Le Royaume-Uni et l'Union européenne : rester ou sortir ?

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Anand Menon

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27 avril 2015
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Menon Anand

Anand Menon

Professeur au King's College de Londres

Le Royaume-Uni et l'Union européenne : rester ou sortir ?

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En effet, selon un sondage effectué par Lord Ashcroft, 33 % des personnes ayant voté pour l'UKIP considèrent d'un œil inquiet l'éventualité d'une sortie de l'Union européenne. Pour tenter de rendre intelligible ce fatras d'informations souvent contradictoires, il convient de les examiner sans perdre de vue que la politique du Royaume-Uni à l'égard de l'Union européenne est largement tributaire des politiques partisanes internes. Poussé par des députés frondeurs que la montée en puissance de l'UKIP inquiète, le Premier ministre britannique David Cameron se montre de plus en plus intransigeant à l'égard de ses partenaires européens. Pris entre le besoin de ménager les députés de son propre parti (Conservateurs) et le souci de trouver des accords acceptables par les autres États membres, il s'efforce de réconcilier l'irréconciliable. Comme, en outre, la tenue d'un referendum semble quasiment inévitable à moyen terme, la question de la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne n'est pas près d'être rayée de l'agenda politique dans un avenir proche.

Renégocier les relations

Dans son discours, très attendu, de janvier 2013, David Cameron a voulu redéfinir un cadre pour les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Il a confirmé à cette occasion son intention d'organiser un referendum pour ou contre le maintien dans l'Union européenne à la fin de l'année 2017, tout en s'engageant à négocier d'ici là le nouvel accord qui serait soumis au scrutin populaire. Plus d'un an plus tard, dans une tribune publiée par le Daily Telegraph en mars 2014, le chef du gouvernement britannique a expliqué plus clairement ses intentions en exposant les six "changements spécifiques" qu'il entendait obtenir de l'Union européenne, plus un septième concernant les interventions de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Il faut noter que des progrès significatifs ont été accomplis au sujet de ces desideratabritanniques. Le souhait d'éviter que de "vastes migrations" ne se produisent lorsque de nouveaux pays adhèrent à l'Union a, en effet, obtenu une réponse de la part du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui s'est engagé à n'accepter aucune adhésion supplémentaire durant son mandat. En novembre 2014, un arrêt de la Cour de Justice européenne a réaffirmé le droit pour les États membres de ne pas verser d'aides sociales aux immigrants de l'Union européenne économiquement inactifs qu'ils accueillent, donnant ainsi satisfaction à l'une des demandes de David Cameron. Les parlements des États membres disposent déjà du droit de bloquer certaines propositions de la Commission, et le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, s'est engagé à collaborer avec les parlements nationaux plus étroitement que ne l'ont fait ses prédécesseurs.

De même, le souhait exprimé par David Cameron de libérer l'activité économique des formalités administratives et des "interférences excessives" de Bruxelles, est satisfait par une réduction considérable de la production de textes législatifs depuis le traité de Lisbonne. Le programme REFIT (Regulatory fitness and Performance, Réglementation affûtée et performante) de la Commission a permis d'obtenir jusqu'à présent le retrait de presque 300 propositions, marquant ainsi le début d'une culture de la dérégulation au sein de cette institution. Frans Timmermans, a lui-même affirmé que l'Union européenne nécessitait un "changement culturel" dans sa façon de légiférer. Concrètement, les règlements inutiles devraient être éliminés pour apporter aux entreprises un "soulagement immédiat".

La dernière préoccupation importante exprimée par le Premier ministre britannique concerne l'engagement figurant dans le Traité à propos d'une "union sans cesse plus étroite". Certes, l'expression incriminée demeurera inchangée, mais il est utile de rappeler que le texte précise, à la suite, que l'Union européenne respecte " la diversité des cultures et des traditions, ainsi que l'identité nationale des États-membres et l'organisation de leurs pouvoirs publics aux niveaux national, régional et local". En outre, les conclusions du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 affirment que "le Royaume-Uni a exprimé des préoccupations liées à l'évolution future de l'Union européenne, auxquelles il faudra répondre. Dans ce contexte, le Conseil européen a noté que la notion d'"union sans cesse plus étroite" permet aux différents pays d'emprunter différentes voies d'intégration, en laissant aller de l'avant ceux qui souhaitent approfondir l'intégration, tout en respectant la volonté de ceux qui ne souhaitent pas poursuivre l'approfondissement. La négociation du "nouvel accord" mentionné dans le discours de Bloomberg [3] a donc progressé de manière significative en se basant sur les priorités énoncées par le Premier ministre. Toutefois, ce dernier a surenchéri en durcissant encore ses propos et ses exigences. La décision de dissimuler "l'europhilie", toute relative, naguère affichée par David Cameron est significative de cette évolution. En effet, la promesse - figurant dans le discours de Bloomberg - de faire campagne "de tout son cœur et de toute son âme" pour que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne a disparu de la version publiée sur le site officiel du gouvernement britannique. De manière encore plus éloquente, les souhaits du Premier ministre concernant l'immigration et la prévention du "tourisme social" ont été renforcés par des déclarations exigeant de limiter les migrations à l'intérieur de l'Union européenne. Depuis la publication du Telegraph où David Cameron proposait de construire l'Union européenne sur "le droit de travailler et non sur le droit de réclamer des aides sociales", la position du gouvernement s'est considérablement durcie. Le ministre des Affaires étrangères, Philip Hammond, a récemment affirmé qu'il était souhaitable de restreindre la liberté de circulation des personnes afin de limiter le nombre de ressortissants de l'Union européenne qui émigrent vers le Royaume-Uni.

L'omniprésence de la politique intérieure

Ce virage très perceptible est largement imputable au besoin de calmer le tapage eurosceptique croissant que mènent quelques députés du parti conservateur. Tandis que certains restent fidèles au maintien dans l'Union européenne, d'autres attendent d'être persuadés du fait que le Premier ministre réussira à renégocier les termes de l'appartenance à l'Union européenne, comme il s'y est engagé. D'autres encore ne font pas mystère de leur opposition à certains principes de base qui régissent le statut d'État-membre de l'Union européenne. En janvier 2014, 95 députés du parti conservateur ont signé une déclaration appelant le Parlement britannique à opposer un veto à certaines lois émanant de l'Union européenne, quitte à remettre en cause des dispositions de l'European Communities Act de 1972 [4].

Le mouvement eurosceptique au sein du parti conservateur est, à l'évidence, renforcé par le succès croissant de l'UKIP. Ce dernier a recueilli presque 27,5 % des suffrages lors des dernières élections européennes. C'est la première fois, dans l'histoire moderne du pays, qu'un scrutin national n'a été gagné ni par les Travaillistes, ni par les Conservateurs. Après cette victoire, Douglas Carswell (Conservateur) a décidé de rejoindre l'UKIP et de démissionner de son mandat de député conservateur de Clacton-on-Sea, provoquant ainsi une élection partielle qu'il a gagnée haut-la-main. Jamais aucun candidat, ni aucun parti, n'avait connu une telle augmentation de son score lors d'une élection partielle. La victoire de Mark Reckless à Rochester-and-Stood le 20 novembre 2014, a encore renforcé l'idée que d'autres, parmi ses anciens collègues conservateurs, pourraient bien être tentés de rejoindre les rangs de "l'insurrection" autoproclamée de Nigel Farage [5]. Confrontés à cette menace sur leur flanc droit, les députés conservateurs poussent David Cameron à adopter une attitude plus ouvertement eurosceptique en pratiquant la surenchère et en déclarant clairement qu'ils feront campagne pour une sortie de l'Union européenne lors d'un referendum si toutes leurs exigences ne sont pas satisfaites.

La quadrature du cercle

David Cameron doit à présent affronter un problème fondamental : celui de proposer un agenda de réformes acceptable par ses partenaires européens tout en s'assurant le soutien d'un nombre suffisant de députés dans son propre camp. Le voile d'ambiguïtés dont se drape le gouvernement britannique pour dissimuler ses exigences précises à l'égard de l'Union européenne témoigne de ce dilemme de manière éloquente.

De plus, en essayant de trouver la quadrature de ce cercle, le Premier ministre court le risque d'apporter de l'eau au moulin des eurosceptiques. Les partisans d'une sortie de l'Union européenne ont pour habitude d'affirmer que le Royaume-Uni est incapable de faire entendre sa voix au sein de l'Union européenne et que, par conséquent, cette dernière risque de porter atteinte aux intérêts britanniques. Or, le désengagement croissant du gouvernement Cameron, influencé par les eurosceptiques, risque de transformer cette position en prophétie auto-réalisatrice. Ainsi, afin de consolider sa place à la tête de son parti en 2005, David Cameron a-t-il poussé les Conservateurs à quitter le Parti populaire européen, ce qui a eu pour effet d'exclure le Royaume-Uni d'un groupe parlementaire au sein duquel se nouent des pactes et des alliances cruciales. À Bruxelles, on laisse entendre également que le Royaume-Uni n'assume pas dans les débats actuels - par exemple, au sujet de la création d'un marché unique numérique - le rôle essentiel que l'on aurait pu attendre de lui.

La politique britannique vis-à-vis de l'Union européenne, en bonne partie gouvernée par le souci de ménager l'opinion politique interne, a engendré une réduction de l'influence du Royaume-Uni en Europe, confirmant ainsi (incidemment) les craintes exprimées par les eurosceptiques. En outre, la nature des réformes proposées par Londres a rendu plus difficile la conclusion d'alliances avec d'autres États-membres.

Les flux migratoires constituent le problème dominant de l'agenda politique. À ce sujet, le gouvernement britannique a durci sa position : réclamant tout d'abord une limitation du "tourisme social" et des flux migratoires post-élargissement, il est allé par la suite jusqu'à remettre en question le principe de la liberté de circulation des personnes. Or, il n'est pas parvenu à obtenir dans ce domaine le soutien des autres États-membres. Angela Merkel, qui est actuellement le chef de gouvernement le plus influent de l'Union européenne, a manifesté publiquement à plusieurs reprises son opposition à toute remise en cause de ce principe, et plusieurs autres dirigeants européens l'ont imitée.

Vers un référendum

Au niveau politique, le débat sur les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne est donc fébrile. Le gouvernement britannique s'efforce de concilier, d'une part, les demandes pressantes de ses propres députés et, d'autre part, l'obtention des conditions nécessaires à la réussite des négociations avec l'Union européenne. Toutefois, c'est l'opinion populaire et non celle des responsables politiques qui, en dernier ressort, décidera de l'avenir de ces relations.

À court terme, l'éventualité d'un référendum dépend du résultat des élections législatives du 7 mai prochain. Le Parti conservateur s'est engagé, s'il en sortait vainqueur, à organiser le référendum au cours de l'année 2017. En revanche, les dirigeants travaillistes, pour leur part, ont refusé de s'engager dans cette direction. Leur leader, Ed Miliband, affirme que sortir de l'Union européenne serait préjudiciable pour le Royaume-Uni et qu'un référendum ne serait nécessaire que si l'Union européenne exigeait un transfert supplémentaire de compétences.

Or, même en cas de victoire des Travaillistes, le problème des relations avec l'Union européenne ne disparaîtrait pas de l'agenda politique britannique. Et si David Cameron ne parvenait pas à former, ne fût-ce qu'un gouvernement de coalition, il est vraisemblable que ses jours à la tête du Parti conservateur seraient comptés. Dans ce dernier cas, nul doute que la question des relations avec l'Union européenne jouerait un rôle majeur lors du choix d'un nouveau leader. David Cameron avait naguère proposé aux membres et aux députés de son parti de quitter le Parti populaire européen afin de renforcer sa position, et nul doute que, tout comme lui, les futurs candidats à la direction du parti devront agiter quelques "chiffons rouges" européens pour parvenir à leurs fins. Non seulement la question de l'Europe continuera à hanter le Parti conservateur, mais il est probable que son futur leader choisira de surenchérir en adoptant des positions plus eurosceptiques que son prédécesseur.

À moyen terme, l'organisation d'une consultation sur la sortie de l'Union européenne paraît inévitable. Il est en effet difficile d'imaginer quelles circonstances pourraient permettre aux Conservateurs de revenir au gouvernement sans la promesse d'organiser un référendum. Or, à l'évidence, étant donné le caractère, imprévisible en ce moment, de la politique au Royaume-Uni, ainsi que le temps, potentiellement long, qui s'écoulera avant qu'un référendum ne soit organisé, il serait bien difficile de prévoir le résultat d'une telle consultation.

D'autant plus que les données du problème sont pour le moins contradictoires. L'UKIP continue à engranger des succès, alors que l'opinion favorable au maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne n'a pas cessé de progresser au cours de l'année 2014.

Toutefois, nous pouvons distinguer certains facteurs déterminants. Tout d'abord, le résultat d'un référendum dépendrait étroitement de la position défendue dans chaque camp. Si les Conservateurs devaient faire campagne en faveur d'un maintien dans l'Union européenne, l'UKIP se retrouverait isolé face aux principaux partis ce qui, dans ces circonstances normales, devrait permettre la victoire du vote contre le Brexit [6], d'autant que nombre d'entreprises ne manqueraient pas de souligner les conséquences potentiellement dévastatrices que comporterait une sortie de l'Union européenne. La prudence et la crainte pourraient donc se conjuguer efficacement pour donner la majorité au maintien dans l'Union. Et si le Parti conservateur s'engageait à faire campagne pour une sortie de l'Union, la donne en serait complètement changée, surtout si une bonne partie de la presse populaire s'alignait sur des positions pro-Brexit. De telles spéculations sont pertinentes si les règles du jeu en vigueur ne changent pas d'ici là. Or, les règles peuvent changer. En dépit des mises en garde émanant des principaux partis politiques nationaux et de personnalités de premier plan issues du monde des affaires, 45 % des Ecossais ont voté "oui" lors du référendum sur l'indépendance de l'Écosse. Et même si les interprétations en sont nombreuses et variées, ce résultat exprime de manière éloquente la volonté d'une bonne partie de la population de voter contre l'establishment. La baisse de la confiance et du respect à l'égard des élites politiques britanniques explique cette volonté - de même qu'elle explique les succès de l'UKIP en Angleterre. Si cette défiance persiste jusqu'à un référendum, à court ou moyen terme, le résultat sera d'autant plus difficile à prédire.

Conclusion

Beaucoup de choses peuvent arriver avant que l'on organise une consultation sur la sortie de l'Union européenne. Les résultats des élections législatives décideront du calendrier d'un éventuel référendum. En cas de victoire des Conservateurs, la question de la renégociation des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne restera à régler. Nous avons peut-être atteint un stade où la tenue d'un référendum est nécessaire. Même de l'avis de nombreux observateurs "europhiles", le débat sur l'Europe empoisonne la politique intérieure du Royaume-Uni ainsi que les relations avec les autres États-membres, à un point tel qu'un référendum devient aussi nécessaire que souhaitable. La manière dont cet abcès sera crevé promet d'être à la fois passionnante et imprévisible.

Il dirige également le programme du Conseil de la recherche économique et sociale au sujet du Royaume-Uni dans une Europe en mutation. Il est coéditeur de l'Oxford Handbook of the European Union, OUP, 2012.


[1] : Cette étude a été publiée dans le "Rapport Schuman sur l'Europe, l'état de l'Union", Editions Lignes de Repères, mars 2015, 266 p.
[2] : United Kingdom Independence Party (UKIP)
[3] : Allocution prononcée au siège londonien du groupe d'informations financières américain Bloomberg
[4] : Loi du Parlement du Royaume-Uni à propos de l'adhésion à la CEE
[5] : Leader de l'UKIP
[6] : Néologisme formé à partir de "British exit", sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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