Franco-allemand
Nicolas Sarkozy
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Je suis très heureux d'être votre invité. Je suis venu en ami, l'ami de l'Allemagne. Je n'ai aucune intention de mettre un terme à la période de recul de toute activité politique que j'ai souhaitée. Si j'ai accepté cette invitation, c'est pour témoigner de la nécessité de l'amitié entre les deux premières nations d'Europe. Je veux dire combien je me sentirai pour toujours un Européen, un Européen convaincu et un Européen militant.
Je dis devant Hans-Gert Pöttering qu'il peut être fier du parcours qui a été le sien au service de l'Europe ! Car la vie d'Hans-Gert Pöttering, c'est celle d'un Européen engagé. Et l'Europe a besoin de cet engagement.
A peine âgé de 33 ans, il est élu député au Parlement européen. Constamment réélu, Hans-Gert est l'un des seuls qui ait siégé sans interruption au Parlement européen depuis 1979, un Parlement européen qui n'a pas d'équivalent dans le monde. Tu en as été le président, comme tu y as été le président de notre famille politique.
Pourtant, lorsque notre ami Hans-Gert Pöttering voit le jour, dans un village de Basse-Saxe, ce parcours européen est inimaginable. Hans-Gert Pöttering voit le jour dans une famille meurtrie par la guerre : quelques mois plus tôt, ton père a trouvé la mort dans les derniers combats de la Seconde Guerre mondiale.
Tu vois le jour dans une patrie vaincue, démembrée, déshonorée par la barbarie nazie ; dans un pays, le tien, qui n'a plus de gouvernement, qui n'a plus d'Etat et dont l'avenir semble sombre et, pour le moins, incertain.
Tu vois le jour dans une Europe dévastée, ruinée, bientôt coupée en deux par un rideau de fer qui enfermera la moitié des Européens dans l'implacable prison communiste pendant des décennies.
Tu vois le jour dans un monde qui semble désormais appartenir aux géants américain et soviétique, un monde dans lequel l'Europe semble être passée, par sa faute, par ses immenses fautes contre elle-même et contre l'Humanité, du statut de leader à celui de champ de bataille de la guerre froide qui s'annonce. Voilà ce qu'était l'Europe au milieu du 20ème siècle. Nous n'avons pas le droit de l'oublier.
Les nations de notre continent, et d'abord la France et l'Allemagne, n'ont cessé tout au long de leurs histoires de se jalouser, de s'affronter, de se détruire et de se faire la guerre. Je ne parle pas du Moyen-Âge : je parle du XXe siècle
En 1945, je le dis aux jeunes qui sont ici, c'était hier, la France et l'Allemagne se sont fait la guerre trois fois en 75 ans. En l'espace d'à peine 3 générations, la France et l'Allemagne ont trouvé le moyen de se combattre à 3 reprises, dans une lutte à chaque fois plus terrible, plus dévastatrice, plus inhumaine. Et en agissant ainsi, nos deux pays ont entrainé à chaque fois leurs voisins, l'Europe et finalement le monde entier dans d'abominables catastrophes. Ce n'était pas le Moyen-Âge, c'était hier.
Alors pourquoi ? Et la question que chacun d'entre nous doit se poser : la faute en revient-elle à ces 3 générations d'Allemands et de Français ? Ces 3 générations étaient-elles habitées d'une sorte de folie destructrice ? Ces 3 générations étaient-elles foncièrement mauvaises ? Ces générations étaient également les générations de Thomas Mann, de Marcel Proust, de Marie Curie et de Robert Koch. Je ne crois pas que ces 3 générations étaient foncièrement mauvaises.
Je crois que ces générations étaient d'abord et avant tout prisonnières de la force des choses, c'est-à-dire d'un système de pensée et d'action, dans lequel chaque nation s'imaginait au-dessus des autres. Un système de pensée et d'action dans lequel chaque nation se faisait une gloire d'être au-dessus des autres au nom du détestable et trop fameux "égoïsme sacré" ! Voilà où a conduit l'"égoïsme sacré", où il a conduit le monde du XXème siècle.
La force des Pères fondateurs, de Jean Monnet, de Robert Schuman, de Konrad Adenauer, de Charles De Gaulle a d'abord été de comprendre qu'il fallait sortir de ce système mortifère. Et pour cela, qu'il fallait avoir le courage de se réconcilier afin d'être enfin capables d'agir non plus l'un contre l'autre mais l'un avec l'autre, pour le bien commun. Et qu'en agissant ainsi, l'un avec l'autre, la France et l'Allemagne, on ne trahissait pas sa patrie à laquelle ces hommes, je veux dire les pères fondateurs, restaient passionnément attachés, mais, au contraire, on permettait à sa patrie de renouer avec la paix, puis avec le progrès, puis avec la prospérité. C'est ainsi, et seulement ainsi, que le continent Européen a pu continuer à compter dans les affaires du monde durant la seconde moitié du XXème siècle.
C'est pour cela que l'amitié franco-allemande est si fondamentale. Elle est fondamentale pour la France. Elle est fondamentale pour l'Allemagne. Elle est fondamentale pour l'Europe.
Je veux dire quelque chose que je pense au fond de mon cœur : il n'y a pas d'alternative à la réconciliation et à l'amitié franco-allemande. Je veux dire quelque chose que je pense profondément : l'amitié entre la France et l'Allemagne n'est pas un sujet d'actualité politique, ce n'est pas une question de gauche ou de droite. L'amitié entre la France et l'Allemagne n'est pas liée à l'alternance démocratique dans chacun de nos pays. L'amitié franco-Allemande c'est une question absolument stratégique. Je veux même dire que c'est une question existentielle.
Nos peuples, le peuple français, le peuple allemand, doivent savoir, doivent comprendre qu'il s'agit de se rassembler ou de s'affronter. Qu'il s'agit de s'unir ou de se désintégrer. L'amitié franco-allemande c'est le socle, socle sur lequel s'est bâtie la construction européenne. Sans cette réconciliation, il n'y aurait pas eu d'Europe, mais sans cette amitié entre nous, l'Europe ne peut pas avancer et s'il n'y a pas d'avancée européenne, le risque certain, c'est celui de la division.
Voilà l'enjeu. Il ne faut pas jouer avec des choses aussi fondamentales. Nos peuples ont démontré leurs capacités à s'affronter durant des siècles. Nos peuples sont en paix depuis quelques décennies. Rien, absolument rien, jamais, ne doit pouvoir mettre en jeu cet acquis.
L'amitié franco-allemande c'est notre trésor commun, un trésor sacré, inestimable ! Sans cette amitié, il y aurait eu d'autres guerres, il y aurait eu d'autres affrontements et il y aurait eu d'autres êtres humains sacrifiés.
Qui serait assez fou, qui serait assez insensé, pour croire que ce trésor est acquis pour toujours ? Ce trésor est fragile, nous en sommes les gardiens ; pour le protéger, il n'y a qu'une seule façon d'agir, il faut le renforcer.
Car, malgré ces décennies d'amitié, nos deux pays conservent leurs différences de traditions, de caractères et de structures. Cela démontre par ailleurs que notre réconciliation n'a pas dilué nos spécificités et c'est heureux ! Mais cela signifie que notre convergence n'est pas automatique. Qu'elle dépend de nous, de nos efforts, de notre patience, de notre capacité à accepter des compromis. Depuis Adenauer et De Gaulle, il appartient à chaque responsable de nos pays respectifs d'y apporter sa contribution. Pendant 5 ans, en étroite coordination avec la Chancelière Merkel, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour que nos deux pays agissent ensemble, pour éviter que la crise bancaire n'emporte l'économie mondiale, pour sauver l'euro de la tourmente qui menaçait de tout emporter. Dans la crise, l'Europe avait un besoin vital de leadership. Le leadership n'est pas un gros mot ; le leadership c'est un devoir. Et quand on a peur du leadership, c'est qu'on a peur de ses responsabilités. La France et l'Allemagne ont un devoir vis-à-vis de l'ensemble du continent européen. La France et l'Allemagne, en assumant leur leadership pendant la crise, n'ont fait que leur devoir.
Il faut dire la vérité : soit à l'avenir nous serons capables de travailler ensemble, d'unir nos forces, de faire des propositions communes et nos deux pays seront à la hauteur de leur histoire dans un monde qui ne nous attendra pas. Car le monde du XXIème siècle n'attend personne. Soit nous laissons notre amitié se déliter et l'Europe se défera et avec elle tout ce que nous avons patiemment construit depuis plus de 60 ans
et qui assure la paix et la stabilité. Il n'y a pas de troisième voie. L'union ou la division, l'entente ou l'affrontement. Il n'y a pas de demi-mesure, il n'y a pas de faux semblants.
Je suis convaincu que plus que jamais nous devons faire le choix de l'Europe. Et c'est parce que nous ferons ce choix vital que nous pourrons obtenir, imposer, entrainer nos partenaires vers des décisions qui ne peuvent plus attendre.
L'union de l'Europe fait notre force face à une Asie au dynamisme impressionnant mais où s'aiguisent dangereusement les rivalités. L'union de l'Europe fait notre force face à une Amérique latine qui veut s'affirmer mais qui n'a pas encore choisi entre intégration et repli sur soi. L'union fait notre force face à une Afrique qui a trop longtemps éparpillé son immense potentiel entre une cinquantaine d'Etats dont la stabilité et la force sont bien inégales, mais qui aujourd'hui s'éveille.
Nous aussi nous avons nos faiblesses. La première est sans doute notre difficulté, à nous Européens, de regarder les choses en face. Et la première de ces difficultés c'est comprendre qu'il n'existe pas une Europe mais au moins deux. Ce n'est faire injure à personne que de dire les choses ainsi.
Qui peut dire que l'Europe de l'euro et l'Europe des 28 ont les mêmes besoins en termes de structures, de prises de décisions et d'objectifs ? Pour l'Europe de l'euro, à commencer par la France et l'Allemagne, le défi c'est d'aller plus loin dans une intégration économique, afin de créer une zone de stabilité qui n'a que trop attendu 13 ans après la création de l'euro. Pour l'Europe des 28, le défi c'est d'être capable de se concentrer sur l'essentiel afin d'être prêt à accueillir, le moment venu, les Etats qui attendent à nos portes. La priorité pour les 28, c'est de se recentrer sur l'essentiel et d'abandonner, je dis d'abandonner, tant de compétences qui ne peuvent plus être assurées en commun maintenant que nous sommes 28. Plus d'intégration pour l'Europe de l'euro, moins d'intégration pour l'Europe des 28. Voilà bien le choix paradoxal qu'il nous faut faire.
La vérité, c'est que les pays de l'euro forment beaucoup plus qu'une simple zone ! Nous avons fait le pari de mettre en commun notre monnaie.
L'euro est devenu la pierre angulaire de la construction européenne.
La fin de l'euro serait la fin de l'Europe. La fin de l'Europe serait la fin de la paix, la fin de la stabilité, la fin du modèle européen d'économie sociale de marché. Mesure-t-on le cataclysme d'un tel scénario ! Mesure-t-on les conséquences d'un tel cataclysme !
C'est pour cela qu'avec la Chancelière Angela Merkel nous avons mis tout en œuvre pour sauver l'euro lorsque la spéculation se déchaînait et menaçait de tout emporter. Dans ce moment de vérité, la France et l'Allemagne ont fait face ensemble et, dans ce moment de vérité, l'Allemagne et la France ont surmonté l'épreuve ensemble. Aucun pays européen n'a cédé. Au contraire, les plus menacés ont été capables de faire des efforts qui paraissaient inimaginables.
Aujourd'hui nos politiques économiques doivent être coordonnées, complémentaires, cohérentes. Depuis le traité de mars 2012, le gouvernement économique de la zone euro existe ; il doit agir.
L'Europe des 28, de son côté, n'avancera pas au même rythme. Nous devons respecter cela, l'assumer, c'est-à-dire l'organiser.
L'Union européenne compte déjà 28 Etats membres. Elle en comptera demain ou après-demain 32 voire 35. C'est sa mission historique. Il est notamment de l'intérêt de tous les Européens que les pays des Balkans nous rejoignent un jour et trouvent enfin, grâce à l'Union européenne, la réconciliation, la stabilité et la prospérité. J'aime ce que disait Konrad Adenauer : "L'histoire est la somme de tout ce qui aurait pu être évité". A l'heure où nous commémorons le drame de la Première Guerre mondiale, je le dis avec gravité, l'Europe ne peut pas se permettre d'ignorer Sarajevo et Belgrade. Les grandes puissances d'alors ont négligé le drame qui couvait dans cette région. Le 28 juin 1914, quand la mèche s'est allumée à Sarajevo, il était trop tard et la déflagration n'a pas simplement ravagé les Balkans : la déflagration a englouti un monde, celui de l'Europe que l'on appelait l'Europe de la "Belle époque". Après la déflagration qu'est-il resté de la "Belle époque" ? Nous ne pouvons pas commettre les mêmes erreurs !
Pour réussir cette mission historique, l'Union européenne doit se concentrer sur ce qui est sa mission : assurer un grand marché loyal et efficace prenant appui sur quelques grandes politiques. Elle doit renoncer à la prétention de tout règlementer et de tout régenter. Ce n'est pas cela que voulaient les Pères fondateurs.
Comme tu l'écris à juste titre, Hans-Gert : "l'Union européenne doit se concentrer sur l'essentiel pour que l'Europe soit forte là où elle est la seule à pouvoir agir".
C'est aussi ce que je pense. L'Union européenne doit cesser de perdre du temps, de perdre de l'énergie, et par-dessus tout, de perdre de la crédibilité sur des sujets qui ne relèvent pas à l'évidence de sa compétence ! L'Union européenne doit cesser d'exaspérer les citoyens. L'Union européenne doit cesser d'exaspérer les entrepreneurs par des règlementations toujours plus incompréhensibles sur des sujets sans cesse plus secondaires.
Nous devons donc, et c'est un Européen convaincu qui vous parle, assumer l'abandon de pans entiers d'une activité communautaire d'aujourd'hui qui gagnerait grandement en lisibilité si elle se concentrait sur 7 ou 8 grandes politiques européennes, celle de l'industrie, celle de la recherche, celle de l'énergie, celle de l'agriculture ou encore celle de la concurrence. Quand on est fort, et l'Union européenne est forte, on n'a pas besoin de vouloir s'occuper de tout. Et à force de vouloir s'occuper de tout on finit par ne plus discerner aucune priorité.
Soyons francs : cela demandera une grande vigilance, car il est toujours plus facile de multiplier les textes et il y a toujours de bonnes raisons pour y pousser ; il est beaucoup plus difficile de mettre en place les politiques fortes et ambitieuses dont nous avons besoin, il y a toujours de mauvaises raisons pour ne pas agir, pour reporter à plus tard, pour attendre tel ou tel...
Mais c'est ainsi que l'Europe pourra remplir sa vocation, qui est d'assurer aux nations du vieux Continent la paix, la démocratie, l'Etat de droit. Et parce que nous avons la paix, la démocratie et l'Etat de droit nous pourrons espérer la prospérité. Il en va de l'avenir de nos deux nations, de notre continent et même du monde, parce que le monde d'aujourd'hui, celui du XXIème siècle, hésite entre un modèle privilégiant la confrontation et un modèle fondé sur la coopération, dont l'Europe doit être à la fois le promoteur et l'exemple.
Enfin, il faudra proposer à l'Ukraine, à la Biélorussie, à la Géorgie... et à la Russie, un nouveau cadre pour agir et travailler ensemble. Rien ne serait pire qu'un affrontement inutile avec la Russie, ici sans doute à Berlin on comprend cela mieux que partout ailleurs dans le monde. Cet affrontement serait catastrophique pour les Européens comme pour les Russes. Le XXIème Siècle est le siècle de l'interdépendance. Le
XXIème Siècle est le siècle de la coopération. Le repli sur soi est, au fond, le choix le plus dangereux pour une nation quelle que soit sa taille et quelle que soit l'ancienneté de sa civilisation.
Alors pour réussir ces immenses défis, la France et l'Allemagne doivent agir ensemble. Divisés, Français et Allemands, l'échec est certain ; unis, nous pouvons réussir.
J'ai été heureux de pouvoir, aujourd'hui, saluer devant vous le parcours d'un grand ami de la France, d'un grand Allemand, d'un grand Européen, j'ai nommé Hans-Gert Pöttering.
Nicolas Sarkozy
Président de la République Française (2007-2012)
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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