Les interventions extérieures dans les pays en crise

Stratégie, sécurité et défense

Michel Foucher

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10 février 2014
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Foucher Michel

Michel Foucher

Géographe et diplomate, il est titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d'études mondiales (FMSH–ENS Ulm). Membre du comité scientifique de la Fondation Robert Schuman, du conseil scientifique de l'Académie diplomatique internationale et du Centre des hautes études européennes, il a été Ambassadeur de France en Lettonie et directeur du Centre d'analyse et de prévision du ministère français des Affaires étrangères. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et vient de publier Le retour des frontières, CNRS éditions, 2016.

Les interventions extérieures dans les pays en crise

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1) Doctrines et réalités des interventions : la variété des configurations

L'histoire des interventions récentes (la date de septembre 2001 est un point de départ commode du point de vue occidental) conduites par certains Etats dans des pays tiers démontre que le jeu des impératifs a été singulier dans chaque cas.

Une preuve en est donnée par la remarquable variation des positions des Etats au cours de la période citée ; il n'y a pas de configuration fixe d'Etats intervenants ou d'Etats opposants : unanimité en 2001 en Afghanistan, divisions profondes des alliés occidentaux en 2003 en Irak, abstention des puissances émergentes (dont le Brésil) et de l'Allemagne au Conseil de sécurité en 2011 en Libye, solitude française en 2013 au Mali mais appui logistique de quelques alliés.

Il en va de même des doctrines. Le livre blanc brésilien de défense nationale, dans sa version de 2012, consacre une large place au contexte stratégique du XXIème siècle [1]. Il prône une multipolarité coopérative, associe coopération et capacités de défense, et énonce des positions sur le système international. Vues de Brasilia, les seules interventions légitimes sont les opérations de maintien de la paix conduites sous l'égide des Nations Unies dans de strictes limites : impartialité et pas de substitution aux parties en conflit. Les revues stratégiques et les livres blancs européens les plus récents envisagent les hypothèses d'intervention extérieure, sous mandat explicite de l'ONU, seul quand il y a urgence ou, de préférence, en coalition et en insistant sur le fait que l'action militaire n'est qu'un élément permettant de débloquer une situation de crise et de permettre un compromis politique. Dans la vision française des crises africaines (dont le traitement a occupé 62% du temps des débats au Conseil de sécurité de l'ONU en 2012), l'effort est placé sur l'implication des forces africaines régionales de maintien de la paix et des médiations diplomatiques des institutions régionales. Pour le Moyen Orient de 2013, l'objectif de règlement politique est plus facile à afficher qu'à obtenir si les parties au conflit estiment, comme en Syrie, que tout se joue sur le champ de bataille. Le réalisme doit donc s'imposer dans de telles circonstances, c'est-à-dire la plus grande circonspection.

Des divergences se sont exprimées à propos du principe de responsabilité de protéger (ONU, 2005). La diplomatie brésilienne a mis en avant la notion de responsabilité en protégeant. Mais un consensus demeure sur la notion de respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des Etats. Elle fut formulée dès le XVIIIème siècle par Alexandre Gusmâo sous la forme juridique de l'uti possidetis. Elle a été reprise par l'Union africaine (déclaration du Caire de 1964) et est un concept de base de la majorité des Etats européens (notamment face aux risques de partition ou de remodelage du Moyen Orient en nouveaux "émirats"). A mon sens, le vrai clivage est entre les Etats qui estiment que leur diplomatie et leur politique de défense doivent également servir à exercer des responsabilités internationales et les autres, qui sont la majorité.

Or, on ne peut pas ignorer l'histoire et la géographie. La moitié des crises graves ouvertes dans le monde en 2013 se localisent entre trois et six heures de vol de Bruxelles. Il est possible d'être indifférent. Ce n'est guère raisonnable ni viable à long terme, en Europe, compte tenu de la proximité, des interactions historiques et humaines entre les peuples de part et d'autre de la Méditerranée et du Sahara qui n'est plus une frontière.

L'analyse des dangers et des risques dans les crises à l'étude (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Mali, etc.) montre, à l'inverse, l'importance des connexions qui se sont établies entre les divers théâtres. Les pays intervenants en ont tiré des leçons qui expliquent leur politique prudente en 2013 en Syrie et la volonté généralisée de retrait du théâtre afghan d'ici 2014.

Il importe également d'apprécier les risques de ces interventions au regard de leurs résultats politiques, de l'état des choses actuel, qui permet d'ailleurs de redonner toute leur place aux acteurs nationaux et régionaux, souvent oubliés dans le débat général sur la questions de légitimité et de souveraineté. Les acteurs clés sont ceux qui ont des intérêts pérennes (comme l'illustre le cas du Pakistan en Afghanistan, depuis toujours, ou de la Syrie au Liban, ou de l'Iran en Irak central ou encore de l'Algérie dans la zone saharo sahélienne). Le poids des puissances régionales est souvent sous-estimé, effet sans doute du narcissisme occidental.

2) Analyse critique des impératifs d'intervention

La catégorie des impératifs regroupe les motivations et les arguments des acteurs extérieurs, notamment lorsque sont invoqués des chapitres de la charte des Nations Unies (ou l'article 5 de l'OTAN sur la solidarité des Alliés), des principes de la morale collective (la responsabilité de protéger de 2005), des objectifs stratégiques (contre des adversaires désignant certains Etats et leurs ressortissants comme des cibles) ou, moins souvent, des intérêts économiques (énergie, voies de communication).

Dans le cas de l'Afghanistan, qui a compté une longue série d'interventions extérieures depuis 1978, la situation née du 11/9/2001 a conduit les alliés des Etats-Unis à manifester une solidarité après une agression, en invoquant l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord et sue la base de la résolution 1386 des Nations Unies, adoptée à l'unanimité. Le lancement de l'opération Enduring Freedom par les Etats-Unis, visant à éliminer les bases d'Al Qaida central, à vaincre le régime taliban et à "reconstruire" un Etat jugé "failli" sur la base des accords de Bonn.

Pour l'Irak, la preuve a été faite assez tôt que les arguments de l'administration républicaine étaient fallacieux (détruire des armes de destruction massives supposées dont Saddam Hussein ne pouvait pas en fait reconnaître l'absence, face à l'adversaire iranien) et démesurés (remodeler le Moyen Orient). La France et l'Allemagne ont refusé de s'associer à une expédition militaire (que le sénateur Obama qualifia de désastreuse) alors que les nouveaux alliés européens de l'OTAN ("la nouvelle Europe") n'étaient pas en mesure de faire face aux exigences de leur protecteur en dernier ressort. On verra plus loin que Paris et Berlin ont eu raison de s'y opposer ; ils en ont payé le prix ("punir la France, ignorer l'Allemagne, et pardonner à la Russie", selon la formule de Condelezza Rice). Le French bashing a duré plusieurs années, avec de graves effets économiques et d'atteintes à la réputation. Berlin a dû accepter une coopération très avancée en matière de renseignement, comme on le découvre en 2013. Moscou a été marginalisé.

En Libye, l'initiative est venue de Paris et de Londres, seuls, avec comme argument initial de mettre en œuvre le principe nouveau de "responsabilité de protéger". Il était certain que le régime de Khadafi massacrerait les rebelles de Benghazi et de Cyrénaïque comme il l'avait annoncé. Il était admis que les Européens, déjà affectés par les massacres de Bosnie, ne se remettraient pas de si tôt au plan moral si de nouvelles exactions étaient commises en Libye. Mais il est également évident que l'interprétation qui a été faite de la résolution 1973 a conduit à définir un objectif de changement de régime, dans un contexte de guerre civile. Allemagne, Brésil, Chine, Inde et Russie s'abstinrent au Conseil de sécurité. On notera que la Ligue arabe a soutenu la démarche franco-britannique et que des forces du Qatar et des Emirats arabes unis ont conduit des opérations militaires et de soutien.

Au Mali, l'initiative de l'intervention militaire de janvier 2013 est strictement française. Elle a été décidée en riposte immédiate à l'avancée de colonnes armées djihadistes en direction de la capitale Bamako, décidée par AQMI, le MUJAO et Ansar-Edine en réponse à la résolution 2085 (20/12/2102) ferme et détaillée du Conseil de sécurité qui prévoyait entre autres le déploiement de la MISMA, avec l'appui de forces régionales et internationales. L'action militaire de Paris a été demandée par le président malien intérimaire. L'objectif a été de stopper puis de refouler et enfin de casser le noyau dur d'AQMI dans les montagnes refuge de la moitié saharienne du Mali, dont le pouvoir précédent avait accepté de perdre le contrôle. L'impératif était de rétablir l'intégrité territoriale du Mali et d'affaiblir le noyau dur de la filiale maghrébine d'Al Qaida. Rappelons que la France n'a pas d'intérêts économiques au Mali, à la différence de la Chine ou de l'Algérie (c'est le pays africain le plus aidé par la France en termes de coopération) mais qu'elle a une expertise profonde (otages) et qu'une forte communauté malienne vit en France, qui a approuvé cette intervention qualifiée de "salutaire".

Dans le cas de la Syrie, les positions des acteurs cités plus haut ont évolué, sauf dans le cas de la Russie, décidée à soutenir le régime et à obtenir une improbable solution négociée. Après avoir été allants, Londres et Paris ont progressivement estimé qu'il n'était pas judicieux d'intervenir dans une guerre civile entre Syriens musulmans ni de prendre le risque de livrer des équipements qui pourraient être utilisés par des groupes jihadistes internationalistes. Les Européens s'efforcent de soutenir politiquement une opposition politique crédible, respectable et représentative, sans envisager ni zone d'exclusion aérienne ni action militaire directe. Les précédents libyen et surtout irakien conduisent à la retenue. La position des Européens n'est pas de favoriser un redécoupage régional mais de contribuer à rééquilibrer le rapport des forces. L'intervention des régimes irakien et iranien chiites d'une part, sunnite saoudien et qatari de l'autre donne à la guerre civile syrienne une dimension régionale préoccupante.

Les négociations de Genève et de Montreux sous l'égide de l'ONU avec l'appui rival de Moscou et de Washington n'ont débouché sur rien et n'ont pas arrêté les bombardements des villes par l'armée du régime. La partition du pays en zones tenues par le régime ou par les islamistes radicaux laisse les opposants démocrates en situation précaire.

Enfin, en République centrafricaine (RCA), la rapide dégradation de la situation politique et sociale après la prise de Bangui par la coalition de la Séléka a conduit à une véritable anarchie et des exactions réciproques (coalition Séléka contre "anti-balaka") si graves qu'un risque "pré-génocidaire" avait été identifié. A la différence du Mali où il s'agissait de combattre des djihadistes internationalistes, l'intervention militaire française lancée le 5 décembre 2013 après l'adoption à l'unanimité de la résolution 2127, a eu une motivation humanitaire, avec le soutien par l'opération Sangaris (1600 soldats) d'une force africaine, le MISCA (6000 soldats).

Ce qui est à retenir est bien la variété des configurations d'interventions extérieures, selon les crises. Il faut bien sûr prendre en compte le rôle des personnalités dirigeantes au moment des décisions, surtout dans les pays démocratiques, et la volonté de tel de se démarquer de son prédécesseur. On constate également que les buts initiaux tendent le plus souvent à dévier, sauf dans le cas du Mali où l'objectif initial d'intégrité territoriale a été atteint. Mais le fait de ne pas agir en coalition a rendu la poursuite des objectifs plus simple à tenir.

3) Dangers et résultats des interventions extérieures, à envisager comme critères d'appréciation

Dans plusieurs livres blancs de la défense et de la sécurité nationale publiés en Europe à la fin des années 2000, avait mis été en exergue le concept d' "arc de crise", pour désigner une aire étendue du Sahara au Pakistan où les groupes jihadistes à objectifs internationaux pouvaient tenter d'essaimer et de se coordonner. Al Qaida a en effet donné sa franchise à des filiales plus ou moins autonomes dont les plus actives sont AQPA, AQMI et la branche irakienne d'Al Qaida, l'Etat islamique en Irak et au Levant (EILL) qui combat Kurdes, Alaouites et Chrétiens en Irak et en Syrie. De même, ce qui reste des katibas d'AQMI, chassés du Mali, tente de s'installer dans le sud-ouest de la Libye, hors du contrôle du pouvoir de Tripoli. Des armements dérobés dans les arsenaux libyens ont été retrouvés au Mali. Des aides financières ont été données par AQMI aux groupes de shebab en Somalie. Toutes les crises ont une dimension régionale et des portions du pays voisin servent de sanctuaires aux groupes d'opposants.

Le renforcement de ce type de situation critique régionale avec déplacement des foyers de crise est sans doute le principal danger pour la stabilité régionale.

L'autre danger est l'échec politique de l'intervention. Que se passe-t-il lorsque les forces étrangères ont quitté leurs terrains d'intervention ?

Retour au cas afghan. 12 ans plus tard, les principaux acteurs sont sur la voie de retrait militaire ; des élections sont prévues en 2014 ; des rencontres ont commencé au Qatar entre les Etats-Unis et des représentants Taliban, puis à Tokyo, Londres et Paris sans que des négociations n'aient démarré; Al Qaida central est affaibli mais ses filiales au Yémen, en Irak, en Syrie et au Maghreb restent actives.

Il est probable que si les Etats-Unis (et leurs alliés) s'étaient concentrés durablement sur l'objectif principal, la destruction d'Al Qaida central, les résultats politiques et économiques auraient être plus positifs. Aujourd'hui, les experts se demandent, en Europe au moins, s'il ne s'est pas agi d'une "guerre inutile". Et nul ne se risque à prévoir une plus grande stabilité du pays après 2014, à moins d'un changement radical de politique de la part des autorités civiles et militaires du Pakistan qui, lui, à la différence des pays intervenants, a des intérêts nationaux permanents en Afghanistan. La Chine pousse ses pions (mines de cuivre, projet d'infrastructures via le Tadjikistan).

Dans le cas de l'Irak, les vainqueurs de l'intervention américaine sont dans l'ordre : les Kurdes, quasiment indépendants et capables de négocier en direct des contrats pétroliers sans passer par Bagdad ; la majorité chiite au pouvoir ; le régime iranien, qui a pris sa revanche sur la période de Saddam Hussein ; enfin les compagnies pétrolières chinoises qui ont emporté les principaux contrats d'exploration et achètent la moitié du pétrole produit par l'Irak (en 2020, 80% du pétrole irakien sera exporté vers l'Asie, essentiellement en Chine selon l'Agence internationale de l'énergie). Du côté des vaincus, la minorité sunnite des provinces centrales et les Baassistes, qui n'admettent pas leur perte du pouvoir, ainsi que les Saoudiens et les pays du Golfe. D'où la poursuite de violences en 2013 à des niveaux jamais atteints. Cet échec d'une administration américaine permet de mieux comprendre la volonté de la suivante de trouver les moyens d'un dialogue avec le régime iranien du président Rouhani.

En Libye, le pouvoir de Tripoli n'a pas encore réussi à imposer son autorité sur les groupes régionaux et les tribus qui refusent de désarmer (environ 200 katibas échappent encore au pouvoir central). Plusieurs débats traversent une société divisée entre une partie occidentale plus maghrébine et urbanisée et une partie orientale plus sensible aux thèses des Frères musulmans égyptiens, eux-mêmes en perte d'influence malgré l'appui du Qatar.

Au Mali, l'intégrité territoriale a été restaurée, une force de l'ONU (MINUSMA) s'est déployée et le second tour de l'élection présidentielle s'est achevé sans contestation le 12 août avec le succès de l'ancien Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta, soucieux de "redonner sa fierté au Mali" et de modifier les pratiques politiques. Comme le notent les experts, le problème central du Mali n'était pas au nord, mais au sud, en raison des dérives de le gouvernance politique. La France avait insisté pour que le scrutin se tienne dès que possible. Des forces restent sur place, en appui de la MINUSMA depuis le 1er juillet, qui est commandée par un général rwandais et qui compte 6300 soldats africains, avec un mandat robuste (la résolution 2100 du 25 avril 2013 la place sous chapitre VII de la Charte de l'ONU ; elle a été adoptée à l'unanimité). Cet épisode d'une intervention extérieure justifiée par l'incapacité d'un régime à assurer la sécurité a suscité un sursaut de l'Union africaine et de plusieurs pays, dans le sens d'un engagement à renforcer les capacités africaines d'intervention miliaire régionale, pour les porter au niveau des médiations diplomatiques (accord Nord / Sud négocié au Burkina Faso en juillet, avant les élections). Il reste, comme ailleurs en Afrique, à faire fonctionner le triangle "sécurité, démocratie et développement". L'armée malienne est en pleine reconstruction et sa formation est assurée par la mission européenne EUTM. Dernier côté du triangle vertueux : le développement économique. Le 15 mai 2013, 80 pays réunis à Bruxelles ont promis 3,2 milliards € d'aide au Mali en deux ans (dont 280 millions pour la France) - soit plus d'un tiers du produit intérieur brut de cet Etat sahélien.

En RCA, un gouvernement de transition est en place depuis le 23 janvier. L'objectif de rétablissement d'une sécurité minimale est progressivement atteint par de opérations de sécurisation de quartiers de la capitale non encore désarmés et des axes routiers menant vers le Tchad et le Cameroun pour l'acheminement de convois routiers. Le cantonnement des forces de l'ex-Séléka par la MISCA avec l'appui de la force Sangaris se poursuit ; leur retour à leurs régions d'origine est probable. Un processus de transition est engagé et des réunions de conciliation animées par des représentants des trois cultes et des acteurs locaux (Peulhs, anti-balaka) se multiplient. Enfin, le 30 janvier 2014, le président polonais Bronislaw Komorovski a décidé d'envoyer un contingent militaire de soutien aux troupes françaises pour une durée de trois avec l'appui d'un C 130. C'est une décision importante, issue du dialogue approfondi conduit entre experts et décideurs des deux pays depuis deux ans. L'Estonie et la Belgique ont emboîté le pas.

Là encore, on doit constater la grande variété des résultats obtenus à la suite des interventions extérieures. Et insister sur le fait qu'il importe d'associer les acteurs régionaux dans la mise en place de solutions diplomatiques et politiques durables.

Le rôle des grandes diplomaties

Les crises évoquées, qui ont fait l'objet des interventions à l'étude, ont plusieurs caractéristiques.

D'abord, elles se situent entre trois et six heures de vol de l'Europe. La moitié des crises graves du monde se situent du reste dans ce rayon. Il est donc difficile de justifier l'indifférence du fait de la proximité de ces théâtres et du fait que dans plusieurs de ces foyers de crises des menaces explicites sont proférées contre les intérêts et les ressortissants européens.

Les deux interventions françaises ont été l'occasion d'une prise de conscience par les autres Européens des enjeux de stabilité en Afrique. La présence de formateurs européens au Mali, de forces de Pologne, d'Estonie et de Belgique en RCA et l'option d'étendre le périmètre du fonds Athéna (qui finance une partie des opérations civilo-militaires de l'Union européenne) sont des premiers pas, en attendant la mise en place d'un fonds permanent de financement demandé par la France. Les premières déclarations des ministres allemands en charge de la défense et des affaires étrangères dans le sens d'une prise plus grande de responsabilité dans la gestion des crises extérieures marquent une inflexion bienvenue.

Le concept d'arc de crise trouve ses limites en ce qu'il décrit une situation de connexion territoriale qu'il importe précisément d'empêcher d'advenir. La situation la plus difficile concerne le Moyen Orient et, à cet égard, le bilan des interventions occidentales mérite d'être jugé sévèrement. De même que l'intervention directe de la Russie en Syrie, aux côtés de l'Iran et du Hezbollah. Moscou y a saisi l'occasion de retrouver une capacité, un rôle (comme au vieux bon temps) de nuisance dans une approche anti-sunnite.

Les transitions critiques dans le monde arabe changent la donne et expliquent l'attentisme américain (préférable à l'activisme transformationnel des néo-conservateurs) et le jeu chinois, qui rafle la mise économique.

Les puissances responsables, dotées de grandes diplomaties, doivent renoncer à façonner et s'engager à accompagner les transitions et les sorties de crise. Elles doivent également veiller à agir en conformité avec les mandats des Nations Unies. Mais il y a plus. Comme le démontre la situation du continent africain, la prise de conscience que les Etats membres de l'Union africaine doivent plus s'impliquer dans la résolution des crises. France, Allemagne, Royaume-Uni, Brésil, Etats-Unis doivent les y encourager et les appuyer dans ce sens.

En outre, les acteurs "extérieurs" ne se limitent pas aux seuls pays occidentaux ; il convient d'élargir la notion d'interventions aux acteurs qui ont des intérêts permanents dans les Etats considérés (Pakistan et Iran en Afghanistan, mais aussi Russie, Chine et Ouzbékistan ; Iran, Turquie et Arabie saoudite en Irak ; Turquie, Liban, Israël, Arabie saoudite et pays du Golfe en Syrie ; Egypte, Algérie et Qatar en Libye ; Arabie saoudite et Oman au Yémen ; Arabie saoudite et Algérie au Mali). Ces Etats ont des clés essentielles pour soit continuer de fomenter l'instabilité soit au contraire favoriser des compromis.

Rappelons enfin à cet égard que d'autres Etats ont eux-mêmes conduit des interventions extérieures : ainsi l'Ouganda et le Burundi en Somalie (AMISOM), ainsi que l'Ethiopie, qui compte également des forces importantes à la frontière des deux Soudans et l'Afrique du Sud en République centre-africaine. Il n'est plus fondé d'affirmer que l'intervention extérieure est un monopole occidental. Et c'est une bonne nouvelle.


[1] Ce texte actualisé est issu d'une conférence prononcée à la Forte de Copacabana International Conference on Security à Rio les 28-29/11/2013

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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