Réformes financières : progrès ou dégénérescence?

Union économique et monétaire

Hubert Rodarie

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15 juillet 2013
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Rodarie Hubert

Hubert Rodarie

Directeur général délégué du groupe SMABTP en charge des investissements et des assurances de personnes

Introduction :

Le but de cette étude synthétique est de faire un point d'étape sur les réformes engagées après la crise de 2008 dans le domaine financier.

Accompagnées de beaucoup de travaux, de consultations, d'exposé-sondages, d'études d'impact, de nouvelles réglementations, prescriptions de diverses natures, ont été mises en œuvre. Les efforts se sont concentrés sur le système financier. Ils accompagnaient les politiques monétaires et budgétaires engagées pour soutenir, assainir l'activité économique et faire face aux déséquilibres, causes ou conséquences de la crise. Qu'en est-il après tant d'efforts et de discussions ?

Tout d'abord, premier constat, la nature et les racines intellectuelles des dispositifs, comptables et prudentiels, au cœur des débats, n'ont pas été fondamentalement remises en cause. Les réformes se sont davantage attachées à répondre par des juxtapositions de dispositions, souvent pertinentes, à l'ensemble des problèmes identifiés.

De plus, deuxième constat, les réponses institutionnelles et politiques ont produit une complexification croissante des règles de toute nature.

Dès lors une question se pose. Peut-on considérer que le résultat constitue une réelle amélioration du dispositif ?

Notre analyse ne valide pas une réponse franchement positive. Elle soulève de nouvelles craintes. Nous avons bien noté les évolutions qui révèlent des changements significatifs de rapports de force entre les différents intervenants, politiques, économiques et fonctionnaires. Mais ceux-ci n'ont eu que des impacts encore limités. Il nous semble donc que, depuis cinq ans, l'immobilisme a dominé et que face aux lentes évolutions constatées loin de bénéficier d'un progrès, réel et apprécié, on assiste davantage à l'émergence d'un nouveau risque qui serait la dégénérescence du système économique occidental.

Le temps passe

Cela fait déjà cinq ans que Lehman Brothers, une des cinq principales banques d'investissement américaines et mondiales a fait faillite. En 2008, également, deux de ses consœurs, y ont échappé de justesse et ont dû se vendre. Cette faillite du gratin du système financier a entraîné l'économie mondiale dans une crise d'une rare violence, dont nous ne sommes pas encore sortis.

Depuis, les politiques et responsables économiques se sont agités tout autour de la planète pour mettre en place les réformes, disaient-ils, nécessaires. Les réunions du G20 se sont succédées. Aux Etats-Unis, et en Europe, les hommes politiques ont débattu de propositions. Ils ont voté des lois. Ils ont décidé de mesures. Ils invoquaient des thèmes comme transparence, fonds propres, séparations des activités, meilleures régulations, lutte contre les paradis fiscaux et réglementaires et, plus récemment, lutte contre l'optimisation fiscale des grands groupes ... Tout ce travail a donné naissance à une floraison d'appellations ou d'acronymes désignant ces lois ou directives comme DODD-FRANCK Act, TTF, EMIR, AIFM, Bâle 3, CRD IV ou Solvency II, De nouvelles organisations, ont vu le jour, telles, en Europe, EBA, ESRB, EIOPA, ESMA, MES ...

Elles recouvrent l'ensemble des activités financières, banques assurance, marchés et finances publiques.

Pourtant peut-on dire réellement que des progrès en termes d'organisation ou de sécurité ont été accomplis depuis le début de la crise des subprimes ? Autrement dit, peut-on dire que collectivement les professionnels des secteurs financiers disposent, après ces réformes des outils leur permettant de répondre aux attentes de leurs clients potentiels, particuliers, entreprises, institutions publiques et privées de façon efficace et dans des conditions de coûts acceptables ? Et ce, dans des conditions telles que le risque d'un nouvel appel aux garanties publiques de tous ordres (bail out) se soit fortement réduit ?

Certains mettent en avant de réels changements issus des décisions prises. Ils s'appuient aussi sur la sortie des phases aigües de crise, voire des reprises affichées comme aux Etats-Unis, pour justifier une réponse positive.

Mais tout ne va pas de soi.

Peut-on même dire que les réformes annoncées ont produit des effets alors qu'elles ne sont pas encore ou partiellement appliquées ?

Ainsi, aux Etats-Unis, la loi DODD-FRANCK, plus de trois ans après son adoption, n'est appliquée que sur le tiers de ses dispositions. Sa mise en œuvre entraîne des discussions sans fin. En Europe, par comparaison, après la mise en œuvre des préconisations du rapport LAROSIERE, il a fallu la mise en cause de l'euro et des finances publiques pour que de réelles avancées interviennent, tout au moins dans le sens d'une centralisation des pouvoirs et de la création de capacités d'intervention au niveau européen. La zone euro a politiquement émergé. Son institution phare, la BCE, a gagné ses galons de banque centrale puissante : d'une plate-forme technique des transferts financiers entre pays, elle est devenue l'institution garante en dernier ressort du système financier de la zone.

Or, des diagnostics sur les causes de la crise du système financier avaient été posés en 2008 et 2009. Rappelons, pêle-mêle, pour illustrer ceux qui furent les plus médiatisés. Ainsi, la promotion de la dette (leveraging), la maîtrise défaillante de la titrisation et du système bancaire parallèle (shadow banking), la présence de paradis fiscaux et réglementaires, la procyclicité créée par les normes comptables et prudentielles, l'influence de la notation, les effets inattendus de réglementations, a priori, généreuses telles celles incitant à l'endettement de catégories fragiles de la population, les modèles mathématiques mal maîtrisés, voire erronés, les comportements avides de professionnels (greedy), mais aussi les effets des déséquilibres commerciaux entre zones économiques majeures ainsi que le poids des déficits publics.

Comme on pourra le voir après, certains de ces diagnostics ont été largement acceptés par les instances internationales. Ils ont fondé les évolutions observées. Mais le retour à un certain calme les voit pour la plupart disparaître des radars médiatiques et des agendas politiques. Il faut dire que tout est fait pour que, "business as usual", la vie puisse reprendre comme avant. Les bilans bancaires se sont allégés, surtout en Europe, les fonds propres ont augmenté, les canards boiteux ont été absorbés ou liquidés. Les bad bank gèrent leurs stocks de mauvaises créances : cela suffit. Les traders indélicats ont été punis, une agence de notation est sur la sellette, les combines sur le LIBOR sont sanctionnées, de tardives amendes sont infligées. Le volume de la banque parallèle a marqué le pas.

Que veut-on de plus ?

Mais les problèmes demeurent

Le nœud de la crise ou plutôt des crises qui se succèdent depuis 2007 est le rapport excessif entre la dette contractée par les agents économiques de toutes natures et leur capacité de création de richesses. D'endettements vertueux pour l'investissement, on est passé à une dette qui a servi de substitut de revenus, pour soutenir une consommation toujours davantage présente dans les activités économiques. Ménages, entreprises, institutions financières, banques, Etats, collectivités publiques tous ont cédé à des degrés divers selon les pays à cette facilité.

Il est vrai qu'ils y ont été poussés par une structuration des échanges internationaux qui a stabilisés par une fixation inappropriée [1] des taux de change. En effet, rappelons [2] que deux organisations principales structurent l'activité économique globale: le commerce international, le système monétaire. Le système financier vient se greffer sur les deux premières. Il a permis à la fois de générer cet endettement, de le gérer mais aussi de développer des activités à partir de ce qui est symétriquement des actifs pour ceux qui les portent.

Or l'endettement excessif perdure.

Représentant de 3 à 5 fois le PIB de la plupart des pays occidentaux, principalement privées avant la crise, les dettes sont devenues largement publiques. Les plans de relance, de moindres recettes, ou le soutien de banques défaillantes expliquent la croissance forte depuis cinq ans des dettes publiques dans quasiment tous les pays. Ainsi aux Etats-Unis, mesuré en pourcentage du PIB, le total atteint près de 350%, alors que les dettes des entreprises restent stables, celles des banques et des ménages diminuent mais l'état fédéral a plus que doublé les siennes.

La contrainte financière liée à ces dettes n'est toujours pas supportable par les machines économiques occidentales. Les banquiers centraux l'avouent. De la FED à la BCE en passant par la BOJ ou la BOE, toutes inondent leurs systèmes financiers de liquidité et ont réduit les taux à zéro. Succédant à une finance globalisée, cette ZIRP (Zero Interest Rate Policy) globale, sédatif puissant, soulage le poids mais ne traite pas.

Elle donne du temps aux trésors publics et aux entreprises ayant abusé du levier financier pour essayer de restructurer leurs dépenses ou leurs modèles. En effet, pour les premiers, les taux d'intérêt très faibles contribuent à limiter la progression dans les budgets des charges financières. Les objectifs de déficits sont donc plus faciles à atteindre. L'accroissement de la dette est donc moindre que prévu.

Les entreprises, accédant ou non aux marchés, ont des opportunités inespérées de refinancement à coûts réduits. Certaines en profitent même pour émettre à bon compte des dettes dites hybrides reconnues comme des quasi fonds propres.

La surliquidité et la ZIRP ont aussi des effets calmants voire lénifiants chez autres acteurs, les politiques et les professionnels. Le sentiment d'urgence disparait peu à peu. Les intérêts multiples au travers des lobbies ont de nouveau l'occasion de s'exprimer et d'exercer leurs pressions. Aussi l'énergie pour chercher de meilleures organisations s'amoindrit.

Pourtant le souvenir de la crise est là. Ses conséquences douloureuses pour les populations aussi. Chômage en hausse et durable, jeunesse en mal d'emplois, défaillances d'entreprises, saisies immobilières, baisse de la consommation, salaires stagnants... tout ceci exerce une pression continue sur les politiques. Et ce d'autant plus que le niveau des déficits ne permet plus d'atténuer ces effets néfastes de la crise.

Ce temps donné sert donc à organiser des modifications. La voie choisie est le consensus, principalement dans un cadre international. En effet, le nouveau dispositif, né de la crise de 2008, le G20 est le lieu, tout au moins symbolique, de cette démarche. Il est relayé par d'autres comme l'OCDE, le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque mondiale ou la Banque des Règlements Internationaux (BRI) au sein desquels les expertises s'expriment. Le nouveau Conseil pour la Stabilité Financière les a rejoints (FSB). Créé en 1999 sous forme de forum (FSF), il a gagné en 2009 ses galons de conseil (Board), sous la houlette de Mario DRAGHI en ayant apparemment été moins surpris que d'autres institutions par la crise. On peut donc regarder quels ont été les évolutions décidés ou lancés par ces instances.

Par ailleurs, toute réforme d'envergure du fonctionnement du système financier devrait a priori non seulement affecter sa structure ou les pratiques de ses intervenants, mais aussi se traduire par des modifications de l'organisation du commerce international et du système monétaire avec lesquels il interagit de façon substantielle. Ou, a minima, on devrait avoir bénéficier d'une analyse publique des interactions des organisations entre elles.

Trois organisations, le commerce international, le système monétaire international et le système financier, mais peu de changements

Pour les deux premiers, la description des évolutions sera, hélas, rapide. Aucun thème de réforme n'est évoqué publiquement. Les seules évocations sont faites sur le mode défensif.

Pour le commerce mondial

, malgré quelques polémiques ou critiques, les politiques restent dans la ligne des années précédentes visant à élargir le libre échange. Les négociations multilatérales sont bloquées. Mais les initiatives plus restreintes existent. En plus de réflexions sur des zones bénéficiant de coopérations renforcées, des accords bilatéraux de libre- échange ont été mis en place notamment de l'Europe, avec la Corée du Sud, ou sont en cours de négociation avec le Japon et depuis février 2013 avec les Etats-Unis.

Pour le système monétaire

, les débats sont moins limpides. Aucune négociation multilatérale n'est engagée, même si le sujet est abordé de façon formelle ou non dans les différents G20. Ainsi, en 2010, le ministre brésilien des finances, Guido MANTEGA a parlé, sinon de "guerre des monnaies [3]", du moins a pointé du doigt les effets des variations de change et notamment la dévalorisation du dollar sous l'effet de la politique monétaire américaine. Certains économistes ou think-tanks américains dénoncent toujours l'impact des niveaux de changes asiatiques sur l'emploi américain. Mais le Trésor, lui, maintient son diagnostic transmis au Sénat : rien d'anormal. Le Japon, fin 2012 et début 2013 a fait de l'évolution du taux de change de sa monnaie, en revanche, un vrai thème politique à l'occasion des élections nationales. A la suite de ce scrutin, face à la dégradation de sa balance commerciale devenue déficitaire pendant plus d'un an et pour la première fois depuis 40 ans, il a lancé par une politique d'expansion monétaire une dépréciation de sa monnaie, le yen. Mais, pour l'instant elle n'a corrigé qu'à peine la moitié de l'appréciation dont le yen a bénéficié depuis 2007 contre le dollar et l'euro.

Toutefois malgré ces mouvements, on n'a pas noté de remise en cause de la capacité reconnue et acceptée de maintien des changes par la constitution de réserves de change détenues en compte de capital au bilan des banques centrales des pays exportateurs. Pourtant cette possibilité, outre le biais installé dans les relations commerciales, est à la base de la création monétaire structurelle qui a alimenté la capacité d'endettement des économies [4]. Ces réserves ont donc continué de progresser rapidement depuis 2007. Si on y ajoute les fonds dit souverains de ces mêmes pays qui sont financés par ces réserves, les montants sont colossaux de l'ordre de 50% à 60% du PIB américain. Cela n'a pas suscité d'interrogations publiques particulières.

En revanche le système financier

, comme nous l'avons noté en introduction a concentré les efforts.

Mais, compte tenu de la recherche de consensus, même si les différents pays n'appliquent pas les dispositions décidées, tous interviennent dans le processus d'élaboration. Tout est donc bien lent. Et d'autant plus lent que les délégations faites les années précédentes à des organismes, au nom de leurs pré-supposées expertises techniques, tels que le Comité de Bâle [5] pour les banques, l'IAS Board [6] et le FASB [7] pour la comptabilité, compliquent encore les prises de décisions [8]. Les freins existent à ce niveau, car, par-delà la difficulté à amender des textes difficiles. Il n'est pas exclu que ces organismes aient d'autres motifs de lutte que l'amélioration des dispositions. Par exemple, ils peuvent se défendre aussi contre les politiques, leurs administrations ou la demande des entreprises, pour préserver leurs prérogatives, ou celles de groupes qui ont promu depuis plus de vingt ans leurs règles [9].

La multiplicité des acteurs qui veulent ajouter leurs pierres à l'édifice et qui cherchent tous à raccrocher à une prise de décision en cours leurs cas particuliers, peut aussi expliquer la lourdeur des textes qui résultent de ces négociations.

Mais là, de notre point de vue, n'est pas l'explication la plus profonde. En effet, des réponses, souvent pertinentes, sont apportées par ces travaux, mais ils n'ont pas eu l'ambition de sonder en profondeur les colonnes vertébrales des systèmes financiers. Or en l'absence de remise en cause des fondements, ou pourrait dire des moteurs de calculs, il est logique que la discordance entre la mesure calculée et la réalité soit attribuée en premier à une erreur délibérée ou non de celui qui a utilisé le modèle, puis à une information manquante ou déficiente qui a perturbé le processus de calcul, ou même l'absence d'un module de risque .

Cette démarche est analogue à celle qui est naturellement la nôtre lorsqu'on recherche la cause d'accidents d'automobile. On s'interroge d'abord sur le conducteur, et on évoque successivement le manque de capacité (ivresse= comportement éthique), l'erreur de pilotage (manque de compétence ou processus mal maîtrisé), la mauvaise appréciation (dû au brouillard= information erronée). On proposera alors successivement, une sanction, un stage de conduite (formation, permis de conduire), la mise en place d'un rétroviseur de plus, de limitations de vitesse.... La dernière diligence en général va porter sur le véhicule et le fonctionnement de ses différents dispositifs. Avec cet exemple, le professionnel reconnaitra aisément la démarche suivi depuis cinq ans par les différentes autorités, validation des compétences, identification des processus, agréments de tous ordres, et une concentration sur l'exhaustivité et la qualité des données. On a donc pris principalement des mesures de nature préventive, concernant les acteurs ou les organisations. Mais on ne s'est pas encore intéressé à la voiture. Et encore moins à son moteur.

Malgré l'ampleur de la crise de 2007/2008, et son prolongement jusqu'à aujourd'hui, aucune remise en cause fondamentale n'a eu lieu.

Or si, comme le disait Jean-Baptiste SAY :

"En administration, les grands maux ne viennent pas des exceptions qu'on croit devoir faire aux règles; ils viennent des fausses notions que l'on se forme de la nature des choses et des fausses règles que l'on s'impose en conséquence [10]",

il est vraisemblable qu'il faille un jour ou l'autre s'attaquer à des principes d'organisation de nos systèmes financiers. Les dispositions actuellement prises ont donc peu de chance d'être vraiment efficaces.

Certains sujets évoluent pourtant

Toutefois, il ne faut pas négliger le fait que ces réformes reflètent souvent un rééquilibrage des pouvoirs économiques entre professionnels, politiques et fonctionnaires. Ces évolutions s'insèrent également dans un changement plus général de rapport de forces entre zones économiques anciennes, émergentes ou nouvelles. Par nouvelles, on pensera surtout à l'apparition d'un nouvel acteur, la Zone Euro. La crise a permis non seulement son installation politique au sein de l'Europe et dans la communauté internationale, mais aussi le renforcement ou la constitution de moyens spécifiques jugés pertinents qui soudent cette nouvelle zone par des liens d'intérêts et de projets. Si les chemins ont été et seront chaotiques, critiquables, voire pénibles pour atteindre les résultats actuels, il n'en demeure pas moins que c'est une réalité avec laquelle il faut désormais compter. Les britanniques en ont fait l'expérience. Il faut également relever la remise en avant des état-nations. Ils ont eu à subir et à traiter le choc bancaire. Or loin de bénéficier de la globalisation tant vantée pendant dix ans, on a pu assister à une certaine reterritorialisation, d'abord des problèmes économiques, avant de se voir imposer une centralisation des dispositifs d'aide.

Ces changements majeurs contribuent, à tort ou à raison, à faire évoluer non seulement les lois mais aussi à faire bouger les lignes sur des points non négligeables du dispositif global. On pourrait ainsi en citer trois, du plus général au particulier, l'acceptation de l'autorégulation, la banque universelle, les rémunérations des dirigeants.

Tout d'abord, on notera que la légitimité de l'autorégulation des activités financières par les professionnels telle que l'a prônée et défendue le gouverneur de la FED, Alan GREENSPAN, n'est plus vraiment de mise. Elle n'a pas résisté à l'appel au secours des banques aux Trésors de leurs pays. Malgré l'accent mis en avant du thème très diffusé Outre- Atlantique, "5 ans après, l'Etat y a gagné", l'électeur contribuable encore marqué par les difficultés exprime politiquement une demande forte de contrôle par la puissance publique de la sphère financière.

Ce mouvement est très puissant, notamment en Grande-Bretagne. Il a contribué à soutenir la contestation de la pertinence du modèle de la Banque Universelle. La règle VOLCKER de séparation des activités contenue dans la loi américaine DODD-FRANCK a été reprise et même amplifiée par la commission VICKERS en Grande-Bretagne. Les réflexions européennes conduites par LIIKANEN, le gouverneur de la banque de Finlande, vont dans le même sens. Or ce modèle est à la base de la réforme financière britannique du début des années 1980 qui promouvait ce qu'elle appelait alors le supermarket banking. Ce début de renversement de tendance est donc un véritable évènement en termes d'organisation.

De la même façon, le consensus n'existe plus sur les modalités de rémunérations, aussi bien en niveau qu'en structure. Les bonus [11] sont contestés, les stock-options, les primes de bienvenue, les package retraite, tout y passe. Les limitations d'abord pratiquées dans les structures passées sous contrôle public s'étendent aux autres sociétés. Il faut dire que le décalage avec les rémunérations du commun des mortels devient d'autant plus difficile à supporter politiquement que les perspectives économiques sont sombres.

Malgré ces évolutions

, il n'en reste pas moins que l'intervention actuelle de la puissance publique, est encore limitée et fragile dans sa pérennité car, fruit de la négociation ou de réactions de type affectif, elle n'est pas encore suffisamment bien ancrée dans un corpus théorique pour résister à la très forte cohérence entre les théories financières largement acceptées et les organisations qu'elles ont permis de fonder.

Des racines conceptuelles sans changement

En effet, les modèles scientifiques au cœur des dysfonctionnements, et mis en cause fort justement dans les premiers temps de la crise, sont restés quasiment intacts.

Rappelons nos diagnostics précédents. L'endormissement de la vigilance des régulateurs face à la croissance des dettes, pire leurs encouragements [12], ont été fondés sur des hypothèses jugées scientifiquement, mais à tort, robustes. Elles ont permis de construire un système financier d'une impressionnante cohérence d'un point de vue rationnel en y incorporant des modèles économiques, des réglementations, des représentations acceptées socialement, ainsi que des dispositifs comptables et prudentiels. Mais celui-ci, expérience faite, malgré ce design ambitieux, s'est révélé trop fragile pour les objectifs affichés de globalisation.

A la racine de la démarche de maîtrise des activités financières, il y a, dit-on généralement, la volonté d'en mesurer le risque. Or explicitons les enjeux de cette expression "mesurer le risque".

Mesurer veut dire ici disposer d'une quantité qui puisse être le produit d'un calcul reproductible dont le résultat ne dépendra pas de l'opérateur qui le met en œuvre. On marque ainsi clairement le côté scientifique, ou mathématique de la démarche.

Risque désigne l'aléa qu'apporte le futur sur la chose que l'on détient, sur l'engagement donné ou reçu et auquel on va associer la mesure c'est à dire une quantité, éventuellement exprimée en unité financière.

Ainsi pour disposer d'un outil de calcul, progressivement depuis trente ans, s'est imposée une représentation du réel, nécessairement réduite. Collectivement le monde financier a brandi alors sa solution et ses modèles.

Or, cette réduction du réel est bien identifiable et repérable. Elle est portée par une vision positiviste. Elle ne prend en compte qu'un futur lisse et contraint par ce qui est observable aujourd'hui, le marché. En revanche, cette vision que l'on peut qualifier d'optimiste ne prend pas en compte la rupture, la finitude, ni même l'irréversibilité des phénomènes observables.

Et, à la vue de la crise financière, une question semble légitime : le système n'est-il pas dans la position du fou qui cherche sa clé sous le lampadaire, mais pas là où il l'a perdue ?

Comme Pierre DUHEM [13] le disait des industriels imprudents au début du XXème du siècle, les financiers n'ont-ils pas succombé à la tentation d'utiliser des formules fausses mais commodes au lieu de formules plus justes mais plus difficiles à mettre en œuvre?

Parmi les idées centrales du dispositif actuel et que l'on peut juger réductrices, il y a l'efficience des marchés. Or l'observation et l'expérience des professionnels montrent que c'est davantage une fiction qu'une réalité observable. La littérature scientifique qui a pointé ses dysfonctionnements ne manque pas [14].

Or, cette efficience postulée, pour reprendre l'expression de Pierre DUHEM, est commode. Elle permet, de rendre calculable un agrégat qui a été jugé représentatif du risque en postulant qu'il représente vraiment l'incertitude des temps à venir. Mais il a fallu faire le pari d'un futur trop sage pour être vrai.

Pourtant le futur se dérobe. Malgré les prétentions légitimes, jusqu'à un certain point, de maîtrise des conséquences des engagements financiers pris, il faut bien réaliser que l'avenir n'appartient à personne, ni individuellement, ni collectivement au sein d'organisations comme les marchés. Si certains ont voulu trouver dans la "sagesse des foules [15]" un remède efficace aux errements reconnus des experts de toutes sortes, prophètes, sachants autoproclamés ou idéologues, d'autres [16] ont mis en avant le contraire.

Il faut donc admettre l'inefficience structurelle des marchés et le caractère limité des informations qu'ils apportent.

Il faut donc le dire et le répéter clairement, à moyen et long terme, à l'échelle du temps social et des systèmes économiques, le risque et l'incertitude ne peuvent pas se mesurer avec les outils scientifiques actuels. On peut les cerner, les encadrer, établir des limites mais on ne peut pas en donner une unique mesure par le calcul qui reste valide dans tous les endroits du système financier tout autour du monde.

Il est donc vraisemblable que la démarche collectivement engagée aux niveaux de nos organisations économiques sera comparée, dans quelques années comme proche de celle d'alchimistes voulant transformer le plomb de nos ignorances en or, ou plus exactement en dollars.

Aussi, contrairement aux choix implicites faits par les autorités de régulation, Comité de Bâle, pour les banques pour élaborer les règles Bâle 2 et Bâle 3 ou, par la Commission Européenne pour Solvency 2 applicables au secteur des assurances, un système financier sûr ne peut reposer sur les mesures actuelles de risques (Risk Based), qu'elles soient internes (IRB : Internal Rate Based) ou externes (notations d'agence).

Les retouches apportées péniblement pour tenter de compenser les évidentes limites ou les inadéquations flagrantes aux modèles économiques des banques, des assureurs classiques comme des fonds de pension en témoignent largement. On aboutit alors à des systèmes toujours plus compliqués mais de plus en plus incontrôlables où même l'homme de métier cède le pas à la procédure, au process, mis en avant pour maîtriser ce qui n'apparaît principalement que comme le fruit d'erreurs humaines.

Des normes de comptabilité qui déçoivent entreprises et investisseurs

Pratiquement dix ans ont passé depuis la promotion à la hussarde et l'adoption en Europe des nouvelles normes comptables dites internationales, les IFRS. Tous les oppositions avaient été balayées rapidement. Les détracteurs de ce nouveau corpus de règles étaient pourtant clairvoyants sur les limites des dispositifs proposés. La suite des évènements pendant la crise l'a montrée.

Aujourd'hui, les IFRS sont encore loin de faire l'unanimité, aussi bien dans les entreprises qu'auprès des analystes [17].

Si l'adoption de règles identiques a pu apparaître dans un premier temps comme un réel progrès pour faciliter une connaissance élargie des entreprises européennes, face à la diversité des traditions et des usages comptables dans les différents pays européens, peut-on dire que cela est dû à la qualité intrinsèque des normes reposant sur un cadre conceptuel réellement plus performant que le précédent ?

Peut-on dire que la démarche de valorisation la plus large possible, voire systématique des postes du bilan pour décrire le mieux possible l'entreprise a constitué un vrai saut qualitatif dans la connaissances des entreprises et de leurs modèles d'activité, pour l'entreprise elle-même, les analystes, et l'ensemble des parties prenantes, clients, personnel, fournisseurs, etc ?

Une réponse circonstanciée est difficile à faire compte tenu de l'ampleur de la question. Toutefois deux points peuvent être développés. L'un étant la conséquence de l'autre.

Le premier point

est commun aux arguments précédents relatifs à la maîtrise du risque. Si on soutient, en s'appuyant également sur l'expérience de la crise financière, que pour la maîtrise du risque, la valeur de marché n'est pas un indicateur robuste, il semble illogique que la comptabilité puisse prendre de façon soit unique, soit substantielle [18], pour expression de valeur les prix de marché.

Dans le cas précis de la comptabilité, il semble encore plus justifié de s'interroger sur le sens et du caractère approprié d'une démarche qui utilise un prix instantané, sans cesse variable, pour exprimer une "valeur", c'est-à-dire une réalité, qui se conservera, ou qui ne sera pas altérée significativement au cours d'un certain laps de temps à venir.

Or précisément ce n'est admissible que par acceptation de l'hypothèse sous-jacente, déjà discutée de l'efficience des marchés. On peut pointer ainsi, une fois écarté le caractère scientifiquement démontré de cette hypothèse, l'introduction dans l'organisation économique et sociale de ce que l'on peut appeler une croyance, ou une convention. On y croit ou on y croit pas. Quel est son degré de justesse ? Là n'est plus la question première, car toute l'organisation s'ordonne autour de l'acceptation de cette croyance. Il se crée alors des activités, des pratiques, des entreprises pour les exploiter, des institutions pour les réguler. C'est le phénomène de performation repéré par les sociologues. Un énoncé crée une réalité sociale dans laquelle les individus peuvent agir, sans nécessairement avoir toujours conscience du rôle de cet énoncé. Mais une fois identifié, comme fondateur la question première devient alors de juger la pertinence de ce choix. Dans le cas de l'efficience des marchés tous les acteurs le reconnaissent comme central. Comment peut- on faire autrement que de juger alors l'arbre à ses fruits ?

Il devient alors clair que la comptabilité à visée évaluative, en full ou en partie, fair value promue par le FASB américain ou l'IAS Board qui dépend de l'acceptation de l'efficience des marchés n'est pas suffisamment bien fondée pour en accepter les conséquences douloureuses relevées pendant la crise : dont la volatilité excessive et ses effets d'amplification. Elle ne permet pas aux différentes parties prenantes de disposer d'évaluations solides valables pour chacun et pour tous les types d'activités économiques.

Elle ajoute cette volatilité, qui, si elle n'est pas reconnue comme toujours utile, peut être valablement qualifiée d'artificielle et de déstabilisante dans un monde qui n'en pas besoin.

Les fonds propres calculés (Equity) par ces nouvelles normes ne sont plus les reflets de richesses accumulées et disponibles pour les temps difficiles, comme le cash mis en réserve l'est. Ils sont seulement des écarts de valeurs plus ou moins établis. Ils n'ont pas de pertinence suffisamment robuste pour franchir les crises.

Le deuxième point

est la capacité du système de normes à représenter le modèle économique des entreprises (business model). Or, le constat aujourd'hui est que l'analyste financier est contraint de rechercher par lui-même comment est généré et utilisé le cash pour valider les valeurs proposées [19]. C'est-à-dire, il doit rechercher les indicateurs lui permettant de mieux recoller les chiffres transmis par l'entreprise et sa perception du modèle économique de l'entreprise.

De leur côté, les sociétés ont une même tendance à multiplier les informations complémentaires [20]. La terminologie en vigueur les appelle des non-GAAP, pour indiquer l'absence de normalisation. Ce qui va motiver, à nouveau, une demande d'homogénéisation puis une normalisation d'origine privée ou publique [21].

Ces deux points ne sont pas propres aux Européens. Ils sont également soulevés aux Etats-Unis par les professionnels. On pourra se référer ainsi à la dernière lettre aux actionnaires de M&T [22], une banque de détail traditionnelle américaine, et signée par son président et CEO Robert G. WILDMERS. Il y dénonce l'échec du FASB. Il pointe la complexité, l'obscurcissement et l'opacité apportés aux comptes par les normes et l'inflation des documents de présentation des comptes. Leurs contenus ont été multipliés par plus de 8 fois en vingt ans. Il estime même que seules les quatre principales firmes d'audit (The Big Fours), qui dominent le FASB y trouvent leurs comptes en ayant pu multiplier par deux leurs honoraires depuis 10 ans. Malheureusement, elles sont également présentes dans l'IAS Board.

Les acteurs des deux côtés de l'Atlantique sont ainsi pris dans un mouvement sans fin de recherche de transparence et d'explications, tels les aventuriers de l'Arche Perdue, alors que ce qui leur échappe, n'est pas nécessairement la réalité de l'entreprise, mais ses réponses à des évolutions parfois inattendues.

Enfin, on remarquera que le monde financier en matière d'informations économiques a vécu un retournement.

Durant les années 1960-1980, les données disponibles étaient rares. L'enjeu sur les marchés de capitaux était le recueil de faits pertinents et exhaustifs, qu'il fallait collecter, conserver et traiter. Maintenant, le problème majeur, c'est l'afflux d'informations rendues de plus en plus difficiles à interpréter et à synthétiser. Il devient toujours plus complexe de les valider compte tenu des traitements normés ou non et des modes de communication, plus proches souvent des techniques d'influence ou de désinformation que du souci de vérité.

Dès lors deux tentations existent, la synthèse pour aller plus vite dans les conclusions ou les traitements automatisés systématiques.

La première se traduit dans la promotion à la fois des reportings synthétiques, dits intégrés, tels que ceux promus par l'IIRC (International Integrated Reporting Committee) mais également par l'usage persistant des notations émises par des agences reconnues. Apparemment l'opinion d'un tiers est toujours préférée à la sienne et à celles de ses équipes. Humilité ou souhait de réduire les responsabilités, à chacun sa réponse. La seconde est encouragée par la culture "data", très prégnante dans certaines traditions nationales. Bases de données, traitement automatisés des données brutes, intelligence artificielle, tous ces aspects promus bien évidemment par les fournisseurs de ces services sont censés apporter des réponses toujours plus justes.

Au final, les normes comptables actuellement promues par l'IAS Board, reposant sur de concepts inadéquats risquent de s'épuiser en complexités, qui, au final, n'ajouteront que peu d'efficacité supplémentaire aux documents et indicateurs produits.

La complexité menace aussi l'édifice prudentiel du système financier

Ce développement de la complexité et de la masse des informations à traiter en matière d'information comptable soumis à des normes de type évaluative, en fair value, est également présent dans les systèmes prudentiels actuels de calcul de risque.

Les deux dispositifs, prudentiels et comptables, fondées sur les mêmes présupposés sont des illustrations parfaites d'une rationalité qui devient excessive, voire folle, au fur et à mesure que le constat de ses insuffisances par rapport à une réalité insaisissable par leurs voies l'oblige à devenir de plus en plus complexe et immaîtrisable.

Prenons quelques exemples récents dans l'actualité en matière prudentielle, même s'ils sont un peu techniques.

Pour les banques le calcul du montant des actifs pondérés par le risque (RWA, Risk Weighted Assets) permet de déterminer le niveau de fonds propres. Or la presse s'est ému récemment que les autorités, dans un rapport de la Banque des Règlements Internationaux [23], pointent des hétérogénéités de méthodes en cas d'utilisation de modèles dits internes, ou des différences d'approches pour calculer différents agrégats utilisés dans les reportings prudentiels. Ceci a pu faciliter le respect des ratios réglementaires minimaux (fonds propres/RWA).

Sur le plan logique, ces remarques sont surprenantes car la réglementation, fondée sur la reconnaissance de mesures internes (IRB), ne pouvait pas produire a priori des modèles homogènes. Sur la forme, il est curieux de remettre en cause a posteriori des spécificités et savoirs faire différents bases ou expression de l'indépendance des sociétés libres dans un monde globalisé.

Quoiqu'il en soit, déjà obtenus aux prix de calculs complexes, il est probable que la volonté sous-jacente d'homogénéiser pour améliorer la lisibilité et le contrôle des résultats observés va motiver à nouveau procédures, rédaction de règlements après des exposés sondages, consultations fleuves... mais le résultat, toujours plus complexe, sera toujours vraisemblablement aussi incontrôlable par les régulateurs. Les analystes ne pourront pas, non plus, les apprécier.

La qualité d'un modèle prudentiel se juge dans les conditions limites, et non pas courantes.

De la même façon, pour le contrôle des banques, comment ne pas voir que les demandes de stress test imposées depuis 2009 par les différentes autorités, et ce dans tous les systèmes bancaires américains et européens, sont un désaveu explicite des choix conceptuels sous-jacents aux dispositifs réglementaires, et pourtant apparemment non remis en cause.

Ils ne sont plus reconnus comme capables de dire quelque chose d'acceptable dans le cas d'hypothèses jugées dures, sinon extrêmes.

Or, une fois encore, tout scientifique, tout ingénieur, sait que la validation d'une théorie modélisant des phénomènes réels, telle que la résistance des matériaux par exemple, se teste aux limites et non pas là où rien n'est discernable de ce qui est vraiment en jeu : la rupture. Pourquoi en reste-t-on à ce stade en matière de régulation bancaire ?

Et ce d'autant plus que réguler un système par l'adjonction de stress tests n'est pas plus satisfaisant, ni vraisemblablement plus efficace tant est critiquable le jeu d'hypothèses retenu et la complexité des calculs.

WILDMERS, cité ci-dessus, a compté 6 190 pages ou tableaux nécessaires pour sa banque M&T, un établissement n'ayant aucun produit compliqué dans ses livres.

Pour les assureurs et les fonds de pension, qui comprend encore la pertinence de Solvency 2 que l'on veut imposer comme norme unique ?

Trois ans supplémentaires de report ont été obtenus en 2012 pour une réforme, votée en 2009, qui faisait l'unanimité de "l'industrie" il y a dix ans, et qui ne sera pas appliquée avant 2017.

Comme pour les fonds de pension qui avaient été écartés au départ du champ de la nouvelle norme, ce sont les engagements de long terme et ceux soumis aux aléas les plus importants qui n'arrivent pas à être intégrés. Cela permet d'identifier de façon intuitive, même par les non-spécialistes, que les modèles théoriques sous-jacents sont marqués par une conception trop simpliste du futur qui empêche d'appréhender les évènements les plus significatifs qui s'apparentent davantage aux ruptures qu'à la vie ordinaire.

Six ou huit ans pour appliquer une réglementation prudentielle, c'est bien la preuve qu'on ne peut faire rentrer dans le modèle Solvency 2 les engagements et les évènements que les organisations, année après année, avaient pourtant su apprendre à écrire et à gérer depuis le milieu du XIXème siècle, période dans laquelle l'activité d'assurance a émergé en Europe.

Dès lors, là aussi, on est conduit à inventer ce qu'il faut bien appeler des rustines appliquées sur un dispositif ruinant la fierté initiale de ses concepteurs qui ambitionnaient de le fonder sur des principes clairs (principle based), intégrant tous les développements de la science actuarielle, financière moderne, alors que les dispositifs numéroté 1 (Bâle 1, Solvency 1) étaient, disait-on, marqués par le pragmatisme, voire l'arbitraire et surtout l'absence, de principes scientifiquement établis. Ce qui mettait au final à la charge des entreprises un excès de fonds propres minimum requis.

Au total

On pourrait, a minima, conclure que les insuffisances conceptuelles des dispositifs mis en place ou promus depuis 20 ans pour contrôler les systèmes financiers n'ont pas été corrigés. Les réformes mises en place produisent de plus en plus de complexités, de mesures incontrôlables et vraisemblablement de dispositifs inefficaces. Elles alourdissent de plus en plus les travaux, générèrent des coûts et rigidifient les organisations.

Cette complexité est donc peut-être une expression concrète et vécue de la maladie que ces réformes cherchaient pourtant à soigner

.

Mais alors, que faire ?

Est-ce grave ? Et surtout est-ce perfectible ? Peut-on faire le pari que, malgré tout il y a eu, quand même, une amélioration par rapport à la période précédente ? Et ne pourrait-on dire que cette complexité, quelque soit son origine, serait d'abord une conséquence du formidable essor de la globalisation ? Peut-on, en effet, penser qu'une économie globalisée puisse être simple ? Pourrait-on alors soutenir qu'il faudrait en prendre son parti ? Fatalisme et renoncement de réformes structurantes seraient alors pleinement justifiés et seraient des lignes de conduite, au moins un certain temps.

Le risque actuel : la dégénérescence d'un modèle économique

Ce rapide survol du paysage des réformes financières a insisté sur la complexité croissante des réglementations et des comptabilités du système financier. Mais celle-ci s'étend également au reste de l'économie. Elle perturbe également le pilotage en matière de commerce extérieur ou d'analyse des dispositifs monétaires. Dans tous les cas cela se traduit par des réglementations très diverses, avec quelque fois des sujets surprenants mais toujours à forte dominante préventive. Elles ont pour effets immédiats de faciliter la concentration oligopolistique, le panurgisme et surtout la déresponsabilisation procédurière.

Prenons quelques exemples pour illustrer ces évolutions.

Concentration oligopolistique : aux Etats-Unis, après cinq ans de crise, 10 établissements gèrent près de 75% des actifs financiers. Les plus gros ont absorbé les plus faibles.

Panurgisme et déresponsabilisation : dans tous les systèmes, les politiques ont cherché les causes des erreurs. Comme nous l'avons décrit plus haut, ne les ayant pas trouvées dans le design du système il a fallu invoquer les défaillances individuelles ou collectives. Celles-

ci étaient logiquement soit de nature criminelle,

Tout ceci abouti à une normalisation assez pointue de l'ensemble des opérations réalisées par l'ensemble des sociétés. Avec les années les prescriptions deviennent de plus en plus précises, alimentées par des organisations bénéficiant de plus en plus de moyens et dans certains cas se faisant une certaine concurrence pour justifier leurs existences en ces temps de disette budgétaire.

Au total il est logique de constater que les comportements ont tendance à se rigidifier et à devenir identiques, quelque soient les circonstances. L'attention des responsables se décentrent du résultat vers la mise en œuvre des obligations réglementaires de moyens.

Pratiqué collectivement et individuellement ce mimétisme réglementaire facilitera les très dommageables mises en résonnance, c'est-à- dire les phénomènes d'amplifications des tendances que l'on observe toujours pendant les crises financières et qui provoquent le plus de dégâts.

Mais plus encore, on doit se poser la question si ce constat n'est pas un signe d'un phénomène plus profond celui d'une dégénérescence du système économique global aujourd'hui en place.

En effet, il est tentant de faire le parallèle avec le système économique soviétique qui a vécu une brillante apogée [24] pendant les années 1960 qui n'a pas résisté à la décennie 1970 et a connu une fin très pénible.

première situation a été de façon extraordinaire et étonnante peu invoquée par les autorités. La seconde en revanche fonde toute la démarche de transparence sur les buts et moyens. Celle-ci est obtenue par une immixtion de plus en plus profonde des réglementations dans la vie des sociétés. Elles doivent donc demander des agréments de toutes sortes, sur les administrateurs, les directions générales, sur la nécessaire présence ou non de processus écrits sur les activités des sociétés. Elles doivent écrire et faire valider des programmes d'activité de plus en plus détaillés. Et pour les produits fabriqués et vendus aux consommateurs, au souci de sécurité vient s'ajouter celui de la protection des consommateurs voir la défense de ceux-ci contre eux-mêmes ...

Historiquement, on peut soutenir que la planification qui fut utilisée de façon systématique et centralisée pour définir d'allocation des ressources dans l'économie soviétique est à la base de l'échec du modèle économique soviétique. Pendant près de vingt ans, les économistes de tous bords ont été frappés (voire conquis) par l'efficacité apparente de ce système : taux de croissance, tonnages et volumes de production tout y était. Relisons ainsi dans ses Dix-huit leçons sur la société industrielle, écrites à la fin des années 1950, les commentaires de Raymond ARON, pourtant peu suspect de sympathie pour ce régime. Si les chiffres impressionnaient, seule la conviction que le coût humain était trop fort freinait l'adhésion. Toutefois, année après année, la mécanique s'est grippée. Les fonctions d'arbitrage et la rationalité qui devaient s'y implanter se sont effondrées.

Deux raisons principales : tout d'abord la complexité toujours croissante qui est apparue dès que l'économie eût quitté le stade de la reconstruction dans l'immédiat après-guerre, ensuite la pollution des divers circuits d'information nécessaires pour les prises de décisions, que ce soit sur les besoins ou sur les réalisations.

Complexité et information déficiente bloquèrent ainsi ce qui était aux yeux de ses partisans le comble de la modernité : l'introduction de la rationalité.

L'histoire raconte alors les gaspillages, les déperditions, les statistiques truquées de plus en plus décalées avec les vraies réalisations. Le tout entraîna un glissement vers un poids toujours plus grand du coûteux complexe militaro-industriel qui s'effondra avec le régime politique après une vaine tentative de réforme (perestroïka) et de transparence (glasnost).

L'Histoire ne se répète pas, dit-on, mais avec la mesure du risque, ne repasse-t-elle les mêmes plats dans l'Occident autrefois triomphant ?

Qu'observe-t-on aujourd'hui ? En Occident, stagnation économique générale, affaiblissement des classes moyennes, augmentation des travailleurs pauvres, et en revanche création d'élites, véritables nomenklatura [25], aux revenus de plus en plus décalés par rapport à ceux de leurs contemporains, gaspillages de ressources, incapacité générale de réformes, moyens de communication maîtrisée par une pensée unique et la scénarisation des faits (story telling), réduction des perspectives pour les plus jeunes, impunité quasi générale en matière économique, affaiblissement de la loi, complexification des règles et des législations, abandon des dispositifs ré-équilibrants du marché au profit de la fixation par des fonctionnaires des taux d'intérêt, de change etc.

Tous ces faits sont des signes objectifs de dégénérescence.

Il est urgent d'en prendre conscience. Il est temps de reprendre les sujets de réformes à leurs racines. Il faut réintroduire des concepts appropriés, adaptés aux réalités concrètes de ce temps. En vrac : règles simples, comptabilités reliées aux éléments concrets des modèles économiques, retour de la distinction entre comptabilité et évaluation, mise en responsabilité personnelle versus procédures... Tout est déjà connu et décrit. Reste pour ce faire une volonté claire.


[1] Pour retrouver une explication de ce mécanisme déjà dénoncé en 1931 par Jacques RUEFF, cf. page 72 et suivantes in Dettes et monnaie de singe Hubert RODARIE Editions Salvator 2011.
[2] Ibid ci-dessus.
[3] En fait, selon certains, il n'aurait pas prononcée cette expression. Toutefois ce thème lui est médiatiquement attribué.
[4] Sur ce point cf. la référence en note 1.
[5] Forum international pour la supervision bancaire, ex Comité Cooke, créé en 1974. Il est abrité par la Banque des Règlements Internationaux, la BRI ou BIS en anglais.
[6] IAS Board, organe de décision de l'IAS, association internationale à laquelle l'Europe a confié la mission de rédiger ses normes comptable en 2002.
[7] FASB, ou FAS Board organe de décision du FAS américain, organisation quasi publique ayant en charge depuis 1973 la standardisation des normes comptables américaines.
[8] A noter IASB et FASB sont liées par des objectifs de convergence dans le cadre du partenariat Transatlantique EU-US.
[9] Cf. site ifrs.org : ainsi on soulignera le surprenant débat sur le conceptual framework, charte des buts et principes fondateurs des normes IFRS, de l'IAS Board. Manifestement problématique, le Board a accepté sa remise en discussion, toujours en cours, mais a indiqué qu'en cas de changements ceux-ci ne devaient pas avoir d'implication (sauf exception) au niveau des normes déjà produites. Où est la cohérence de ce qui se présente comme pôle d'expertise ?
[10] Jean Baptiste SAY in Traité d'économie politique, Livre 1er, ch. XVII
[11] Cf.par exemple la récente décision européenne de limiter le bonus à une fois le salaire fixe annuel, malgré l'opposition des anglais, s'appliquera dans toute l'Europe début 2014.
[12] Cf. la présentation et les justifications du précédent gouverneur de la FED, M. Alan GREENSPAN, face à l'endettement des ménages américains
[13] Cf. Chapitre 8 in La Théorie de la Physique Pierre DUHEM, Editions Vrin
[14] L'hypothèse d'efficience du marché financier ou HEM, a été formulée en particulier par FAMA, et d'autres comme JENSEN. Elle a été précisée par des degrés, faible, semi- faible ou forte. Elle est contestée, sous différents angles, finance comportementale, biais, rationalité limitée des agents économiques. Elle est discutée en distinguant, l'efficience opérationnelle, informationnelle et allocative. Mais, ce qui est en cause ici, c'est l'acceptation générale que :"l'hypothèse selon laquelle existerait une valeur fondamentale objective, définissable ex ante sans ambigüité et dont le prix serait un estimateur optimal { or, elle } ne tient pas" (André ORLÉAN in La Tribune 29 mars 2011)
[15] La Sagesse des foules, James SUROWIECKI, 2008,Éditions Jean-Claude Lattès, dans ce livre l'auteur met en évidence des situations où des foules obtiennent de meilleurs résultats que des individus isolés. Toutefois les conditions nécessaires ne sont pas celles observées en permanence sur les marchés financiers.
[16] Psychologie des Foules, Gustave LE BON, 1895, Alcan
[17] Cf. 62% des interviewés pensent nécessaires des changements significatifs dans l'enquête PRICE-WATER- COOPERS septembre 2012 : Financial reporting priorities, A European Investor review
[18] L'IAS Board, contrairement aux premières normes IAS 39 où la valeur de marché était une règle très stricte pour les instruments financiers, évolue vers une acceptation un peu plus large des comptabilisations en coûts historiques. Il adopte pourrait-on dire une démarche d'atténuation de l'application de ses principes, sans les renier. Démarche identique à celle des promoteurs de la méthode globale d'apprentissage de la lecture, vers une semi-globale...
[19] Cf. enquête PWC septembre 2012 citée note 5 : 47% des sondés veulent plus de précisions sur les cash-flow opérationnels.
[20] Cf. ibid : 93% des sondés les jugent importantes.
[21] Cf. ibid ,et ce d'autant plus que les sondés constatent des incohérences et ne peuvent réconcilier les informations avec les états financiers IFRS transmis.
[22] Cf.in M&T, Annual report 2012
[23] BIS pour le Comité de Bâle : RCAP- Analysis of risk- weighted assets for market risk janvier 2013
[24] Adjectif se limitant, bien sûr, seulement aux résultats économiques quantitatifs affichés alors.
[25] La super classe mondiale selon Samuel HUTINGTON in Who Are We: The Challenges to America's National Identity (2004, édition française 2008)

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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