Quelle Europe dans quel monde ?

Multilatéralisme

Pierre Vimont

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10 avril 2012
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Pierre Vimont

Ambassadeur, ancien médiateur du ministère français des Affaires étrangères

Quelle Europe dans quel monde ?

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Quelle Europe ?

 

Première réflexion : si vous prenez l'Europe dans sa perspective historique, et tentez de comprendre ce que l'on a essayé de faire depuis la fin des années 50, avec la CECA puis le traité de Rome, vous vous apercevez qu'il y a peut-être un problème de fond, que l'on n'a pas assez souvent analysé, et qui tient au fait que, au départ, le projet européen était un projet interne, de paix et de réconciliation, entre la France et l'Allemagne, un projet de prospérité économique pour les pays membres de la Communauté européenne, puis de l'Union européenne.

Tout cela s'est développé assez naturellement, à travers la réconciliation franco-allemande, la fin des divisions entre l'Est et l'Ouest, l'élargissement, le grand marché, la mise en place de l'euro, et on a vu, à travers tous les traités qui ont accompagné ce mouvement, cette évolution se consolider. Après le traité de Maastricht, on a commencé à s'interroger sur ce que devait être la suite de ce projet européen, parce que, ayant à peu près réalisé cette réconciliation, cet objectif de paix et de prospérité, et même s'il fallait encore le consolider, il était clair qu'il fallait passer à autre chose. De ce point de vue, la période charnière a été le traité de Maastricht ; car l'étape suivante, le passage de la puissance économique à la puissance politique de l'Europe, ne s'est pas faite aisément tout simplement parce qu'il n'y a pas d'accord entre les Etats membres  sur la finalité de l'Europe : il n'y en avait pas quand on était douze, il n'y en avait pas quand on était quinze, et à vingt-sept, c'est encore plus compliqué. 

En réalité depuis le Traité de Maastricht, les traités se font plus difficilement : on l'a bien vu avec le Traité d'Amsterdam et celui de Nice, on l'a vu aussi avec le Traité de Lisbonne et le projet de Constitution qui l'a précédé. Les opinions publiques sont plus réservées, en France, mais aussi, aux Pays-Bas, en Irlande, au Danemark ou encore au Royaume-Uni. Les sondages d'opinion le confirment de manière régulière. Il y a une Europe qui se cherche et qui a du mal à définir son projet. Et, si on en reste à cette idée d'une puissance économique qui veut se transformer en puissance politique, on voit bien, très concrètement, sur le terrain, que l'Europe peine à s'affirmer comme une puissance politique. Elle ne parvient pas encore à transformer l'essai et à tirer parti de cette formidable puissance qu'elle représente et qui, même encore aujourd'hui, est une réalité incontestable : plus de 25% des échanges commerciaux dans le monde, 75% à peu près du PNB américain par habitant, et beaucoup d'autres chiffres qu'on pourrait  présenter.

 

La réalité sur le terrain a vite montré sa complexité : quelque temps après avoir écrit le dernier mot du traité de Maastricht, l'Europe est entrée dans la crise des Balkans et elle a été obligée de faire appel aux Etats-Unis pour se sortir de cette ornière alors même que c'était son voisinage immédiat. On l'a bien vu, ensuite, sur toute une série de conflits à travers le monde, notamment l'Irak, sur lequel on s'est profondément divisé ; cela a été le cas également plus récemment pour l'intervention militaire en Libye. De ce fait, tout ce qui a été lancé dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense a démarré assez fortement puisqu'on a lancé en quelques années plus d'une vingtaine d'opérations. Aujourd'hui, pour les opérations qui sont en cours, on est à la recherche d'un nouvel élan : au Kosovo, en Géorgie ou dans l'opération que nous menons en Somalie contre la piraterie le long des côtes de  l'Afrique de l'Est, les contributions des Etats membres se réduisent et les objectifs que nous nous sommes fixés ont du mal à être tenus. Donc, nos partenaires à travers le monde se demandent si les Européens sont toujours aussi fermes dans leur volonté de faire de cette Union européenne une vraie puissance politique capable de tenir son rôle et sa place sur la scène internationale.

 

Si l'on admet cette analyse historique, trop sommaire bien évidemment, la question qui se pose alors est de savoir pourquoi l'Europe peine à passer de l'économique au politique. Il me semble que deux ou trois réflexions peuvent être avancées autour de la notion de " puissance ".

 

L'Europe se voit avant tout comme un pouvoir normatif, comme un " soft power ",  peut être même un " smart power ", pour reprendre les termes d'Hillary Clinton. Je crois que les Européens ont cette idée-là en tête mais qu'ils ont en réalité inventé ce concept a posteriori, sans qu'ils aient en réalité établi une véritable doctrine d'action par rapport à cette notion de puissance. Il y a là un hiatus qui résulte du fait qu'on n'a jamais vraiment cherché à creuser ce concept et à essayer d'en définir les grandes lignes d'action. En réalité on est resté au milieu du gué, comme on le fait souvent dans la construction européenne.

 

Pourquoi a-t-on agi de la sorte ?

 

Il me semble qu'on peut évoquer trois raisons, assez élémentaires pour quiconque les vit au jour le jour.

 

La première c'est que le concept même de puissance n'est pas véritablement dans le code génétique de l'Europe et que beaucoup de nos partenaires ont encore du mal à accepter cette idée de puissance. Pierre Bühler, dans un remarquable travail qu'il vient de fournir sur " La puissance au XXIème siècle ", dit que, au fond, toute la construction européenne répond à une volonté de paix et de stabilité et que, par conséquent, le concept de puissance est contradictoire avec ce qui a été, à l'origine, la démarche des Européens. Si l'on admet - c'est bien évidemment une simplification mais c'est ce qui est dans l'esprit de beaucoup de nos partenaires au sein de l'Union européenne -  que la puissance, c'est en grande partie l'usage de la force et de la contrainte, ce concept-là peut avoir du mal à être accepté par beaucoup d'Européens. L'idée de " soft power " est donc apparue comme un substitut beaucoup plus acceptable, avec une interprétation assez " orientée " qui ne correspond pas forcément aux idées mises en avant par celui qui est à l'origine de ce concept, Joseph Nye. Celui-ci disait que le soft power n'était pas le refus du recours à des moyens de coercition mais que c'était la manière dont on utilisait ces moyens qui comptait. Si l'on admet cette analyse, les Européens font face à un dilemme parce que, pour eux, le débat autour du " soft power " a été longtemps un débat entre moyens militaires et non-militaires. Cela a changé récemment, à mesure qu'une politique de sanctions mieux assurée s'est mise en place au niveau européen. Mais une certaine dose d'ambiguïté demeure, si l'on en juge par la récente opération en Libye.

 

La deuxième raison pour laquelle cette notion de puissance rencontre des oppositions en Europe, c'est que lorsque l'on a construit l'Union européenne, on n'a pas construit sur un terrain vierge.

On a bâti l'Union européenne en effet avec des Etats membres qui avaient chacun leur spécificité en matière de politique de sécurité et de défense ; on l'a aussi, et surtout,  construite, en parallèle avec l'Alliance atlantique. Cette présence d'une Alliance atlantique a, depuis le début, posé un problème à l'Union européenne, notamment parce que, pendant longtemps, la France ne participait pas à l'organisation militaire intégrée. On voit même aujourd'hui, alors que la France est revenue dans les structures de l'organisation militaire intégrée, qu'il y a une difficulté qui persiste avec des Etats membres qui s'interrogent, puisque la France a rejoint l'Alliance atlantique, s'il est vraiment nécessaire de vouloir encore bâtir une défense et une sécurité européennes au risque de créer des double emplois.

 

Ajoutons à cela que chacun des Etats membres s'est doté d'un certain nombre de ressources en matière de " soft power " (au sens où l'entend Joseph Nye) et que l'Union européenne elle-même s'est dotée progressivement d'instruments de " soft power ", et pas simplement dans le domaine militaire. Je songe, par exemple, à la politique de sanctions. Lors de la dernière réunion du Conseil " Affaires étrangères ", nous avons pris de nouvelles sanctions particulièrement significatives contre l'Iran, dans le domaine pétrolier et financier, qui ont placé l'Union européenne à la tête du mouvement et qui montrent que, au fil des ans, nous avons acquis dans ce domaine une réelle expertise. Mais nous avons aussi développé au fil des ans une panoplie d'instruments économiques, à travers les accords commerciaux, l'assistance et l'aide au développement, nos politiques sectorielles aussi. Là encore l'Europe, très souvent, met en place ces instruments et les développe sans avoir pour autant une claire idée de l'effet de puissance qu'elle souhaite faire prévaloir à travers ces instruments. Il manque souvent une vision politique ou stratégique pour donner un vrai sens à notre action. En d'autres termes, un peu comme Monsieur Jourdain, nous faisons " de la puissance ", sans nous en rendre compte et cela nuit à la portée des efforts que nous menons ainsi qu'à l'influence et à l'autorité que nous pouvons espérer avoir dans le monde.

 

La troisième raison pour laquelle nous avons du mal à admettre cette notion de puissance, c'est que nous sommes souvent divisés entre Européens sur les objectifs que nous voulons atteindre. Même au sein de chacun des Etats membres, il y a une part d'incertitude sur la manière de procéder.

 

Si l'on prend le cas de la France, en matière de sécurité et de défense, nous voyons bien que notre pays balance entre une volonté d'approche européenne - il est même sans doute l'Etat membre qui a été le plus constant dans cette approche-là et dans la volonté de faire avancer la politique commune de sécurité et de défense - et la tentation d'avancer également par la voie bilatérale. Cette double approche n'est pas forcément contradictoire ; elle peut même aboutir à des résultats incontestables : l'accord de Saint-Malo avec le Royaume-Uni de Tony Blair est un accord bilatéral qui a permis de redonner un élan à la politique européenne de la défense et de la sécurité ; il a constitué à cet égard une étape tout à fait fondamentale dans la relance de la construction européenne dans ce domaine. Mais on peut observer aussi d'autres effets plus complexes : ainsi, le traité que la France a conclu en 2010 avec le Royaume-Uni a été vu par beaucoup de nos partenaires comme une volonté franco-britannique d'agir de manière autonome ; il a conduit certains à s'interroger sur les intentions du couple franco-britannique. Comme, dans le même temps, on observe moins d'enthousiasme et d'engagement en faveur de la politique européenne de sécurité, certains en concluent que la sécurité européenne entre dans une période de ralentissement.

 

Dans quel monde avance aujourd'hui l'Europe ?

 

Il y a d'abord la conjoncture, c'est-à-dire la crise économique et financière qui affecte l'ensemble des pays de l'Union européenne et qui, pour nos partenaires extérieurs, soulève au moins deux interrogations :

 

La première, c'est la capacité du modèle économique et social européen à trouver un nouvel élan et à dégager les ressources nécessaires pour lui permettre de continuer à financer, en particulier, son système de protection sociale. Je vous invite, à ce propos, à écouter les débats des " primaires " républicains aux Etats-Unis, où le modèle social européen est présenté, la plupart du temps, comme un épouvantail.

 

Le deuxième problème qui se pose et qui est tout aussi important, pour ceux qui portent un regard plus " bienveillant " sur l'Europe, c'est notre gouvernance, c'est-à-dire notre manière de faire fonctionner nos institutions. Cela correspond au sentiment, très ancré chez un certain nombre de nos partenaires extérieurs, que l'Europe doit remettre de l'ordre dans sa maison,  pour être capable de réagir rapidement et de décider dans donner l'impression d'hésiter et de douter.

 

Voilà pour la conjoncture.

 

Si on essaie d'avoir une vision à plus long terme, trois réflexions s'imposent à mon avis.

 

Il y a d'abord le monde globalisé dans lequel nous vivons. On voit bien qu'il porte en germe un défi à la construction européenne, en remettant en cause la hiérarchie des nations et des pouvoirs à travers le monde. On pense bien sûr à la Chine mais au-delà de ce cas, c'est dans chacune des régions du monde que l'on voit des nouvelles puissances qui émergent et qui n'acceptent plus l'ordre établi. Cette remise en cause, on l'observe au Conseil de Sécurité des Nations unies par exemple, dans la manière dont un certain nombre de ces pays émergents ont réagi à l'intervention en Libye, dans les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui pour essayer de créer une coalition contre la Syrie de Bachar al-Assad, et, plus généralement, dans la contestation du statut accordé aux cinq pays membres permanents. Nous ne sommes plus dans le monde que nous avons connu il y a encore quelques années ; de nouveaux rapports se sont établis et, pour l'Union européenne, c'est un formidable défi. En outre, alors que cette notion de " puissance " était fortement assise, tout au long des dernières années, sur la puissance militaire,  celle-ci fait face aujourd'hui à des épreuves de plus en plus difficiles à surmonter. On le voit ainsi dans des conflits asymétriques comme en Afghanistan ou en Irak.

 

La deuxième réflexion qu'impose ce monde nouveau, c'est son extraordinaire accélération. Je ne vais pas me livrer à une longue description car nous vivons tous chaque jour ce phénomène lié à l'interconnexion des réseaux et la capacité des informations à circuler de plus en plus vite. Je voudrais juste, en quelques mots, vous en montrer les conséquences sur la prise de décision en matière de politique étrangère. Regardez d'abord la rapidité avec laquelle les " révolutions " arabes, le printemps arabe, se sont étendus d'un pays à l'autre.

Regardez aussi la rapidité avec laquelle s'est mise en place l'intervention en Libye : cela a commencé par un Conseil européen ; même si l'Europe n'a pas fait preuve de toute l'unité que l'on aurait pu espérer, c'est quand même avec le Conseil européen du 11 mars 2011 que l'intervention s'est ébauchée. C'est pour essayer de préserver un accord entre Européens qu'un certain nombre de principes ont été établis ce jour-là : l'organisation régionale compétente, c'est-à-dire la Ligue des Etats arabes, devait faire une demande d'intervention ; une résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies devait lui apporter une base légale ; cette opération devait enfin correspondre à des besoins réels. Le Conseil européen se tient le 11 mars ; dans les jours qui ont suivi, une décision de la Ligue arabe demande au Conseil de Sécurité d'intervenir et de mettre en place une zone aérienne de non-survol ; un vote du Conseil de Sécurité intervient le jeudi soir et une réunion à l'Elysée se tient le samedi, au terme de laquelle le président Sarkozy annonce l'intervention d'avions français et  britanniques. C'est une séquence peu commune qui a obligé tous les acteurs de cette crise à agir presque de manière instantanée.

Cette accélération ne se fait pas simplement dans l'action ; elle se traduit aussi dans l'analyse et dans l'évaluation que nous devons faire en permanence des événements. J'en veux pour exemple le Livre blanc sur la Sécurité et la Défense qui a été élaboré par les autorités françaises en 2008 : même s'il reste, je crois, encore tout à fait fondé, en ce début d'année 2012, il a besoin d'une réactualisation, ne serait-ce qu'à cause des événements liés au printemps arabe. Au niveau de l'Union européenne, plusieurs Etats membres demandent aussi que la stratégie de sécurité européenne élaborée par Javier Solana en 2003 et mise à jour en 2008 soit, à nouveau, revisitée pour tenir compte des évolutions en cours.

 

Cette accélération-là pose un problème majeur pour l'Union européenne. Celle-ci est une machine lente qui a besoin de temps, en particulier, parce que les décisions à Bruxelles doivent se prendre à Vingt sept. Nous autres, Européens, restons encore enfermés dans un dispositif qui a besoin de l'accord de tous en matière de politique étrangère pour pouvoir avancer. Cela dit, pour en revenir aux sanctions dont je parlais tout à l'heure, des efforts pour être plus rapide existent : ainsi, en l'espace de moins de deux mois, l'Union européenne a réussi à se mettre d'accord pour imposer des sanctions pétrolières contre l'Iran.

 

Troisième réflexion sur le monde actuel,  ce sont les nouveaux défis qui s'y révèlent.

 

Le premier d'entre eux, ce sont les nouveaux rapports de force économiques avec les différentes régions du monde. Nous sommes toujours tentés de penser d'abord à l'Asie mais n'oublions pas l'Amérique latine. Des changements passionnants s'y déroulent, avec des pays aux taux de croissance qui varient entre cinq et huit pour cent. Nos partenaires latino-américains souhaitent développer leurs relations avec l'Union européenne et ont parfois le sentiment qu'on ne fait pas assez attention à eux. Il  y a aussi l'Afrique où se mettent en place des structures économiques, qui peuvent donner à ce continent l'essor qu'il attend depuis si longtemps. Donc, de nouveaux rapports de force économiques se mettent en place qui vont nous obliger, nous Européens, à repenser notre politique à l'égard de ces différentes régions du monde.                           

Par rapport au printemps arabe, nous avons pensé à Bruxelles, compte tenu de notre proximité géographique, que ces pays-là seraient naturellement un terrain privilégié d'influence pour l'Europe, un peu comme les pays d'Europe de l'Est, après la chute du Mur de Berlin, se sont tournés vers Bruxelles pour assurer leur développement économique et promouvoir leur adhésion à l'Union européenne. Mais nous sommes en train de découvrir que nous devons affronter dans les pays arabes une forte concurrence, et que des pays aussi éloignés de cette région que le Brésil, la Chine ou l'Australie sont en train de venir exercer leur influence –  " soft power " à nouveau – et nous concurrencer très directement. Nous devons donc faire preuve de plus d'énergie et d'initiative parce que le terrain est loin d'être conquis.

 

Remise en cause, donc, des rapports de force, mais également évolution du partenariat transatlantique.

 

On est en train d'assister à l'émergence d'un nouveau référentiel stratégique entre les Etats-Unis et l'Europe. Ce n'est pas l'idée répandue par les commentateurs à partir des discours récents de Robert Gates, de Leon Panetta ou du Président Obama lui-même, et selon laquelle les Etats-Unis seraient en train de prendre leurs distances à l'égard de l'Union européenne. Mais c'est plutôt le sentiment que les Etats-Unis attendent de l'Union européenne qu'elle prenne davantage sa part du fardeau et qu'elle dessine avec eux une nouvelle vision stratégique de ce que doit être le partenariat transatlantique.

Celui-ci me semble appelé à évoluer, peut-être même à devenir plus complexe. En tout cas, il va contraindre les Européens à se poser un certain nombre de questions sur eux-mêmes et ce qu'ils veulent faire de cette relation euro-américaine.

 

Autre défi enfin, c'est bien évidemment celui de notre voisinage. Non seulement celui du Sud, à cause du printemps arabe qui nous oblige à établir un nouveau type de relations avec des pays arabes, mais aussi celui de l'Est. On pense bien sûr à la Russie, à l'Ukraine, aux pays du Caucase ou d'autres encore. Mais il faut faire une place à part à la Turquie qui ne relève pas de la politique du voisinage puisqu'elle fait partie des pays candidats mais dont la place et le rôle justifient une réflexion particulière : quel que soit l'avenir de la demande d'adhésion de la Turquie, celle-ci sera pour les Européens un partenaire indispensable dans la définition d'un nouvel équilibre régional ; aussi nous ne pouvons pas faire l'économie d'une analyse approfondie sur les intérêts stratégiques que nous partageons avec ce pays et le type de dialogue que nous voulons établir avec lui.

 

Je conclurais, très rapidement, par trois observations.

 

Tout d'abord, un préalable. Si on ne règle pas le problème de la crise financière, tout le reste sera de peu d'importance. Il suffit d'être à Bruxelles en ce moment pour mesurer toute l'importance de cette préoccupation-là. La multiplication des Conseils européens montre que c'est là l'urgence, incontestablement.

 

Mais au-delà de ce préalable, face à ce monde nouveau et aux bouleversements qu'il entraîne, que doit-on faire pour que l'Europe retrouve de l'énergie, de l'enthousiasme et de l'espoir ?

 

Il me semble qu'il faut d'abord définir une certaine vision stratégique pour l'Union européenne, précisément pour définir ce que doit être la puissance politique européenne. Qu'est-ce que signifie une telle puissance européenne ? Quels doivent être ses éléments constitutifs et comment peut-elle essayer d'avancer à partir de cette analyse ?                                                                               Mon sentiment, c'est que plutôt que d'essayer de se projeter à vingt ou trente ans, comme  on aime à le faire habituellement, nous aurions peut-être intérêt à essayer de prendre, plus modestement, une approche à plus court terme, cinq ou six ans par exemple, pour ne pas extrapoler sur un avenir qu'il est très difficile, en réalité, de définir à l'avance et pour mettre en place un plan d'action réaliste, concret et facilement compréhensible.                                                                

 

Ce plan d'action doit contenir des priorités bien identifiées afin de définir ce que doit être la doctrine d'action de l'Union européenne, vis-à-vis des principales régions et des principaux partenaires avec lesquelles elle doit travailler, ceux du voisinage et les autres dans les différentes régions du monde. L'Union européenne est le seul ensemble dans le monde qui a, sur son tableau de bord,  autant de moyens d'action. Elle a en effet la capacité d'agir dans le domaine militaire et sécuritaire pris au sens large. Elle a les outils commerciaux, ceux du développement et de l'assistance technique ; elle peut agir en matière d'immigration, d'éducation, de recherche. Bref, elle possède des atouts sans beaucoup d'équivalent dans le monde.

Simplement, ces moyens là ne trouveront leur efficacité qu'à la condition d'être solidement coordonnés : de là l'idée, au fond très simple, que l'Europe doit promouvoir en politique étrangère une approche qui intègre toutes les dimensions de son action extérieure. C'est tout l'objectif du traité de Lisbonne et de la création du service européen d'action extérieure et du nouveau poste qu'occupe actuellement Mme Ashton. Celle-ci est non seulement Haute-Représentante, comme l'était Javier Solana, mais elle est également vice-présidente de la Commission afin de faire la synthèse du travail des différentes institutions et de donner à cette action extérieure une unité et une vision d'ensemble indispensables à son efficacité.

 

C'est à ce prix, en faisant prévaloir ce souci de cohérence, que l'Union européenne peut retrouver sa raison d'être et toute sa place sur la scène internationale.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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