Stratégie, sécurité et défense
Maxime Lefebvre
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Introduction
L'Union européenne est actuellement engluée dans la crise de la zone euro. Pour l'avenir du projet européen, le règlement de cette crise -par le mélange de disciplines communes, de solidarité et d'une meilleure coordination des politiques économiques au service de la croissance- est évidemment un préalable. Cela n'empêche pas de porter le regard au-delà des difficultés actuelles et de réfléchir à la manière dont les Européens, plus unis et plus solidaires les uns des autres, pourraient s'organiser pour peser dans un monde où leur influence relative se réduit.
Or les promesses que recélait le traité de Lisbonne, avec une présidence stable du Conseil européen et du Conseil des ministres des Affaires étrangères, et la création d'un service européen pour l'action extérieure, ne semblent guère porter leurs fruits, en tout cas pour le moment. L'Union européenne n'a pas joué les premiers rôles dans le "printemps arabe", et n'a lancé aucune nouvelle opération militaire de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) depuis 2008.
Faut-il en conclure que le projet d'une "Europe puissance", compliqué par une Europe de plus en plus nombreuse (28 Etats membres après l'adhésion de la Croatie le 1er juillet 1013), doit être rangé au placard avec tous les rêves inaboutis des philosophes ou des visionnaires ? En posant la question à l'échelle du temps long, il y a des raisons de nuancer ce pessimisme. Il a fallu 20 ans pour que la construction européenne, lancée par la déclaration Schuman en 1950 sur l'économie, prenne une forme politique par une coopération au niveau de la politique étrangère, et encore 30 ans pour qu'elle se donne une dimension de sécurité et de défense. La nature même du projet européen est un processus lent et progressif, alternant les phases d'avancées et de stagnation.
Plutôt que de se lamenter sur l'état actuel de l'Union européenne, réfléchissons à la manière dont les choses pourraient progresser, à travers quelques points de fond et de méthode.
1) Poser le débat de "l'Europe puissance" avec une exigence de réalisme.
L'Union européenne n'est pas, et ne sera peut-être jamais, un Etat fédéral, disposant comme l'Allemagne, les Etats-Unis ou la Suisse de la compétence des compétences. En ce sens, elle ne peut pas être non plus une puissance "westphalienne", fondée sur un pouvoir politique incarnant une unité de commandement et maniant les instruments de souveraineté de l'Etat westphalien (diplomatie et défense). La sécurité ultime de l'Europe ne passe pas par l'Union européenne mais par ses Etats membres, qui gardent une existence immédiate sur la scène internationale ainsi que la maîtrise de leur outil de défense.
Or les 27 Etats membres de l'Union européenne, dont la plupart sont membres de l'OTAN (21), continuent de penser leur sécurité à travers la relation avec l'allié américain, qui est en position quasi-hégémonique sur l'échiquier stratégique mondial -du moins tant qu'il s'agit de faire la guerre et de projeter des forces, car les opérations longues de stabilisation et de nation building épuisent les moyens de cette puissance américaine, comme on l'a vu en Irak et en Afghanistan. L'Union européenne s'est certes dotée d'un engagement de défense collective dans le traité de Lisbonne -assistance en cas d'agression armée-, mais sa mise en œuvre a été par le même traité déléguée à l'OTAN.
Si l'Europe de la défense existe, elle n'assure pas la défense de l'Europe. Comme l'a noté Zaki Laïdi [3], l'Union européenne n'est pas une véritable "grande puissance", garante ultime de sa sécurité.
2) Tirer parti de la mondialisation
Si le monde en était encore uniquement à l'état anarchique, westphalien, "hobbesien" qui a prédominé jusqu'aux deux guerres mondiales, il ne faudrait pas donner cher de l'Union européenne. Mais sans nier que le monde reste en partie westphalien avec, par exemple, le rôle persistant de la force militaire et de la dissuasion nucléaire et la rivalité stratégique croissante entre les Etats-Unis et la Chine, il est aussi de plus en plus interdépendant en matière d'économie, de communications et d'enjeux globaux comme l'environnement ou même la sécurité. La sécurité intérieure et la sécurité extérieure s'interpénètrent d'ailleurs de plus en plus : cybercriminalité, piraterie, trafics illicites, terrorisme, catastrophes naturelles, etc.
Or dans ces domaines, la mondialisation crée des opportunités pour la puissance européenne. Les valeurs d'ouverture comme la liberté des échanges sont certes vues parfois de façon négative en France -" Europe ouverte, Europe offerte ", a-t-on souvent entendu-, mais elles sont à la base du projet européen et d'une mondialisation pacifique.
Dans ce jeu mondial, l'Union européenne existe là où elle est unie : par sa politique commerciale, par sa politique de la concurrence, par les normes qu'elle définit pour le premier marché du monde - on parle de "puissance par la norme" [4] ou de "puissance structurelle" [5]. Elle doit défendre ses intérêts et ses préférences non marchandes (le social, l'environnement, le rôle non marchand des agriculteurs, la régulation financière), défendre ses valeurs (les droits de l'Homme), faire preuve de générosité (l'aide au développement), mais veiller aussi davantage à la "réciprocité" dans les échanges économiques avec les grands partenaires (c'est devenu une vraie priorité depuis 2010). En un mot, l'Union européenne a un intérêt fondamental à renforcer le multilatéralisme, le rôle du droit et la gouvernance mondiale, afin que la mondialisation soit mieux régulée et plus équitable (le "juste échange").
3) Dans la "bagarre multipolaire", les atouts de l'Union européenne sont considérables et souvent sous-estimés
La démographie par exemple : la population européenne stagne et vieillit, elle n'est pas la seule ; en 2050, l'Union européenne sera toujours plus peuplée que les Etats-Unis, se situant (comme actuellement) au troisième rang mondial derrière l'Inde et la Chine. En outre, les aspects qualitatifs de l'organisation des sociétés européennes sont des avantages majeurs et durables - l'état de droit, la transparence du pouvoir et de l'administration, l'éducation, le modèle social, etc. Sur le plan économique, l'Union européenne prise comme un tout est, à la fois, la première puissance économique et la première puissance commerciale. Elle ne représente pas moins de la moitié de l'aide mondiale au développement et des flux mondiaux d'investissements étrangers. Elle est aussi une puissance technologique et militaire, même si dans ces domaines elle devrait faire plus d'efforts pour rattraper certains retards.
4) Prendre en compte la diversité des nations pour affirmer une volonté collective et défendre des "intérêts européens"
La pluralité nationale est certes un obstacle à la concentration fédérale du pouvoir politique et de la puissance de l'Union européenne. Il faut faire de cette diversité un atout. Après tout l'émulation et l'esprit de compétition ont aussi propulsé la civilisation européenne au stade le plus avancé de l'évolution du monde, du moins quand ils ne la poussaient pas à des affrontements suicidaires. Chaque pays a des intérêts, des priorités, des réflexes différents sur la scène internationale. Les "petits" pays veillent surtout à ce que leurs intérêts vitaux ne soient pas mis en cause par les décisions européennes. Les "grands" tentent de porter leurs ambitions ou leurs intérêts mondiaux à travers l'Europe. Il faut sortir par le haut des divergences potentielles et définir ce que représentent les "intérêts européens" : la politique de voisinage de l'Union européenne, par exemple, réconcilie les orientations vers les territoires orientaux et les orientations vers les territoires méridionaux ; la "réciprocité" est un moyen de combiner les tendances plus protectionnistes des pays latins et les positions plus libérales et plus ouvertes des pays nordiques.
L'Europe puissance est d'abord une affaire de volonté politique. Une bonne articulation entre les Etats-nations, et les institutions et les politiques communautaires, est la condition pour produire une véritable "énergie collective" et défendre des intérêts communs, pour que l'Union devienne un vrai démultiplicateur de puissance. Or il y a indéniablement un problème d'embrayage entre les grandes capitales et la "machine bruxelloise". La France, pays où a été inventé le concept d' "Europe puissance" dans les années 1970 avec Valéry Giscard d'Estaing et Jean François-Poncet, a un rôle indispensable à jouer pour réinsuffler de l'énergie et de l'ambition. Elle doit le faire en coopérant intelligemment avec les autorités bruxelloises et les autres grands acteurs européens, au premier rang desquels l'Allemagne et le Royaume-Uni, sans ignorer l'apport des autres pays grands et moins grands.
5) Un point d'appui majeur de la puissance européenne tient dans les politiques communes (" communautaires ") et dans la mutualisation des moyens européens
Là où l'Europe est unie, là où elle met en commun ses capacités, elle devient plus forte vis-à-vis du monde extérieur. Tout ne peut bien sûr pas être communautarisé, mais certains projets et certains programmes doivent l'être, comme par exemple les 5 milliards € investis dans le programme Galileo, qui va permettre au système européen de briser le monopole du système américain de géo localisation GPS à partir du milieu des années 2010, et qu'aucun Etat européen n'aurait pu réaliser seul.
C'est vrai aussi dans le domaine de la diplomatie et de la défense. La création du service européen pour l'action extérieure (SEAE) vise à faire mieux travailler en synergie la diplomatie européenne et les diplomaties nationales. Depuis 2003, l'Union européenne est dotée d'outils de gestion civile et militaire des crises qui fonctionnent. Elle a lancé plus de 20 missions de PSDC, dont 6 missions militaires. C'est une véritable capacité européenne de gestion des crises qui s'est développée, et qui apparaissait encore inimaginable à la fin de la guerre froide, l'Europe de la défense étant marquée du sceau de la malédiction depuis l'échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954. Là aussi, l'Europe y a mis le temps mais a fini par émerger comme un producteur autonome de sécurité, même si son action apparaît encore modeste.
De nouveaux progrès sont possibles. Il manque toujours à l'Union européenne un vrai Quartier général capable de planifier des opérations militaires, comme il en existe à l'OTAN. Seuls les Britanniques, par crainte de relativiser la prééminence de l'Alliance atlantique, continuent de refuser que l'Union européenne franchisse ce pas décisif. Il faudra donc continuer les pressions, et ce ne sera pas la première fois que les Britanniques accepteront une évolution devenue inévitable [6].
L'Europe de l'armement a également encore beaucoup de progrès à faire. Les moyens de l'Agence européenne de défense (30 millions €) restent ridiculement faibles par rapport aux investissements militaires de l'OTAN (600 millions). Les dépenses militaires des Etats européens sont à la fois faibles (moins de la moitié des dépenses militaires américaines) et peu efficaces à cause de la dispersion des programmes d'armement. Là aussi, des progrès sont indispensables et la prise de conscience de ces enjeux progresse, comme le montre le développement du débat sur le partage et la mutualisation des capacités militaires, lancé par l'Allemagne et la Suède en 2010 au moment où la France s'engageait dans une coopération militaire intergouvernementale privilégiée avec le Royaume-Uni.
6) La puissance européenne ne relève pas seulement du "soft power"
On considère non sans raisons que la puissance européenne relève du soft power : la séduction, l'attraction, l'influence. Ce soft power est le plus visible dans la politique d'élargissement, qui permet à l'Union d'obtenir des modifications radicales de comportement des pays qui négocient leur adhésion, et qui est parfois présentée comme la politique européenne la plus couronnée de succès. Mais le soft power se manifeste aussi à travers d'autres politiques comme la négociation d'accords extérieurs, l'aide, la politique de voisinage ou l'intervention dans des crises diplomatiques (Macédoine en 2001, Ukraine en 2004, Géorgie en 2008).
Pour autant, on aurait tort de ne considérer l'Union européenne que sous l'angle du soft power. L'Europe sait aussi manier la coercition, soit dans le cadre de ses politiques communautaires comme les rétorsions commerciales (la sanction de Microsoft à cause des entorses aux règles de concurrence) ou les sanctions contre des régimes violant les droits de l'homme (Biélorussie, Birmanie, Libye, Syrie, etc.) ou menaçant la paix internationale (Iran).
L'Union européenne s'est aussi dotée du moyen de recourir à l'outil militaire. Certes, il est difficile encore d'imaginer l'Union européenne se lancer dans de véritables guerres, comme celles qui ont été menées par l'OTAN au Kosovo, en Afghanistan, en Libye, ou dans des opérations armées comme la France en mène, seule, en Afrique (Côte d'Ivoire en 2011). Les missions militaires de l'Union européenne restent des missions de basse intensité (maintien de la paix en Macédoine et en Bosnie-Herzégovine, mission de police maritime au large de la Somalie, déploiements ponctuels et limités en République démocratique du Congo ou au Tchad).
Pour autant, le recours à la force ne devrait pas être écarté a priori pour l'avenir. Aucun pays européen ne se l'interdit et les traités européens prévoient eux-mêmes que l'Union peut entreprendre des "missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix". Même les auteurs qui assignent à l'Union le rôle d'une "puissance tranquille", comme Tzvetan Todorov [7], n'écartent pas un recours à la force armée pour des raisons humanitaires, en cas de génocides par exemple. On notera aussi l'extension récente du mandat de l'opération navale au large de la Somalie (Atalanta), qui autorise les forces européennes à poursuivre les pirates jusque sur les côtes somaliennes.
Evidemment, le recours à la force restera une question difficile pour les Européens, à la fois à cause de la retenue stratégique de certains acteurs (Allemagne, Suède) et parce qu'il est plus facile de suivre le leadership politique et militaire de la puissance américaine que de se mettre d'accord entre pays européens, a fortiori à 27. Il est évident aussi que ce recours à la force, s'il devait se développer dans l'avenir, serait fortement encadré -mandat des Nations unies, nécessité d'objectifs "présentables" comme des raisons humanitaires ou la mise en œuvre de la "responsabilité de protéger". Même si elle en est loin, il n'est pas inenvisageable que l'Union prenne davantage en main sa sécurité et développe une véritable "culture stratégique".
Quoi qu'il en soit, même avec ses limites actuelles, la puissance européenne dépasse le simple soft power. Elle tient plutôt du smart power, une combinaison de soft et de hard – concept mis à la mode par l'administration Obama et que l'Union européenne avait en fait déjà inventée en prônant une gestion à la fois civile et militaire des crises dans sa stratégie européenne de sécurité en 2003. L'Union européenne est un acteur régional sans équivalent au niveau mondial : dotée d'un budget infiniment plus important que l'ONU ou l'OTAN, bénéficiant d'une image plus "douce" que l'OTAN (la puissance américaine n'en fait pas partie, et ce n'est pas une machine armée pour faire la guerre), capable de manier tous les instruments de la politique extérieure -depuis le commerce et l'aide au développement jusqu'à la diplomatie et la défense, en passant par des moyens de soutien à la police, à la justice, à la douane, à la reconstruction et à la réforme de l'Etat, à la protection civile-, on peut dire qu'il faudrait l'inventer si elle n'existait pas. La prise en main de la reconstruction et de la pacification des Balkans depuis quinze ans est sans doute l'exemple le plus significatif de cette action européenne en profondeur, et l'Union européenne pourrait en faire beaucoup plus dans son voisinage, en Afrique ou au Moyen-Orient.
7) Le besoin d'une vision commune
Zaki Laïdi a pointé le déficit de "puissance narrative" de l'Union européenne [8], et il est vrai que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les grands discours d'énonciation du monde ont été produits par les Etats-Unis (Fukuyama, Huntington, Kagan).
Pour autant, l'Union européenne n'est pas dépourvue de "storytelling". Sa vision du monde peut paraître parfois trop candide et éthérée (les valeurs, le droit, les droits de l'Homme, le multilatéralisme), elle s'abîme peut-être excessivement dans la repentance et le "devoir de mémoire", mais elle se montre aussi capable de commencer à penser sa sécurité. La stratégie européenne de sécurité définie en 2003 est plus qu'un exercice oiseux destiné à raccommoder les Européens après les divisions sur la guerre américaine en Irak, comme l'analyse un politologue franco-britannique [9]. C'est la première tentative des Européens de penser leur environnement stratégique et de dégager quelques priorités fondamentales pour leur politique extérieure : l'attachement au multilatéralisme -contre l'unilatéralisme de l'Administration Bush-, la priorité au voisinage de l'Union qui répond à une vraie vision géopolitique, et la volonté de s'investir dans une gestion à la fois civile et militaire des crises (le smart power européen).
Dans la continuité de ce texte qui remonte maintenant à près de 10 ans -et qui n'a fait l'objet que d'un "rapport d'actualisation" en 2008-, l'Union pourrait se lancer dans un nouvel exercice conceptuel, soit en actualisant le texte de 2003, soit en l'élargissant à l'action extérieure européenne plus largement en prenant acte de la création d'un service européen pour l'action extérieure plus intégré, alliant politique extérieure communautaire et action diplomatico-militaire, soit en adoptant spécifiquement un livre blanc européen de sécurité et de défense (comme le souhaite la France), soit en combinant ces différentes options.
Il est clair en tout cas que la vision et la stratégie sont des éléments importants pour crédibiliser l'acteur stratégique européen, et pour renforcer la cohérence et la confiance entre les Etats membres. Comme en 2003, les trois principaux acteurs de l'Union (France, Allemagne, Royaume-Uni) devraient être au cœur du processus d'élaboration, même s'il faut aussi associer d'autres puissances (comme la Pologne, l'Italie et l'Espagne) et permettre à chaque Etat membre de commenter et d'amender le texte.
8) L' "Europe puissance" peut-elle être continentale ?
Dans les réflexions sur la puissance européenne, il faut aussi poser la question de l'identité et des frontières de l'Union, qui est évidemment liée aux nouvelles perspectives d'élargissement : Balkans ? Turquie ? Est de l'Europe ? La vision française a toujours opposé élargissement et approfondissement, et tenté de les concilier. On ne peut nier que, sur les questions stratégiques, plus il y a de parties prenantes et plus difficile est l'affirmation d'une volonté d'agir, dès lors que le mode de prise de décision à l'unanimité paraît difficilement dépassable. Une Union européenne à 40 membres peut-elle devenir un véritable acteur stratégique ? Cela paraît déjà bien compliqué à 27, et cela passe de toute façon par un "moteur" des "grands" pays. On n'évacue pas si facilement le "concert européen" qui a marqué l'histoire du continent.
Reste la question de la dissociation d'une "Europe puissance" d'une "Europe espace" plus large. Cela pourrait se faire soit à travers la "coopération structurée permanente" prévue par les traités européens (qui devrait en principe associer les Britanniques, qui ont participé à sa mise au point en 2003), soit à travers une zone euro évoluant vers plus de fédéralisme économique et budgétaire, mais aussi plus de fédéralisme politique et militaire (avec le problème, dans ce cas là, de faire sans le Royaume-Uni et son influence diplomatique et militaire). La question n'est pas facile à trancher, mais elle mérite d'être posée et étudiée.
Conclusion
Si l'on pense "l'Europe puissance" comme une puissance westphalienne, capable de peser sur les questions diplomatiques et militaires en jouant dans la même catégorie que les Etats-Unis, on fait fausse route. L'"Europe puissance" se déploie plutôt dans les interstices des rapports de force politico-stratégiques, elle s'efforce d'avoir prise sur la mondialisation, elle développe un smart power combinant influence et attraction d'un côté, coercition de l'autre. Surtout, elle doit s'appuyer sur ses Etats membres, sur leur volonté d'agir en commun, sur les outils communs qu'ils sont prêts à mettre en place, sur la solidarité qui existe entre eux.
Par delà les divergences, ce qui relie les pays européens est encore plus fort : l'héritage d'une riche civilisation, des valeurs communes, la proximité géographique, un modèle européen de société, des politiques communes qui n'ont cessé de se renforcer avec le temps. Il faut retrouver le sens d'un projet commun, qui ne peut sans doute pas se résumer dans la finalité d'une Union européenne sublimant les Etats-nations, mais qui prend tout son sens à partir du moment où les forces de l'union, de la solidarité et d'une interdépendance acceptée supplantent celles de la division. Ce qui est valable pour la crise de l'euro doit l'être demain pour permettre à l'Union de peser davantage dans le monde, de défendre en commun des intérêts et des valeurs, de contribuer à rendre le monde meilleur et plus sûr.
[1] Documentation française, Débats / Réflexeeurope, 2012.
[2] Ce texte est publié à l'occasion de la parution du dernier ouvrage de M. Lefebvre L'Union européenne peut-elle devenir une grande puissance ? , La Documentation française, Coll. Réflexeeurope, Paris, avril 2012 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/9782110088970/index.shtml
[3] Zaki Laïdi, La norme sans la force. L'énigme de la puissance européenne, Presses de Sciences Po, 2008.
[4] Zaki Laïdi, ibid.
[5] Susan Strange, Le retrait de l'Etat. La dispersion du pouvoir dans l'économie mondiale, Ed. du temps présent, 2011.
[6] cf. leur entrée dans le marché commun
[7] Tzvetan Todorov, Le nouveau désordre mondial. Réflexions d'un Européen, Robert Laffont, 2003.
[8] Zaki Laïdi, ibid.
[9] Christopher Bickerton, European Union foreign policy from effectiveness to functionality, Palgrave, 2011
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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