L'avenir de la Défense européenne

Stratégie, sécurité et défense

François Fillon

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29 avril 2013
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François Fillon

Député UMP de la 2ème circonscription de Paris. Ancien Premier ministre sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012), il forma trois gouvernements.

L'avenir de la Défense européenne

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Quelles en sont les raisons ?

1. D'abord, il y a ce sentiment que la défense de nos territoires n'est plus une priorité vitale.

La fin de la guerre froide nous a libéré d'un conflit direct et massif. A l'évidence, la question de la vie ou de la mort de nos nations ne se pose plus de manière aussi crue.

2. Ensuite, nos difficultés économiques et sociales ont dominé et continuent de dominer nos agendas politiques.

Pour beaucoup de gouvernements et pour nos opinions, la défense est devenue, à tort, un objectif secondaire.

3. Enfin - et cela est le plus grave - c'est le principe même d'une Europe unie et puissante qui est fragilisée.

En une quinzaine d'années, l'idéal européen s'est épuisé. L'euroscepticisme a gagné du terrain, et avec lui, les populismes et les égoïsmes nationaux.

La crise financière et économique a accentué les divisions et les suspicions entre nos nations.

Comment bâtir une politique de sécurité et de défense commune digne de ce nom, si le rêve d'une Europe solidaire et forte n'est plus au cœur de notre ambition ?

L'Europe souffre moins d'un manque de potentiel militaire que d'une absence de foi et de vision politique.

Tant que nous n'aurons pas retrouvé les motifs de croire à l'idéal européen, tant que nous n'aurons pas fait naître dans les opinions le sentiment que l'Union européenne est notre chance d'avenir et notre protection, alors le projet d'une défense collective sera toujours hésitant.

C'est ici le rôle des responsables politiques qui doivent avoir le courage de convaincre leurs peuples que l'Europe est une nécessité vitale dans la mondialisation.

Quelle Europe voulons-nous ? Voilà la question décisive.

Pour moi, l'Europe n'est pas seulement un marché. Elle n'est pas seulement une monnaie.

L'Europe a vocation à être une puissance internationale, capable de défendre son indépendance et ses intérêts propres.

Or, il n'y a pas de puissance réelle sans moyens de défense.

Le "soft power" ne résoudra pas tout !

Le monde d'aujourd'hui et de demain n'est pas plus sûr que celui d'hier.

Les interdépendances géopolitiques et économiques nous condamnent à penser notre sécurité de façon globale.

Les régions du Proche et Moyen Orient continuent d'être une poudrière.

Les printemps arabes connaissent une phase chaotique.

Le terrorisme nous menace et prend des allures de plus en plus sophistiquées.

La dissémination nucléaire est une réalité.

La montée en puissance de la Chine bouscule les équilibres asiatiques.

Bref, les menaces existent, et pour nous européens, le "parapluie américain" est de moins en moins évident.

A juste titre, les Etats-Unis ne considèrent plus notre Continent comme une priorité.

La légitimité d'une politique de sécurité et de défense européenne n'est donc pas discutable.

Quelles sont les conditions pour faire plus et mieux que la situation actuelle ?

1. Première condition : il faut d'abord une volonté politique car c'est elle qui dicte le reste.

A cet égard, comment, par exemple, ne pas regretter le fossé entre la nécessité pour toute l'Europe d'assurer la sécurité du Sahel et la solitude de la France dans son action militaire au Mali ?

Qu'est-ce qui bloque ?

Cela n'est pas le constat sur la situation sahélienne car il fait, entre nous, consensus. Personne ne veut d'un sanctuaire terroriste au Mali !

Ce ne sont pas non plus les moyens militaires pour agir ni les outils qui font défaut : l'Europe compte 2 millions d'hommes et de femmes en armes et fortement équipés, le comité militaire et le comité politique et de sécurité de l'Union européenne sont opérationnels, l'Etat-major de l'Union européenne ne demande qu'à être sollicité, les groupes tactiques existent sur le papier...

Bref, tout est prêt pour agir, sauf une chose : la volonté politique.

A tort ou à raison, les Européens estiment que l'OTAN et les Américains sont là pour les protéger dans leurs frontières, et que les Français, les Britanniques, et quelques autres Etats, sont là pour faire le travail hors des frontières de l'Union.

Entre les deux, l'Europe n'a toujours pas vraiment choisi d'être un acteur stratégique d'envergure. C'est le nœud du problème.

2. Seconde condition : il faut définitivement mettre de côté le débat stérile entre partisans de l'OTAN et partisan de l'Europe de la défense.

Cette querelle est maintenant dépassée par le retrait progressif des Etats-Unis du continent européen et par le retour complet de la France dans l'OTAN.

Il ne s'agit donc plus de concurrencer l'Alliance atlantique mais de la compléter par une capacité autonome d'action de l'Europe.

Et là, beaucoup dépend de nos amis anglais, qui ont notamment fait barrage au principe d'un quartier général militaire européen.

3. Troisième condition : il faut penser l'Europe de la défense de façon pragmatique, sur la base de coopérations renforcées car à 27, nous n'avancerons pas.

Inutile de rêver à un grand soir de la défense européenne !

Il faut travailler avec les Etats volontaires, sur la base de collaborations à géométrie variables.

Depuis les accords de Saint Malo et de Lancaster House en 2010, la France et le Royaume-Uni ont relancé leur coopération.

Et bien d'autres partenariats opérationnels existent avec nos alliés italiens, espagnols, polonais...

Mais, à mes yeux, l'Allemagne est un élément central.

J'aurais souhaité qu'à l'occasion du cinquantième anniversaire du traité de l'Elysée, la France et l'Allemagne définissent, elles aussi, les voies d'une collaboration diplomatique et militaire renforcée.

Au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, en Afghanistan, les armées allemandes ont démontré qu'elles pouvaient s'intégrer à une stratégie d'action.

Je connais les réserves allemandes et ses contraintes constitutionnelles, mais je crois que le temps est venu pour cette grande nation économique d'accéder au statut de grande puissance diplomatique et militaire.

Ce statut exige, en retour, que la France et le Royaume-Uni associent l'Allemagne, et plus généralement l'Europe, aux décisions majeures du conseil de sécurité de l'ONU.

4. Quatrième condition : il faut mutualiser nos capacités militaires et industrielles.

L'enjeu n'est plus seulement celui de l'efficacité opérationnelle de nos forces armées ; l'enjeu est financier.

Nos opinions accepteront d'autant mieux le maintien de nos efforts budgétaires en matière de défense s'ils sont rationalisés et convergents.

L'exemple de la mise en place future d'une flotte multinationale d'A400M doit être amplifié et élargi à d'autres secteurs dont l'espace et les forces maritimes.

En partageant, voire en acquérant, ensemble le même matériel, des collaborations efficaces peuvent se réaliser de la formation à la maintenance en passant par une disponibilité accrue de capacités multi-nationalisées.

L'Europe dispose d'outils juridiques permettant de rationaliser et d'harmoniser le paysage fragmenté de la coopération militaire européenne.

La coopération structurée permanente (CSP), prévue par le traité de Lisbonne, n'a pas été mobilisée pour l'instant. Mais elle offre cependant un cadre européen à la systématisation des efforts d'Etats membres volontaires.

Parallèlement à la coopération militaire, il ne pourra y avoir de capacités de défense crédibles sans le soutien d'une base industrielle et technologique de défense européenne efficace.

Le récent échec de la fusion entre EADS et BAE illustre les difficultés à aboutir à une vision industrielle commune à l'échelle de l'Union européenne.

Cet échec ne doit cependant pas fermer la porte à d'autres projets de regroupement industriel sans lesquels il n'y aura ni Europe de la défense, ni sursaut industriel face à un marché européen de l'armement de plus en plus déclinant et face à une concurrence internationale accrue.

Soyons lucides, l'Europe est dans une mauvaise passe.

La crise accentue notre déclin face aux nouvelles puissances du monde.

Nos peuples hésitent entre l'abattement et le populisme, entre l'égoïsme et l'effort collectif.

Le destin de l'Europe va s'écrire durant la prochaine décennie.

Soit nous nous réveillons et nous nous rassemblons, soit nous nous relâchons et nous nous divisons, et alors notre continent sera condamné au sort des vieilles civilisations qui sombrent, un verre de champagne à la main, le temps d'une dernière valse...

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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