Union économique et monétaire
Alain Fabre
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La dégradation de la plupart des Etats de la zone euro par Standard & Poor's (S&P) le 13 janvier a simultanément déclenché une tempête politique et avivé les craintes sur la façon dont les marchés allaient prendre en compte la nouvelle hiérarchie des dettes souveraines, l'Allemagne trônant désormais sur la zone euro au milieu d'Etats membres "déclassés". La plupart des gouvernements estimaient en effet que les efforts réalisés à l'automne 2011 devaient retenir le bras des agences de notations. Leurs espérances ont été déçues.
Sur un tel sujet, le chahut politique ne surprendra personne en période préélectorale et, tout bien considéré comme la suite de la chronique financière l'a montré, il relevait d'une sorte de sur-réaction à l'événement. Pour autant, cette dichotomie apparente entre le calme des marchés et l'agitation des politiques ne doit pas dissimuler la nature de la question posée par la dégradation de la note des dettes des Etats de la zone euro qui va au-delà du niveau conjoncturel. Quant aux responsables politiques, ils ne doivent pas se borner au soulagement de n'avoir senti que le vent du boulet : la bataille à livrer n'en demeurera pas moins rude.
Beaucoup de bruit pour rien ?
D'un point de vue financier, la dégradation de la note de la France – perte de triple A – comme celle de la plupart des Etats de la zone euro, relève d'une information dont les marchés tiennent compte mais leur appréciation sur la qualité financière des Etats ne s'y limite pas ; en d'autres termes il n'y a pas de suivisme aveugle. Il n'est pas indifférent de relever que toutes les agences n'ont pas la même sensibilité : la France conserve chez Moody's la meilleure note. La motivation de la nouvelle appréciation de S&P n'est pas non plus d'une logique indiscutable : on ne peut pas en même temps réclamer des mesures de correction des déficits et déplorer leurs incidences à court terme sur la croissance. Un Etat, une entreprise ou une famille, dès lors qu'il entend consacrer davantage de moyens à la réduction de ses déficits et de son endettement, ne peut pas au même moment consommer ou investir au même rythme. La contradiction ne peut être résolue que si l'on interprète le message comme un appel à la Banque centrale à un activisme monétaire semblable à celui de la Federal Reserve ou celle de la Bank of England. Si tel était le cas, l'appréciation de S & P ne mériterait certainement pas une bonne note : d'abord, à la différence des Etats-Unis et du Royaume-Uni, l'intégration budgétaire des Etats de la zone euro n'a pas atteint le même degré que l'intégration monétaire ; ensuite, faire de l'excitation de l'inflation la solution à la question posée aurait pour effet d'amoindrir l'incitation à l'assainissement et aux réformes. Depuis une vingtaine d'années, les Etats-Unis sortent de l'explosion d'une bulle par le gonflement d'autres bulles ; l'Europe a raison de ne pas entrer dans ce type de stratégie.
Le calme après les tempêtes de l'automne
Pour autant, les messages adressés aux Etats et, notamment, à la France ne sauraient être ni ignorés ni leur portée rabaissée. Deux messages doivent être entendus : la zone euro souffre de défauts de construction que la crise a bien fait ressortir ; l'asymétrie de statut économique et politique entre la France et l'Allemagne pose des problèmes importants à un moment où la construction d'une Europe budgétairement intégrée repose pour une part considérable sur la capacité d'impulsion du moteur franco-allemand : il ne pourra pas véritablement fonctionner si la différence de statut économique et financier devient trop importante. Il est certainement impropre de désigner la France comme un ou le maillon faible de la zone euro ; en revanche, elle est bien le maillon décisif car tous les canaux de transmission de la crise et de sa résolution passent par Paris.
Concernant les défauts de construction de la zone euro, les Conseils européens successifs au cours des six derniers mois et notamment celui du 9 décembre dernier, ont montré combien la volonté de mener de front l'assainissement des politiques financières des Etats devait accompagner un processus d'intégration renforcée, notamment par la montée en puissance de la solidarité financière des Etats que manifeste bien l'installation pérenne dans la construction de la zone euro des instruments de solidarité financière (FESF, MES). Par définition dans un processus évolutif, partisans du verre à moitié plein et du verre à moitié vide se croient fondés à souligner la pertinence de leur perception de la situation. Les marchés ont, semble-t-il, accepté d'accorder aux Etats une présomption de crédibilité. Alors qu'après Bruxelles, les chroniqueurs s'étaient engagés dans une surenchère pessimiste sur la capacité des Etats les plus exposés aux regards noirs des agences de notation – Espagne, Italie, France – à lever des fonds à des conditions raisonnables, les taux de leurs émissions ont marqué une détente par rapport aux opérations précédentes et aux anticipations des marchés. Ces signaux fournis par les souscripteurs peuvent fortifier les stratégies entreprises par les Etats les plus endettés. Par ailleurs, le pire n'étant jamais sûr, la bonne tenue de l'activité en Allemagne sans stimulation keynésienne, parallèle à la forte contraction de ses déficits, apporte un facteur stabilisant aux équilibres généraux de la zone euro. Le message envoyé par l'Allemagne qui lie discipline financière, accroissement de la compétitivité et élévation du niveau de vie constituera par le canal de la discipline collective et de la pédagogie qui l'accompagnent un facteur fortifiant l'effort de l'ensemble des Etats de la zone.
La France, maillon décisif de la zone euro
Dans ces conditions, on ne peut qu'espérer de la part des responsables politiques français qui s'apprêtent à livrer la bataille électorale présidentielle qu'ils usent de leurs talents à enflammer les foules dans les meetings sans pour autant alimenter l'incertitude sur la capacité de la France à conserver, voire à accélérer, la trajectoire de réduction de ses déficits. Le maintien de l'acceptation française de la discipline financière émanant de la zone euro est d'autant plus importante que la France n'est à peu près jamais parvenue de l'intérieur depuis le premier choc pétrolier, à l'exception du gouvernement de Raymond Barre, à prendre l'initiative d'un assainissement financier et des réformes dont elle est consciente au demeurant de leur caractère indispensable. L'écart de standing économique entre la France et l'Allemagne a en outre atteint un point limite qui viendra probablement modérer le lyrisme électoral à effets budgétaires. Les marchés ont en effet conscience et les agences de notation ne manqueront pas de le rappeler chacune à sa façon, que le scenario accrédité à l'issue de l'année 2011 d'une convergence économique sur le modèle allemand repose sur la poursuite durable et en profondeur d'une politique d'assainissement financier et de réformes structurelles. De ce point de vue, la politique menée en Italie par Mario Monti apparaît comme un modèle du genre, l'effort portant sur les dépenses en priorité, se combinant à une action structurelle sur l'amélioration du fonctionnement de l'économie. La France avance encore trop prudemment dans cette direction : l'annonce par le Président français d'une TVA sociale tendant à transférer une partie significative des charges sociales du travail vers la consommation démontre une volonté, dans le prolongement de la réforme des retraites de 2010, d'inscrire la politique française sur un cap durable et marqué de contraction des déficits et de renforcement de la compétitivité des entreprises. L'objectif poursuivi par les dirigeants français consiste à la fois à s'inspirer de réformes qui ont donné des résultats appréciables en Allemagne et à rechercher une plus grande convergence avec son principal partenaire.
L'enjeu est de taille : car au-delà de sa portée nationale, l'effort entrepris par la France met directement en jeu la crédibilité du processus de consolidation de la zone euro ; avec près de la moitié du capital de la Banque centrale et du Fonds de stabilité financière, les deux principales économies européennes, disposent de la masse critique pour entraîner le reste de leurs partenaires. Le doute des marchés sur la capacité de la France à tenir financièrement sa place dans le dispositif ne pourra être compensée par la seule Allemagne. A cela s'ajoute la dimension politique, car une zone euro fonctionnant avec une France qui aurait "décroché" et reposant sur le seul leadership, même économiquement fondé, de l'Allemagne, ne manquerait pas de se heurter à des problèmes posés en termes de souveraineté nationale. Le "fédéralisme" budgétaire naissant nécessite à tout le moins une France tenant la place qu'on attend d'elle. C'est la raison pour laquelle que ce soit par la voix d'Angela Merkel ou de Wolfgang Schäuble, le gouvernement allemand a clairement fait comprendre son refus d'une Europe "allemande", même portée par des éléments de fait. D'où l'importance des encouragements que les responsables allemands adressent à leurs homologues français dans leurs plans de réformes.
Les marchés ont accepté la stratégie européenne, mais elle demeure sous surveillance
Au fond la dégradation de la note des dettes souveraines intervenue en janvier est proche du non-événement. Le message de fond a été délivré en octobre à l'ouverture de la procédure budgétaire française par l'annonce de la surveillance de la note française ; depuis cette date, l'écart de taux France-Allemagne oscille autour de 150 points de base et exerce la pression suffisante sur les autorités budgétaires françaises. Dans le même temps, au fil des rencontres entre dirigeants, la mise en route d'un processus fondé sur le renforcement simultané de la discipline budgétaire nationale et de la solidarité financière européenne se révèle un scénario suffisamment crédible pour que les marchés acceptent de modérer leurs pressions sur les gouvernements de la zone euro. La voie est étroite car nécessairement ces politiques généralisées ne peuvent pas ne pas écorner la croissance. Mais au bout du compte en dépit des effets contrariants à court terme, les effets bénéfiques à moyen terme l'emporteront, la réduction des besoins financiers jouant favorablement sur le drainage des ressources en direction du secteur productif. L'assainissement financier est bien la condition première du relèvement de la compétitivité à moyen terme. Là aussi, le changement doit être souligné : sous l'influence d'un fédéralisme budgétaire naissant, les politiques économiques nationales passent d'un pilotage néokeynésien à court terme à des politiques tendues vers la stabilité à moyen terme. Marchés et gouvernants s'accordent à présent sur ce compromis, ce qui réduit la prégnance des agences de notation à court terme sur la tenue des marchés ; le compromis demeure néanmoins fragile et tout ce qui le compromettrait pourrait avoir des conséquences potentiellement considérables. Il est donc prudent de ne pas chercher à ouvrir la boîte de Pandore en dépit de la pression des sondages ou des acclamations dans les meetings. Bref, c'est la campagne présidentielle française qui se retrouve placée sous surveillance des agences et des marchés.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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