Climat et énergie
Antoine Frérot
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Antoine Frérot
" Nous n'héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants "[1]. Cet appel à respecter les générations futures nous invite à ne pas dilapider le capital naturel de la planète (atmosphère, eau, sols, animaux et végétaux, etc.), qui est fragilisé et menacé par de multiples activités humaines polluantes. Préparer l'avenir de nos enfants implique de nous engager dans une transition écologique vertueuse, qui protège durablement l'environnement et assure en même temps le développement de l'outil industriel européen. Partout où cette transition est amorcée, elle a dû emprunter un chemin de crête étroit entre deux points de vue diamétralement opposés : pour certains, des règles environnementales mal calibrées nuiraient à la compétitivité des entreprises et menaceraient à court terme des secteurs économiques entiers de paralysie ; pour d'autres, des prélèvements mal maîtrisés dans les ressources d'eau, de matières et d'énergie ainsi qu'une surexploitation du capital naturel stériliseraient peu à peu le développement économique.
Du point de vue d'un opérateur des services à l'environnement comme Veolia, des pistes concrètes existent pour avancer dans cette transition, en surmontant les tensions entre les options parfois contradictoires à court et long termes. Entreprise à vocation mondiale, historiquement française et naturellement européenne, Veolia a décidé de concentrer ses efforts sur trois grands défis de la transition écologique qui s'imposent aux acteurs publics et privés et dont la réponse passe par l'innovation et la création de nouveaux modèles économiques. La qualité des solutions et leur mise en œuvre dépendront également de la mobilisation des pouvoirs publics.
1 - Les défis immédiats de la transition écologique
Au regard des évolutions des modes de production, des habitudes de consommation et des styles de vie qui ont affecté l'Europe au cours des dernières décennies, nous avons fait le choix de concentrer nos moyens sur les défis du traitement des pollutions les plus difficiles, de la rareté croissante des ressources naturelles et de la gestion des services urbains complexes.
Traiter les pollutions les plus difficiles
Les activités économiques génèrent des déchets polluants ou dangereux qu'il convient de ne pas disperser ou diluer dans la nature mais, au contraire, de confiner et concentrer, pour pouvoir les éliminer ou les valoriser. Les bonnes pratiques de gestion de ces déchets dans l'Union européenne répondent à des règles et à des contrôles communs. Pourtant le recours à de nouveaux modes de traitement et donc à de nouvelles technologies s'avère nécessaire, y compris pour gérer les pollutions existantes, en raison du renforcement des exigences réglementaires.
En octobre 2010, les villages situés en aval de l'aluminerie d'Ajka (Hongrie) et le Danube tout proche furent brutalement envahis par 2 millions de m3 de boues rouges liquides et caustiques, après la rupture d'une digue d'un bassin-réservoir de l'usine. Ceci provoqua une catastrophe humaine et écologique, avec neuf personnes tuées, cent vingt blessées et des dommages considérables à la faune et la flore de la région. Les boues rouges, ces résidus de la production de bauxite, constituent un défi environnemental pour l'industrie de l'aluminium. En 2012, Veolia a signé un accord exclusif avec une société canadienne détentrice de technologies vertes uniques[2] capables de dépolluer ces boues et de les convertir en produits valorisables ou en un résidu sec et inerte. Désormais, nous sommes en mesure de récupérer l'alumine, les métaux rares et les terres rares contenues dans ces boues hautement toxiques ! Ce procédé novateur apporte une solution efficace et à l'échelle industrielle à ce grave problème environnemental, puisque, dans le monde, les stocks de boues rouges non traitées s'élèvent à 3 milliards de tonnes et augmentent de plus de 100 millions de tonnes par an.
Au fil du temps, surgissent de nouvelles pollutions telles que les résidus médicamenteux et les perturbateurs endocriniens, substances pour lesquels de nombreux travaux sont en cours afin d'améliorer les méthodes de détection et d'analyse, tant dans les eaux usées et les eaux épurées que dans les nappes souterraines et les rivières. Autres déchets à traiter : ceux qui résulteront du démantèlement des centrales nucléaires. 300 réacteurs nucléaires devront être démantelés dans le monde d'ici 20 à 30 ans, dont les trois quarts se situent en Europe. C'est pourquoi Veolia a conclu en 2013, avec le Commissariat à l'Energie Atomique et aux Energies Alternatives, un accord pour le démantèlement des installations nucléaires en fin de vie.
Prévenir ou gérer les raretés
L'Europe est pauvre en ressources naturelles ; elle en importe actuellement sept fois plus qu'elle n'en exporte. Il est vrai que ce fut le continent où a débuté, il y a deux siècles, la révolution industrielle et l'exploitation intensive des ressources. En 2011, l'Union européenne s'est dotée d'une feuille de route sur l'utilisation efficace des ressources. A l'initiative du commissaire à l'environnement Janez Potocnik, la Commission européenne a créé en 2012 une plateforme multi-acteurs EREP[3], afin d'élaborer des recommandations concrètes sur ce sujet. Au-delà de l'Europe, nous savons que la planète tout entière est confrontée à une rareté croissante des ressources naturelles : pénurie prévisible de plusieurs minéraux, épuisement des ressources énergétiques fossiles, diminution des réserves d'eau douce. Pour gérer ces raretés, un triple effort sur l'économie s'impose afin de la décarboner, la dématérialiser et la déshydrater.
Décarboner l'économie pour quitter le monde du pétrole, du gaz et du charbon. Comment réduire drastiquement les rejets de gaz carbonique tout en satisfaisant un niveau élevé de demande énergétique en Europe et croissant à l'échelle de la planète ? D'abord en économisant l'énergie. Ensuite à défaut d'abandonner les énergies fossiles, en augmentant considérablement les rendements des installations énergétiques par la production combinée de chaleur et d'électricité (cogénération). Enfin, en remplaçant les énergies fossiles par des énergies propres, par exemple en substituant la biomasse au charbon pour alimenter les réseaux de chaleur des villes. En Pologne, notre filiale Dalkia a investi dans les centrales thermiques de Lódz et de Poznan, et adapté ses circuits d'approvisionnement, afin de modifier la composition du combustible utilisé. Dorénavant, dans les réseaux de chauffage urbain de ces deux agglomérations, une part non négligeable de la chaleur distribuée provient de la biomasse forestière ou agricole.
Ensuite, dématérialiser l'économie afin de consommer moins de ressources naturelles, c'est-à-dire découpler la croissance du PIB de la consommation des ressources. C'est en faisant du déchet une ressource et en s'orientant vers une économie circulaire que ce découplage deviendra une réalité. L'Europe, comme les autres continents, a commencé par le plus simple en recyclant le papier, le carton et la ferraille. Aller plus loin exige des avancées technologiques pour que les produits issus du recyclage respectent à la fois à des critères de qualité, de sécurité sanitaire et de compétitivité économique. Il en est ainsi de la réutilisation des catalyseurs et charbons actifs usagés utilisés dans l'industrie, et de la récupération du mercure[4] qu'ils contiennent et qui leur confère le caractère de déchet dangereux. C'est une des activités de Batrec, filiale de Veolia, qui applique, pour cette mission, une expertise acquise dans le recyclage des piles.
Un autre exemple d'économie circulaire nous est fourni par les boues d'épuration provenant du traitement des eaux usées d'origine urbaine, qu'on a longtemps considérées comme dépourvues de valeur et qui constituent en réalité une source de matières premières et d'énergie ; en effet, la digestion ou la méthanisation des matières organiques qu'elles contiennent permet de produire du biogaz qui sera ensuite transformé en chaleur et en électricité. Elles constituent aussi un formidable réservoir de phosphore, un matériau indispensable à l'agriculture et dont les gisements risquent d'être épuisés avant la fin du siècle, ce qui justifie que soit organisé le recyclage généralisé de cette matière minérale.
Enfin, déshydrater l'économie pour diminuer les prélèvements dans les rivières et les nappes. Ressource renouvelable mais répartie de façon très inégale, l'eau est sujette à des problèmes de rareté de plus en plus aigus, du fait de prélèvements croissants, de l'urbanisation et du réchauffement climatique, y compris dans des régions d'Europe qui n'y étaient guère confrontées comme l'Angleterre ou certains Länder allemands. Pour répondre à ces enjeux, différents types de solutions existent, comme par exemple la réduction des fuites d'eau dans les réseaux publics de distribution, la recharge des nappes phréatiques et surtout la réutilisation des eaux usées traitées. Cette technologie n'est que très rarement pratiquée en Europe actuellement, alors même qu'elle ouvre la voie à une ressource alternative disponible en grande quantité, là où l'on en a besoin.
Optimiser la gestion des grands services urbains complexes
Devenir des " smart cities ", des villes intelligentes, c'est l'objectif que beaucoup de cités européennes se sont fixés. De fait, les nouvelles technologies vont remanier en profondeur les services urbains. Le développement de puissants systèmes d'acquisition et de traitement d'une quantité colossale de données ou " big data " concernant les citoyens (sur leurs consommations d'énergie, d'eau, leurs transports, loisirs, production de déchets etc.) va rendre possible l'apparition de nouveaux services locaux qui transformeront voire révolutionneront les comportements : système d'alerte en cas de surconsommation d'électricité, calcul des émissions de CO2 rejeté.
En 2011, Veolia a créé, en partenariat avec Orange, une joint-venture dénommée m2ocity. Elle a vocation à installer puis gérer 5 millions de " compteurs intelligents " d'eau, de gaz ou de tout autre type de flux. Ces compteurs d'un nouveau type permettent un pilotage optimal des consommations dans les bâtiments et chez les particuliers ; de plus, ils facilitent la mise en œuvre de tarifications sociales et écologiques, grâce à un suivi individualisé et en temps réel des consommations.
2 - Pour répondre à ces défis : l'innovation et l'instauration de nouveaux modèles économiques
Pas de transition écologique sans innovation
A l'avenir, les services à l'environnement seront de moins en moins cloisonnés, comme c'est encore trop souvent le cas actuellement dans les municipalités avec d'un côté l'énergie, de l'autre les déchets, et ailleurs l'eau. Au contraire, les passerelles se multiplieront entre les services urbains. Cette convergence est à l'œuvre lorsque les déchets se font électricité, combustibles ou composts. Elle l'est aussi quand les eaux usées d'une station d'épuration deviennent un gisement de matière organique utilisable pour la production de bioplastiques, comme c'est le cas avec le prototype unique au monde installé sur la station d'épuration de Bruxelles-Nord qui dessert plus d'un million d'habitants. Après le succès de la phase pilote, il reste à valider les conditions économiques du passage à une échelle industrielle.
Le besoin de nouveaux modèles économiques
Si l'intérêt général exigeait autrefois d'étendre les réseaux et d'augmenter les volumes d'eau potable ou d'énergie distribués aux habitants afin d'améliorer la protection sanitaire et le confort des populations, il commande dorénavant de consommer moins de ressources. Ceci, bien sûr, bouleverse la logique économique établie initialement et qui reste en vigueur : loin de chercher à vendre plus, les services d'eau et d'énergie doivent chercher alors à vendre moins, alors qu'ils sont le plus souvent rémunérés par les ventes !
Ceci pousse les opérateurs à inventer de nouveaux modèles économiques. Par exemple, en optant pour une rémunération fondée sur les performances plutôt que sur les volumes ; dans un tel schéma, pour accroître ses revenus, il ne sert à rien à l'opérateur de vendre d'avantage de kWh ou de m3 d'eau, mais de parvenir aux objectifs fixés par la puissance publique. Dans certains cas, il est même possible de passer d'une économie de volumes à une économie de " non-volume ", avec une rémunération fondée sur les ressources économisées. Une autre approche consiste à dissocier les volumes vendus des volumes prélevés dans la nature, en recyclant les matières ou les usées eaux.
Le besoin d'une approche territoriale rénovée
Les services à l'environnement apportent aux collectivités de précieux atouts dans la compétition urbaine : ils participent notamment à l'attractivité des territoires européens. La qualité de l'aménagement repose en grande partie sur celle des services essentiels, elle s'exprime par tout ce qui facilite la vie des citoyens et des entreprises et sécurise les flux économiques. A Val d'Europe, près du parc Disneyland de Paris, nous récupérons la chaleur fatale du data center d'une banque, chaleur qui était auparavant perdue, pour alimenter, sans émission de CO2, un réseau de chauffage urbain desservant 600.000 m2 de bureaux, hôtels et logements. A La Défense, le quartier d'affaires de la capitale française, nous venons d'inaugurer la première plateforme intégrée de pilotage de l'efficacité énergétique. Elle supervise la gestion énergétique de 1.100 installations ; son fonctionnement repose sur l'association étroite, à l'échelle de chaque territoire, d'un double réseau numérique et humain pour réaliser des économies d'énergie.
3 - Le rôle majeur des pouvoirs publics pour faciliter la transition écologique
Les institutions européennes comme les Etats membres et les pouvoirs publics locaux disposent de plusieurs leviers pour rendre l'économie plus verte, plus sobre, plus propre. Ces leviers renvoient notamment à leurs missions de " stratège ", de régulateur, d'acheteur public ou encore aux financements de long terme qu'ils aident à mobiliser.
La fixation d'objectifs stratégiques ambitieux
La première responsabilité des pouvoirs publics est de fixer un cap clair et crédible. C'est déjà le cas avec les trois grands objectifs du paquet " Energie Climat " de l'Union européenne (" 3x20 ") sur la réduction d'émissions de CO2, le développement des énergies renouvelables et l'augmentation de l'efficacité énergétique. Ce paquet a déjà conduit à de grands progrès dans la gestion de notre environnement. Mais le cap à fixer devrait aussi concerner, de manière spécifique, certaines énergies qui ont un rapport coût-efficacité favorable : c'est le cas de la chaleur, trop souvent négligée ou oubliée dans la législation européenne au profit de l'électricité, alors même que les bâtiments, première source de consommation d'énergie, consomment deux fois plus de chaleur que d'électricité.
La récente directive européenne sur l'efficacité énergétique[5] impose aux Etats membres d'établir une stratégie de long terme de rénovation des bâtiments, tant publics que privés, et fixe un objectif de 3% par an de rénovation des bâtiments des gouvernements centraux. La mise en œuvre de ces obligations devrait faire l'objet d'une mobilisation importante des pouvoirs publics en faveur des contrats de performance énergétique (CPE), un outil auquel la directive les invite à recourir. Ces contrats doivent être assortis d'engagements de performance mesurables et garantis par les partenaires privés. Ces contrats peuvent générer des économies d'énergie ambitieuses et raisonnables avec une période d'amortissement des investissements nécessaires n'excédant pas dix années. La ville de Montluçon a signé un contrat de performance énergétique de 10 ans avec notre filiale Dalkia, pour mettre en œuvre un ensemble de mesures de réduction de ses consommations d'énergie sur une centaine de bâtiments communaux. Les actions entreprises vont de la rationalisation des sytèmes de chauffage des bâtiments à l'introduction d'énergies renouvelables ou l'implantation de " systèmes de pilotage des bâtiments ". En trois années, nos équipes ont abaissé de 21,5 % la consommation énergétique par rapport au niveau auquel elles se situaient avant l'entrée en vigueur de ce contrat. Des dispositifs contractuels similaires, fondés sur les économies d'énergie, se rencontrent ailleurs en Europe, par exemple en Slovaquie ou en Suède (dans la ville d'Hörby).
Plus généralement, l'Union européenne, où la chaleur et le froid représentent 46% de l'énergie consommée, a besoin d'une feuille de route pour la chaleur. Aucun objectif spécifique n'a été établi pour développer les réseaux de chaleur des villes, alors même que leur efficacité est bien supérieure à celle des chauffages individuels, et qu'il existe en Europe un grand potentiel de développement et de remise à niveau des réseaux existants.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, il convient de s'assurer que le développement de productions intermittentes (éolien et solaire) s'accompagne de celui de productions flexibles dont le rapport coût-efficacité pour les finances publiques est considéré comme plus performant : la biomasse, avec ses filières locales créatrices d'emploi, la géothermie, et la valorisation énergétique des déchets dont les potentiels sont sous-exploités[6].
Enfin un bon objectif doit améliorer la compétitivité des entreprises. S'il est ciblé et réaliste, il peut amener une filière industrielle à se structurer, ce qui participe à l'attractivité des territoires et permet à l'Europe de développer des savoir-faire et infrastructures qui constitueront une des sources de la croissance de demain. Dans le secteur de la propreté, la fixation par les législations européennes d'objectifs de recyclage ou de valorisation pour les filières ou flux de déchets prioritaires, comme les déchets électroniques ou les batteries des véhicules électriques, demeure essentielle.
L'adoption de règles et de normes hâtant la transition énergétique
Des réglementations nouvelles seront nécessaires pour accompagner la mutation des services à l'environnement. Si réglementer peut parfois faire peser sur les entreprises des contraintes excessives ou inutiles, c'est aussi le moyen de stimuler l'innovation, voire de faire de l'Europe la référence dans certains secteurs par rapport à ses concurrents internationaux. Réglementer c'est également donner aux parties prenantes les garanties nécessaires à l'encadrement de pratiques nouvelles dont la mise en œuvre pourrait entraîner des risques environnementaux ou sanitaires.
C'est le cas par exemple pour les gaz de schiste et les gaz de houille, qui, compte tenu de l'existence de gisements sur le continent, font l'objet de vifs débats dans les Etats membres de l'Union européenne en vue de leur possible exploration et exploitation. Comme l'a déclaré le commissaire Potocnik sur ce sujet[7], les techniques et bonnes pratiques existent pour prévenir, réduire et piloter les risques, l'utilisation de ces bonnes pratiques doit être effective et le cadre réglementaire doit assurer la protection adéquate et effective de l'environnement et de la santé. Un autre exemple d'encadrement indispensable de pratiques nouvelles est celui du recyclage des eaux usées retraitées, une pratique prometteuse du point de vue environnemental, mais qui ne saurait se généraliser sans directive européenne et sans normes communes au sein de l'Union. De telles normes, que la Commission, dans son " Plan d'action pour la sauvegarde des ressources en eau de l'Europe "[8], envisage de fixer, devraient s'attacher à définir les critères de qualités à respecter suivant les usages envisagés pour l'eau recyclée, à commencer par l'irrigation agricole qui demeure le premier consommateur d'eau sur le continent.
Pour des politiques d'achats publics favorisant l'excellence sociale
Les acheteurs publics européens doivent pouvoir plus facilement et plus sereinement opter pour le " mieux disant environnemental ". Tout projet de service à l'environnement suppose des évaluations globales, qui prennent en compte la réalité économique et sociale des activités existantes, et qui mettent aussi en regard des coûts de mise en œuvre, les gains attendus en termes de santé publique et de protection de l'environnement. Cela suppose que les acheteurs publics bénéficient d'une triple sécurité, juridique, économique et politique, laquelle fait aujourd'hui défaut. Sécurité juridique d'abord : un acheteur public ne doit pas voir son choix systématiquement contesté, voire annulé s'il ne retient pas l'offre la moins disante. Sécurité économique ensuite : des méthodes de type Analyse de Cycle de Vie doivent permettre d'évaluer l'offre économiquement la plus avantageuse en prenant en compte les aspects environnementaux. Sécurité politique enfin : les acheteurs publics doivent être en mesure de démontrer à leurs concitoyens que l'offre la mieux-disante assure le meilleur service au meilleur prix.
La commande publique joue un rôle significatif en Europe où elle représente 17% du PIB ; il est donc important que les acheteurs publics l'utilisent pour favoriser le long terme. Ils doivent pour cela se garder d'une logique purement " low cost ". Une telle logique n'assurerait pas une protection à long terme du consommateur ou de l'usager, car la sécurité sanitaire et environnementale des citoyens a un coût. Une logique " low cost " fragiliserait à terme beaucoup d'entreprises, car l'innovation se déploie avant tout sur les marchés prêts à en financer les risques et à rémunérer les entreprises qui les prennent.
Les financements de long terme
On ne peut demander à chacun de payer l'ensemble des coûts induits par la transition écologique. Avec plus de 150 millions d'Européens touchés par la précarité énergétique[9], la question du financement des services publics essentiels apparaît comme un enjeu central pour renforcer la cohésion sociale. Dans de nombreuses régions de l'Union européenne, les usagers ne sont pas en mesure de supporter l'intégralité des coûts des services publics dans le secteur de l'environnement : dans certaines villes d'Europe Centrale, des ménages se déconnectent des réseaux de chaleur et utilisent des chauffages individuels - plus polluants et moins performants - car leur facture de chauffage collectif est devenue trop élevée par rapport aux revenus dont ils disposent.
Dès lors, les financements publics ont un rôle à jouer dans les investissements d'intérêt général dont l'Europe a besoin pour atteindre ses objectifs énergétiques et climatiques et faire accéder tous ses citoyens à des services essentiels de qualité. Les financements européens disponibles pour la période 2014-2020 devraient pouvoir être mieux utilisés par les autorités publiques désireuses de soutenir de tels investissements ; certains projets méritent d'ailleurs de pouvoir combiner plus facilement fonds structurels et partenariats publics privés (PPP) dans le domaine de l'environnement.
Conclusion
La nécessité d'accélérer la transition écologique se manifeste par une série de grands défis environnementaux à relever, au premier rang desquels on trouve la lutte contre la rareté des ressources, le traitement des pollutions les plus difficiles et le développement des services urbains complexes. Un nombre croissant d'acteurs économiques européens (entreprises, ménages et collectivités) y sont d'ores et déjà exposés.
Ces grands défis peuvent être au départ perçus par les entreprises comme des contraintes susceptibles de peser sur leur compétitivité ; mais ils sont aussi et de plus en plus souvent considérés comme des opportunités pour développer de nouveaux marchés et créer de la valeur. Quant aux collectivités de l'ensemble européen, elles s'attachent à répondre au cas par cas à ces défis en restant maîtres d'instaurer, sur leur territoire, des politiques locales ambitieuses pour l'environnement, que ce soit en matière d'objectifs, de modes de gestion ou de prix.
Dans ce contexte, les services à l'environnement se doivent de proposer à l'ensemble des acteurs de l'économie les solutions opérationnelles exemplaires qui permettent de la rendre plus sobre, plus propre, plus verte. Cela ne peut se faire qu'au prix d'innovations technologiques et en inventant de nouveaux modèles économiques. Les pouvoirs publics ont la capacité et la responsabilité de faciliter l'utilisation de ces modèles, en agissant de façon équilibrée sur les puissants leviers dont ils disposent, depuis la politique environnementale locale jusqu'à la commande publique et la mobilisation des financements.
Nous vivons un nouveau tournant de l'histoire européenne, nous traversons une période déstabilisante mais passionnante de son évolution : partout sur notre continent, les états, les villes et les entreprises cherchent à se réinventer à travers le développement durable. A vrai dire, nous en sommes encore à l'aube de la transition écologique. A l'échelle de l'Europe, elle se trouve promise à un bel avenir. C'est notre mission à tous de la mettre en œuvre.
[1] Pensée attribuée le plus souvent, selon les sources, à la tradition de l'Inde, à celle des Amérindiens ou à Antoine de Saint Exupéry.
[2] Orbite Aluminae
[3] EREP : European Resource Efficiency Platform
[4] Mercure récupéré sous forme liquide pure à 99,9%
[5] Directive 2012/27 du 27 octobre 2012
[6] En France, voir le rapport de la politique de développement des énergies renouvelables de la Cour des Comptes du 25 juillet 2013
[7] Discours au Congrès économique européen, Katowice (Pologne), 14 mai 2013 : " Shale gas in Europe - being consistent with a low carbon economy, managing health and environmental risks "
[8] Communication 2012/673 du 14 novembre 2012
[9] Habitants dont les dépenses énergétiques représentent plus de 10% des revenus, selon l'Agence Internationale de l'Energie (juin 2011).
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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