnus par tous et qui permettent aux compagnies européennes de bénéficier de la réciprocité dans les pays tiers qui investissent au sein de l'Union européenne.
- La présentation d'une "toolbox aérienne" inspirée du modèle maritime qui compense les efforts demandés aux compagnies européennes face à la concurrence en ce qui concerne les charges diverses et les redevances, ainsi que le soutien aux investissements et la question de la formation des personnels.
- Des garanties doivent être obtenues par la Commission dans son dialogue engagé avec les pays du Golfe sur les deux premiers éléments-clés ci-dessus.
- Conditionner l'accès au marché européen au respect des réglementations, de leur esprit comme de leur lettre, et à la réciprocité sur les marchés des Etats tiers.
Les enjeux en cause sont considérables et stratégiques pour l'Union européenne. Ils concernent :
- La connectivité du continent européen et la protection future des droits et du choix des passagers aériens,
- L'avenir des compagnies aériennes européennes aux prises avec d'importants efforts de productivité et malmenées par une concurrence déloyale utilisant des aides d'Etat qui leur sont interdites,
- L'avenir des grands aéroports et des centres d'affaires qui leur sont liés,
- L'industrie touristique européenne,
- L'indépendance de son industrie aéronautique qui, à terme, verrait baisser les commandes des compagnies européennes,
- Le maintien des emplois directs dans le transport aérien,
- L'intérêt des passagers qui, à défaut de continuer à profiter de la concurrence, devraient dépendre pour leurs vols intercontinentaux d'une offre réduite fa-vorisant rapidement une augmentation des prix.
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Les institutions de l'Union européenne doivent démontrer qu'elles défendent leurs valeurs, leurs règles et leurs entreprises en assumant pleinement le rôle de régulateur que lui confie la législation européenne. Compte tenu de leur contournement, elles pourraient aussi être dotées d'outils supplémentaires.
A l'instar du Parlement européen, qui a décidé fort à propos, de se saisir des attaques commerciales déloyales qui frappent le transport aérien européen (Résolution Wim van de Camp (PPE, NL) soutenue par les groupes PPE, S&D et ALDE, initiatives de Franck Proust (PPE, FR) notamment), il appartient à la Commission européenne de proposer une réaction commune et collective à la hauteur des enjeux en cause, qui concerne bien l'avenir de nos grandes compagnies aériennes, l'indépendance du transport en Europe et les intérêts à long terme du consomma-teur européen.
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[1] : Résolution n°2015/2005(INT) du 9 septembre 2015 sur la "mise en oeuvre du Livre blanc de 2011 sur les transports: bilan et voie à suivre pour une mobilité durable".
[2] : Résolution commune n°1146/2015 adoptée le 11 novembre 2015
[3] : http://ec.europa.eu/transport/modes/air/index_en.htm
[4] : "Aviation : Benefits Beyond Borders" ATAG (Air Transport Action Group) avril 2014 http://aviationbenefits.org/media/26786/ATAG__Aviation Benefits2014_FULL_LowRes.pdf
[5] : http://ec.europa.eu/transport/modes/air/index_en.htm
[6] : http://ec.europa.eu/growth/sectors/aeronautics/index_en.htm
[7] : www.eesc.europa.eu/?i=portal.fr.ten-opinions&itemCode=35317 Avis du Conseil Economique et Social Européen (CESE) du 17 septembre 2015 "Une politique intégrée de l'aviation"
[8] : http://centreforaviation.com/analysis/af-klm-lufthansa--iag-weigh-in-on-us-gulf-dispute-pt-2-marketshare-loss-who-owns-the-passenger-245293 - CAPA (Center for Asia Pacific Aviation) "US-Gulf Airline dispute - Europe part 2: Market share in dispute. Does anyones "own" the passenger ? (24 sept 2015)
[9] : GDP forecast growth for 2014-2019: Conference Board Global Economic Outlook 2014, 05/2014 : www.conference-board.org/pdf_free/workingpapers/EPWP1403.pdf
[10] : "Restoring open skies: the need to address subsidized competition from state-owned airlines in Qatar and the UAE"
[11] : Partnership for Open and Fair Skies "Restoring Open Skies : The Need to Address Subsidized Competition from State-Owned Airlines in Qatar and the UAE" http://travelskills.com/wp-content/uploads/2015/03/Presentation.pdf
[12] : http://travelskills.com/wp-content/uploads/2015/03/Presentation.pdf Etude conduite par les compagnies américaines Delta Airlines, United Airlines et American Airlines en Janvier 2015.
[13] : Emirates, la plus puissante des compagnies aériennes du Golfe, est la seule à publier ses comptes depuis peu, contrairement à Etihad et Qatar Airways.
[14] : http://aviationbenefits.org/media/26786/ATAG__AviationBenefits2014_FULL_LowRes.pdf "Aviation : Benefits Beyond Borders", ATAG 2014
[15] : MICE = Meetings, Incentives, Conferencing, Exhibitions
[16] : World Trade and Tourism Agency, 2015
[17] : Qu'on retrouve ailleurs sous le nom "d'agence temporaire de travail"
[18] : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:293:0003:0020:fr:PDF Règlement 1008/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 24 septembre 2008.
[19] : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=P8-RC-2015-1146&language=FR
[20] : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CONSLEG:2004R0868:20090807:FR:PDF Règlement (CE) n° 868/2004 du 21 Avril 2004 concernant la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales causant un préjudice aux transporteurs aériens communautaires.
[21] : Règlement (CE) 868/2004
[22] : Articles 4 et 5 du règlement (CE) n°868/2004
[23] : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:293:0003:0020:fr:PDF Règlement (CE) n°1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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