Réformer l'Union européenne : Quelles méthodes ? Quels scénarios ?

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Thierry Chopin

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7 juillet 2014
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Thierry Chopin

Directeur des études de la Fondation Robert Schuman, professeur associé à l'Université catholique de Lille (ESPOL)

Réformer l'Union européenne : Quelles méthodes ? Quels scénarios ?

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Après avoir établi un état des lieux des positions des institutions européennes et des Etats membres sur la question d'une révision des traités, l'objectif de cette note est d'analyser les avantages et les inconvénients des différentes voies utilisables afin de renforcer l'intégration européenne, renfor­cement dont la crise a mis en lumière la nécessité : innovation à traité constant ; modification des traités européens; traité intergouvernemental.

In fine, cette note montre qu'il n'y a pas de solution idéale (une révision des traités comme un traité intergouvernemental ayant leurs inconvénients) et suggère les lignes possibles d'un compromis acceptable, par exemple la mise en œuvre fin 2014 des mesures ne nécessitant pas de changement de traité et l'initiation d'une modification des traités qui pourrait viser notamment à :

- créer un protocole sur l'UEM annexé au Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) qui aurait pour but de : consolider les Traités intergouvernementaux créés hors du cadre communautaire (pacte budgétaire, traité sur le Mécanisme européen de stabilité –MES) ; préciser la base juridique pour le mécanisme de résolution bancaire et la recapitalisation directe des banques par le MES ; préciser également le fonctionnement des institutions européennes en format zone euro ;

- adopter une procédure de révision limitée des Traités européens par les Etats membres de l'UEM facilitant l'adoption de dispositions additionnelles spécifiques à l'UEM ;

- intégrer des modifications visant à renforcer la légitimité démocratique des institutions euro­péennes. 

 

Introduction

 

Avec la crise, des débats fondamentaux sur l'avenir de la construction européenne sont posés. Pour retrouver leur souveraineté face aux marchés et ainsi la capacité de décider de leur avenir, les Etats européens, notamment ceux de la zone euro, ont compris qu'ils devaient consolider l'Union économique et monétaire. Des mécanismes de solidarité financière ont été mis en place[1] et le Mécanisme européen de stabilité est entré en vigueur ; des règles communes plus strictes ont été adoptées en matière budgétaire et les mécanismes de gouvernance économique ont été renforcés ("six-pack", "pacte budgétaire", "two-pack"). Enfin, le projet d'Union bancaire a progressé, ce qui a conduit à la création d'une autorité de supervision européenne confiée à la Banque centrale européenne (BCE) ainsi qu'à un accord au sein du Conseil sur un mécanisme de résolution bancaire réellement européen.

Pourtant, il existe des désaccords en matière d'union économique et budgétaire, notamment sur l'ingérence européenne dans les décisions nationales et sur l'opportunité d'une solidarité budgétaire accrue (mutualisation d'une partie de la dette, incitations financières en contrepartie de réformes, budget de la zone euro, etc.) En outre, la contestation de la légitimité des décisions européennes exige d'avancer sur le chantier de l'Union politique, sujet qui n'avance que très lentement[2].

Or, si des progrès sont possibles pour renforcer l'intégration européenne, la question du cadre institutionnel et juridique est incontournable. Chacune des réformes envisageables pose en effet une question de méthode : innovation à traité constant ; modification des traités européens; traité intergouvernemental.

 

1. La tentation du statu quo consolidé : un choix réaliste ?

 

Dans le climat politique actuel, marqué par la force des populismes ainsi que des partis d'extrême droite antieuropéens, il est probable que maints chefs d'Etat et de gouvernement jugeront qu'un tel contexte est défavorable politiquement à une réforme ambitieuse des traités européens et ne souhaiteront pas prendre le risque politique d'un processus de ratification incertain, surtout dans les Etats où un référendum est requis. Dans un tel contexte, l'analyse devrait d'abord porter sur les progrès qui pourraient être obtenus sans rien modifier du cadre juridique actuel, du fait de la seule impulsion politique que les Etats concernés voudraient bien donner à l'Union économique de la zone euro.

Face à ces défis, le choix du statu quo consolidé est tentant, les obstacles paraissant trop nombreux pour dépasser le plateau auquel l'Union européenne est parvenue depuis un peu plus de vingt ans, avec le marché intérieur et l'euro comme derniers grands projets structurants. Les explications de la difficulté à envisager un projet politique renouvelé de moyen-long terme pour l'"Europe" sont désormais bien identifiées[3] : déficit de leadership européen, renforcement de l'inter-gouvernementalisme[4], tendance au repli sur l'Etat dans le double contexte d'une concurrence internationale accrue et d'une crise inédite depuis la Grande Dépression. Ces facteurs menacent l'Europe vieillissante de s'immobiliser dans un "état stationnaire".

Devant ce constat, il serait tentant de relâcher l'effort - la pression des marchés paraissant moins forte qu'il y a quelques mois -, et il s'agirait au mieux de consolider l'Union sans modifier fondamentalement sa base actuelle.

Pourtant, ce serait une erreur car le statu quo n'est pas une option viable à long terme[5]. S'il est un acquis de la crise, c'est que la "gouvernance économique" européenne a montré ses limites[6] à la fois du point de vue de son efficacité et de sa légitimité. Les règles budgétaires et les politiques de coordination économique des Etats membres ont perdu de leur crédibilité : soit parce qu'elles n'ont pas été appliquées[7] ; soit parce que les outils institutionnels correspondants sont inadaptés à une situation de crise - le budget européen est insuffisant pour avoir à lui seul un effet de relance significatif ; les décisions en matière budgétaire et fiscale supposent l'unanimité des Etats membres et donc de longues négociations diplomatiques –; soit parce qu'elles n'énoncent que des objectifs sans définir une obligation de moyens.

Par ailleurs, sur un registre plus politique, le décalage entre le mode de fonctionnement actuel des institutions européennes et les exigences de la crise est de plus en plus évident. Le temps des négociations diplomatiques est trop lent : il a fallu des mois pour négocier des plans d'aide aux pays en difficulté, ce qui a multiplié l'ampleur et le coût de l'aide nécessaire. Le sentiment s'est progressivement développé que l'Europe était toujours en retard d'une crise.

En outre, ce mode de fonctionnement est fortement anxiogène : l'issue des négociations est toujours incertaine, les positions des différents gouvernements semblent régulièrement soumises aux calendriers électoraux, les décisions prises par les gouvernements peuvent ensuite être remises en cause au niveau national - surtout dans un contexte où de nombreux gouvernements sont très fragilisés politiquement dans leurs pays –. L'incertitude qui en résulte accroît la perception du risque économique par les investisseurs et réduit la crédibilité des engagements européens.

En dernier lieu, le mode de fonctionnement actuel, qui donne notamment la primauté au Conseil sur le Parlement européen dans la gestion de crise, pose un problème de lisibilité et de légitimité pour les citoyens européens[8]. Les débats nationaux sur ces sujets ne peuvent permettre aux candidats de s'engager fermement dans la mesure où la décision sera en définitive le résultat d'une négociation avec les autres chefs d'Etat et de gouvernement. Dès lors, aucun débat public transeuropéen n'existe réellement sur les sujets du fédéralisme budgétaire et de la politique économique (mesures d'austérité et réformes structurelles notamment) hors du Parlement européen qui n'a pas de pouvoir de décision en ces matières.

Tout ceci a un coût politique et économique. Les partis populistes et extrémistes progressent en Europe, dénoncent les faiblesses de la démocratie, notamment au niveau européen, et rejettent le système politique et économique actuel. Sur le plan économique, l'incertitude freine l'investissement, la croissance et par là l'emploi en Europe.

Le statu quo est donc préjudiciable et il serait illusoire de se contenter de consolider nos acquis !

 

2. Etat des lieux des positions des institutions européennes et des Etats membres sur la réforme de l'Union européenne et de l'UEM en particulier

 

• En septembre 2012, les ministres des Affaires étrangères de onze Etats membres de l'Union européenne[9] ont signé une contribution qui peut être considérée comme la première tentative de formalisation d'un projet d'union politique ;

• A l'occasion du Conseil européen de décembre 2012, son président, Herman van Rompuy, a présenté une feuille de route pour la réalisation d'une véritable union économique et monétaire[10] qui identifie quatre enjeux structurants : un cadre financier intégré, un cadre budgétaire intégré, un cadre économique intégré et un renforcement de la légitimité démocratique et l'obligation de rendre des comptes ;

• La Commission européenne a publié en novembre 2012 "A blueprint for a deep and Genuine EMU. Launching an European Debate"[11] dont certaines propositions impliquent une révision des traités ;

• De son côté, le Parlement européen considère qu' "une véritable UEM nécessite des compétences, des ressources financières et une responsabilité démocratique accrues et que sa mise en œuvre doit suivre un processus en deux étapes, dont la première serait l'exploitation immédiate de toutes les potentialités contenues dans les traités existants et la seconde une modification du traité à définir par une convention"[12];

• La Chancelière allemande Angela Merkel a ponctuellement semblé exprimer le souhait de réunir une nouvelle Convention[13]. La CDU, lors de son congrès à Leipzig en novembre 2011, a par ailleurs proposé l'élection du président de la Commission européenne au suffrage universel, ce qui suppose une révision des traités ; plus récemment, dans son discours devant le Bundestag le 18 décembre 2013, Angela Merkel a réaffirmé qu'elle était favorable à une "évolution des traités européens"[14];

• Le président français, François Hollande, a annoncé le 16 mai 2013 sa volonté de donner un contenu à l'union politique[15]. Ce contenu reste pour autant à préciser, dans le prolongement des propositions franco-allemandes[16] présentées en mai 2013 envisageant la création d'un Président à plein temps de l'Eurogroupe et d'une sous-formation du Parlement européen compétente pour la zone euro[17] qui ne supposent pas de révision des traités.

 

3. Révision des traités ou évolution à traité constant ?

 

3.1. Une révision des traités exclue à court terme ?

 

A priori, la voie habituelle d'une révision des traités (article 48 TUE) paraît la plus logique. C'est cette méthode qui a le plus souvent été utilisée avant la crise, qu'il s'agisse de la création du marché unique (Acte unique européen), de la monnaie unique (Traité de Maastricht), de la politique étrangère et de sécurité commune ou de la politique européenne d'asile et d'immigration (Traité d'Amsterdam).

Une telle révision des traités présenterait des avantages :

• Consolider les traités internationaux actuels (MES, pacte budgétaire) au sein du cadre juridique des traités UE ;

• Fournir une opportunité pour approfondir l'UEM avec une solidarité financière, une véritable union bancaire, le tout fondé sur une légitimité démocratique accrue (avec notamment une association plus forte des parlements nationaux et du Parlement européen - dont les prérogatives seraient renforcées - à la supervision économique et budgétaire mais aussi une redéfinition de la composition de la Commission) ;

• Donner l'occasion d'entreprendre le nécessaire travail de clarification visant à réaligner l'UEM avec l'Union européenne.

Le calendrier politique d'un tel scénario pourrait être le suivant : une fois les nouveaux Président(e)s du Conseil européen et de la Commission en fonction (ce qui coïncidera avec la fin de la présidence italienne du Conseil), le Conseil européen pourrait décider de convoquer une Convention à la fin de l'année 2014 dont les travaux seraient conduits tout au long de l'année 2015 (année des élections au Royaume-Uni) et suivis d'une Conférence intergouvernementale (CIG) ; le processus de ratification se déroulerait en 2016 (2017 étant l'année de l'élection présidentielle en France et des élections législatives en Allemagne).

Mais il n'est pas certain que les conditions politiques soient réunies, notamment dans les Etats membres, pour envisager une révision des traités, c'est-à-dire l'unanimité des Etats membres pour la signature et la ratification des modifications apportées :

• Si certains hauts responsables allemands ne semblent pas exclure a priori une modification des traités afin d'améliorer la gouvernance de la zone euro[18], il n'est pas certain qu'il y ait consensus outre-Rhin sur ce point ou alors une telle révision devrait se faire sur des points limités (par exemple afin de fournir une base juridique solide au pouvoir de résolution de l'Union bancaire)[19];

• Réviser les traités, c'est aussi ouvrir une nouvelle fois la boîte de Pandore des demandes de traitement particulier de tel ou tel Etat membre, à commencer par le Royaume-Uni plus que jamais tenté de redéfinir les termes de sa relation à l'Union européenne[20]. Cependant, plusieurs responsables, dont le président du Conseil européen Herman Van Rompuy, ont mis en garde contre les dommages que pourrait causer au marché unique un éventuel rapatriement de pouvoirs vers Londres[21]. La volonté d'éviter un tel rapatriement risque de constituer un obstacle à une éventuelle révision des traités ;

• En dernier lieu, le climat politique actuel se caractérise par la force des populismes ainsi que des partis d'extrême droite antieuropéens qui dénoncent le pouvoir des élites nationales et européennes et qui s'appuient sur la contestation de la légitimité politique et démocratique des institutions européennes.

 

3.2. Evoluer à traité constant

 

Des progrès pourraient être obtenus sans rien modifier du cadre juridique actuel, du fait de la seule impulsion politique que les Etats concernés voudraient bien donner à l'Union économique de la zone euro. Il en serait ainsi de :

• La nomination d'un président de l'Eurogroupe à plein temps sans autre mandat national. Il pourrait en outre devenir un véritable ministre des finances de la zone euro en étant nommé simultanément Commissaire en charge de l'euro. Ce ministre des finances serait appuyé par une direction générale du Trésor de la zone euro composée d'une partie des services actuels de la DG ECFIN ;

• Une représentation unifiée de la zone euro au FMI et à la Banque mondiale (article 138 du TFUE) incarnée par le président de l'Eurogroupe ;

• La mise en place d'un calendrier politique de convergence économique et fiscale des Etats membres ;

• La création d'une sous-commission de la zone euro au sein du Parlement européen ;

• Une mise en œuvre plus ambitieuse de l'article 13 du Traité budgétaire prévoyant d'accroître l'association des parlements nationaux et de renforcer ainsi la légitimité démocratique des décisions prises en matière de contrôle budgétaire[22].

La démarche consistant à "avancer" en s'appuyant sur les bases juridiques existantes, actuellement utilisée par les Etats membres (six-pack, two-pack adoptés sur la base de l'article 136 TFUE), présente des avantages en permettant notamment d'éviter de rouvrir la boîte de Pandore, de longues négociations et de risquer un processus de ratification toujours incertain.

En termes de calendrier, ces propositions pourraient être discutées puis mises en œuvre à l'occasion des nominations qui interviendront d'ici la fin de l'année 2014 (président de la Commission, Commissaires, Président du Conseil européen).

En revanche, elle présente également des limites :

• Les traités limitent la solidarité financière entre les Etats, notamment ceux de la zone euro;

• Intégrer le MES et le Pacte budgétaire[23] dans l'ordre juridique de l'UE supposerait un changement de traité ;

• Renforcer la légitimité démocratique des décisions européennes prises en matière économique suppose dans une large mesure une modification des traités, notamment dans le cadre d'un renforcement de la légitimité et de la représentativité du Parlement européen.

En bref, des progrès plus substantiels dans l'intégration budgétaire, bancaire et politique de la zone euro, au même titre que l'union monétaire dans le passé, nécessitent une évolution significative du cadre juridique actuel. Comment ?

 

4. Un Traité intergouvernemental ?

 

L'unanimité requise pour la révision des traités européens semblant difficile à obtenir, il ne faut pas exclure la méthode consistant à recourir à la signature d'un traité intergouvernemental entre les Etats membres de la zone euro, traité qui devrait être compatible avec les traités européens[24]. Cette méthode a déjà été utilisée jadis à plusieurs reprises : à titre d'exemples, l'accord de Schengen (1986) afin de supprimer les contrôles aux frontières entre les Etats membres y ayant souscrit ; le Traité de Prüm (2005) relatif à l'échange de données et à la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ; le Mécanisme européen de stabilité (MES) et le TSCG ("Pacte budgétaire"), signé par 25 Etats membres en mars 2012, tous ayant été souscrits dans un cadre intergouvernemental, en dehors des traités.

Recourir à l'instrument d'un traité intergouvernemental, qui aurait pour objectif de consolider les traités internationaux actuels (MES, pacte budgétaire) en un traité sur l'Union économique et monétaire, présenterait des avantages :

• Un tel accord international permettrait une base plus solide pour que les Etats signataires s'engagent juridiquement à établir entre eux une union économique et budgétaire plus intégrée assortie d'une solidarité financière, une véritable union bancaire, le tout fondé sur une légitimité démocratique accrue ;

• La négociation entre les Etats membres de la zone euro et les "pre-ins" qui le souhaiteraient serait jugée moins difficile qu'à 28 par les partisans de cette option et permettrait d'éviter le risque de blocage notamment de la part du Royaume-Uni ;

• Par ailleurs, son entrée en vigueur ne serait pas conditionnée à la ratification unanime des Etats signataires, les conditions d'entrée en vigueur pouvant reprendre celles du traité budgétaire du 25 mars 2012[25];

• Le cas échéant, la négociation et la ratification d'un tel accord permettraient de montrer qu'un cap a été explicitement choisi afin de surmonter la crise.

Concernant le calendrier d'une telle option si elle était retenue : un accord entre l'Allemagne et la France ouvrirait la voie à une négociation entre les Etats membres de la zone euro et les "pre-ins" qui le souhaiteraient en 2014-2015. Le processus de ratification pourrait avoir lieu en 2016 ou pourrait être reporté en 2017 après les élections en France et en Allemagne.

Le recours à un accord international plutôt qu'à une révision des traités européens présente toutefois aussi des inconvénients :

• Sur le plan politico-diplomatique, une telle négociation sur un traité international serait-elle moins difficile que dans le cadre d'une révision des traités entre les 28 Etats membres de l'Union européenne ? Ce n'est pas certain ;

• En outre, même avec des conditions d'entrée en vigueur modifiées, la question des difficultés toujours inhérentes au processus de ratification d'un accord européen doit être posée, surtout en cas de référendum organisé dans tel ou tel Etat membre ;

• Sur le plan juridique, un tel scénario poserait la question de la concurrence entre les deux ordres juridiques (traités intergouvernementaux de la zone euro vs. traités UE) et celle de savoir comment réconcilier les deux. Par ailleurs, dans quelle mesure et jusqu'où de nouvelles étapes dans l'intégration peuvent-elles être décidées et mises en œuvre en dehors du cadre des traités UE ? ;

• Cette option n'est pas une panacée car elle conduit à une complexification croissante de la carte de l'Europe. La multiplication des degrés d'intégration et des arrangements institutionnels rend la construction européenne de plus en plus difficilement lisible. Ce faisant, elle complique le débat démocratique ;

• Le choix d'un tel instrument juridique serait alors bien le révélateur de la dominante intergouvernementale donnée à l'UEM.

 

5. Quel compromis envisageable ?

 

Les développements qui précèdent montrent qu'il n'y a pas de solution idéale (une révision des Traités comme un traité international ayant leur défaut). Il convient alors de terminer cette analyse en suggérant les lignes possibles d'un compromis acceptable, par exemple la mise en œuvre fin 2014 des mesures ne nécessitant pas de changement de traité (section 3.2) et l'initiation d'une modification des traités qui pourrait viser à :

• Créer un protocole sur l'UEM annexé au TFUE qui aurait pour but de : consolider les Traités intergouvernementaux créés hors du cadre communautaire (pacte budgétaire, traité sur le MES) ; préciser la base juridique pour le mécanisme de résolution bancaire et la recapitalisation directe des banques par le MES ; préciser également le fonctionnement des institutions européennes en format zone euro (comité de la zone euro au sein du Parlement européen, création d'un ministre des finances de la zone euro combinant le rôle de président de l'eurogroupe et de Commissaire à l'euro, responsabilité des institutions de la zone euro - y compris la Troïka, le ministre des finances et le MES - devant ce comité);

• Adopter une procédure de révision limitée des Traités européens par les Etats membres de l'UEM facilitant l'adoption de dispositions additionnelles spécifiques à l'UEM dès lors qu'elles restent compatibles avec les règles de l'UE. Les Etats non membres de la zone euro seraient libres de s'y joindre mais ne pourraient pas s'y opposer. Les dispositions additionnelles seraient inscrites dans le cadre du protocole sur l'UEM annexé au TFUE (cf. ci-dessus). La modification de ce protocole (et donc l'ajout de nouvelles dispositions spécifiques à la zone euro) ne nécessiterait ratification que dans les Etats de la zone euro (et dans les Etats décidant d'adopter l'acquis de la zone euro) ;

• Préciser dans le cadre du Protocole sur le Royaume-Uni, les domaines (outre le marché intérieur) auquel ce pays continue de participer. Le Royaume-Uni ne pourrait pas participer (au Parlement ou au Conseil) aux décisions dans les domaines auxquels il a renoncé de participer. Concernant le budget, il ne contribuerait et ne se prononcerait que pour les budgets prévus pour les domaines auxquels il participe, sans pouvoir se prononcer sur l'enveloppe globale. Enfin, le Royaume-Uni conserverait la possibilité d'opt-in pour d'autres politiques que celles auxquelles il s'est engagé à participer dans le cadre du protocole ;

• Intégrer des modifications visant à renforcer la légitimité démocratique des institutions européennes et à concrétiser le projet d'"Union politique".[26]

 

 


[1] Depuis 2010, le montant total de l'assistance financière de la zone euro à ses membres fragilisés a atteint 425 milliards d'euros.
[2] T. Chopin, " Political union : legitimacy and efficiency to overcome the crisis", in European View, Center for European Studies, Springer, 2013 et id. "Political Union :from slogan to relaity ", in Schuman Report on Europe. State of the Union 2013, Springer, 2013.
[3] Christian Lequesne, " L'Union européenne après le traité de Lisbonne : diagnostic d'une crise ", in Questions internationales, n°45, septembre-octobre 2010.
[4] V. Piotr Buras, " The EU's Silent Revolution ", Policy Brief, ECFR, September 2013.
[5] Voir la tribune cosignée par des économistes, juristes et politologues allemands, " Towards a Euro Union ", Die Zeit, October 17, 2013.
[6] A l'exception de la politique monétaire de la BCE mais qui ne saurait à elle seule proposer et mettre en œuvre une stratégie globale pour prendre définitivement la crise de vitesse.
[7] C'est sous l'effet de la crise que des règles communes plus strictes ont été adoptées en matière budgétaire et les mécanismes de gouvernance économique ont été renforcés (" six-pack ", " pacte budgétaire ", " two-pack ").
[8] Comme l'a souligné Nicolas Véron, les dirigeants européens n'ont pas de " mandat politique européen " : " Pris individuellement, les membres du Conseil européen ont bien entendu un mandat émanant de leurs électeurs respectifs, mais l'agrégation de ces mandats nationaux, souvent incompatibles les uns avec les autres, ne produit pas un mandat politique européen ", in " The Political Redefinition of Europe ", Opening Remarks at the Financial Markets Committee (FMK)'s Conference on " The European Parliament and the Financial Market ", Stockholm, juin 2012.
[9] Cf. Final Report of the Future of Europe Group of the Foreign Ministers (Austria, Belgium, Denmark, France, Italy, Germany, Luxembourg, The Netherlands, Poland, Portugal and Spain) 17 September 2012.
[10] Towards a Genuine Economic and Monetary Union, 5 décembre 2012 ; on se reportera également aux Conclusions du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012.
[11] Cf. A blueprint for a deep and Genuine EMU. Launching an European Debate, Commission européenne, 28 novembre 2012.
[12] Cf. Projet de rapport du PE ("Constitutional problems of a multi-tier governance in the European Union"), 10 juillet 2013 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?... On pourra également se reporter à : EP Resolution on strengthening European democracy in the future EMU: http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?t...
[13] Cf. " The Future of Europe: Merkel Pushes for Convention to Draft New EU Treaty ", Spiegel Online International, 27 août 2012.
[14] cf. discours d'Angela Merkel devant le Bundestag, 18 décembre 2013 - http://www.bundesregierung.de/Content/DE...
[15] François Hollande : "L'Allemagne, plusieurs fois, a dit qu'elle était prête à une union politique, à une nouvelle étape d'intégration ". La France est également disposée à donner un contenu à cette union politique (...). Ce n'est plus une affaire de sensibilité politique, c'est une affaire d'urgence ", intervention liminaire du président de la République lors de la conférence de presse du 16 mai 2013.
[16] La France et l'Allemagne ensemble pour renforcer l'Europe de la Stabilité et de la Croissance, 30 mai 2013.
[17] Ces initiatives franco-allemandes posent toute une série d'interrogations qui devront recevoir des réponses, notamment sur le plan institutionnel. Les propositions mises sur la table sont en effet marquées d'une certaine ambiguïté. S'agissant du président à plein temps de l'Eurogroupe la question de sa responsabilité devant le Parlement européen doit être posée. En outre, le renforcement de la coordination intergouvernementale pose la question du risque de concurrence entre les deux branches de l'exécutif en matière économique (Conseil vs. Commission) ainsi que celle de la concurrence entre deux ordres juridiques (traités intergouvernementaux de la zone euro vs. traités UE). Comment réconcilier les deux ? Par ailleurs, les pouvoirs de la sous-formation du Parlement européen compétente pour la zone euro mériteraient d'être précisés. Comment exercera-t-elle son contrôle démocratique ? Pourra-t-elle codécider avec le Conseil en matière économique ? Exercera-t-elle un contrôle vis-à-vis de la troïka ? Aura-t-elle le pouvoir d'auditionner et d'approuver la nomination du président de l'Eurogroupe ?
[18] Le Ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble s'est prononcé à plusieurs reprises en faveur d'une révision des traités et à nouveau dans le Financial Times le 28 mars 2014 - http://www.bundesfinanzministerium.de/Content/EN/Interviews/...
[19] Cf. " Angela's Agenda : A Grand, Controversial Plan for Europe ", in Spiegel Online International, 21 October 2013 - http://www.spiegel.de/international/germany/...
[20] Dans un discours prononcé le 23 janvier 2013, David Cameron a promis que, dans l'hypothèse d'une victoire des Tories aux élections du printemps 2015, un référendum sur les nouvelles conditions d'appartenance du Royaume-Uni à l'UE serait organisé en 2017 - https://www.gov.uk/government/speeches/....
[21] Cf. le discours du Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, le 28 février 2013 au Policy Network - http://europa.eu/rapid/press-release_PRES-13-86_fr.htm?locale=FR.
[22] L'article 13 du nouveau traité prévoit que "le Parlement européen et les parlements nationaux des parties contractantes détermineront ensemble l'organisation et la promotion d'une conférence de représentants des commissions compétentes des parlements nationaux et de représentants des commissions compétentes du Parlement européen pour débattre des politiques budgétaires et d'autres sujets couverts par ce traité". Les modalités de mise en œuvre de l'article 13 du Traité de Stabilité pourraient être fixées dans le cadre d'un accord interinstitutionnel. La Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, instituée par le TSCG, a tenu ses première sessions les 16- 17 octobre 2013 à Vilnius puis les 20-22 janvier 2014 à Bruxelles.
[23] Techniquement, le Pacte budgétaire pourrait être intégré sur la base de l'article 126, mais celui-ci suppose l'unanimité des Etats membres qui n'avaient pu être obtenue initialement en raison de l'opposition du Royaume-Uni.
[24] C'est la thèse de Jean-Claude Piris, The Future of Europe : Towards a Two Speed Europe ?, Cambridge University Press, 2012.  Lire aussi son article "la crise de la zone euro rend-ele nécessaire une révision des traités européens?"  in "Rapport Schuman sur l'Europe  l'état de l'Union 2014", éditions Lignes de repères http://www.robert-schuman.eu/fr/librairie/020...
[25] Le TSCG est entré en vigueur après sa ratification par 12 Etats membres de la zone euro.
[26] Dans un discours prononcé le 23 janvier 2013, David Cameron a promis que, dans l'hypothèse d'une victoire des Tories aux élections du printemps 2015, un référendum sur les nouvelles conditions d'appartenance du Royaume-Uni à l'UE serait organisé en 2017 - https://www.gov.uk/government/speeches/eu-speech-at-bloomberg.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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