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Fragilité de la démocratie dans certains Etats membres d'Europe centrale et orientale : une épreuve pour l'Europe ?

Démocratie et citoyenneté

Irina Boulin-Ghica

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2 avril 2013
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Boulin-Ghica Irina

Irina Boulin-Ghica

Ancien chef du Service de coopération de l'Ambassade de France en Roumanie de 2004 à 2007, Irina Boulin-Ghica a été chef de projet de plusieurs jumelages PHARE (Roumanie, Hongrie, Pologne, Lituanie) entre 2001 et 2004 et expert du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne pour les questions de démocratisation des sociétés postcommunistes (indépendance de la presse, liberté d'expression) en République de Moldavie, Ukraine, Serbie, Monténégro, Géorgie et Azerbaïdjan.

Fragilité de la démocratie dans certains Etats membres d'Europe centrale et orie...

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Introduction

 

Les interrogations et les craintes des citoyens européens sur la perte de compétitivité qui mine la prospérité et le dynamisme économiques, l'une des principales réussites et fiertés de l'Union européenne, alimente actuellement une vague d'euroscepticisme, notamment dans la partie occidentale du continent. Mais une nouvelle source d'inquiétude pointe dans la partie orientale, concernant un autre pilier de la construction européenne, l'Etat de droit et les valeurs d'une société démocratique et transparente. Cette situation, si elle venait à perdurer, pourrait faire naître, ici aussi, des sentiments hostiles à l'égard de l'Union européenne, qui avait engendré tant d'espoirs après la chute du Rideau de fer.

 

I - Un constat préoccupant

 

Dans trois des nouveaux adhérents à l'Union européenne - la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, l'Etat de droit, sous sa forme habituellement pratiquée, est remis en cause dans certaines de ses exigences : indépendance de la justice, contre-pouvoirs institutionnels, médias pluralistes, lutte contre la corruption et le crime organisé, non-discrimination envers les minorités.

 

A. La Hongrie et Etat de droit ?

 

C'est en ces termes que s'interrogent les analystes [1] sur la situation de ce pays, qui, il y a un an [2], a fait l'objet d'une résolution du Parlement européen exprimant ses " graves inquiétudes quant à la situation hongroise en ce qui concerne l'exercice de la démocratie, l'Etat de droit, le respect de la protection des droits de l'Homme et des droits sociaux (et) le système d'équilibre des pouvoirs ".

 

Cette résolution faisait suite à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2012, d'une nouvelle Constitution, point culminant des réformes engagées en 2011 par le Premier ministre Viktor Orban, dont le résultat est un affaiblissement des contre-pouvoirs.

 

Entretemps, malgré les mises en garde et les réactions de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe [3] ainsi que les réserves exprimées par les Etats-Unis, le Parlement hongrois vient d'adopter le 11 mars 2013, un nouvel amendement à la Constitution– le quatrième en deux ans - qui réintroduit certaines dispositions annulées par la Cour constitutionnelle en 2011, plaçant de fait les pouvoirs législatif et exécutif au-dessus du pouvoir judiciaire.

 

L'indépendance de la justice a été en effet mise à mal par la décision de conférer le pouvoir de nomination des juges au chef du nouvel Office national de la justice, sous l'autorité du gouvernement. Cette même institution peut décider du déplacement des juges et attribue les affaires aux magistrats de son choix.

 

Le président de la Cour suprême, renommée Curia, a été remplacé au bout de deux ans d'exercice d'un mandat de six ans.

 

Les pouvoirs de la Cour constitutionnelle ont été considérablement encadrés par la réduction des possibilités de sa saisine par les parlementaires et leur quasi-suppression pour les citoyens ; il lui est interdit désormais de statuer sur le fond. 

 

Par ailleurs, la Cour des Comptes a été placée sous la responsabilité du Gouvernement et toutes les institutions indépendantes - comme le défenseur des libertés - ont vu leurs pouvoirs réduits et la fonction de Médiateur a même été supprimée.

 

La liberté des médias, autre contre-pouvoir essentiel dans une société démocratique, a également été sérieusement encadrée par une loi de 2010 qui, malgré des amendements apportés à la suite des pressions exercées par l'Union européenne, contrôle le libre exercice de l'information. A noter aussi une forte concentration des médias audiovisuels dans des mains proches du pouvoir.

 

Enfin, Budapest a fait l'objet d'une condamnation récente de la Cour européenne des droits de l'Homme [4] en raison de la ségrégation d'enfants Rom à l'école. Si dans ce domaine la Hongrie n'est pas la seule à se voir condamner par la CEDH [5], il est intéressant de noter que ces pratiques  n'avaient pas été signalées dans ce pays avant l'arrivée au pouvoir du Fidesz, qui n'hésite pas a tenir des propos ouvertement nationalistes [6].

 

Force est donc de constater une dangereuse dérive qui concerne plusieurs aspects fondamentaux d'une société démocratique et d'un Etat de droit. Certains vont jusqu'à parler d'une " démocratie sans démocrates " comme le politologue hongrois Ferenc Miszlivetz, ou d'une " démocrature " [7].

 

B. En Roumanie, il n'y a pas de notion de 'contrat démocratique'

 

C'est par cette phrase sans appel que Catherine Durandin, professeur à l'Institut National des langues et civilisations orientales. (INALCO) spécialiste de la Roumanie, caractérisait la situation dans ce pays où, selon son analyse, " il n'y a pas d'intégration du concept d'Etat de droit " [8].

 

Le nouveau gouvernement roumain, situé au centre-gauche, présente les mêmes risques pour la consolidation de l'Etat de droit, qui avait déjà du mal à s'installer dans ce pays en transition.

 

Après avoir fait chuter le gouvernement de centre-droit par un renversement d'alliances au Parlement en avril 2012, la première préoccupation du nouveau Premier ministre, Victor Ponta, et de sa coalition sociale-démocrate/libérale (USL) a été de restreindre l'indépendance de la justice et de freiner la lutte contre la corruption menée avec plus ou moins d'efficacité par le Président roumain Traian Basescu, dont le plus haut fait a été la condamnation à deux ans de prison ferme de l'ancien Premier ministre Adrian Nastase, mentor de l'actuel chef de gouvernement et membre de son parti politique (PSD). [9]

 

Quelques jours après l'annonce de l'emprisonnement de M. Nastase, les députés de la coalition ont suspendu le Chef de l'Etat, prenant appui sur son manque de popularité dans le pays et, dans les semaines qui ont suivi, une proposition de loi a été déposée, visant à modifier les conditions de validation du référendum sur sa destitution [10].

 

Dans les semaines qui ont suivi son installation, le nouvel exécutif a suspendu l'Avocat du Peuple (médiateur), seule autorité habilitée à contester les décrets du gouvernement, réduit les pouvoirs de la Cour constitutionnelle et remplacé plusieurs responsables d'agences publiques - notamment le directeur du Moniteur officiel (JO), qui contrôle l'entrée en vigueur des lois et décisions de justice [11].

 

Toutes ces atteintes aux principes de l'Etat de droit ont provoqué l'inquiétude de la Commission européenne, dont le Président José Manuel Barroso a convoqué d'urgence en juillet 2012 Victor Ponta à Bruxelles, lui remettant une liste de 11 dispositions à prendre avant la fin de l'année 2012. Elles visaient le " respect de l'Etat de droit et l'indépendance de la justice au-delà des intérêts partisans " afin de " restaurer la confiance " de l'Union européenne, qui a mis la Roumanie sous " surveillance exceptionnelle " [12].

 

Une semaine après l'entretien de M. Barroso avec le Premier ministre roumain, la Commission européenne a publié le 18 juillet 2012 son rapport annuel sur la situation en Roumanie, dans le cadre du Mécanisme de coopération et vérification (MCV) [13], soulignant avec sévérité que " les récentes mesures prises par le gouvernement roumain soulèvent de sérieuses inquiétudes quant au respect des principes fondamentaux " de l'Union européenne.

 

Le rapport suivant, publié le 30 janvier 2013, précise que " la Roumanie a encore de grands progrès à accomplir pour assainir son système judiciaire et mettre fin à la corruption ". Le texte relève, entre autres, que "de nombreux cas ont été constatés où des médias ont exercé des pressions sur la justice; (...) il est permis de se demander si le Conseil national de l'audiovisuel joue bien son rôle de garde-fou" [14].

 

En effet, si certaines recommandations de la Commission ont été suivies d'effets - dont le retrait de la proposition de loi sur la modification des conditions du référendum pour la destitution du Président-  les députés du PSD (composé en grande partie d'anciens membres du parti communiste),  majoritaires dans la coalition au pouvoir, craignaient que la lutte anti-corruption lancée par le président Basescu - au pouvoir jusqu'à la fin de l'année 2014 - ne les atteigne à leur tour.

C'est pourquoi la réduction de l'indépendance de la justice est restée une priorité pour la nouvelle majorité : avant les élections législatives du 9 décembre 2012 (gagnées par l'USL au pouvoir), une proposition de loi d'amnistie pour toutes les peines de prison de moins de 6 ans a été déposée par deux députés USL et sera soumise au vote [15] malgré l'avis négatif du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui a estimé qu'elle était " sans précédent dans l'histoire postcommuniste de la justice roumaine, tant par la durée des peines graciées que par la nature des faits amnistiés " et qu'elle " ne correspond à la politique pénale d'aucun Etat européen " [16].

 

Par ailleurs, passant outre la décision de justice, l'Administration pénitentiaire a libéré sous caution  M. Nastase [17] après seulement huit mois de prison (sur 24), comme l'avait d'ailleurs promis M. Ponta pendant la campagne électorale. Ce, malgré l'opposition de la Direction nationale anti-corruption (DNA), dont le procureur en chef n'est toujours pas nommé depuis plus de six mois, faute d'un accord entre les deux têtes de l'exécutif sur le candidat approprié.

 

Parmi les priorités du premier semestre 2013 annoncées par M. Ponta figure une révision de la Constitution qui devrait comprendre une réforme de la composition des membres du CSM et la possibilité pour le Parlement, à la majorité des deux-tiers, de passer outre une décision de la Cour constitutionnelle -dont les pouvoirs avaient déjà été réduits par M. Ponta lors de son arrivée à la tête du gouvernement [18].

 

Le 22 janvier 2013, les députés ont par ailleurs adopté une loi bridant le pouvoir des procureurs, qui ne peuvent lancer des enquêtes contre les parlementaires qu'avec l'aval du Parlement, et limitant celui de l'Agence nationale pour l'intégrité  (ANI), dont l'avis sur le conflit d'intérêts des ministres et députés ne sera plus un obstacle à leur nomination.

 

La corruption, au même titre que le manque de compétences des services et la mauvaise communication, est également une des causes de la faible absorption par la Roumanie des fonds structurels [19], dont l'utilisation est suivie à la loupe par l'OLAF (Office européen de lutte anti-fraude). Seuls 15% des 32 milliards € qui lui étaient octroyés par l'Union européenne pour la période 2007-2013 ont été utilisés, ce qui a conduit la Commission à proposer une réduction de 8 milliards la dotation de ce pays dans le projet de budget pour les sept prochaines années (2014-2020) [20], alors que ces fonds sont vitaux pour l'agriculture et les infrastructures du pays et que la Roumanie a souscrit un emprunt d'une somme équivalente au FMI et à la BCE pour financer ses dépenses.

 

Ainsi, six ans après son adhésion à l'Union européenne, la Roumanie connaît un recul de l'Etat de droit : si le président Basescu a voulu donner à Bruxelles des gages de progrès, en mettant en place des institutions démocratiques dont le fonctionnement restait imparfait, le nouveau gouvernement semble avoir pris encore plus de libertés avec les valeurs de l'Union.

 

C. Le cas bulgare

 

Quant à la Bulgarie, le rapport annuel du MCV publié en juillet 2012 [21] dressait un bilan bien maigre des réformes accomplies depuis l'adhésion du pays à l'Union européenne et exprimait de fortes inquiétudes au sujet du crime organisé bulgare " unique en Europe ". Ces mises en garde ont été suivies de peu d'effets et le processus de réforme, principalement de la justice, " ne présente pas encore un caractère durable et irréversible ", selon la formulation diplomatique de la Commission.

 

Moins diplomatique, le Parlement européen a décidé le 6 février 2013 d'organiser un débat de près de deux heures sur l'état de la démocratie en Bulgarie [22], après la tentative d'assassinat d'un dirigeant du parti de la minorité turque fin janvier.

 

Contrairement à ce qui s'est passé à Bucarest il y a un an [23], des manifestations de rue contre la vie chère ont entraîné, le 20 février dernier, la démission du gouvernement dirigé par le Premier ministre Boïko Borissov (GERB), qui a revendiqué "la dignité et l'honneur " [24] de rendre la parole au peuple. Un gouvernement d'experts a été mis en place le 13 mars dernier et des élections législatives anticipées auront lieu le 12 mai prochain [25].

 

La population bulgare, tout comme celle de Roumanie, accorde encore beaucoup de crédit à l'Europe pour lutter efficacement contre les menaces qui pèsent sur la démocratie dans leur pays. C'est ce qui ressort du sondage Eurobaromètre réalisé en mai 2012, qui montrait que 78% des Bulgares et 72 % des Roumains souhaitent que la Commission européenne continue à soutenir la réforme jusqu'à ce que leur pays obtienne des résultats comparables à ceux des autres Etats membres.

 

 

II - L'EUROPE DISPOSE DE MOYENS NON-NEGLIGEABLES POUR LUTTER CONTRE CETTE SITUATION

 

Si le Traité sur l'UE ne prévoit comme seul outil de sanction d'un Etat membre que la mesure extrême de la suspension de son droit de vote au Conseil [26] - décision prise en plusieurs étapes, à la majorité qualifiée, puis à l'unanimité en cas de constatation d'un risque clair de violation des valeurs européennes - l'Union dispose de facto de toute une gamme de moyens de pression juridiques, financiers et politiques.

 

A. La Commission peut invoquer des clauses de sauvegarde ou saisir la Cour de Justice de l'Union européenne

 

Comme pour tout manquement au droit communautaire, la Commission, gardienne des Traités, a la possibilité de saisir la CJUE par une procédure d'infraction lorsqu'elle constate que la législation d'un Etat membre est contraire au Traité ou à la Charte des droits fondamentaux. C'est en usant de ces possibilités que, début 2012, la Commission a engagé une procédure contentieuse à l'encontre de la Hongrie concernant l'indépendance de sa banque centrale et des instances de protection de données, ainsi qu'au sujet de certaines mesures relatives à son système judiciaire [27]

 

Mais cet outil juridique est surtout prévu pour combattre un corpus législatif contraire aux principes des Traités et de la Charte. Il est plus difficilement opérant lorsqu'il s'agit de pratiques politiques.

 

En Roumanie, le Président Basescu et le gouvernement précédent qui le soutenait avaient mis en place les institutions démocratiques prévues par les Traités européens et suggéré ensuite que les rapports MCV n'avaient plus lieu d'être [28]. La Bulgarie a aussi adopté les réformes de la justice demandées par l'Union européenne, bien que leur mise en pratique soit encore imparfaite [29]

 

Par ailleurs, le traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie (comme d'ailleurs ceux des autres pays ayant adhéré en 2004) contient trois dispositions qui permettent à l'Union de pallier les difficultés rencontrées lors de l'adhésion : une clause de sauvegarde économique générale; une clause de sauvegarde spécifique du marché intérieur et une clause de sauvegarde spécifique relative à la justice et aux affaires intérieures. Elles peuvent s'appliquer par une décision de la Commission de sa propre initiative ou sur demande d'un Etat membre si de graves manquements ou un risque de grave manquement sont constatés dans la transposition ou la mise en œuvre des règles de l'Union européenne.

La Roumanie a " frôlé " en 2008 la mise en œuvre de la clause de sauvegarde économique en raison des fraudes dans l'utilisation des fonds structurels, dont le versement a été quelques mois suspendu. Cette suspension a de nouveau été prononcée en  août et en octobre derniers pour quatre des cinq fonds qui lui sont alloués. [30] 

Les sanctions financières, comme la menace d'une réduction de 25% du montant des fonds communautaires destinés à la Roumanie [31] pour la période 2014-2020, sont également une possibilité. [32]

B. Les pressions politiques

 

Restent les " sanctions " et pressions politiques, pas toujours faciles à mobiliser, et dont l'efficacité dépend de la sensibilité des dirigeants de l'Etat incriminé à une relégation " au ban " des membres de l'Union. Si cette menace avait un certain effet avant l'adhésion et dans les toutes premières années après celle-ci, un sentiment d'impunité commence à poindre, encouragé par des exemples observés dans certains Etats membres plus anciens, comme l'Autriche [33]: le risque de se voir montrés du doigt, voire de se faire " exclure " de l'Union européenne, ne semble plus inquiéter les autorités de ces pays.  

 

A titre d'exemple, en marge du Conseil européen des 14 et 15 mars derniers, alors que le président du Parlement européen, Martin Schulz, demandait aux Chefs d'Etat et de gouvernement d'adopter à   l'encontre de la Hongrie des sanctions allant jusqu'à l'activation de l'article 7 du Traité, le Premier ministre hongrois Orban minimisait, devant la presse, les accusations apportées à sa réforme de la Constitution, jugée anti-démocratique par le président de la Commission européenne, mais également par le Bundestag allemand. 

 

Le 17 avril prochain, une analyse de la situation hongroise est prévue au Parlement européen, à la demande de l'ensemble des partis politiques.

 

Pour la Roumanie et la Bulgarie, le MCV et les rapports réguliers établis par la Commission dans ce cadre ne constituent plus une incitation à la réforme. Ce système de " bâton et de carotte " a cessé de fonctionner : en Roumanie, les dirigeants restent sourds à l'analyse sévère de ces rapports.

 

Enfin, le refus opposé par le Conseil -dont la décision est prise à l'unanimité- à l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'espace Schengen est l'une des " sanctions " les plus mal ressenties par ces deux pays, qui la considèrent comme une humiliation. Ils n'ont pourtant jusqu'ici pas convaincu certains Etats membres qui estiment toujours que les garde-frontières et les douaniers de ces pays sont corruptibles [34].

 

Un premier rapport est par ailleurs attendu cette année sur l'état de la corruption dans l'ensemble des Etats membres, conformément au plan d'action anti-corruption annoncé en 2011 par Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée des Affaires intérieures [35]. Il risque de pointer une nouvelle fois du doigt la Roumanie et la Bulgarie. Ce énième rapport pourra-t-il changer le cours des choses ?

 

 

III  DES MOYENS INSUFFISAMMENT UTILISES

 

A. Une intervention trop modérée?

 

Ni les rapports du MCV, ni le risque d'activation de l'article 7, ni l'exclusion de l'espace Schengen - et encore moins les résolutions du Parlement européen ou les pressions personnelles des autorités européennes - n'ont empêché les dirigeants des pays concernés de poursuivre l'adoption de dispositions contraires aux valeurs démocratiques de l'Etat de droit qui forment la base des principes de l'Union européenne.

 

De plus, l'espoir placé dans l'Union européenne semble s'amenuiser au sein de la population : en Roumanie, pour la première fois, l'image positive de l'Union européenne n'est plus majoritaire, ne recueillant que 47% (-7 points) [36] d'avis favorables dans un pays profondément euro-optimiste jusqu'ici ! Ceci est principalement dû à une impression que les rapports du MCV seraient bien trop complaisants avec les dirigeants.

 

A la perte de crédibilité des sanctions de l'Union aux yeux des dirigeants politiques, qui ne les craignent plus véritablement [37], risque ainsi de s'ajouter la déception de la population, qui espère encore qu'un recours à Bruxelles pourrait redresser la situation de leur pays, comme l'a démontré la lettre adressée l'été dernier à la Commission par plusieurs ONG roumaines [38], lui demandant de déclencher une procédure de sanction contre Bucarest devant les atteintes à l'indépendance de la justice portées par le nouveau gouvernement [39].

 

B. La pression doit être maintenue avec discernement

 

Il ressort donc de tout ce qui précède que la volonté politique des dirigeants est la seule qui puisse faire progresser les valeurs démocratiques dans leur pays. Mais en l'absence d'une telle volonté, les pays en transition doivent pouvoir être encore longtemps accompagnés, afin d'éviter l'instauration de régimes dont la dérive autoritaire constitue une menace.

 

En Roumanie, la population l'a compris : selon un sondage [40] datant de la fin 2011, une majorité écrasante de 84% de la population dit ne pas faire confiance au gouvernement (une méfiance dépassée seulement par la population grecque en proie à la crise majeure que l'on sait), contre 10% seulement d'opinions favorables. Le divorce entre la population et ses dirigeants est consommé, augurant mal du succès que ceux-ci pourront avoir en demandant des sacrifices à la population pour sortir de la crise.

 

Il est donc particulièrement aisé pour les dirigeants de ce pays d'incriminer l'Europe (l'amputation de 25% des fonds communautaires, le refus d'admission dans l'espace Schengen) et le président du Sénat roumain a déjà eu des inflexions europhobes en expliquant que " les lois de la Roumanie ne se font pas à Bruxelles " [41] pour justifier le refus des autorités roumaines de se plier aux recommandations des rapports MCV. En période de crise, surtout, le discours nationaliste, même dans un pays europhile comme la Roumanie, est une arme classique pour calmer le mécontentement du peuple. C'est pourquoi les sanctions politiques sont à privilégier plutôt que celles de nature économique, qui touchent une population déjà en difficulté, au risque d'obtenir un résultat inverse à celui escompté.

 

La situation est encore plus préoccupante en Hongrie, où une majorité de la population estime que la situation dans l'Union européenne va dans la mauvaise direction (45%, contre 18% d'opinions favorables) et l'écart entre ceux qui ont une opinion négative de l'Union (27%) et ceux qui en ont une positive (31%) se resserre [42]. Plus inquiétant encore, 63% des Hongrois se disent mécontents de vivre dans l'UE, devant les Grecs (47%).

 

En effet, dans le cas de la Hongrie, la population adhère, dans une proportion non-négligeable à la politique du gouvernement élu avec une très large majorité des voix. [43]  Des sanctions prononcées à l'encontre de ce pays peuvent avoir comme effet de ressouder la population face à ce qui apparaît comme une hostilité " injustifiée ". Avec le risque d'amenuiser le projet européen et ses valeurs.

 

Malgré tout, la vigilance à l'encontre de Budapest doit se poursuivre pour éviter que la Hongrie ne sombre dans un nationalisme autoritaire qui pourrait menacer plusieurs Etats membres de la région et au-delà [44]. Le bien-fondé de telles pressions a été prouvé au moment des sanctions contre l'Autriche, en 2000 : même si Vienne n'a pas renoncé à inclure le parti d'extrême droite (FPÖ) dans la coalition gouvernementale, les sanctions prises par ses 14 partenaires de l'époque [45] ont obligé les dirigeants autrichiens à s'engager par écrit à respecter la démocratie, se sachant sous étroite surveillance.

 

Cela signifie que, dans certains cas, l'Union doit user de cette arme - avec précaution afin de ne pas déclencher des sentiments hostiles - car, selon les propos de Romano Prodi lors de la crise autrichienne, en 2000, " lorsqu'un Etat membre est en difficulté, toute l'Union est en difficulté. Le devoir d'une institution supranationale n'est pas d'isoler un de ses membres, mais de le lier indissolublement à ses valeurs ".

 

En effet, l'application des sanctions - à des degrés divers et de manière graduée [46]– aux Etats qui présentent des manquements dans l'application ou le respect de l'Etat de droit répond à trois objectifs : appuyer d'une mesure concrète la condamnation d'un comportement ; adopter une attitude attendue par l'opinion publique européenne en général ; conserver une attitude cohérente sur le plan international, où l'Union prône le respect de l'Etat de droit comme l'une de ses valeurs-phare, le critère de conditionnalité démocratique étant appliqué à la plupart de ses relations extérieures. 

 

En outre, la pression européenne peut engendrer le sursaut de l'opinion publique, comme cela a été le cas en 2000 en Autriche, où cette dernière est sortie de sa passivité face à l'émergence du FPÖ. Un sursaut de ce type peut être espéré en Hongrie.

 

Quant aux pays " en transition " que sont la Roumanie et la Bulgarie, les sanctions devront être prises le cas échéant.

 

 

Conclusion

 

Au vu de ces situations contrastées mais toutes aussi préoccupantes les unes que les autres, l'Union doit maintenir une certaine pression.

 

La Commission l'a compris, qui écrivait, dans le rapport MCV sur la Roumanie le 30 janvier dernier, que " les pressions extérieures demeurent nécessaires " car les changements opérés dans ce pays sont avant tout le résultat de ces pressions.

 

C'est pourquoi, l'Union doit, dans les années à venir, maintenir une vigilance dans les nouveaux Etats-membres, où la démocratie est en voie de maturation.

 

Un an après les protestations des Roumains [47] exaspérés par les abus du pouvoir en place, qui ont entraîné la destitution du Premier ministre de l'époque, puis la chute du gouvernement démocrate-libéral (PDL), accélérant le projet de processus de destitution du Président Traian Basescu qui s'est soldé par un échec, les Roumains ayant refusé sa destitution lors d'un référendum, la situation ne semble pas avoir beaucoup évolué. Bien au contraire, la guerre sans merci que se sont livrés les partis politiques tout au long de l'année 2012 a non seulement terni l'image de la Roumanie tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, mais a également provoqué un recul de la croissance économique qui s'est réduite à 0,8% (contre 2,5% en 2011) et un repli de l'investissement étranger (-30% au premier semestre 2012), accentuant les difficultés économiques du pays.

 

A cet égard, il est intéressant de constater que, dans un sondage [48] réalisé par Eurobaromètre, la liberté d'opinion arrive en tête des valeurs européennes pour 64% des personnes interrogées dans l'ensemble de l'Union devançant même la paix. Toutefois, en Hongrie, en Roumanie et en Bulgarie,  on enregistre les trois plus faibles pourcentages de personnes de cet avis.

 

Le Programme de Stockholm sur l'Europe des citoyens donne des pistes pour une action envers la société civile [49]. Au chapitre " Dialogue avec la société civile " [50], le Conseil européen " encourage les institutions de l'Union à tenir, dans le cadre de leurs compétences, un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile. La Commission devrait mettre en place des mécanismes spécifiques, tels que le Forum européen pour la justice, permettant d'intensifier le dialogue dans les domaines où ces mécanismes sont appropriés ".

 

La sauvegarde des valeurs démocratiques demande la vigilance de tous [51]. C'est au prix de cette vigilance que la confiance pourra revenir et qu'on écartera le risque d'un regain d'euroscepticisme à l'Est.


[1] Cf. " Hongrie : sanglots longs et silence amers " in Sauvons l'Europe, 3 février 2012.
[2] Résolution du PE du 16 février 2012
[3] Cf. le communiqué commun publié le 11 mars 2013 par le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et par le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjorn Jagland, qui expriment leurs " préoccupations en ce qui concerne le principe de la primauté du droit, le droit de l'UE et les normes du Conseil de l'Europe " au sujet de cet amendement
[4] Cf. Arrêt Horvath et Kiss c/ Hongrie CEDH 29 janv. 2013
[5] Cf. les arrêts rendus par la CEDH contre la Grèce (Arrêts Sampanis et autres c/ Grèce du 5 déc. 2008 et 12 déc. 2012) et la Rép. Tchèque (Arrêt D.H et autres c/ Rép. Tchèque, 13 nov. 2007)
[6] Cf. entre autres, le livre de Paul Lendvai Mein verspieltes Land : Ungarn im Umbruch - Ecowin Verlag (2010).
[7] Cf Pierre Verluise " UE et Hongrie : Viktor Orban va-t-il vers la rupture ? " in Actualités européennes, déc. 2012
[8] Cf. Interview sur France 24 du 18 juil. 2012.
[9] Il a été cependant libéré après seulement huit mois de séjour en prison (un tiers de la peine)
[10] M. Ponta a renoncé à cette modification à la suite des pressions de J.M. Barroso et la destitution du Président Basescu a été rejetée par referendum le 29 juillet 2012.
[11] En juin 2012, la Cour Constitutionnelle interrogée sur la personne qui devait représenter la Roumanie au Conseil européen des 28-29 juin, a répondu que c'était le rôle du Président. Le Premier ministre V. Ponta a empêché la publication de la décision au Moniteur officiel afin de se rendre à Bruxelles. Il n'a cependant pas pu assister au Conseil européen, chaque pays ne disposant que d'une place
[12] Cf. Liste publiée sur le site euobserver.com du 16.07.2012 http://storage0.dms.mpinteractiv.ro/media/1/186/3927/9859699/4/b9hxhkqi.jpg
[13] Mécanisme mis en place lors de l'adhésion à l'UE de la Roumanie et de la Bulgarie, qui avaient encore des progrès à faire dans les domaines de la réforme du système judiciaire et de la lutte contre la criminalité organisée et la corruption, afin de les aider à remédier a ces lacunes. http://ec.europa.eu/cvm/docs/com_2012_410_fr.pdf
[14] Cf. Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur les progrès réalisés par la Roumanie au titre du MCV COM(2013) 47 final du 30.01.2013. http://ec.europa.eu/cvm/docs/com_2013_47_fr.pdf
[15] Son adoption ne fait pas de doute, puisque la coalition USL a la majorité absolue dans les deux Chambres
[16] Cf. Interview accordée le 15 nov. 2012 au journal " Evenimentul zilei " par la présidente du CSM.
[17] Le 12 février dernier, décision confirmée par un Tribunal local le 18 fév.
[18] Cf site du journal Evenimentul zilei du 2 fév. 2013 (evz.ro)
[19] La Roumanie a le taux d'absorption le plus faible des 27 Etats-membres, selon l'analyse publiée par la Direction générale du Trésor français dans la " Lettre Europe du Sud-est " de janvier 2013
[20] Le budget est encore en discussion ; aucune décision définitive n'a encore été prise
[21] Cf. Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur les progrès réalisés par la Bulgarie dans le cadre du MCV COM(21012) 411 final du 18 juillet 2012. http://ec.europa.eu/cvm/docs/com_2012_411_fr.pdf
[22] http://www.euractiv.com/future-eu/parliament-debates-state-democra-news-517633
[23] Des manifestations de rue ont eu lieu dans la capitale roumaine fin janvier 2012 demandant la démission du Président Basescu. Elles ont eu pour seul résultat un changement de Premier ministre qui a mené la même politique.
[24] Cf. Discours de M. Borissov le 19 février à Sofia.
[25] http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-178_en.htm
[26] Art. 7 du Traité sur l'UE
[27] Sous le n° d'enregistrement IP/12/24 du 17 janv. 2012.
[28] Cf. Demande formulée le 14 mars dernier par les députés européens USL lors de la séance plénière du Parlement européen, concernant la mise en place d'un calendrier pour mettre fin au MCV. Elle fait suite aux propos tenus le 16 janvier 2012 à la presse belge par l'ancien ministre de la Justice Catalin Predoiu.
[29] http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12-565_en.htm?locale=en
[30] Cf. Lettre du Commissaire chargé de la politique régionale, Johannes Hahn, à la Roumanie du 18 oct. 2012, qui fait état, entre autres, d'irrégularités constatées dans la gestion de ces fonds. Le paiement a été repris, pour deux des quatre fonds suspendus, le 17 fév. Dernier. Auparavant, la Roumanie a dû rembourser entre 10 et 25% des montants reçus au titre de la période 2007-2013 pour les mêmes raisons.
[31] Cf. supra
[32] Cette menace avait plané fin 2012 dans la proposition de budget de la Commission. Les "Amis de la Cohésion" (groupe de 14 pays, dont la Roumanie, regroupés autour de la Pologne) ont toutefois entamé un lobbying soutenu contre la réduction des fonds structurels dans le prochain budget, qui est toujours en négociation.
[33] Les sanctions prises par les 14 membres de l'UE en 2000 n'ont pas empêché l'entrée au gouvernement autrichien du parti d'extrême droite xénophobe (FPÖ) de Jörg Haider.
[34] Une des conditions préalables à leur acceptation dans l'espace Schengen est de pouvoir présenter deux rapports MCV consécutifs avec des appréciations positives.
[35] Cf. Décision de la Commission C (2011) 3673 final du 6 juin 2011
[36] Cf. Enquête Eurobaromètre Déc. 2011
[37] Cf. La déclaration faite le 2 février dernier à la télévision par le Premier ministre roumain, M. Ponta, qui a refusé de démettre de leurs fonctions des ministres nommément incriminés dans le rapport MCV publié deux jours auparavant.
[38] Cf. "Nous bouteront-ils hors d'Europe ?" article paru dans le journal Adevarul et traduit dans Courrier International du 9 juil. 2012
[39] La lettre n'a pas suscité de réaction connue de la Commission
[40] Cf. Enquête Eurobaromètre citée
[41] Cf. Discours du Président du Sénat, M. Crin Antonescu, repris par l'agence Mediafax le 17 juil. 2012 http://www.mediafax.ro/politic/comentariu-cine-se-ocupa-de-recastigarea-increderii-romaniei-pe-plan-extern-9875390)
[42] Cf. Sondage Eurobaromètre novembre 2011
[43] 68% des voix au scrutin de 2010, par lequel la population voulait sanctionner la politique menée par le gouvernement socialiste sortant et surtout l'ex Premier ministre Gurczany qui avait avoué avoir menti cyniquement à son électorat
[44] D'ores et déjà, des tensions nationalistes se font jour dans la région roumaine de Covasna, où est concentrée une forte proportion de la minorité hongroise de Transylvanie
[45] Essentiellement boycott des relations diplomatiques bilatérales
[46] Ce qui est possible depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et son art. 7 modifié
[47] Fin janvier-début février 2012
[48] Sondage Eurobaromètre, décembre 2011.
[49] " Une Europe ouverte et sure qui protège les citoyens " Programme sur quatre ans (2010-2014) publié au JOUE du 4 mai 2010
[50] Chap. 1.2.8.
[51] Cf. l'initiative lancée en marge du dernier Conseil européen des 14 et 15 mars dernier par l'Allemagne, la Finlande, le Danemark et les Pays-Bas (soutenus par la Commission) en faveur de la création d'un "Mécanisme européen de sauvegarde des valeurs fondamentales" (Toute l'Europe, 13/03/2013 et interview de M. Ponta dans le journal Adevarul du 19/03/2013)

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Fragilité de la démocratie dans certains Etats membres d'Europe centrale et orie...

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