Démocratie et citoyenneté
Charles de Marcilly,
Matthias Touillon
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ENCharles de Marcilly
Matthias Touillon
Introduction
En parallèle de sujets prééminents sur les questions économiques, migratoires ou internationales, d'autres initiatives publiques liées à la politique européenne quotidienne et son processus décisionnel ordinaire - anciennement appelée codécision - ont été enclenchées de manière relativement inaperçue. Le programme "pour une meilleure réglementation" en est un parfait exemple. En effet, depuis sa présentation, un constat s'impose : au-delà de l'intérêt de la sphère bruxelloise, quoique sans doute limité du fait d'une communication discrète de la part de la Commission, la couverture médiatique du programme ne s'est pas avérée à la hauteur des problématiques qu'il soulève tant en termes de transparence et d'ouverture que d'efficacité des politiques européennes dans une perspective plus large [4].
Dernière étape d'une politique longue d'une quinzaine d'années, la version 2015 du "Better regulation" entend donner une nouvelle impulsion aux actions publiques européennes menées dans l'optique de réformer le processus décisionnel de l'Union et la réglementation qui en découle. La Commission vise ainsi à répondre au besoin de légitimité qui s'impose à elle. Ce constat a par ailleurs été renforcé avec le rôle pris par la Commission dans la résolution de la crise grecque ou la gestion des réponses apportées à la crise des réfugiés. Néanmoins, au-delà des mesures pertinentes suggérées, le programme "Better regulation" suscite un certain nombre d'interrogations.
1/ Une politique incrémentale : l'efficacité au cœur d'une dialectique ouverture/expertise
a/ Gagner en légitimité pour mieux exister
Le programme "Better regulation" et ses mesures s'inscrivent dans une logique incrémentale, où chaque élément de valeur ajoutée améliore l'ensemble sans créer de dysfonctionnement. Dans la perspective de la Commission, cela consiste à soutenir que l'augmentation de l'efficacité du processus décisionnel de la gouvernance européenne passera par une plus grande ouverture et davantage de transparence, associées au recours à une expertise probante.
Dès lors, l'optimisation de cette approche est une préoccupation constante. Ainsi depuis une quinzaine d'années, l'amélioration du processus décisionnel et de la réglementation européenne est devenue l'un des chevaux de bataille de la Commission européenne. Une recherche d'efficacité sans doute motivée à l'origine par une quête de légitimité qui dépend de l'efficacité de la gouvernance et de la qualité des législations européennes [5].
Par ailleurs, le système institutionnel européen confère une faible légitimité démocratique directe à la Commission. Un premier revirement s'est opéré avec les élections européennes de mai 2014 qui ont permis l'émergence de "Spitzenkandidaten" et la nomination d'un des candidats à la tête de la Commission. Cependant, cette configuration pourrait être contestée lors des prochaines élections européennes. Aussi, cette jurisprudence "Juncker" demeure-t-elle incertaine et rien ne laisse présager qu'elle deviendra un droit coutumier de l'Union. De plus, cette nouvelle légitimité démocratique indirecte reste récente et ne peut s'appliquer aux deux mandatures de la Commission Barroso de 2004 à 2014.
La légitimité de la Commission européenne repose donc essentiellement sur l'efficacité et la pertinence de son action : "l'output legitimacy" [6]. Autrement dit : les politiques publiques européennes initiées par la Commission sont-elles utiles et reconnues comme telles (la perception des cibles et du public d'une politique publique étant essentielle) ? Atteignent-elles leurs objectifs initiaux et, si ce n'est pas le cas, sont-elles adaptées en conséquence ?
b/ Une réflexion sur le long terme
Une analyse de l'historique des quinze dernières années atteste de la prégnance du dogme du "mieux légiférer" au sein de l'agenda de la Commission européenne. La recette reste structurellement la même : une dialectique entre une ouverture et une transparence accrues du processus législatif européen d'un côté et la volonté d'une expertise toujours plus performante de l'autre. Qu'il s'agisse du Livre blanc sur la gouvernance de 2001 [7]; des Communications de la Commission de 2002 sur le "plan d'action 'simplifier et améliorer l'environnement réglementaire'" [8], sur "l'Analyse d'impact" [9], sur les "Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées" [10], et sur la "Gouvernance européenne : mieux légiférer" [11]; de l'accord institutionnel "Mieux légiférer" de 2003 entre le Parlement, le Conseil et la Commission [12]; de la Communication de la Commission de 2005 "Améliorer la réglementation en matière de croissance et d'emploi dans l'Union européenne"[13] ainsi que "l'approche interinstitutionnelle commune en matière d'analyse d'impact" [14]; de la Communication de la Commission de 2010 "Une réglementation intelligente au sein de l'Union européenne" [15]; ou de la Communication de la Commission de 2012 "Pour une réglementation de l'UE bien affutée" [16], les mêmes logiques sont mises en avant pour améliorer l'efficacité de la législation européenne. Toutefois, les instruments évoluent et s'adaptent aux mesures prises précédemment. Néanmoins, cette succession de communications laisse deviner qu'indépendamment de la bonne volonté affichée, la mise en œuvre et l'application ont jusqu'alors été insatisfaisantes.
En réponse, la Commission insiste sur le besoin d'une participation de l'ensemble des institutions communautaires et des Etats membres à l'effort d'amélioration, sur la nécessité de recourir à des consultations et des études d'impact ou encore sur l'obligation de simplifier et d'évaluer la réglementation européenne.
Pour exemple, dès sa Communication de 2002 intitulée "Plan d'action 'simplifier et améliorer l'environnement réglementaire'", la Commission entend, pour les mesures qui la concernent, "définir des normes minimales de consultations", "analyser l'impact des initiatives législatives et politiques majeures", "renforcer l'exposé des motifs des propositions législatives", "introduire une clause de réexamen dans les actes", assurer "un suivi de l'adoption et de l'application des actes législatifs" via notamment un "recours accru de la Commission au retrait de ses propositions", ou encore "assurer la cohérence de ses propositions d'actes législatifs" et mettre en œuvre les dispositions de la Communication via "un réseau interne 'mieux légiférer'".
Au-delà, la Commission en appelle "aux responsabilités - respectives ou communes - de chacun" (le Parlement, le Conseil et les Etats membres) en matière d'amélioration du processus décisionnel. Pour ce qui concerne le Parlement et le Conseil, la Commission les exhorte à "un usage mieux adapté des instruments", à une simplification et à réduction de la législation communautaire, ainsi qu'à une attention "sur la qualité de la législation adoptée" au travers notamment d'une appréciation de "l'impact des amendements substantiels du Parlement européen et du Conseil". Concernant les Etats membres, la Commission les invite entre autres à "transposer fidèlement et dans le délai prévu les actes communautaires", à "rationnaliser leurs procédures internes en mettant en place des mécanismes permettant une implication de leurs administrations", à avoir recours à des consultations et analyses d'impact notamment "sur les éventuelles dispositions supplémentaires insérées dans les actes".
On notera que cette liste de dispositions se retrouve presque intégralement au sein de la Communication présentée en mai 2015 par la Commission.
Comment expliquer cette récurrence ?
Une première explication résiderait dans la complexité d'un processus législatif où interagissent divers acteurs institutionnels poursuivant chacun une stratégie d'influence propre. Aussi, les propositions de la Commission ne sont pas nécessairement soutenues par les deux autres institutions ce qui justifie cette politique des "petits pas". : Chaque nouvelle étape apportant une pierre au temple de l'amélioration réglementaire. La Commission européenne reconnaît cette complexité dès 2005 lorsqu'elle indique : "Il faudra du temps pour améliorer l'environnement réglementaire et le simplifier. Bien que l'UE ait beaucoup progressé en relativement peu de temps, il ne s'agit là que des premières étapes d'un processus qui exige un effort permanent" [17]. L'un des défis de la Commission reste sa capacité à proposer une méthode et des outils qui seront également adoptés par les autres institutions.
Une seconde explication tiendrait à l'inadaptation des solutions engagées afin de résoudre une problématique publique. Des instruments - consultations, études d'impact, simplification - ont été définis afin de résoudre un problème public identifié - ici une réglementation européenne non optimale. Or, le propre d'une politique publique est d'être évaluée afin d'observer si cette dernière est en mesure d'atteindre les objectifs qui lui ont été fixés. Et, lorsque le résultat de cette évaluation tend à être négatif, il convient d'identifier les raisons de cet échec afin de pouvoir entamer un réajustement de cette politique publique. Le "Mieux légiférer" de la Commission pourrait ainsi porter le paradoxe suivant : il entend évaluer et réformer l'ensemble du cadre législatif européen, sans pour autant sembler admettre que les instruments, mis en œuvre pour résoudre le problème sont insuffisants. Cependant, arriver à opter pour l'une ou l'autre de ces deux raisons reste ardu, la réponse résidant certainement en une combinaison des deux.
c/ Est-ce différent cette fois-ci ?
La volonté d'améliorer la législation est légitime pour toute organisation institutionnelle. Elle prend toutefois une tournure politique dans le contexte de la Commission en poste depuis le 1er novembre 2014. Certes, un début de mandature est l'occasion d'une nouvelle dynamique mais c'est aussi ici un moyen de répondre à des problématiques posées de longues dates par certains Etats membres.
En effet, plusieurs Etats sont dans une logique de "rationalisation" en matière de subsidiarité et de proportionnalité. Par exemple, dans un courrier adressé à la Chambre des députés des Pays Bas le 21 juin 2013, Frans Timmermans, alors ministre néerlandais des Affaires étrangères, établit un inventaire de 54 règles européennes qui devraient, selon lui, redevenir compétence des Etats membres. Cet exercice de subsidiarité estime que "le temps d'une 'ever closer union' avec toutes les politiques possibles est désormais révolu, et que le leitmotiv de l'Union devrait être que soit européen ce qui doit être européen et national ce qui peut être national" [18]. Pour cet exercice, tous les ministres du gouvernement des Pays-Bas avaient effectué une analyse de la législation en vigueur ou en devenir. Ils en ont extrait les actions européennes dont ils estiment qu'elles auraient dû être prises au niveau national selon le principe de subsidiarité, ainsi que là où les normes existantes dépassent ce qui est nécessaire [19].
Ces demandes s'inscrivent également dans le cadre plus large de l'appartenance à l'Union européenne et au modèle de légitimité par la norme qui en découle. Dans ce cadre, "Better regulation" semble permettre de répondre à une partie des sollicitations britanniques.
La conjoncture politique spécifique, mais qui soulève des problématiques de fond, confluerait donc au slogan suivant : moins légiférer pour mieux légiférer ?
C'est l'un des constats que l'on peut tirer en observant le programme de travail resserré pour le mandat 2014-2019 : en 2015, le programme comprend le retrait de 80 propositions sur les 450 propositions en attente de décision du Parlement et du Conseil [20]. Le programme de travail de 2016 prévoit 23 initiatives contre 130 les années précédentes [21], 20 modifications ou retraits de propositions en attente [22]. C'est la mise en œuvre de la politique annoncée par Jean-Claude Juncker, qui, alors candidat à la présidence de la Commission, avait déclaré devant le Parlement: "Chaque problème existant en Europe n'a pas vocation à devenir un problème de l'Union européenne. Ce sont les grandes affaires dont nous devons nous occuper" [23].
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la philosophie du nouveau programme s'inscrit dans la continuité du travail entrepris par l'institution depuis le début des années 2000, tout en tentant de donner une nouvelle dynamique au Better Régulation: "Au cours des dix dernières années, l'UE a mis en place toute une panoplie d'outils et de procédures visant à améliorer la réglementation dans cette optique. Ces profonds changements portent déjà leurs fruits, mais la Commission actuelle a décidé d'aller plus loin" [24].
II/ Better regulation 2015 : une nouvelle ambition au service de la continuité
La version 2015 de "Better regulation" entend permettre aux politiques publiques de l'Union européenne d'atteindre "leurs objectifs de la manière la plus efficace et la plus efficiente possible" via une stratégie en triptyque fondée sur un renforcement de "l'accessibilité et [de] la transparence du processus décisionnel de l'UE", sur une amélioration de "la qualité de la nouvelle législation grâce à de meilleures analyses d'impact des projets d'actes législatifs et des modifications proposées" et sur la promotion d'un "réexamen permanent et cohérent de la législation existante de l'UE" [25]. En d'autres termes, l'amélioration du processus législatif européen passe par plus d'efficacité, de transparence et d'ouverture, ainsi que par un suivi et une révision des législations (REFIT). Comment se matérialise ce nouveau programme?
a. Renforcer l'ouverture et la transparence du processus décisionnel européen
Un premier pan du triptyque concerne le renforcement de l'ouverture et de la transparence d'un processus décisionnel européen souvent considéré comme opaque. A cette fin, la Commission livre dans sa communication des mesures qui permettraient de renforcer le caractère démocratique ou, tout du moins, citoyen de ce processus complexe.
Parmi ces mesures, la multiplication des consultations publiques tout au long du processus décisionnel constitue une avancée majeure. Désormais, une consultation publique de 12 semaines interviendra pour toute nouvelle proposition, évaluation ou bilan portant sur la qualité de la législation existante. Cette approche existe déjà mais elle est renforcée. La Commission souligne que "Mieux légiférer" ouvre la porte à une plus grande consultation publique. Un nombre record de 500 000 personnes a formulé des observations dans le cadre de la révision des directives "Oiseaux" et "Habitats" [26]. En complément, et il s'agit d'une nouveauté, une consultation publique de 8 semaines sera mise en œuvre lorsqu'une proposition aura été adoptée par la Commission ; les contributions recueillies au cours de cette consultation seront transmises au Parlement et au Conseil qui pourront, dès lors, les intégrer dans leurs travaux. Enfin, une consultation publique de 4 semaines sera organisée pour les actes délégués et les actes d'exécution. Il s'agit d'une avancée significative puisque ces actes faisaient auparavant l'objet d'une opacité totale. Le Parlement a plusieurs fois émis des interrogations sur ces procédures. Davantage de transparence permettra tant aux autres institutions qu'à la société civile d'y prendre une part active. En outre, la Commission s'engage à rendre publique une liste indicative des actes en préparation.
Par ailleurs, toujours sous l'angle de la transparence, la Commission crée une interface web où chacun aura la possibilité de suivre l'évolution des initiatives. En parallèle, une plateforme intitulée "Aidez-nous à réduire les formalités - Donnez votre avis" doit permettre à chaque citoyen de livrer son opinion sur les législations existantes ou en cours d'élaboration. La Commission est même très franche lorsqu'elle écrit "nous souhaitons savoir ce qui irrite le citoyen". [27] Toutefois, la méthode pour s'assurer une large diffusion et un retour important de la part des citoyens n'est pas dévoilée. Il est probable que les réponses apportées à ce type de consultation le soient par des structures organisées à cette fin ou par des mouvements de citoyens concernés par la thématique. De plus, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, le risque pour l'institution d'être dépassée est réel. La Commission fait déjà face à un problème de ressources pour répondre aux questions orales ou écrites des députés européens sans compter les coûts liés à la traduction. Par ailleurs, une réponse ou un commentaire au public pourrait avoir valeur de prise de position de l'administration. Enfin, il convient d'être attentif à ne pas dévaloriser ce type d'ambition par des procédures trop contraignantes. La faible utilisation des initiatives citoyennes le démontre.
De plus, les consultations publiques, en parallèle des consultations d'experts, laissent présupposer une juxtaposition ("overlap") des réponses. Lesquelles primeront ? Le rallongement des procédures pourrait être une conséquence du programme "mieux légiférer". Enfin, la Commission annonce que des "feuilles de route" et des "analyses d'impact initiales" seront diffusées via un système d'alerte automatique afin que les "parties intéressées" puissent fournir de l'expertise dès le lancement du processus décisionnel. Il s'agit des représentants d'intérêts dont l'expertise est souhaitée par l'institution à chaque étape du programme: il ne s'agit pas de réglementer de façon autarcique mais de s'assurer que l'ensemble des éléments nécessaires à l'analyse soient pris en compte.
b. Améliorer la qualité de la nouvelle législation
Deuxième composante du triptyque, l'amélioration de la nouvelle législation passerait par le recours à une expertise probante. Celle-ci s'incarne dans la multiplication des analyses d'impact. La Commission souhaiterait voir leur utilisation étendue au Parlement et au Conseil pourtant peu enclins à y recourir, notamment par manque de moyens pour le premier et par préférence pour l'expertise nationale pour le second [28].
La Commission appelle à cet égard les trois institutions communautaires à s'entendre sur un nouvel accord interinstitutionnel qui devrait, entre autres, offrir la possibilité aux institutions d'avoir recours à un groupe d'experts indépendants en charge d'analyser les impacts d'une "modification substantielle apportée à la proposition de la Commission" ; de prioriser les initiatives dont le contenu véhicule une simplification et une amélioration de la législation existante, d'inviter le Parlement et le Conseil à analyser l'impact de toutes modifications lorsque l'accord obtenu entre eux "diffère sensiblement de la proposition initiale de la Commission" ; d'engager les institutions communautaires à délivrer une législation qui soit intelligible et qui puisse être mise en œuvre aisément; d'engager les institutions à évaluer la législation existante ; de prévenir toute "surrèglementation" ("gold-platin") lorsque celle-ci serait injustifiée de la part des Etats membres et d'exiger de ces derniers une justification en cas de "gold-platin" ; de définir de manière commune les actes délégués. Sur ce dernier point, l'enjeu de démocratie et de transparence face à un dysfonctionnement majeur est réel. En effet, le système est très opaque notamment dans les critères qui déterminent la nature des actes délégués et leur processus.
Autre mesure significative venant s'ajouter à cette proposition de nouvel accord institutionnel, la Commission a annoncé le remplacement du comité d'analyse d'impact, en place depuis 2006, par un nouveau "comité d'examen de la réglementation" qui se verra confier l'évaluation de la qualité des analyses d'impact, la vérification des grandes évaluations ainsi que des principaux "bilans de qualité" relatifs à la législation européenne existante. A cette fin, le nouveau comité sera constitué d'un président et de 6 membres qui s'impliqueront à temps plein et n'auront en charge aucune autre politique européenne. Innovation majeure, 3 membres seront recrutés hors institutions communautaires pour une durée déterminée et non renouvelable, ce qui tendrait à illustrer la volonté de la Commission d'ouvrir la "cuisine interne" pour reprendre la métaphore de Frans Timmermans [29]. En théorie, cela permettrait de réduire la perception que les services de la Commission chargés d'un projet sont également responsables de leur étude d'impact. [30]
c. Mettre en œuvre un réexamen de la législation existante
En ce qui concerne cette troisième dimension, des dispositions sont déjà contenues dans les mesures citées précédemment, notamment au sein du nouvel accord interinstitutionnel.
Outre ce dernier, la Commission vise des réglementations qui n'alourdissent pas les charges administratives, notamment pour les PME. Cet objectif passe principalement par la réforme du programme pour une réglementation affutée et performante (REFIT) qui a pour objet de supprimer les lourdeurs inutiles et d'adapter la législation existante. Aussi, la mise en place d'une nouvelle "plateforme REFIT " dont le but sera d'associer les parties intéressées à l'évaluation de la législation européenne ouvre de nouvelles perspectives. En effet, la nouvelle plateforme qui devrait être constituée avant la fin de l'année 2015, présidée par le 1er vice-président de la Commission ; Frans Timmermans, sera composée d'experts du monde de l'entreprise, de la société civile et des partenaires sociaux qui évolueront aux côtés de ceux des 28 Etats membres, du Comité économique et social et du Comité des régions. Pour l'année 2016, le programme de travail de la Commission indique 40 actions de réexamen de la qualité de la législation en vigueur via le processus REFIT. [31]
III/ Les défis : d'une ouverture et transparence relatives à une dépolitisation potentielle
Le programme "Better regulation" propose des mesures qu'il est en apparence difficile de blâmer. Il est légitime de soutenir l'ajout de processus de consultation publique, la simplification des organes d'évaluation des politiques ou encore la prise en compte de la faisabilité d'une action publique dans sa conception, s'il est prouvé qu'in fine ces mesures permettront d'améliorer l'efficacité des politiques européennes. Pour autant, l'ambivalence tient au fait que ce programme peut apparaitre comme poursuivant, au-delà des objectifs affichés, des considérations propres à la Commission et liées notamment à la quête de légitimité de cette dernière ainsi qu'à la protection de ses intérêts au sein du jeu d'influence institutionnel.
Ce jeu d'influence entre la Commission et le Parlement transparaît notamment dans la réduction à 23 initiatives législatives du programme de travail. Ce faible nombre de propositions diminue mécaniquement l'activité des députés européens. Le programme "Better regulation" apparaît comme un complément à cet agenda resserré dans la mesure où la multiplication des études d'impact et des consultations publiques pourrait rallonger le processus décisionnel. L'approche de la Commission laisse entendre que c'est une opportunité pour le Parlement d'utiliser ses nouveaux leviers afin d'affiner son expertise. Provocatrice, la Commission rappelle "que les hommes politiques ont une tendance naturelle à se concentrer sur les nouvelles initiatives" [32] et recommande de se concentrer sur l'amélioration de l'existant.
C'est ici qu'émerge un des premiers risques de "Better regulation", à savoir celui d'une dépolitisation potentielle du processus décisionnel européen conséquence de l'imposition par la Commission sur les deux autres institutions de la logique de l'expert sur les considérations politiques. La Commission sait que l'obligation de recourir à des études d'impact, notamment dans une configuration où le Conseil et le Parlement parviendraient à un accord qui "diffère sensiblement de la proposition initiale de la Commission", réduirait considérablement les marges de négociation du Conseil et encore plus celles du Parlement puisqu'ils ne disposent pas des moyens matériels et humains suffisants pour conduire ce type d'analyse. De plus, le Conseil et le Parlement fonctionnent selon une logique politique plus marquée que la Commission et ne répondent donc pas aux mêmes impératifs. Ainsi, l'expertise et la faisabilité se verront parfois supplantés par des considérations politiques. Au-delà de tout jugement de valeur sur l'opportunité de celui-ci, le vote sur les minerais de conflits le 20 mai 2015 atteste de la prééminence que peut avoir la dimension politique sur les considérations techniques [33]. Ainsi, si "Better Regulation" est accepté dans son état actuel, un risque de dépolitisation existe.
Les négociations qui ont débuté entre les trois institutions sur un "accord interinstitutionnel" seront, sur ce point, instructives. Les Commissions Barroso I et II n'ont pas réussi à imposer cette logique de l'expert aux deux autres institutions. Néanmoins, la capacité de la Commission Juncker à convaincre ne doit pas être sous-estimée, tant la nouvelle Commission répond à une logique politique qui n'existait pas à cette échelle lors deux dernières mandatures. La Commission le souligne explicitement dans sa Communication de mai 2015 lorsqu'elle affirme "qu'améliorer la réglementation n'est pas un exercice administratif" [34].
En parallèle, le Parlement n'est pas le seul à avoir émis des doutes sur cette nouvelle philosophie qui vise à légiférer moins pour mieux légiférer. Ainsi, en réponse à la présentation par la Commission de son programme, des organisations de la société civile ont créé une plateforme de surveillance nommée "Better regulation Watchdog" visant à s'assurer que l'agenda ne serait pas mis au service d'un affaiblissement ou d'une négation des législations européennes en matière de droit des travailleurs, des consommateurs et des citoyens ainsi qu'en matière d'environnement [35]. La Commission a affirmé qu'"améliorer la réglementation ne consiste pas à légiférer "plus" ou "moins". Il ne s'agit pas non plus de déréglementer certains domaines d'action ou de leur accorder une priorité moindre, ni de compromettre les valeurs qui nous sont chères : la protection sociale, la défense de l'environnement et les droits fondamentaux, y compris la santé." [36]
En outre, se pose la question de savoir à qui s'adressent réellement les processus de consultation ajoutés au processus décisionnel. Pour l'observateur averti, ils sont clairement dirigés vers les "parties prenantes" classiques (ONG, entreprises, fédérations professionnelles, association de consommateurs, syndicats) des politiques concernées dont les jeux d'influence se verront disséminer sur un plus grand nombre de niveaux, du fait de la multiplication des consultations et des plateformes d'évaluation. En effet, la réalité montre que ces plateformes de consultation sont dirigées vers les représentants d'intérêts organisés (industries, entreprises, ONG ou associations de consommateurs) qui apportent leurs expertises, informations et recul sur le sujet. Ainsi, la transparence et l'ouverture du processus décisionnel européen se retrouvent de facto mises au service de l'expertise.
Enfin, la détermination de la méthodologie qui devra être utilisée lors des études d'impact peut laisser augurer quelques incertitudes. La Commission assure que les conséquences économiques, sociales et environnementales de toute nouvelle proposition seront prises en compte alors qu'un des grands jeux des lobbyistes bruxellois est de remettre en cause la méthodologie de chaque étude qui ne conclut pas dans leur sens. En quoi le nouveau programme améliorera la méthodologie employée ?
Conclusion
Malgré ses aspects technocratiques, "Better regulation" apporte une réponse à la critique liée à l'opacité "bruxelloise". Dans les faits, la Commission applique une large palette de ses "nouvelles" propositions. Ce programme serait presque davantage orienté vers les deux autres institutions que vers la Commission qui l'applique déjà en pratique. Le paradoxe de solliciter moins de bureaucratie tout en rajoutant des strates permet d'associer la volonté de mieux légiférer et d'éviter la "surrèglementation". Pourtant, il convient de rappeler que, plus que les procédures, ce sont les hommes et les femmes qui l'incarnent qui rendront cette Commission "plus politique et proche de ses citoyens". [37]
[1] : COM (2015) 215 final
[2] : Jean-Claude Juncker, "A New Start for Europe: My Agenda for Jobs, Growth, Fairness and Democratic Change Political Guidelines for the next European Commission" Strasbourg 15 juillet 2014
[3] : Réunion de lancement le 25 juin 2015. Communiqué du Parlement européen "Guy Verhofstadt, Président du groupe ALDE représentera le Parlement européen".
[4] : Parmi le peu d'articles sur le sujet, lire "Too good to be true? A quick assessment of the European Commission's new Better Regulation Package", Andrea Renda, CEPS, http://www.ceps.eu/publications/too-good-be-true-quick-assessment-ec%E2%80%99s-new-better-regulation-package ou encore "le 'mieux légiférer' européen, no man's land entre démocratie et technocratie", Jean-Sébastien Lefebvre, Contexte, https://www.contexte.com/article/mieux-legiferer/le-mieux-legiferer-un-no-mans-land-entre-democratie-et-technocratie_28651.html
[5] : Article 17 TUE (version consolidée), Eurlex : 1. la Commission promeut l'intérêt général de l'Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. Elle veille à l'application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l'application du droit de l'Union sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne. Elle exécute le budget et gère les programmes. Elle exerce des fonctions de coordination, d'exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par les traités. À l'exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités, elle assure la représentation extérieure de l'Union. Elle prend les initiatives de la programmation annuelle et pluriannuelle de l'Union pour parvenir à des accords interinstitutionnels. 2. Un acte législatif de l'Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement. Les autres actes sont adoptés sur proposition de la Commission lorsque les traités le prévoient
[6] : Schmidt, Vivien A. (2013), Democracy and legitimacy in the European Union Revisited : Input, Output and 'Throughput', Political studies association, 61, pp. 2-22
[7] : COM(2001) 428 final
[8] : COM (2002) 278 final/2
[9] : COM (2002)0276
[10] : COM(2002) 704 final
[11] : COM (2002) 275 final/2
[12] : 2003/C 321/01
[13] : COM (2005) 97 final
[14] : Décision 14901/05
[15] : COM (2010)0543
[16] : COM(2012) 746 final
[17] : COM (2005) 97 final
[18] : Le courrier peut être téléchargé à l'adresse suivante: http://www.rijksoverheid.nl/bestanden/documenten-en-publicaties/kamerstukken/2013/06/21/kamerbrief-inzake-uitkomsten-subsidiariteitsexercitie/kamerbrief-inzake-uitkomsten-subsidiariteitsexercitie.pdf
[19] : Note explicative des autorités néerlandaises, en anglais: http://www.government.nl/files/documents-and-publications/notes/2013/06/21/nl-subsidiarity-review-explanatory-note/explanatory-note.pdf L'inventaire, en anglais: http://www.government.nl/files/documents-and-publications/notes/2013/06/21/testing-european-legislation-for-subsidiarity-and-proportionality-dutch-list-of-points-for-action/eindrapportage-definitief.pdf
[20] : Commission européenne, Communiqué de presse : "Un nouvel élan : la Commission européenne dévoile son programme de travail en faveur de la croissance, de l'emploi et de l'investissement" : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-2703_fr.htm
[21] : Commission européenne, Q&A "Le programme de travail 2015" : http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-14-2704_fr.htm
[22] : COM(2015) 610 final
[23] : Discours de Jean-Claude Juncker, "Un nouvel élan pour l'Europe" : http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-14-567_fr.htm
[24] : COM (2015) 215 final, p.4.
[25] : Communiqué officiel de la Commission européenne: Programme pour une meilleure réglementation: renforcer la transparence et l'examen des initiatives de l'UE pour mieux légiférer, Strasbourg, 19 mai 2015, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-4988_fr.htm
[26] : Données citées dans "Etat d'avancement des 10 priorités de la Commission européenne", octobre 2015 p.12
[27] : Com (2015) 215 final, p6
[28] : Selon la Commission, sur la période allant de 2007 à 2014, la Commission a effectué plus de 700 analyses d'impact, tandis que le Parlement européen y a eu recours une vingtaine de fois et le Conseil aucunement.
[29] : Conférence de presse du 20 mai 2015, Strasbourg
[30] : Sur une extrapolation de la réflexion de Mme laure de la Raudiere et M Régis Juanico, du rapport de l'Assemblée Nationale du 9 octobre 2014, n°2268, "rapport d'information sur la simplification législative", p.53
[31] : La liste détaillée : annexe COM(2015) 610 final : http://ec.europa.eu/atwork/pdf/cwp_2016_annex_ii_en.pdf
[32] : COM (2015) 215 final, p 11
[33] : Le 20 mai 2015, le Parlement européen après avoir renversé la proposition de la Commission européenne ainsi que celle de la commission du commerce international du Parlement européen, a adopté un projet législatif exigeant une certification obligatoire des entreprises européennes important de l'étain, du tantale, du tungstène et de l'or afin de s'assurer que ces minerais ne proviennent pas de zones de conflit. La Commission et la proposition de la commission du commerce international défendaient une certification volontaire, mettant en avant la non faisabilité d'une certification obligatoire ainsi que son coût pour les entreprises.
[34] : COM (2015) 215 final, p.4.
[35] : http://www.beuc.eu/publications/beuc-x-2015047_upa_better_regulation_watchdog_founding_statement_and_members.pdf
[36] : COM (2015) 215 final, p.4.
[37] : Version longue de nos tribunes intitulées "expertise over politics", in Euractiv.eu, 4 aout 2015, et "Better Regulation : panacée démocratique pour l'Union européenne ?", in Les Echos, 19 aout 2015
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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Elise Bernard
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16 décembre 2024
Afrique et Moyen Orient
Joël Dine
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9 décembre 2024
États membres
Elise Bernard
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2 décembre 2024
Asie et Indopacifique
Pierre Andrieu
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25 novembre 2024
La Lettre
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