L'avenir des services d'eau en Europe après 2015

Climat et énergie

Antoine Frérot

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4 juin 2012
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Antoine Frérot

Président Directeur Général de Veolia.

L'avenir des services d'eau en Europe après 2015

PDF | 519 koEn français

Introduction

  Il y a un demi-siècle déjà, le biologiste et écrivain Jean Rostand nous avertissait : "l'homme est devenu trop puissant pour se permettre de jouer avec le mal. L'excès de sa force le condamne à la vertu." [1] L'environnement est désormais affecté de multiples maux, et ce n'est pas un hasard si c'est notre civilisation de l'éphémère qui a inventé les notions de développement durable et d'économie verte. Trop souvent, les hommes se sont aventurés au-delà des frontières de la pérennité écologique. Leur idylle défunte avec l'eau en témoigne.   Alors que la Commission européenne a fait de 2012 l'année européenne de l'eau, la gestion de l'eau en Europe est confrontée à plusieurs défis majeurs. Je voudrais m'arrêter sur trois d'entre eux : d'abord, rendre l'eau durable. Il s'agit, là, de la bonne mise en œuvre de la directive-cadre sur l'eau [2] qui a pour objectif la restauration de la biodiversité et du bon état chimique des eaux de surface, ainsi que du bon état quantitatif et chimique des eaux souterraines ; ensuite, accompagner la mutation des services d'eau. Ceux-ci vont profondément évoluer, ces prochaines années, sous le triple effet de l'innovation technique, des besoins des usagers et de l'impératif d'une meilleure protection de l'environnement. En parallèle, devra être conduite la rénovation de leur modèle économique ; enfin, faire du droit à l'eau et à l'assainissement un droit effectif pour tous, dans les pays en développement mais aussi dans l'Union européenne, où la crise économique et financière, en plongeant des millions de personnes dans la précarité, risquent de les priver de ces deux services essentiels.

I - Rendre l'eau durable

  L'Agence européenne de l'Environnement a indiqué, dès 2010 [3], que les objectifs de la directive-cadre sur l'eau ne seraient pas atteints dans leur intégralité. Les Etats membres affichent des ambitions très disparates à l'échéance 2015, et pour plusieurs d'entre eux limitées à moins de 50% des masses d'eau en bon état. La Commission européenne ne s'y est d'ailleurs  pas trompée. Elle a lancé diverses procédures d'infraction à l'égard des Etats membres. Elle réfléchit également à faire évoluer la législation pour mieux guider ceux-ci, notamment dans la gestion quantitative des ressources en eau. C'est d'ailleurs l'objet central de la consultation qu'elle vient de lancer dans son "Blueprint sur la sauvegarde des ressources en eau en Europe[4].   La Commission est bien consciente que, pour obtenir des résultats tangibles, il convient d'accélérer la diffusion des solutions déjà disponibles, ce qui, dans certains cas spécifiques, comme la réutilisation des eaux usées, peut nécessiter un nouveau cadre législatif européen.  

Protéger les ressources en eau

  La protection des ressources implique des choix financiers parfois extrêmement lourds. La directive-cadre sur l'eau a d'ailleurs prévu que les bassins [5] soient un lieu de débat, notamment avec le public. Les parties prenantes, dont les autorités et les professionnels, ont pour mission de donner forme à cette règle qui est d'autant plus utile que, pour être efficaces, les solutions doivent être appliquées sur le long terme et donc soutenues, politiquement et économiquement. Par essence, la gestion de l'eau est une activité de temps long.   Afin de protéger les ressources en eau, deux grands chantiers sont à poursuivre : achever la mise en œuvre de la directive "eaux résiduaires urbaines". Cette directive a été à l'origine d'une politique d'investissement utile et massive. En Europe centrale, les fonds européens ont permis le financement et la construction d'usines de traitement des eaux pour de grandes agglomérations, comme celles de Budapest et Varsovie. Il ressort du sixième rapport [6] de la Commission européenne publié le 7 décembre 2011 que de nombreuses avancées ont été réalisées dans la mise en œuvre de la directive "eaux résiduaires urbaines". Là où cette directive a été pleinement déployée, les progrès en matière de protection de l'environnement sont évidents. Il est donc indispensable d'aller, partout, jusqu'au terme de ce déploiement. Il convient de rappeler que les zones littorales sont soumises à des obligations spécifiques : aux contraintes environnementales classiques, s'ajoutent celles liées à une densité de population en général élevée et celles relatives à la protection des eaux de baignade et marines, qui imposent des performances plus strictes pour la collecte et le traitement des eaux usées, ainsi que pour la gestion des eaux de pluie ;  lutter contre la pollution à la source. C'est avant la dilution des pollutions dans le milieu naturel que la lutte contre celles-ci est techniquement la plus efficace. De là l'intérêt de remonter, autant que possible, à leurs sources. Le contrôle et la maîtrise des pollutions à la source permettent de mieux protéger les équilibres écologiques, la qualité de vie des populations riveraines et la qualité sanitaire de l'eau potable. Restaurer la qualité des ressources en eau est certes une chose bénéfique, mais ne pas les polluer est encore mieux.  Dans cette perspective, l'efficacité des traitements à la source repose sur la coopération de l'ensemble des parties prenantes et le déploiement in situ de technologies et pratiques adaptées. L'industrie et l'agriculture sont soumises à un système de contraintes et de règlements de plus en plus sévères. Ce qui pose, par exemple, la délicate question des financements à mobiliser dans le cadre de la Politique Agricole Commune, pour appliquer ces règlements et accompagner le changement des pratiques culturales. De tels changements touchent à l'indépendance alimentaire de l'Union et des Etats membres, et renvoient donc à des enjeux majeurs pour l'Europe.  

Développer les ressources alternatives

  Rendre l'eau durable passe par la correction des déséquilibres entre ressources disponibles et demande en eau. La quantité d'eau sur Terre ne diminue pas. L'eau est une ressource renouvelable, à la différence d'autres ressources comme les hydrocarbures fossiles. En revanche, il existe des déséquilibres locaux, préjudiciables à l'environnement, à la biodiversité des écosystèmes et à la couverture des besoins humains. C'est en particulier le cas dans les zones de forte urbanisation qui se trouvent, très souvent, sur le littoral, comme l'illustrent les pourtours de la mer Méditerranée ou de la mer Baltique.   La résorption de ces déséquilibres peut en partie être assurée par une diminution des fuites sur les  réseaux publics – qui atteignent parfois des niveaux insupportables – et le passage d'une politique de l'offre en eau à une politique de gestion de la demande. Toutefois, dans les régions de déséquilibres structurels et prononcés entre la ressource disponible et la demande en eau, le recours aux ressources alternatives est inéluctable.   => L'eau de mer, une ressource alternative en quantité illimitée   L'eau de mer est la ressource d'eau la plus abondante de la planète. Or, à l'échelle mondiale, une part infime de l'eau potable est produite par dessalement d'eau de mer, à savoir moins de 2%. Par comparaison, 40% de la population réside à moins de 70 km d'un littoral ! Cependant, le nombre d'usines de dessalement ne cesse d'augmenter : 16 000 ont déjà été construites. Pour sa part, Veolia est leader mondial du dessalement en termes de capacité installée.  La plus grande usine de dessalement par osmose inverse actuellement en service est située à Ashkelon, en Israël. Sa production annuelle couvre les besoins de 1,4 million d'habitants.   Même s'il revient plus cher que de "potabiliser" de l'eau douce, le dessalement d'eau de mer par osmose inverse constitue de plus en plus une solution économiquement abordable, grâce au progrès réalisés en efficacité énergétique, aux économies d'échelle et à la baisse continue du prix des membranes (il a été divisé par 2 en 10 ans).   Le dessalement offre aux villes côtières une solution efficace pour échapper à la pénurie et satisfaire une demande en eau croissante, mais il requiert de grandes quantités d'énergie. Toutefois, d'immenses progrès ont été accomplis puisque la consommation énergétique par mètre cube dessalé a été divisée par sept entre 1970 (20 kWh) et aujourd'hui (moins de 3 kWh pour les procédés les plus performants). De nouvelles avancées sont attendues au cours de cette décennie. Quant aux saumures rejetées, des techniques de dilution et de dispersion adaptées, ainsi qu'un choix judicieux du point de rejet, évitent qu'elles ne déséquilibrent chimiquement ou thermiquement les écosystèmes marins.   => La réutilisation des eaux usées traitées : une technique d'avenir pour l'Europe   Dans les zones arides ou de stress hydrique, les eaux usées recyclées constituent la ressource en eau alternative la plus intéressante à exploiter. Elle peut fournir de gros volumes d'eau, que ce soit à des fins industrielles, agricoles ou domestiques. Suite à des sécheresses récurrentes, l'Australie a développé de larges capacités de  recyclage des eaux usées pour bâtir des systèmes d'alimentation en eau moins dépendants de précipitations imprévisibles et erratiques.   Lorsqu'elle se fait rare, l'eau est une ressource trop précieuse pour n'être utilisée qu'une fois avant d'être rendue à la nature. Au plan économique, l'eau usée recyclée affiche de multiples avantages : elle se trouve précisément là où on en a besoin, elle est la seule ressource qui croisse avec les besoins (ce qui permet de prévenir ou d'atténuer les conflits d'usages), elle est moins chère à traiter que l'eau de mer. Au plan environnemental, la réutilisation des eaux usées évite de prélever dans des ressources en eau douce rares, elle accroît la productivité des eaux brutes prises initialement dans la nature en multipliant les cycles de l'eau, elle réduit la charge polluante rejetée in fine dans le milieu naturel.   L'eau usée recyclée peut servir à tous les usages, y compris à la production d'eau potable, comme c'est le cas à Singapour ou à Windhoek, en Namibie. Cela étant, la réutilisation des eaux usées traitées concerne en priorité l'irrigation des cultures et des espaces verts, ainsi que la production d'eaux de process pour les industries. Se pose alors la question des normes sanitaires à appliquer qui varient, bien sûr, suivant l'usage fait de ces eaux. La DG Environnement de la Commission propose différentes options afin de répondre à l'absence de normes sur la  réutilisation des eaux usées. L'une d'entre elles est d'élaborer un règlement européen ou une directive établissant des normes pour les eaux usées réutilisées [7]. Cette option doit s'imposer pour plusieurs raisons : en premier lieu, l'absence de texte stable à l'échelle européenne se traduit, sur le terrain, par la délivrance d'autorisations au cas par cas, ce qui limite la contribution de cette technique aux objectifs de la directive-cadre sur l'eau  [8] ; ensuite, si les autorités publiques nationales et locales disposaient de normes européennes, elles seraient plus en mesure, lorsqu'elles souhaitent employer cette technologie, de garantir la sécurité sanitaire des usagers. Il ne faut en effet pas sous-estimer les réticences psychologiques potentielles des populations concernées ; un texte européen éviterait, enfin, la présence d'une réglementation à deux vitesses sur le territoire de l'Union. Si les Etats membres et les autorités locales demeurent souverains dans le choix de recourir ou non à la réutilisation des eaux usées traitées, les règles sanitaires appliquées doivent, en revanche, être identiques pour tous.  

II - Anticiper et accompagner la mutation des services d'eau

 

Les services d'eau connaissent et connaîtront des innovations majeures.

  Les services d'eau ne sont en rien "statiques" ou "figés". Ils doivent innover pour mieux répondre aux besoins de l'homme et protéger la nature. Les progrès du dessalement d'eau de mer sur les trois dernières décennies l'illustrent abondamment. A l'avenir, les services d'eau seront de plus en plus innovants. Selon quelles modalités ?   D'abord, les services de demain recourront beaucoup plus aux ressources alternatives, que ce soit les eaux usées recyclées ou l'eau de mer dessalée. Autrement dit, "l'eau du futur" sera souvent une "eau alternative".   Ensuite, les réseaux de distribution deviendront "intelligents". Leur "intelligence" proviendra de capteurs qui dialogueront avec les habitants et qui les aideront à suivre, en temps réel, leurs consommations d'eau, et donc à maîtriser celles-ci. A cet effet, Veolia a créée une Joint-venture, dénommée "M2o city", avec l'opérateur de télécommunications Orange. Elle vise à installer 5 millions de compteurs d'eau intelligents en France. Ils seront dotés d'un  système moderne de relevé à distance, associant les technologies radio et Internet.   Aujourd'hui exceptionnelle, la traçabilité totale de l'eau dans les grands réseaux de distribution se banalisera. Suivre en direct la qualité de l'eau dans des canalisations qui s'étendent sur des milliers de kilomètres est une gageure, car l'eau s'y écoule dans tous les sens, sous terre et en flots continus. Nos ingénieurs ont testé une solution innovante sur une section du réseau de Shanghai. Elle est en cours de déploiement à grande échelle, auprès du Syndicat des Eaux d'Ile-de-France, un des plus grands services d'eau potable d'Europe : il dessert quatre millions d'habitants.   L'innovation portera aussi sur les indicateurs de suivi. L'appréciation de la performance des services d'eau s'appuiera sur de nouveaux outils de mesure de leur empreinte environnementale. Pour aller au-delà de "l'empreinte eau" qui mesure un prélèvement dans l'absolu, Veolia a forgé un nouvel indicateur : le Water Impact Index ("WiiX"). Il mesure les impacts relatifs à la disponibilité locale de la ressource, y compris sur le plan qualitatif. Ainsi, le WiiX prend en compte trois éléments cruciaux : la quantité d'eau utilisée, le niveau de sollicitation des ressources hydriques et la qualité globale de l'eau.   Plus généralement, si les institutions européennes se sont accordées ou doivent s'accorder sur des objectifs de protection de l'environnement, tout en permettant aux autorités locales d'en  moduler l'application selon les contraintes qui leur sont propres, de tels objectifs demandent la mise au point simultanée d'indicateurs pertinents. Il sera nécessaire de trouver un équilibre entre la précision des indicateurs, en sorte qu'ils soient fiables aux yeux des experts, et leur facile lisibilité par le grand public. Ces indicateurs et les valeurs limites associées, qui serviront à toutes les parties prenantes pour juger des progrès accomplis, devront par conséquent faire l'objet d'arbitrages politiques.   Enfin, à l'avenir, les services d'eau s'imbriqueront de plus en plus avec les autres activités de la ville. Celles-ci ne seront plus cloisonnées avec l'eau d'un côté, l'énergie de l'autre, les déchets ailleurs, mais étroitement associés entre elles. De fait, une convergence est à l'œuvre entre les différents services à l'environnement. Par exemple, les stations d'épuration de demain seront de véritables bio-raffineries : elles produiront de l'eau propre, elles dégageront de l'énergie au lieu d'en consommer, elles fabriqueront des bio-fertilisants et des bioplastiques à partir de la matière organique contenue dans les boues. La conversion de cette  matière organique en produits ayant une valeur sur le marché auprès des plasturgistes est le sens de l'expérimentation menée – une première mondiale – par Veolia Eau sur la station d'épuration de Bruxelles-Nord [9].  

Rénover le modèle économique des services d'eau

  Le déploiement de ces innovations techniques doit s'accompagner d'autres innovations, économiques celles-ci, afin de rénover le modèle économique des services d'eau et son mode de financement. Traditionnellement, ce service est rémunéré en intégralité ou en grande partie  par les ventes d'eau. Cette caractéristique s'explique par les préoccupations hygiénistes qui ont présidé à sa fondation au XIXe siècle. L'intérêt général exigeait d'augmenter la consommation d'eau des ménages pour améliorer leur hygiène et aussi, pour pouvoir financer certaines extensions de réseau. Mais aujourd'hui, ce modèle économique est confronté à trois difficultés majeures : la première provient d'un côté, de l'augmentation des coûts du service d'eau, du fait du renforcement des normes et des missions surnuméraires qui lui ont été ajoutées (telles que le traitement des eaux pluviales, l'amélioration des voiries, l'entretien des rivières, la coopération décentralisée..), et de l'autre côté, de la diminution régulière des volumes d'eau consommés et donc de l'assiette de facturation. Le tout dans une industrie de coûts fixes, puisque 80% des coûts du service d'eau sont constants, alors que 80% de ses recettes sont variables ! Sur le long terme, cet effet de ciseaux entre coûts croissants et recettes décroissantes sape l'équilibre financier des services d'eau, que leur mode de gestion soit public ou privé ; la deuxième difficulté est liée au risque de démembrement du service public de l'eau.  Certaines solutions semblent, à première vue, attractives, mais aboutissent de facto à un affaiblissement des solidarités. C'est le cas lorsqu'un consommateur décide de quitter le réseau public pour ne plus consommer que ce qu'il produit ou qu'il recycle. Lorsqu'un gros consommateur industriel ou un éco-quartier procède de la sorte et se déconnecte du réseau public, cela réduit les ressources financières dont dispose le réseau collectif. Préserver l'intégrité des services d'eau et d'assainissement est donc indispensable : nous devons veiller à ce que ces solutions "individuelles" ne menacent pas ces deux services, en faisant le lit de leur démembrement progressif ; la troisième difficulté réside dans la raréfaction des ressources en eau. Elle heurte de plein fouet la logique économique initiale sur laquelle les services d'eau ont été bâtis et qui encourage les opérateurs, privés ou publics, à augmenter les volumes d'eaux vendus. Afin de réconcilier l'environnement avec le financement des services d'eau, il convient que les services d'eau soient désormais rémunérés de manière à préserver les ressources en eau, et cela sans remettre en cause les gains obtenus en matière de santé publique   En pratique, comment faire ? Trois grandes pistes de réformes s'ouvrent devant nous : mettre en place un financement des services d'eau reposant à la fois sur les contribuables et les usagers, et non pas exclusivement sur ces derniers. Il s'agit là de faire payer par l'usager du service  tous les éléments qui sont réellement liés au service d'eau potable et d'assainissement. Les autres missions qui profitent, elles, à l'ensemble des habitants d'un territoire, doivent être financées par le contribuable. Concrètement, les services d'eau évolueraient vers un système de financement mixte usager – contribuable ;   instaurer un système de rémunération en partie basée sur les performances réalisées par l'opérateur. La rémunération de celui-ci repose alors sur deux éléments, à savoir les quantités d'eaux facturées et les performances atteintes, ces dernières étant mesurées par un système d'indicateurs portant sur la qualité de l'eau, la protection de l'environnement, la gestion des infrastructures. Un objectif est fixé pour chaque indicateur. Par exemple, assurer une conformité de 99,9% ou plus avec les normes de qualité fixées par les Pouvoirs publics, ou bien obtenir un taux de satisfaction des usagers supérieurs à 80%. Ce système encourage les services d'eau à améliorer leurs performances. Avec cette approche, si un opérateur souhaite augmenter ses revenus, il est plus important pour lui d'atteindre les objectifs qualitatifs fixés plutôt que de vendre davantage de mètres cubes ; dissocier les volumes d'eau vendus des volumes d'eau prélevés dans la nature, grâce au recyclage des eaux usées. Avec ce procédé, la rémunération de l'opérateur est proportionnelle aux volumes d'eau facturés mais, et c'est là l'important, ceux-ci sont déconnectés des volumes pris dans les rivières et les nappes. Dès lors, l'impératif commercial "Vendre plus" n'entre plus en contradiction avec l'impératif écologique "Préserver les ressources naturelles".

III - Faire du droit à l'eau et à l'assainissement un droit effectif pour tous

  L'année 2015 est une échéance capitale dans le domaine de l'eau, et ce à double titre : pour nous, Européens, elle marque la fin du premier délai accordé par l'Union européenne pour reconquérir la qualité des ressources en eau et parvenir à un bon état de celles-ci ; pour l'ensemble de la communauté internationale, 2015 est une année encore plus importante. C'est  la date prescrite par les Nations unies pour atteindre les Objectifs du Millénaire et, ce faisant, réduire la pauvreté dans le monde. Dans l'eau, ces objectifs consistent à réduire de moitié le pourcentage de la population n'ayant pas accès à l'eau potable et à un assainissement de base.   Ces Objectifs du Millénaire concernent surtout les pays en développement. Toutefois, la  précarité s'étend dans les pays développés, dont ceux d'Europe, et les obligent à trouver des solutions pour maintenir l'accès à l'eau à des personnes pauvres déjà raccordées. L'accès à l'eau et à l'assainissement reste donc un enjeu fort pour l'Union européenne, même s'il ne s'exprime pas de la même façon que dans les pays en développement. Deux objectifs principaux doivent être poursuivis par celle-ci : - maintenir sa contribution à l'accès à l'eau et à l'assainissement dans le monde, notamment au titre de sa politique d'aide au développement. En effet, près de 800 millions de personnes n'ont toujours pas accès à l'eau potable et 2,5 milliards ne disposent pas d'un assainissement de base [10] ; - sur le territoire de l'Union européenne, assurer un droit effectif à l'accès à l'eau aux populations qui en sont encore dépourvues, par exemple les personnes sans domicile fixe, et assurer ce droit pour les personnes victimes de la crise économique.   D'après l'OCDE, la facture d'eau ne doit pas dépasser 3% du revenu pour que ce service soit accessible à tous. En France, le prix de l'eau représente en moyenne 0,8% du revenu des ménages. Bien que ce pourcentage soit très inférieur aux recommandations de l'OCDE, des nombreuses personnes se retrouvent au-dessus de ce seuil, en raison de la crise économique. La plupart des pays européens connaissent une situation similaire. Dans ce contexte, les autorités publiques et les opérateurs renforcent les solutions existantes ou en mettent en place de nouvelles, afin de maintenir l'accès du service d'eau à des personnes qui l'ont déjà, mais qui risqueraient de ne plus pouvoir en bénéficier à cause de difficultés financières. Ainsi, dans le cadre de son contrat avec le Syndicat des Eaux d'Ile-de-France, Veolia a décidé de consacrer 1% de ses recettes à la solidarité : ce pourcentage sert entre autre à financer des chèques eau personnalisés qui apportent une aide aux plus démunis.   Entre 2007 et 2013, l'Union européenne a engagé 14 milliards € de fonds structurels [11], dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. Mais aujourd'hui encore, dans beaucoup d'Etats membres, l'accès à l'eau et à l'assainissement requièrent des investissements lourds, qui justifient l'attribution de subventions publiques : en effet, les usagers ne peuvent y supporter la totalité des coûts de fonctionnement et d'investissement des services d'eau et d'assainissement. Aussi les fonds structurels demeurent-ils indispensables pour garantir à l'ensemble des citoyens européens l'accès à des services publics essentiels de qualité, ce qui participe à la cohésion sociale de l'Union.  

Conclusion

  Les défis que doit relever l'Union européenne nous rappellent, implicitement, que l'eau est une grande mutuelle. De fait, tous les habitants d'un bassin hydrologique sont interdépendants, pour le meilleur usage de l'eau ou pour le pire. Ces innombrables mutuelles de l'eau, en Europe ou ailleurs, il convient de les gérer avec soin pour éviter ce que certains ont appelé "l'épuisement de la nature". Si l'Homme est le premier ennemi de l'eau, il est aussi, lorsqu'il le veut et s'en donne résolument les moyens, son premier ami.


[1] Jean Rostand, Inquiétudes d'un biologiste, Paris, Stock, 1967
[2] Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, dite DCE.
[3] State of the Environment Report 2010
[4] A 'Blueprint to Safeguard Europe's Water Resources Consultation Document', European Commission, Directorate-General Environment
[5] Appelés aussi "districts hydrographiques".
[6] http://ec.europa.eu/environment/water/water-urbanwaste/implementation/pdf/SEC_2011_1561_F_EN.pdf
[7] A 'Blueprint to Safeguard Europe's Water Resources Consultation Document', European Commission, Directorate-General Environment p. 8 et 10 Sur les 2 autres options : développer les orientations de l'UE sur le système de certification pour la réutilisation des eaux et l'adoption de normes sur l'utilisation des eaux usées recyclées dans l'agriculture par la Comité Européen de Normalisation.
[8] Arrêté du 2 août 2012 relatif à l'utilisation d'eaux issues du traitement d'épuration des eaux résiduaires urbaines pour l'irrigation des cultures ou d'espaces verts.
[9] "L'Union européenne et le défi de l'économie verte, quels modèles pour une meilleure efficacité dans l'utilisation des ressources? ", Antoine Frérot, Question d'Europe, n°206 23 mai 2011
[10] "Progress on Drinking Water and Sanitation-2012 update", Unicef and World Health Organization 2012
[11] http://ec.europa.eu/environment/water/water-urbanwaste/implementation/pdf/SEC_2011_1561_F_EN.pdf

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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