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Florence Legros
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Deux grands modèles persistent
Il y a quelques années, on pouvait lire qu'il y avait en matière de retraite " Deux Europe et bientôt trois "[1]: un modèle caractérisant l'Europe du Nord, beveridgien, un modèle caractérisant l'Europe continentale, bismarckien, un modèle dit " de la Banque Mondiale ", fondé sur la capitalisation, qui absorberait l'Europe centrale et orientale, dont la protection sociale était alors en reconstruction.
Force est de reconnaître, 10 années après, qu'il demeure bien deux grands modèles en Europe même si le modèle continental a connu des modifications importantes face au vieillissement démographique prévisible. Ainsi, deux grands modèles continuent de caractériser le paysage de la retraite européen : l'un, beveridgien, s'inspire du rapport Beveridge (1942) et cantonne l'intervention publique à la lutte contre la pauvreté et - souvent - à un filet de sécurité (forfaitaire à la création des régimes) en matière de pensions ; l'autre, bismarckien, s'appuie sur le facteur travail et comprend les pensions comme des " revenus de remplacement ". Le modèle bismarckien est fondé assez largement sur la répartition et les régimes sont qualifiés de contributifs (les droits sont dépendant des cotisations versées) alors que les régimes beveridgiens se sont souvent assortis d'un développement important de régimes en capitalisation.
Quant aux pays d'Europe centrale et orientale, ils ont souvent conservé la prédominance d'un régime par répartition réformé plus ou moins profondément, complété ou non par la possibilité de capitalisation. Parmi les pays dont les réformes ont été les plus remarquées, la Pologne a opté pour un régime dit " de comptes notionnels ", proche de nos régimes en points c'est–à-dire très contributif puisque chaque unité de salaire gagnée donne lieu à cumul de droits à pension, et la République tchèque a rénové son régime existant.
Esping-Andersen[2] adopte dans les années 1990 une partition un peu plus fine des régimes de retraite qui prend acte des dérives successives des systèmes : apparition de minima vieillesse dans les régimes bismarckiens qui ont pour objet de couvrir les ressortissants dépourvus d'emploi, de compléments de retraite proportionnels, et non plus forfaitaires, dans les pays beveridgiens. Esping-Andersen distingue alors les régimes " libéraux ", anglo-saxons, forfaitaires, financés par cotisations (Royaume-Uni et Irlande, par exemple), les régimes "sociaux-démocrates", caractéristiques des pays scandinaves, universels, forfaitaires, financés par l'impôt (les Pays-Bas relèvent également de ce type de système) et les régimes "conservateurs corporatistes" caractéristiques de l'Europe continentale et du Sud, contributifs, financés par cotisations et impôts , dont la gestion est souvent fragmentée. D'une certaine manière, hormis en ce qui concerne la fragmentation, les régimes d'Europe centrale et orientale, suédois et italien, relèvent d'une mutation centralisante et donc non corporatiste de ces régimes. Ils en conservent manifestement l'aspect assuranciel. En effet, ces régimes demeurent gérés par répartition (les actifs payent les retraites) avec une "capitalisation" - qu'on qualifie quelquefois de virtuelle - soit de points soit d'unités monétaires qui n'ont aucune existence réelle mais viennent créditer virtuellement des comptes individuels ; c'est la raison pour laquelle on qualifie ces régimes de régimes " en comptes notionnels ". A la retraite, chaque individu possède alors un capital virtuel - accru d'un index durant la durée d'accumulation, soit le PIB, soit l'inflation selon les cas - qu'il suffit de diviser en annuités. Le principe adopté étant celui de la neutralité actuarielle (la somme actualisée des cotisations d'un individu doit égaliser la somme actualisée des prestations que recevra cet individu), le nombre d'annuités dépend de l'âge de la retraite choisi par l'individu et de la génération à laquelle il appartient, donc de son espérance de vie. La pension est donc le produit d'un coefficient de liquidation et d'un capital virtuel accumulé durant l'activité. Basé sur un principe de neutralité actuarielle (donc individuelle), ce type de régime n'est pas auto-équilibrant tant que ne sont pas pris en compte la démographie et les conditions économiques en vigueur[3]. L'équilibre à long terme de ces régimes va donc reposer également sur la dynamique de fonds de réserve, lesquels fonds sont indispensables à la logique d'ensemble de ces régimes. Ces fonds sont gérés en capitalisation traditionnelle, tout comme les fonds de pension privés.
Le niveau de vie des retraités
Le niveau de vie des retraités a atteint un niveau comparable à celui des actifs à peu près partout en Europe, même si on note quelques différences dans les niveaux et dans les évolutions.
Il est difficile de savoir comment est appelé à évoluer le niveau de vie des retraités. Le niveau des pensions de retraite qui représentent plus de 60% du revenu des retraités de l'Union européenne est probablement appelé à connaître des ajustements pour faire face à la dérive démographique. Néanmoins, d'autres ajustements seront à l'œuvre qui pourraient limiter la baisse du niveau de vie moyen des retraités comme la montée des retraites féminines consécutive à la croissance de l'emploi des femmes ou encore l'importance croissante de dispositifs tels que le cumul emploi retraite.
La démographie appelle probablement à des évolutions
Résultant de la baisse de la fécondité, de l'accroissement de l'espérance de vie, de l'arrivée à l'âge senior des enfants du baby boom, le vieillissement (défini comme le renflement des pyramides des âges aux âges élevés) des populations est inévitable.
Il en résulte que la part des pensions de vieillesse dans les richesses nationales va augmenter de manière importante à législation inchangée. D'après les projections faites par la Commission européenne[4], la part des pensions de vieillesse devrait passer de 11.3% en moyenne actuellement à 12.9 en 2060, une moyenne qui recouvre toutefois des situations très variées.
Ces prévisions, reflètent plusieurs choses : d'une part, la dynamique démographique des pays ; aussi les pays dont le processus de vieillissement est rapide (Espagne, Allemagne) peuvent-ils connaître des dérives de leurs dépenses de retraite. Néanmoins, d'autres pays, en processus de vieillissement accéléré, tel que l'Italie, la Suède ou la Pologne, connaissent des variations négatives ou modérées des dépenses publiques de retraite.
C'est que les prévisions tablent sur des réformes en cours ou à venir et sur le succès de ces réformes. On décompose habituellement l'augmentation de la part des dépenses de manière à observer l'influence des différentes variables telles la démographie, l'emploi des 20-64 ans (qui mesure " l'assiette contributive "), les taux de remplacement (ratios pension sur salaires), le taux de couverture (le nombre de retraités parmi les plus de 65 ans ; on notera que cette variable peut évoluer favorablement dans les deux sens : une évolution positive peut traduire une baisse du travail informel - dans le cas des pays émergents - tandis qu'une évolution négative peut traduire une hausse de la durée du travail - cas de pays développés vieillissants -). On constate qu'à l'exception du Royaume-Uni et des Pays-Bas, les pays de l'Union européenne ont souvent opté pour une baisse des taux de remplacement et donc pour une baisse soit relative du pouvoir d'achat des retraités vis-à-vis des actifs soit absolue en termes réels (désindexation par rapport à l'inflation). De manière générale, tous les pays tablent sur une augmentation de l'emploi aux âges médians mais également sur une augmentation du taux de couverture c'est-à-dire sur une augmentation de l'âge de la retraite et de l'emploi aux âges élevés. C'est particulièrement le cas des pays qui ont mis en place des systèmes très contributifs, soit sous forme de comptes notionnels : l'Italie mais aussi les pays d'Europe centrale et orientale ayant adopté de tels régimes ; la Pologne est de ce point de vue assez emblématique.
Le tableau ci-dessous donne ainsi une idée de la manière dont les pays ont envisagé de " neutraliser " l'effet du vieillissement sur leurs dépenses de pension.
La croissance des dépenses publiques de retraite et sa décomposition sont très sensibles aux hypothèses macroéconomiques et démographiques retenues. Les taux de couverture et d'emploi sont dépendantes, non seulement des décisions qui seront prises par les gouvernements - notamment pour le taux de couverture - mais également des conditions économiques et du taux de croissance et des conditions de fonctionnement du marché du travail. Le taux de remplacement est dépendant des décisions politiques et de la manière dont on calculera et indexera les pensions dans l'avenir mais aussi du taux de croissance de la productivité et de l'économie en général. De manière générale, les pensions sont indexées soit sur les salaires, soit sur les prix, soit sur un index composite prenant les deux variables en compte. Dès lors que l'on ne revalorise plus les pensions sur les salaires, tout accroissement de la croissance ou de la productivité est source, non seulement d'un appauvrissement relatif des retraités, mais corrélativement, de dépenses de pensions moindres et est donc susceptible de participer au ralentissement de la croissance des dépenses de pension. La France, notamment, mais également l'Espagne et l'Italie (selon le niveau de la pension) revalorisent leurs pensions comme l'inflation et sont de bons exemples de la recherche d'économie par la désindexation.
Crises et ruptures affectent les pensions publiques et privées
La crise économique qui débuta en 2007 avec la crise dite des subprimes a durement affecté la croissance économique européenne. Avec des taux d'emploi plus faibles que prévu, une difficulté à conserver les travailleurs seniors, une croissance économique faible, les pensions publiques ont pâti de la crise.
Pour des raisons similaires auxquelles il convient d'ajouter la faiblesse voire la négativité des rendements financiers, les régimes de pension privés par capitalisation - tout comme les fonds de réserve des retraite - ont également été durement éprouvés par la crise.
L'impact de la crise financière a été proportionnel au poids des fonds de pension privés dans l'économie, un poids variable conforme à la partition des systèmes entre systèmes bismarckien et beveridgien.
Avec des rendements qui ont approché les –40% en 2008, les fonds de pension irlandais ont été durement touchés ; les fonds de pension finlandais et néerlandais connaissaient des performances un peu moins négatives (-18%) tandis que les fonds de pension britanniques voyaient leurs performances atteindre -13%.
Alors que, spontanément, on pourrait penser que les régimes en prestations définies (dont les engagements à l'égard des retraités sont fixés ab initio) s'en sont mieux tirés que les régimes en cotisations définies (où les pensions peuvent varier) qui ont vu leurs retraités ou futurs retraités perdre une partie de leurs avoirs, il n'en a rien été. En effet, la crise a eu pour effet de faire fondre les provisions des fonds de pension qui ont donc vu leur taux de provisionnement tomber au-dessous de 100%. Ils se sont donc trouvés en situation de devoir se recapitaliser dans une conjoncture où il était difficile d'exiger des entreprises ou de leurs salariés des cotisations supplémentaires.
Notons que ces performances négatives se sont également retrouvées sur les fonds de réserve des retraites par répartition, affectant une seconde fois indirectement les régimes de retraite publics.
Les systèmes s'adaptent à la crise mais devront encore évoluer
Pour ce qui concerne les fonds de pension, depuis plusieurs années déjà, on observe une tendance des entreprises à promouvoir plutôt des fonds de pension à cotisations définies qu'à prestations définies. Nul doute que ce glissement devrait continuer à être observé.
Pour autant, les fonds de pension à prestations définies ont quelquefois connu des mutations non négligeables. Ainsi, les fonds de pension néerlandais ont-ils comme obligation d'atteindre un taux de provisionnement de 105% fin 2013 faute de quoi ils seraient dans l'obligation de réduire le rythme d'acquisition des droits, voire les pensions elles-mêmes. Néanmoins, le taux d'actualisation utilisé pour le calcul des provisions est appelé à évoluer vers un taux dit " forward ultime " (de 4.2%) afin de s'abstraire des soubresauts des taux courants. Cela a pour impact d'augmenter mécaniquement le taux de provisions des fonds. Les fonds de pension privés américains ont adopté un dispositif similaire à l'occasion de la réforme dite " MAP 21 " (" Moving Ahead for Progress in the 21st century bill, section " Pension Funding for Stabilization) votée le 6 juillet 2012 conduisant à augmenter les taux d'actualisation. Certains observateurs ont alors fait remarquer que ce n'était pas sans danger quant au risque de défaut des fonds.
Quant aux pensions publiques, on a eu l'occasion de montrer que - même en pariant sur l'effectivité et l'efficacité des réformes - leur coût mesuré en part des richesses nationales est plutôt appelé à augmenter au sein de l'Union européenne. L'existence même de réformes semble montrer que la question de la part des PIB à consacrer aux pensions de retraite publiques est tranchée et que les Etats tenteront de juguler l'augmentation de cette part.
Les réformes comptent beaucoup sur l'augmentation des taux d'activité des travailleurs seniors, préalable indispensable à une augmentation de l'âge de la retraite ou de la durée d'activité faute de quoi il faudra observer une baisse des taux de remplacement et/ou des pensions endogène (parce que les affiliés n'auront pas cumulé les annuités nécessaires à l'acquisition d'une pension pleine) soit exogène, par décision des autorités gouvernementales. Parmi les ajustements qui pourraient être décidés, la baisse des taux d'indexation est relativement simple à concevoir. Une autre manière d'ajuster à la baisse les droits à pension de certains est de basculer vers un régime unique par points pour les pays qui ont des régimes en annuités ou mixtes (comme la France) ou vers un régime en comptes notionnels. Une autre attente de ces régimes très contributifs est de récompenser les carrières longues.
En l'absence d'une telle réforme structurelle, le risque est d'observer une baisse des taux de remplacement qui pourrait paupériser nombre de retraités. Certains plaident pour une solidarité ciblée dans les pays bismarckiens, ce qui tendrait à basculer vers des régimes plus beveridgiens, de type anglo-saxons dans lesquels seuls les plus modestes bénéficieraient de la redistribution.
Conclusion
Dans tous les cas, il en résultera pour les pays où les pensions publiques tiennent encore une place importante dans le revenu des retraités, un recours accru à l'épargne individuelle pour financer sa retraite. Les récentes statistiques de la Banque centrale européenne[5] montrent qu'en 2010 et pour l'ensemble des pays de l'Union - à l'intérieur de l'épargne financière, 15% du patrimoine global - 26.3% sont consacrés à l'assurance vie ou aux fonds de pension facultatifs, une part qu'il faudra sans doute accroître, l'alternative étant de " consommer " à la retraite d'autres postes du patrimoine accumulé.
[1] "Les retraites dans l'union européenne", La lettre de l'observatoire des retraites, n°3, juillet 2003.
[2] Esping-Andersen, G., 1999, les trois mondes des Etats providence, PUF, Coll. Le lien social, Paris
[3] Turner John A. Social security Financing: Automatic adjustments to restore solvency, AARP Public policy institute Research report, February 2009
[4] European Commission- The 2012 ageing report: economic and budgetary projections for the 27 EU Member States (2010-2060), European Economy 2/2012, May, Brussels.
[5] European central bank, The eurosystem household finance and consumption survey. Results from the first wave. Statistics paper series, n°2, April 2013.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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