Climat et énergie
Michel Derdevet
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A quelques semaines de la Conférence climatique de Paris (COP 21), l'Europe de l'énergie laisse entrevoir les plus grands espoirs pour une Union pionnière dans la transition "bas carbone", mais aussi les plus grandes craintes avec la persistance de signaux d'alerte (dépendance extérieure croissante aux importations d'énergies fossiles, approche économique désordonnée dans le soutien aux énergies renouvelables, etc.), voire de crise avec les menaces sur l'approvisionnement électrique hivernal, notamment en Belgique et en France.
Cette situation paradoxale procède d'une réalité ancienne, amplifiée depuis Fukushima et exacerbée par la crise économique et financière. L'Union européenne a élaboré un corpus très dense d'objectifs communs (libéralisations progressives des marchés électriques et gaziers, paquets énergie-climat 2020 et 2030, etc.), tout en laissant aux Etats membres la capacité de décision en matière de choix énergétiques fondamentaux dans les moyens de production.
Certes, l'article 194 du Traité de Lisbonne introduit une base juridique nouvelle, spécifique au domaine de l'énergie, qui permet notamment de détailler et de clarifier l'action de l'Union européenne et l'habilite à prendre des mesures pour assurer le bon fonctionnement du marché de l'énergie, la sécurité de l'approvisionnement énergétique et pour promouvoir l'efficacité énergétique ainsi que l'interconnexion des réseaux énergétiques.
Pour autant, derrière les textes, force est de constater que les Etats membres ne convergent pas in concreto vers le nécessaire "pilotage" européen de la transition énergétique ; au final, ce qui domine, c'est une désoptimisation industrielle globale, qui affaiblit les leaders énergétiques continentaux, induit des "bulles" dans le développement de certaines filières d'énergies renouvelables, à l'instar de la bulle photovoltaïque de la fin des années 2000, et aboutit à des signaux de prix dissonants pour les investisseurs.
Les citoyens européens découvrent, somme toute assez logiquement, que la transition énergétique ne pourra résulter de 28 politiques peu coordonnées entre elles, et appellent de leurs vœux plus d'échanges, de partage et de rationalisation. Ainsi, le dernier Eurobaromètre [1], sondage européen d'opinion, confirme l'opportunité d'avoir fait figurer l'énergie parmi les premières priorités de la nouvelle Commission présidée par Jean-Claude Juncker. 72% des Européens sont favorables à une politique énergétique commune. Dans l'ensemble des 28 Etats membres, plus de la moitié des personnes interrogées soutiennent une politique énergétique commune. De quoi encourager dans leur tâche les deux Commissaires européens en charge du dossier, Maroš Sefčovič, Vice-président chargé de l'Union de l'énergie et Miguel Arias Cañete. Commissaire à l'Action pour le climat et l'énergie,
Le double défi, économique et écologique, qu'affronte l'Europe doit être pensé conjointement. Dans cette perspective, la coordination des politiques nationales de transition énergétique peut s'appréhender comme un objectif de politique industrielle et de compétitivité, pour refonder les bases d'un leadership européen. C'est bien le sens du plan d'investissement de 315 milliards € pour l'Europe, adopté en juin dernier et qui entre actuellement dans sa phase opérationnelle. La Task force de la Commission européenne et de la Banque Européenne d'Investissement (BEI) mise en place à cet effet avait recensé 2 000 projets éligibles, dont 29% étaient consacrés à l'énergie [2], ce qui constitue une part substantielle. C'est également le sens du grand chantier de l'Union de l'énergie, présenté le 25 février dernier par la Commission européenne. Comme l'a martelé Jean-Claude Juncker lors de sa présentation : "le secteur énergétique est resté trop longtemps à l'écart des libertés fondamentales de l'Union (...). Il est temps que l'Europe agisse à l'unisson en poursuivant des visées à long terme. Je veux que l'énergie sur laquelle repose notre économie soit résiliente, fiable, sûre et de plus en plus renouvelable et durable".
Au-delà de ces engagements, qui vont dans le bon sens, il est nécessaire de rappeler que les enjeux pour une véritable politique européenne de l'énergie se déclinent toujours autour du "triptyque", des trois priorités suivantes : une énergie durable, une énergie fiable (à la fois au plan externe et interne) et une énergie abordable pour tous les européens, entreprises et citoyens.
Les enjeux climatiques
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a publié le 2 novembre 2014 la synthèse de son 5ème rapport, qui constitue le socle scientifique des négociations internationales sur le climat, qui se sont achevées à Lima. Elles devraient aboutir à Paris, lors de la 21ème Conférence sur le climat en décembre 2015, à la signature d'un accord mondial engageant pour la première fois tous les grands pays émetteurs (y compris le Brésil, l'Inde, la Chine, les Etats-Unis, le Canada).
Ce rapport est clair : pour avoir une bonne probabilité de rester sous les 2°C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle, les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent impérativement être réduites de 40% à 70% d'ici 2050 par rapport à leur niveau de 2010.
L'Europe doit continuer à se positionner en leader sur ce sujet, car elle aura été au début du XXIème siècle le continent en première ligne de la lutte contre le réchauffement climatique. Son objectif de réduction des émissions de CO2, fixé à 20% dans le cadre des fameux objectifs dits des 3x20, sera vraisemblablement dépassé avec -25% dans cinq ans [3].
La Commission européenne a affiché ainsi tout son volontarisme en présentant le 25 février dernier "Le Protocole de Paris - un document pour s'attaquer au changement climatique mondial au-delà de 2020" qui constitue un élément du cadre stratégique pour l'Union de l'énergie et énumère ses propositions pour garantir le succès de la COP21. Jean-Claude Juncker l'a d'ailleurs rappelé avec vigueur et gravité lors de son discours sur "l'état de l'Union" devant le Parlement européen à Strasbourg, le 9 septembre dernier: "Nous devons être très ambitieux, à la veille de la Conférence de Paris. Nous déployons des efforts très importants pour régler la question qui pourrait être à l'origine de nouvelles vagues de réfugiés. Demain, il ne faudrait pas être surpris de voir arriver les premiers réfugiés climatiques", a-t-il prévenu. "L'UE ne signera pas n'importe quel accord ; ma priorité, la priorité de l'Europe, c'est d'adopter un accord mondial sur le climat qui soit ambitieux, solide et contraignant" ; la "Commission fera tout pour que l'Europe reste à la pointe de la lutte contre les changements climatiques. Nous mettrons en pratique ce que nous prêchons".
L'ambition de la Commission européenne est en effet d'aboutir à un accord qui inclue un objectif mondial à long terme de réduction de 60% des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050 (par rapport à 2010) et qui permette de mettre le monde sur la voie de l'objectif [4] de "2°C". Cet accord se veut juridiquement contraignant, transparent, avec un processus de vérification des engagements et une révision quinquennale. L'Union européenne est le premier bloc de pays à avoir soumis une offre. Le Cadre européen pour l'énergie et le climat à l'horizon 2030, validé par le Conseil européen du 24 octobre 2014, prévoit en effet un objectif contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport à leur niveau de 1990 : "l'objectif sera atteint collectivement par l'UE (...). Tous les Etats membres participeront à cet effort, en conciliant équité et solidarité". Il prévoit également un objectif indicatif d'efficacité énergétique de 27 % en 2030 (avec un réexamen prévu d'ici 2020 pour porter cet objectif à 30 %), ainsi qu'un objectif de 27 % d'énergies renouvelables en 2030.
Pour autant, les Etats membres, y compris les plus émetteurs de CO2, conservent le choix de leur mix énergétique. Il y a donc un risque que l'effort ne soit pas partagé équitablement, ce qui aggraverait l'incohérence de la politique énergétique européenne, qui se veut exemplaire dans sa lutte contre le réchauffement climatique.
Pour que l'effort climatique soit commun, il faut très vite (r)établir un leadership européen sur le sujet. C'est tout le sens du récent appel du Parlement européen [5] qui plaide pour que la Commission européenne fasse preuve d'un leadership fort en 2016 et fasse "pleinement usage de son droit d'initiative afin de donner une direction claire à l'Union" sur le changement climatique, l'indépendance énergétique, l'efficacité des ressources. Il faut accepter une gouvernance commune. Il faut une autorité européenne de régulation du CO2, indépendante, comme c'est le cas pour l'euro.
Plus généralement, l'Europe doit, au même titre que les grands émetteurs, la Chine et les Etats-Unis en tête [6], envisager des instruments économiques puissants, si elle veut contribuer à infléchir le rythme des émissions de CO2. Dans cet esprit, Christian de Perthuis, Professeur d'économie à Paris-Dauphine [7], propose opportunément deux systèmes de tarification du carbone dont l'Europe pourrait s'inspirer, et qui pourraient donner un véhicule acceptable aux 100 milliards $ de transferts nord-sud qui seront mis en débat lors de la COP 21. Le premier, réservé aux Etats, existe ; il faudrait le réanimer et le réactiver ; c'est le système de bonus-malus sur les émissions de gaz à effet de serre des pays, qui permet une redistribution entre les gouvernements et incite les pays à entrer dans la mesure et le contrôle des engagements climatiques (MRV). Le second système est destiné à l'économie. Il pourrait se traduire par la mise en place d'une plateforme commune aux plus gros contributeurs de gaz à effet de serre et concernerait, dans un premier temps, le secteur électrique et l'industrie.
Quel est le bon signal prix du carbone ? A partir de 40€ la tonne de CO2, des changements significatifs sont opérés dans les choix d'investissement. Autour de 60-65€ la tonne, le captage et le stockage de carbone (CCS) commence à être rentabilisé et des effets massifs de substitution ont lieu dans l'industrie, du charbon vers la biomasse, les énergies renouvelables.
La sécurité énergétique extérieure
La crise géopolitique russo-ukrainienne a mis en évidence en 2014, une fois de plus, la grande dépendance de l'Union sur le plan énergétique. 53% de sa consommation énergétique est importée, pour un coût d'1 milliard € par jour. Cela concerne 88% du pétrole consommé, 66% du gaz naturel consommé et 42% des fossiles solides comme le charbon. A noter que le gaz consommé en Europe provient à 30% - en moyenne - de la Russie, dont la moitié transite par l'Ukraine.
Les relations avec la Russie ont donc indéniablement un impact sur cet approvisionnement. La crise entre la Russie et l'Ukraine a mis fin aux livraisons de gaz dans ce pays par Gazprom depuis juin 2014. La situation diplomatique entre l'Union européenne et la Russie pèse donc indubitablement sur l'approvisionnement en gaz, qui pourrait être menacé cet hiver pour certains Etats membres pour qui la Russie est l'unique ou le principal fournisseur.
Ainsi, l'approvisionnement énergétique d'un pays comme la Pologne - qui importe 77% du gaz qu'il consomme - dépend fortement du développement des interconnexions gazières à l'ouest et au sud. Pour éviter des baisses intempestives de livraison de gaz venant de l'est, telles que celles intervenues entre le 8 et le 10 septembre 2014, et la volatilité des prix induites, la construction du terminal GNL de Swinoujscie et l'accélération des travaux d'interconnexion avec l'Allemagne, la République tchèque, la Lituanie, le Danemark et la Slovaquie sont prioritaires. La réversibilité des flux, et la capacité de s'approvisionner en gaz auprès d'autres pays européens, notamment l'Allemagne, participe pour la Pologne d'une plus grande indépendance énergétique et économique.
Divers documents européens d'importance telle que la Stratégie Europe 2020, les conclusions de maints Conseils européens traduisent la prise de conscience de la nécessité de renforcer la dimension extérieure du marché de l'énergie de l'Union et de diversifier les sources d'approvisionnement pour s'affranchir de cette dépendance. Jean-Claude Juncker l'avait rappelé lui-même en présentant les priorités de son programme : "Je veux garder notre marché européen de l'énergie ouvert à nos voisins. Toutefois, si le prix de l'énergie importée de l'Est devient trop cher, politiquement ou économiquement, l'Europe doit être capable d'avoir accès très rapidement à d'autres sources d'approvisionnement". C'est pourquoi, sans surprise, dans le grand chantier de l'Union de l'énergie, la sécurité d'approvisionnement figure parmi les cinq principales dimensions, couplée avec la solidarité et la confiance. L'Union de l'énergie vise en effet à assurer une diversification et une solidarité accrues entre Etats membres, incluant la prise en charge de pays voisins totalement dépendants d'un fournisseur unique dans des cas de rupture d'approvisionnement, ainsi qu'une transparence accrue des accords intergouvernementaux entre les Etats membres et les pays fournisseurs tiers en matière d'approvisionnement énergétique.
Ces ambitions vont dans le bon sens tant, depuis la 1ère crise pétrolière en 1973, ces deux objectifs peinent à se concrétiser.
L'Europe doit maîtriser son destin énergétique et agir pour développer une véritable diplomatie de l'énergie. Des partenariats devraient être engagés en ce sens avec les pays producteurs. Il convient de réfléchir à la meilleure façon de mutualiser les accords bilatéraux de fourniture d'énergie de façon à ce que l'Union puisse jouer un rôle sur ces derniers afin d'y apporter une cohérence par rapport à la règlementation européenne, de parler d'une seule voix lors des négociations avec les pays tiers et de peser davantage sur les fournisseurs.
Par ailleurs, il y a urgence de développer des moyens de production et d'interconnexions et de réaliser le marché intérieur de l'énergie.
Une montagne d'investissements, notamment dans les réseaux, à transformer en projet industriel commun
Le Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014 a mis l'accent sur "l'importance fondamentale que revêt un marché intérieur de l'énergie pleinement opérationnel et connecté". Il a jugé prioritaire d'assurer de bonnes interconnexions des réseaux européens de gaz et d'électricité et d'assurer la synchronisation des activités en matière d'énergie. Pour cela, l'accord prévoit notamment un "objectif minimum de 10 % d'interconnexion électrique, ce de toute urgence, et au plus tard en 2020 au moins pour les Etats membres qui n'ont pas encore atteint un niveau minimum d'intégration". Cet objectif de 10% minimum d'interconnexion électrique d'ici à 2020, soit en-deçà des 15% réclamés par l'Espagne et le Portugal, isolés par leur situation péninsulaire et qui ne trouvent pas de débouchés à leur surproduction d'énergies renouvelables, sera porté à 15 % d'interconnexions à l'horizon 2030 et doit être atteint grâce à la réalisation des projets d'intérêt commun. L'Union de l'énergie réaffirme cet objectif de 10% d'interconnexions et s'attache précisément à déployer une stratégie pour intégrer complètement le marché intérieur de l'électricité [8].
Les besoins d'investissements dans les réseaux seront très élevés. La Commission européenne envisage 400 milliards € devront être investis dans les réseaux de distribution d'ici à 2020. De son côté, l'association européenne des gestionnaires de réseaux de transport européens (ENTSO-E) estime dans son plan de développement des réseaux à dix ans [9] le besoin d'investissement à 150 milliards € d'ici à 2030, correspondant à 50 000 km de lignes à construire ou à renforcer, auquel il faut ajouter le développement des projets d'envergure paneuropéenne. Des milliers de situations de marché tenant compte de toutes les incertitudes qui peuvent affecter le système électrique ont été simulées. A la fois des situations fréquentes et des situations rares ont été calculées dans ce plan, afin de tester la robustesse des réseaux et de définir, si nécessaire, des mesures correctives. Ces situations sont typiquement les charges de pointe en hiver ou en été, avec une production d'énergie solaire et/ou éolienne extrême (très faible ou très élevée). Ces études approfondies ont été réalisées pour les quatre "visions" contrastées jusqu'à 2030 évoquées dans le schéma ci-dessous :
La carte ci-dessous résume la situation contrastée à cet égard : les frontières où le portefeuille de projets est suffisant pour couvrir la capacité cible dans toutes les "visions" sont indiquées en vert ; celles où il n'est suffisant dans aucune des "visions" sont indiquées en rouge, les autres en orange [10].
Les investissements s'avèrent cruciaux dans certaines infrastructures transfrontalières stratégiques. Pour le gaz, il s'agit des Etats baltes, de l'Europe centrale et du sud-est. Pour l'électricité, il s'agit de la péninsule ibérique, de l'Irlande, du Royaume-Uni et de la plaque orientale. Au vu du nombre d'infrastructures à déployer et des retards pris en la matière, la sécurité d'approvisionnement nécessitera aussi des investissements massifs dans les réseaux intelligents. Ces investissements concernent plus particulièrement les réseaux de distribution d'électricité, qui vont désormais jouer un rôle central dans la sécurité d'approvisionnement et la mise en œuvre de la transition énergétique. Les investissements dans la distribution doivent couvrir le renouvellement des actifs, leur renforcement pour accueillir les énergies renouvelables [11] et les nouveaux usages tels que le véhicule électrique, le raccordement des nouveaux producteurs et consommateurs ainsi que l'amélioration de la qualité d'alimentation.
L'investissement constitue un énorme chantier, alors que les infrastructures peinent à se construire dans les temps. Trois blocages retardent en effet considérablement leur développement: la longueur des procédures administratives, l'acceptation "mitigée" par le public, souvent réfugié dans une approche Banana [12] ou Nimby [13], et l'instabilité du cadre réglementaire et régulatoire.
Une énergie abordable et compétitive
L'Europe est paradoxale : les prix de gros de l'énergie baissent mais les prix de détail, pour les consommateurs domestiques, augmentent. En fait, les prix se décomposent en 3 parties : la part de la fourniture, la part de l'acheminement par les réseaux et enfin les taxes et politiques de soutien, notamment aux énergies renouvelables [14].
La moyenne sur l'Union européenne est estimée en 2015 à 75€/MWh pour la part fourniture, 55€/MWh pour la part réseaux et 80€/MWh pour les taxes et subventions. Depuis plusieurs années, la hausse des tarifs aux usagers est principalement le fait de la hausse de la part des taxes, essentiellement en raison des subventions aux énergies renouvelables .
Depuis 2008, la hausse de la facture énergétique s'est élevée par exemple en France à 36% pour les industriels [15] et près de 23% pour les consommateurs résidentiels. Un phénomène encore plus accentué au Royaume-Uni, qui a amené le Labour à prôner un gel des prix.
A l'inverse, les subventions aux énergies renouvelables ont fait mécaniquement baisser les prix des marchés de gros ces dernières années, ce qui affecte la rentabilité des grandes entreprises européennes de l'énergie, leur capacité d'investissements, mais aussi la rentabilité de nombreuses centrales thermiques pourtant nécessaires à la sécurité d'approvisionnement.
Un rappel toutefois sur les bénéfices économiques du couplage des marchés, mesurables et "opposables" à tous ceux pour qui l'Europe de l'énergie est un vain mot : depuis 2014, 17 pays européens font partie d'un marché unifié de l'électricité, allant de l'Algarve au Cap Nord, via un couplage des régions - unique en Europe - réalisé à l'initiative de 7 bourses européennes de l'énergie (APX, Belpex, EPEX SPOT, GME, Nord Pool Spot, OMIE et OTE). Les bourses européennes de l'électricité peuvent acheter et vendre de l'électricité du jour pour le lendemain, dans tous les pays européens couplés, dans la limite de leurs capacités d'interconnexion électriques.
Le 4 février 2014, le marché français de l'électricité a été couplé avec ceux des pays nordiques (Danemark, Norvège, Suède, Finlande, Estonie et Pologne) et du Royaume-Uni. Depuis le 13 mai 2014, c'est l'ensemble des marchés électriques des régions du sud-ouest européen (SOE) et du nord-ouest européen (NOE) qui sont couplés. En plus d'une interconnexion renforcée avec les marchés de l'Allemagne, de l'Autriche et du Benelux, l'Italie a rejoint cet ensemble en février 2015, qui représente ainsi 75% de la consommation d'électricité en Europe.
Grâce à ce couplage des marchés :
o Les prix entre la France et l'Allemagne ont été égaux sur 53% des heures en 2014.
o Le surcoût d'approvisionnement dû à l'insuffisance d'interconnexion à certaines frontières a été limité à 128 millions € en 2013. En 2009, cette même évaluation avoisinait 300 millions €.
o Depuis le démarrage du couplage franco-britannique en 2014, toute la capacité a été utilisée 100% du temps dans le sens de la zone de prix les plus bas vers la zone de prix les plus élevés.
Ainsi, grâce à la fluidification des échanges, les interconnexions entre réseaux européens ont concouru à l'optimisation de la production en faisant appel aux unités les plus "efficaces". Le couplage des marchés des Etats membres, grâce aux bourses d'échanges et aux interconnexions, produit des bénéfices économiques conséquents et mesurables.
S'il y a donc bien eu diminution et convergence des prix de gros de l'énergie en Europe grâce à la libéralisation des marchés, cette diminution n'est pas perceptible par les ménages, compte tenu des politiques nationales de taxation et de soutien aux ENR. Celles-ci étant sensiblement différentes d'un pays à l'autre, les disparités de prix auprès des consommateurs finaux sont importantes, alors que les prix de gros moyens différent bien souvent peu par MWh. Ainsi, le prix payé par un consommateur allemand représente près du double de celui payé par un consommateur français. Ces écarts de prix résident aussi dans la différence de tarification, fonction du coût de la fourniture (producteur), d'acheminement de l'électricité (gestionnaire du réseau) et de la taxation de l'énergie. L'absence de mécanisme de régulation européen en la matière ne permet donc pas une vraie convergence des prix finaux de l'électricité pour les ménages dans les pays européens.
Conclusion
Le Parlement européen a chiffré le coût de la "non-Europe de l'énergie" à un montant de 50 milliards € par an [16]. C'est dire le grand chantier qui est devant nous, tant dans le partage entre Etats membres concernant le chemin à suivre pour atteindre ensemble les objectifs 2030, que dans la rationalisation/optimisation que nous pourrions obtenir à travers des pratiques communes.
"Projet d'une dimension historique [17]", "le plus ambitieux dans le domaine énergétique depuis la création de la Communauté du charbon et de l'acier [18]", l'Union de l'énergie pose assurément des jalons plus que prometteurs. Cette direction est la bonne, reprenant celle que nous avions tracée avec Jacques Delors d'une "Communauté européenne de l'énergie" [19].
Nous appelons de nos vœux l'émergence de cette "Union de l'énergie" ; qu'elle puisse répondre pleinement aux attentes, fortes, des citoyens européens en la matière.
[1] : Eurobaromètre Standard 83 Printemps 2015 - L'opinion publique dans l'Union européenne - 31 juillet 2015.
[2] : Cf. son rapport du 9 décembre 2014.
[3] : Alors que, pour mémoire, les deux autres objectifs du Paquet énergie-climat ne seront que partiellement atteints avec 18% à 20% d'énergies renouvelables dans la consommation finale et 16% seulement d'amélioration en terme d'efficacité énergétique obtenue.
[4] : Comme décidé à la conférence de Lima (COP20)
[5] : Résolution non législative du Parlement européen sur le programme de travail 2016 de la Commission européenne - 16 septembre 2015.
[6] : La Chine, les Etats-Unis et l'Union européenne constituent à eux seuls 56% des émissions mondiales, et les dix premiers émetteurs représentent 83% des émissions.
[7] : "Le Capital Vert" (Odile Jacob, 2013).
[8] : Communication 25 février 2015 "Réaliser l'objectif de 10 % d'interconnexion dans le secteur de l'électricité Un réseau électrique européen prêt pour 2020".
[9] : 10 Year Network Development Plan 2014 (TYNDP 2014)
[10] : Il faudrait bien sûr ajouter à cette carte les "congestions" internes aux pays (ex : les questions de transit en électricité entre le Nord et le Sud de l'Allemagne, ou en matière gazière entre le Sud et le Nord de la France).
[11] : 95% des installations d'énergie renouvelable sont raccordées au réseau de distribution
[12] : Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anyone ("construire absolument nulle part ni près de personne").
[13] : Not in my backyard ("pas dans ma cour" ou "pas dans mon jardin").
[14] : Pour les consommateurs particuliers, depuis 2008, la part réseaux s'est accrue de 10 %, la part énergie a baissé de 4 % mais les taxes et politiques de soutien ont augmenté de 31 % (source : Eurelectric).
[15] : Source : www.cre.fr.
[16] : Source : Service de recherche du Parlement européen - mars 2014
[17] : Martin Schulz, président du Parlement européen - Sommet européen 19 mars 2015.
[18] : Maroš Sefčovič, Vice-président chargé de l'Union de l'énergie, 25 février 2015.
[19] : Cf. "L'Europe en panne d'énergie" - Descartes & co - mai 2009.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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