Europa farà da sé ? Considérations sur la crise de la dette en Italie

Union économique et monétaire

Sébastien Richard

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5 décembre 2011
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Richard Sébastien

Sébastien Richard

Enseignant en politiques européennes à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne

Europa farà da sé ? Considérations sur la crise de la dette en Italie

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Le sommet de la zone euro du 26 octobre a régulièrement été présenté comme l'ultime tentative de sauver la Grèce du défaut mais aussi comme l'opportunité de donner les moyens à la zone euro de faire face à toute nouvelle crise de liquidités et d'améliorer, dans le même temps, son mode de gouvernance. La question italienne était, à cet égard, au cœur de la démarche des chefs d'État et de gouvernement, la hausse régulière des taux des obligations italiennes depuis cet été ayant pour partie invalidé les décisions du 21 juillet dernier, notamment en ce qui concerne le format du Fonds européen de stabilité financière (FESF).

 

La crise grecque appelait des solutions spécifiques que le sommet du 26 octobre devrait permettre de mettre en place : décote de la dette détenue par les banques ou mise en place, sur le terrain, d'un comité permanent de suivi des réformes menées par le gouvernement. La crainte d'une faillite italienne, troisième économie de la zone euro, a conduit la zone euro à adopter des mesures que l'on pourrait qualifier d'universelles, tant elles touchent au fonctionnement même de l'Union économique et monétaire.

1. La crise de la dette italienne : une position économique fragile mais moins affaiblie qu'il n'y paraît

 

Des faiblesses...

 

Avant d'aborder la réponse européenne, il convient de s'attarder dans un premier temps sur les contours de la crise de la dette italienne, cinquième épisode de la crise de la dette souveraine en Europe, sans pour autant que l'on puisse trouver des points communs entre chacun d'entre eux.

 

La dégradation de la position italienne a coïncidé avec la publication des résultats économiques du pays au premier semestre 2011. L'atonie économique de la péninsule ne constitue pas pour autant une nouveauté. L'Italie se distingue depuis le début des années 2000 par une croissance faible, à peine meilleure que celle de l'Érythrée ou d'Haïti sur la période. S'il est évident que les marchés puis les agences de notation ont relevé l'augmentation continue de l'endettement (1 911 milliards €, 120% du PIB), la hausse du chômage des jeunes (29,6% des 15-24 ans alors que la moyenne européenne s'établit à 21,1%), la baisse du pouvoir d'achat (- 4% sur la dernière décennie) ou la stagnation de la productivité horaire, ils ont surtout souligné l'absence de réponse politique viable aux fragilités de l'économie italienne. Alors même que l'ensemble de la zone euro adopte des mesures tendant à réduire la part des dépenses publiques tout en tentant de faciliter le retour de la croissance via des réformes structurelles.

 

...qui doivent être relativisées

 

Une comparaison rapide avec les principaux États membres de la zone euro tend cependant à relativiser une image par trop négative de l'économie locale. Si l'endettement est important, sa vitesse d'augmentation demeure plus faible que celle de certains de ses partenaires pourtant mieux notés : +15,3 points de PIB entre 2007 et 2010 contre +17,4 points pour la France et +18,3 points pour l'Allemagne. La structure même de la dette tempère toute idée d'une trajectoire similaire à celle empruntée par la Grèce. Détenue à 56% par des résidents, elle est relativement protégée des mouvements spéculatifs. Sa gestion est, par ailleurs, diversifiée et sa maturité, relativement longue – 7,04 années en moyenne –, la préserve des sautes d'humeur du marché. En ce qui concerne les comptes publics, il convient de relever que le solde primaire structurel, soit l'état des comptes publics avant le paiement des intérêts de la dette, reste positif et s'avère être l'un des plus élevés d'Europe.

 

Il conviendrait, par ailleurs, de s'attarder plus longuement sur les atouts que possède encore la péninsule pour souligner à quel point le spectre d'une faillite économique sur le mode grec, voire portugais, peut apparaître comme une perspective largement exagérée.

 

L'Italie dispose, en effet, au nord du pays d'entreprises dont les performances à l'export n'ont été que faiblement remises en cause par la crise économique mondiale, notamment dans le domaine textile. Les PME – 95% des entreprises italiennes – ont su développer un label " Made in Italy " qui leur permettent de pénétrer les marchés extra-européens. Les entreprises italiennes ont développé une véritable culture de prises de parts de marchés à l'extérieur, se réunissant au sein de consortiums, sans pour autant bénéficier d'une aide concrète du gouvernement. Les succès des PME italiennes dans le secteur de la construction au Maghreb ou dans les Balkans ne sont ainsi plus à démontrer.

 

Le secteur bancaire demeure relativement sain. Si son exposition à la dette publique locale peut être à terme jugée problématique, il est important de relever que l'ensemble des établissements financiers italiens n'ont que faiblement investi dans les produits financiers complexes et préféré plutôt privilégier l'aide aux entreprises et aux ménages, par ailleurs faiblement endettés.

2. L'importance du facteur politique : de Silvio Berlusconi à Mario Monti

 

De l'incertitude politique...

 

La dégradation de la note souveraine de l'Italie par les trois agences de notation est pourtant venue relativiser ce constat pour partie positif. La position des analystes est subtile mais révèle assez bien la réalité de la situation politique du pays. Le gouvernement Berlusconi a fait adopter depuis 2010 trois plans d'austérité dont les deux derniers votés en juillet et en septembre derniers devraient permettre à l'État d'économiser près de 140 milliards € d'ici 2014. L'effort apparaît comparable aux plans adoptés en Grèce, en Irlande, au Portugal ou en Espagne. Les agences, comme les marchés, ont néanmoins relayé une inquiétude quant à la mise en place effective de ces mesures de rigueur et, dans le même temps, sur l'absence de réelle réforme d'envergure.

 

L'Italie souffrait d'un réel problème de crédibilité que les effets d'annonce gouvernementaux accentuaient jusqu'à une date récente. Que dire, à cet égard, des réformes de la carte territoriale ou de la structure administrative avancées, avec comme mesure phare la réduction du nombre de provinces et de parlementaires ? De tels projets induisent, en effet, une révision constitutionnelle et donc une longue procédure parlementaire à l'issue incertaine.  Par ailleurs, la question de la croissance, n'apparaissait pas centrale aux yeux du gouvernement Berlusconi.

 

La situation politique est apparue de surcroît comme un facteur renforçant le risque de dérapage budgétaire. Les dissensions observées au sein de la majorité parlementaire sur l'ampleur des réformes à mener ou le conflit latent entre Silvio Berlusconi et son ministre des finances, Giulio Tremonti, partisan affiché de la rigueur, ont été appréhendés comme autant de mauvais signaux par les investisseurs.

 

Le sommet de la zone euro du 23 octobre s'était notamment conclu sur la volonté franco-allemande de voir le gouvernement italien lui présenter une feuille de route viable en matière de désendettement doublée d'un véritable programme de relance économique. La lettre adressée par le gouvernement Berlusconi aux États membres de la zone euro le 26 octobre a néanmoins consisté pour une large partie en une simple reprise des mesures contenues au sein des manovre estivales, à l'image de l'annonce d'une augmentation progressive de l'âge de la retraite à 67 ans d'ici à 2026 mise en avant par les autorités européennes au sein des conclusions du sommet. La plupart des dispositions annoncées en faveur d'une relance économique avaient dû être écartées des précédentes manovre au regard des dissensions politiques qu'elles créaient. Ce catalogue de mesures, adopté le 12 novembre par le Parlement italien, n'intègre pas, d'ailleurs, les sujets sensibles liés à la réforme du marché du travail ou à la révision du régime de retraites anticipées.

...au retour de la crédibilité

Avec la démission de Silvio Berlusconi, l'Italie semble désormais déterminée à répondre aux demandes de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. La démission de Silvio Berlusconi ne peut être considérée comme la seule réponse à la crise. Si la nomination de Mario Monti et la mise en place d'une équipe gouvernementale dite " technique " a déjà rassuré en partie les marchés, les faits doivent désormais succéder aux incantations. Il convient désormais que le nouveau gouvernement œuvre rapidement, alors même que sa composition n'est pas encore définitivement arrêtée.

 

Les annonces du nouveau président du Conseil le 17 novembre semblent aller dans ce sens. La mise en place d'une véritable taxation sur le patrimoine, abolie en 2008 par le précédent gouvernement, l'adoption d'une véritable réforme du marché du travail en faveur des jeunes et des femmes constituent de vrais défis politiques pour le nouveau gouvernement. La libéralisation de l'économie, à peine initiée par le précédent gouvernement, devrait également être poursuivie. Elle passe notamment par une ouverture à la concurrence de plusieurs secteurs – énergie et transports – jusque là gérés par les collectivités locales. Un consensus politique sur ces questions devra nécessairement être trouvé, dépassant les réticences qui prévalaient encore cet été. On relèvera en outre que la suppression du régime de retraites par anticipation semble déjà mise de côté.

 

Il appartient également à la Commission européenne de mettre en place un véritable partenariat avec les autorités italiennes en vue d'une utilisation optimale des fonds européens, notamment dans le Sud qui grève considérablement le dynamisme du pays.

 

Il n'en demeure pas moins que l'Italie semble avoir gagné un premier pari, celui de la restauration de sa crédibilité politique. L'association aux discussions franco-allemandes au travers du sommet tripartite du 24 novembre dernier à Strasbourg est venue en témoigner, quelques jours à peine après la désignation de Mario Monti.

 

Reste que le niveau des taux italiens semble désormais tributaire de la capacité de l'Union européenne à mettre en œuvre un véritable renforcement de la gouvernance de la zone euro, mais aussi à créer des instruments capables de lui permettre de dépasser tout risque de crise majeure de liquidités. L'absence d'annonce lors du sommet tripartite franco-italo-allemand n'a, ainsi, pas été sans incidence sur les adjudications de titre effectuées le lendemain où les taux à 6 mois et à 2 ans ont atteint des niveaux records.

3. Quelles réponses européennes aux défis lancés par l'Italie ?

Le rôle de la Banque centrale européenne face à l'augmentation des taux italiens

La zone euro observe avec inquiétude la situation italienne depuis plusieurs mois. La lettre adressée par le président de la Banque centrale européenne au président du Conseil au début du mois d'août dernier a constitué le premier signe tangible de cet intérêt soutenu. Ce document conditionnait l'achat d'obligations italiennes sur le marché secondaire à la mise en place de réformes structurelles par le gouvernement et visait notamment les régimes de retraites, la libéralisation de certains secteurs économiques ou le marché du travail. La manovre bis, présentée par le gouvernement mi-août et finalement adoptée un mois plus tard, répond, pour partie, à cette pression.

 

L'intervention de la Banque centrale européenne dans le débat italien vient confirmer le changement de dimension pris par cette institution, évolution amorcée depuis le début de la crise de la dette souveraine. Face à la cacophonie ambiante au sein de la zone euro, elle tend à délivrer un message clair conciliant incitation à la réforme et mise en place d'une réponse financière face à la pression des marchés, via le Securities markets programme lancé en mai 2010. La hausse des taux italiens – et dans une moindre mesure espagnols – a d'ailleurs contribué à renforcer son rôle actif sur les marchés, le banquier central ayant acheté près de 120 milliards € de titres italiens et espagnols depuis août dernier, son exposition à la dette souveraine européenne passant de 74 à 194 milliards €. Ce faisant, elle souligne le risque que ferait courir une crise de liquidités pour l'ensemble de la zone euro et invite à une révision des solutions préconisées jusque-là. Elle est apparue en tout état de cause comme un instrument indispensable en vue de ralentir les attaques spéculatives contre l'Italie et est venue compenser le manque de crédibilité de Rome aux yeux des investisseurs.

 

Faire face à une éventuelle crise de liquidités : l'augmentation de la taille du Fonds européen de stabilité financière

 

Alors que le sommet de la zone euro du 21 juillet dernier avait débouché sur un maintien de la capacité d'action du Fonds européen de stabilité financière à 440 milliards €, les tensions observées sur les taux espagnols mais surtout italiens ont relancé dès le mois d'août le débat sur l'aptitude de ce Fonds à répondre à une crise de liquidités de grande ampleur. La recherche d'un effet de levier optimal, conciliant efficacité et maintien du montant des garanties initialement déposées par les États membres, a débouché sur la possibilité pour le FESF de garantir partiellement de nouveaux titres émis par des pays en difficulté. L'Italie est bien évidemment concernée par une telle évolution des missions du FESF.

 

Finalement, on notera que cette solution n'est pas optimale pour Rome. Comme la France, l'Italie était favorable à un adossement du FESF à la Banque centrale européenne, l'effet démultiplicateur attendu d'une telle opération – 2000 milliards € – étant plus adapté aux risques pesant sur l'Italie et l'Espagne que les gains espérés d'une mutation du FESF en mécanisme de rehaussement de crédit : entre 750 et 1000 milliards €. Pire, cette garantie n'est pas sans faire peser des risques sur les titres italiens déjà existants. En effet, si les nouvelles obligations émises par Rome devraient bénéficier de cette assurance, les anciennes deviendront dans le même temps beaucoup moins attractives. Une telle évolution ne serait pas sans affecter directement les banques, notamment italiennes.

 

Le renforcement de la discipline budgétaire

 

Les mesures institutionnelles adoptées par les chefs d'État et de gouvernement de la zone euro le 26 octobre, en même temps qu'elles renforcent la gouvernance de l'Union économique et monétaire, constituent, de fait, une tentative de réponse à l'absence de crédibilité de la politique budgétaire italienne. Il en va ainsi de l'invitation adressée aux Parlements nationaux afin qu'ils tiennent compte des recommandations adoptées par l'Union européenne sur la conduite des politiques économiques et budgétaires ou de la consultation de la Commission et des autres États membres de la zone euro avant l'adoption de tout programme important de réforme budgétaire. La zone euro va même encore plus loin en soulignant que les États membres faisant l'objet d'une procédure pour déficit excessif verront leurs projets de budgets nationaux examinés par la Commission et le Conseil, qui rendront, à cette occasion, un avis. La Commission assurera le suivi de l'exécution du budget et proposera des modifications en cours d'exercice. L'Italie constitue à cet égard un premier test, le pays étant placé sous surveillance conjointe de l'Union européenne et du FMI depuis le 3 novembre.

 

***

 

Au regard des conclusions du sommet du 26 octobre, notamment en matière de gouvernance de l'Union économique et monétaire, il apparaît que la situation de la péninsule italienne a permis, sans le nommer réellement, une première avancée en direction d'un véritable fédéralisme budgétaire.

 

La crise grecque a permis à la zone euro de dessiner de nouveaux rapports avec le monde financier, via notamment les deux décotes successives de la dette hellénique tout en jetant les bases d'une véritable solidarité financière, par l'intermédiaire du Fonds européen de stabilité ou, bien qu'elles ne fassent pas l'unanimité, des multiples interventions de la Banque centrale européenne sur le marché obligataire. La crise italienne a poussé l'Union économique et monétaire à élaborer des pistes en vue de se doter à terme d'un véritable gouvernement. Alors que la plupart des mesures étaient jusque là économiques, la zone euro apporte cette fois-ci un embryon de réponse politique, soulevant désormais d'autres questions.  Quelles sont les conséquences de cette intégration à marche forcée sur le fonctionnement même de l'Union européenne ? Dans ce nouveau cadre où la méthode intergouvernementale contribue à l'émergence d'un véritable fédéralisme, quelle place reste-t-il à la Commission, ravalée, à première vue, au rang de support technique ?

 

Les réponses apportées, le 26 octobre dernier, au risque d'une crise italienne de liquidité sont de moindre ampleur, faute d'avoir conféré à la Banque centrale européenne le rôle de prêteur en dernier ressort que ce type de crise implique. La révision du format du Fonds européen de stabilisation financière n'apparaît pas à la hauteur du défi financier. L'appoint éventuel des pays émergents et notamment de la Chine n'est pas sans susciter une certaine inquiétude concernant l'indépendance économique de la zone euro. Face aux obstacles qui jalonnaient la route vers l'unification de l'Italie, le roi de Sardaigne, Charles-Albert, avait déclaré en 1848 que le pays n'aurait pas besoin d'une intervention étrangère pour mener à bien ce projet : " Italia farà da sé ", l'Italie se fera d'elle-même... Qu'en est-il de nos jours ?

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Europa farà da sé ? Considérations sur la crise de la dette en Italie

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