Parité et mixité
Pascale Joannin
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Angela Merkel vient d'être réélue, en décembre 2013, chancelière de la République fédérale d'Allemagne. À l'issue de ce troisième mandat de 4 ans, elle aura dépassé la longévité, à la tête d'un des plus importants États d'Europe, de l'ancienne Premier ministre britannique, Margaret Thatcher (1979-1990). Ces deux exemples sont révélateurs de la possibilité pour une femme de diriger un État, mais ils restent encore exceptionnels. Il y a peu de femmes chef de gouvernement. En Europe, outre Mme Merkel, elles sont trois : Helle Thorning-Schmidt au Danemark, Alenka Bratusek en Slovénie et, depuis janvier dernier, Laimdota Straujuma en Lettonie (14,2 %). Si on ajoute Dalia Grybauskaite, présidente de la République en Lituanie, on arrive à 5 femmes au sein de l'Union européenne. Et si on prend l'Europe, on arrive à 7 avec une Premier ministre en Norvège et une présidente au Kosovo. C'est décidément encore trop peu.
Toutefois, si l'on replace l'Europe sur la scène internationale, on s'aperçoit que l'Europe reste le continent où la situation des femmes est la meilleure et qu'elle constitue un modèle pour de nombreuses femmes dans le reste du monde. Quitte à montrer l'exemple, pourquoi l'Europe ne frapperait-elle pas un grand coup en 2014, puisque les institutions communautaires seront presque toutes renouvelables ?
Pour une vraie parité dans les institutions européennes
2 femmes sur 4 à la tête des institutions renouvelables en 2014
Les lois établies en faveur de la parité depuis quelques années ont permis un accroissement certain du nombre de femmes élues, notamment au Parlement européen (36,03 %.). Elles président 8 commissions sur 22 (36,36 %), dont celles des affaires économiques et monétaires, et de l'industrie, la recherche et l'énergie. Cette situation plutôt encourageante ne doit pas cacher que le Parlement européen n'a été présidé qu'à deux reprises par une femme depuis 1979 : 2 sur 14, 14,2 %. On en revient au pourcentage des femmes présentes au Conseil.
Le prochain Parlement ne pourrait-il pas être présidé de nouveau par une femme ? Comme ce sera la première des institutions européennes à être renouvelée en 2014 si le Parlement européen choisissait une femme à sa tête, on éviterait la situation ubuesque de 2009 lorsque toutes les présidences (Parlement, Commission, Conseil européen) avaient été attribuées à des hommes. Cette ridicule situation avait alors obligé les chefs d'État et de gouvernement à désigner une femme pour le dernier poste, celui de Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, en la personne de Catherine Ashton. On pourrait même souhaiter que sur les quatre postes clefs au sein de l'Union renouvelables cette année, deux soient attribuées à des femmes.
14 femmes sur 28 à la Commission
Depuis 2013, les 28 États membres ont au moins une députée européenne. C'est un progrès par rapport au passé. Il reste à espérer que, lors du prochain renouvellement, les femmes ne seront pas moins nombreuses. La même préoccupation doit être apportée à la composition de la prochaine Commission européenne : pour la première fois, depuis 1992, l'Union européenne comprend un nombre pair d'États. Pour l'application d'une parité exemplaire et parfaite, c'est plus simple que 15, 25 ou 27. Il s'agit là d'une excellente opportunité pour mettre enfin en application le principe d'égalité entre les hommes et les femmes inscrit dans les traités. Cette égalité reviendrait à désigner 14 femmes sur 28. Encore faut-il que les chefs d'État et de gouvernement n'oublient pas de mettre les noms d'une ou deux femmes dans la liste qu'ils remettront au futur président de la Commission. Futur Président, car pour l'instant, les partis politiques européens qui doivent désigner leurs candidats au poste de président de la Commission, si l'un d'eux venait à remporter le scrutin des 22-25 mai prochains, ont tous désigné des hommes, à une seule exception. Raison de plus pour exiger la parité au sein de la Commission avec 14 commissaires femmes. Cela n'est en rien garanti. Il faut se souvenir qu'en 2009 José Manuel Barroso avait dû rappeler les chefs d'État et de gouvernement à la mixité sinon il y aurait eu moins de femmes dans sa Commission II (9 femmes, soit 33,33 %) que dans sa Commission I (qui a compté 10 femmes à un moment, pour finir à 8). Il faudra être donc particulièrement vigilant pour que l'histoire ne se répète pas cette année.
Une lente féminisation de la vie politique
La loi est encore masculine
La présence féminine au Parlement européen est bien supérieure à la présence des femmes dans les Parlements nationaux des 28 États membres (27,21 % en moyenne dans l'Union européenne), sauf dans 7 États (Suède, Finlande, Belgique, Espagne, Danemark, Pays-Bas, Allemagne). Cette moyenne européenne augmente chaque année, mais... les marges de progression sont réelles. La vie politique reste, à l'exception des pays scandinaves, une affaire d'hommes, un milieu très machiste. Pour la simple et bonne raison que les partis politiques restent tenus majoritairement par des hommes. Sauf si une loi les oblige à la parité, ils mettent en avant leurs semblables masculins. Et quand bien même une loi oblige à la parité dans la composition d'une liste (condition exclusive de recevabilité), il est rare qu'une femme en soit désignée à la tête et qu'elle se retrouve donc présidente. Au niveau européen, 9 États ont une femme à la tête d'une chambre du Parlement (Autriche, Belgique, Estonie, Italie, Lettonie, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, les Pays-Bas présentant la particularité d'avoir une femme à la tête de chacune des 2 chambres du Parlement).
Cette progression est donc lente. Si on évalue le bilan de la parité, dans un pays comme la France par exemple qui a modifié sa Constitution en 2000, on s'aperçoit qu'il n'y a que 151 députées sur 577 (26,17 %) et aucune présidente à ce jour, 78 sénatrices sur 347 (22,47 %) et aucune présidente à ce jour, 48 % de conseillères régionales mais seulement 3 femmes présidentes de région sur 26 (11,53 %), 13,8 % de conseillères générales et 6 femmes présidentes de département sur 100, ce qui a amené à une réforme du scrutin cantonal pour le renouvellement de 2015 avec des duos hommes/femmes, 35 % de conseillères municipales mais 13,8 % de femmes maires, et seulement 6 sur les 38 communes de plus de 100 000 habitants (15,78 %). Le mode de scrutin a donc été modifié pour les élections municipales de mars 2014 afin d'instaurer la loi sur la parité dans les communes de moins de 3500 habitants. Enfin, on notera qu'une femme devrait devenir maire de la capitale française en 2014.
Cet exemple montre que l'implication des femmes en politique reste difficile, voire bloquée et que malgré l'arsenal législatif, la parité est loin d'être une réalité.
Des gouvernements "gris"
On retrouve cette tendance dans la composition des gouvernements. Hormis la Suède qui compte un gouvernement avec davantage de femmes que d'hommes (54,17 %), et six États où les femmes représentent plus de 40 % des ministres (France, Finlande, Italie, Pays-Bas, Danemark, Allemagne), les gouvernements ont tendance à être très largement monocolores ou mono-genres : il y a encore 5 États membres où il n'y a qu'une seule femme ministre (Chypre, Grèce, Hongrie, Lituanie et Slovaquie) et 6 États où il n'y en a qu'une seule (Estonie, Irlande, Malte, Pologne, Roumanie et Slovénie). 11 sur 28, cela représente près de 40 %, ce qui est donc beaucoup trop élevé.
Il faut aussi vérifier les portefeuilles ministériels qui sont confiés aux femmes. Trop souvent leur échoient des secteurs dits féminins comme la santé, les affaires sociales, la culture, trop rarement leur est attribué un secteur dit "régalien" comme les finances, la diplomatie ou la défense. En Europe, une seule femme est ministre des Finances (Portugal), deux femmes sont ministres des Affaires étrangères (Italie, Croatie), quatre femmes sont actuellement ministres de la Défense, (Pays-Bas, Suède, Allemagne et Italie).
À noter que le gouvernement norvégien est strictement paritaire avec 9 femmes sur 18 ministres dont une ministre de la Défense et une ministre des Finances.
L'accélération de la féminisation des entreprises
La Norvège a longtemps été un pays phare en matière de participation des femmes dans la vie économique, et notamment des entreprises. Ayant instauré des quotas il y a 10 ans pour que les femmes siègent dans les conseils d'administration des entreprises, le pays affiche un taux (41 %) d'administratrices de sociétés qui a longtemps fait rêver les autres pays, à tel point que la plupart d'entre eux s'en sont dorénavant dotés.
De l'influence des quotas pour faire bouger les lignes
Soyons honnêtes : la question n'est pas de savoir si on aime ou non les quotas, il faut reconnaître que sans eux la place des femmes dans les entreprises n'aurait pas connu les avancées prodigieuses réalisées ces trois dernières années.
Qu'on en juge : la proportion de femmes dans les conseils des entreprises du FTSE 100 britannique est passée de 12,5 % à 19 % en 3 ans, et dans ceux des entreprises du CAC 40 français de 10 % à 24 % en 3 ans. Le seuil de 20 % de femmes dans les Conseils imposé par la loi Copé-Zimmermann en France au 1er janvier 2014 est donc respecté.
Cette évolution récente de la féminisation des conseils n'aurait pas eu lieu spontanément. Il a fallu aider le destin. Les pays qui ont accompagné cette évolution ne peuvent que se féliciter des résultats positifs obtenus, les autres y viennent progressivement. L'Allemagne a ainsi décidé dans l'accord actuel de "grande coalition" d'introduire un quota de 30 % de femmes dans les conseils de surveillance des entreprises allemandes.
Parce que seulement 17,6 % des membres non exécutifs des conseils des plus grandes entreprises européennes étaient des femmes, la Commission européenne, par la voix de sa vice-présidente Viviane Reding a déposé un projet de directive selon laquelle les entreprises cotées en bourse dans l'Union européenne seront contraintes d'appliquer des procédures transparentes pour que d'ici 2020 au moins 40 % de leurs administrateurs non exécutifs soient des femmes. Ce projet a été adopté par le Parlement européen le 20 novembre dernier. La balle est désormais dans le camp du Conseil.
Le futur est féminin
L'Europe est en la matière précurseur. Si la Suède et la Finlande arrivent en tête avec 27 % de femmes dans les Conseils, la France arrive 3e suivie du Royaume-Uni, du Danemark et des Pays-Bas avec tous plus de 17 %. Par comparaison avec les États-Unis dont on parle beaucoup avec la nomination de Mary Barra à la tête de General Motors, la situation n'est pas mauvaise puisque le pourcentage d'Américaines dans les conseils est de 16,6 %. En Belgique, une femme, Dominique Leroy, vient d'être nommée à la tête de Belgacom et au Royaume-Uni, le Lloyd's est pour la première fois... depuis 325 ans, dirigé par une femme, Inga Beale.
Cette tendance devrait s'accentuer. Le Royaume-Uni envisage 25 % de femmes en 2015 et la France 40 % d'ici 2017. La pression est forte et, quotas ou non, le pli est désormais pris pour que la féminisation des instances de décision s'accélère encore dans le futur même si cela pourrait s'avérer un peu plus difficile à mettre en pratique.
Cette féminisation est présente dans tous les secteurs, y compris la banque. Pour la première fois, la Réserve fédérale américaine est présidée par une femme, Janet Yellen. Le Sénat a donné son accord à sa nomination le 6 janvier. Elle a pris ses fonctions le 1er février.
Après avoir fait coulé beaucoup d'encre dans un passé récent du fait de la composition exclusivement masculine de son directoire, la Banque centrale européenne accueille depuis le 27 janvier une femme, Sabine Lautenschläger, une Allemande, à la faveur de la nomination de l'ancien membre allemand du directoire, Jörg Asmussen, au gouvernement. De la même façon, une femme, Danièle Nouy, a été désignée pour 5 ans, le 1er janvier, à la tête de la supervision des banques de la zone euro.
Les femmes brisent peu à peu le plafond de verre. Les mentalités commencent à évoluer, les hommes prennent conscience de l'importance de la présence des femmes dans le processus de décision et dans le partage des responsabilités. Tout cela est très encourageant. Le futur de l'Europe s'écrit de plus en plus au féminin.
Conclusion
La situation s'améliore, mais il reste encore beaucoup à faire. Bien sûr, quand on dresse une comparaison mondiale, l'Europe reste leader en la matière. Elle compte 27,2 % de députées lorsque l'on en recense 21,8 % en moyenne dans le monde. L'Amérique vient en second avec 24,2 %, le reste de l'Europe 3e avec 23 %, l'Afrique monte et parvient à 22,1 %, l'Asie, les États arabes et le Pacifique restent en-deçà de 20 %, avec respectivement 19,1 %, 17,8 % et 13,1 %. La tendance est à une augmentation des femmes dans les affaires politiques ou économiques partout dans le monde, comme le montre par exemple la désignation de Catherine Samba-Panza comme présidente de Centrafrique le 20 janvier. La complexité des défis à relever appartient tant aux hommes qu'aux femmes et on perçoit une progressive prise de conscience des décideurs pour faire évoluer les comportements et les habitudes. Les femmes ont décidé, elles aussi, de prendre leur sort en main en s'organisant et en constituant des réseaux pour accélérer le mouvement afin que les déclarations d'intention et les règlementations soient suivies d'actes concrets et mises effectivement en application. Il faut vaincre les réticences et faire tomber les résistances de tous ordres qui pénalisent encore l'accès plein et entier des femmes aux responsabilités. Chi va piano, va sano e va lontano dit le proverbe. Mais il n'est pas interdit d'être courageux et ambitieux pour que l'Europe montre au reste du monde en 2014 qu'elle reste le continent des femmes.
Annexes
[1] Ce texte est issu du " Rapport Schuman 2014 sur l'Europe, l'état de l'Union ", Editions Lignes de Repères, 2014, (à paraître en avril)
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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