L'euro a un avenir

Union économique et monétaire

Mathilde Lemoine

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11 avril 2011
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Mathilde Lemoine

Directeur des Etudes Economiques d'HSBC France. Membre du Conseil d'Analyse Economique et de la Commission Economique de la Nation.

L'euro a un avenir

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Introduction

Si la difficulté d'articulation entre la politique monétaire et les politiques budgétaires fragilise la monnaie européenne, son statut incontesté de monnaie internationale doit lui permettre de ramasser la mise de la fuite en avant de la politique monétaire américaine.

En effet, en allant de plus en plus loin dans la monétisation de la dette publique, le Président de la Réserve Fédérale diminue la valeur du dollar mais surtout rend incertaine la valeur à venir du taux de change effectif réel de ce même dollar.

Le Gouverneur de la Banque centrale européenne a fait le choix de la stabilité de la valeur de la monnaie en axant sa politique monétaire sur la fourniture de liquidité. Il est donc tout à fait envisageable que M. Jean-Claude Trichet remporte son " pari ", ce qui renforcerait le caractère international de l'euro.

Par ailleurs, la crise grecque a été surmontée par une plus grande intégration budgétaire des Etats européens. Les derniers évènements vont donc dans le sens d'un renforcement de l'avenir de l'euro. Mais au bout du compte, son sort dépend de l'avenir institutionnel de l'Europe et du dynamisme de l'économie européenne. Il est donc indispensable que les gouvernements ne se trompent pas d'objectif s'ils veulent assoir durablement l'euro dans le concert des monnaies internationales qui comptent [1].

L'euro, une monnaie de statut international malgré ses fragilités

 

L'euro est devenu une monnaie internationale car elle est utilisée par les non résidents pour des transactions commerciales et financières. La monnaie européenne représente en effet 22 % des actifs en devises étrangères des banques non résidentes et 27% des réserves de change déclarées par les Banques centrales. En outre, l'euro est l'une des monnaies les plus couramment utilisées lors des transactions de change. Sa part de marché a progressé puisque la réduction de l'emploi du dollar s'est faite au bénéfice de la monnaie européenne qui a gagné deux points entre 2007 et 2010 pour atteindre 39% de part de marché contre 85 % pour le dollar ; la somme étant de 200% car chaque transaction implique simultanément deux monnaies.

De plus, l'euro est avec le dollar la monnaie privilégiée pour les émissions de dette : au quatrième trimestre 2009, 29,8% des titres de dette internationaux étaient libellés en euro et 38,2% en dollar. Enfin, la monnaie européenne est utilisée comme monnaie d'ancrage par 48 pays ou territoires contre 51 pour le dollar [2].

 

Pourtant l'accent est souvent mis sur les faiblesses de l'euro résultant du manque de coordination des politiques budgétaires et du caractère inachevé de l'intégration européenne. En effet, Mundell [3] a mis en évidence que la constitution d'une zone monétaire c'est-à-dire la disparition de la flexibilité des changes entre les pays ne pouvait se concevoir que si la flexibilité du marché du travail à l'intérieur de la zone était suffisamment forte pour réaliser les ajustements entre les espaces économiques nationaux qui demeurent. Dans le cas contraire, la mise en place d'un système de gouvernance fédérale s'avèrerait nécessaire afin de corriger les écarts de situation croissants à la suite d'une crise. Par exemple, dans le cas d'un choc pétrolier, les économies de la zone euro les plus touchées seront les plus dépendantes énergétiquement. Il conviendrait alors qu'une politique de soutien budgétaire soit mise en œuvre dans ces pays afin de soutenir leur demande intérieure. En effet, l'outil " change " n'est plus disponible et la politique monétaire est plutôt destinée à limiter l'impact des crises symétriques, c'est-à-dire celles qui ont le même impact dans tous les pays de la zone.

 

Le choix originel de la construction européenne visait à intégrer les économies européennes pour qu'elles convergent à terme vers une zone monétaire optimale.

Le traité de Maastricht constituait une étape décisive dans cette progression mais cette ambition a buté sur la proposition de directive Bolkestein et sur la préservation jalouse de compétences nationales. Cette proposition de directive sur les services dans le marché intérieur, adoptée par la Commission européenne le 13 janvier 2004 avant d'être transmise au Parlement et au Conseil, s'inscrivait dans le cadre du Programme de Lisbonne lancé en 2000 " pour faire de l'Union européenne l'économie la plus compétitive et dynamique du monde à l'horizon 2010 ". Elle visait à faciliter la circulation des services au sein de l'Union en proposant notamment la liberté d'établissement des prestataires de services mais aussi la possibilité pour n'importe quel prestataire européen de rendre un service transfrontalier sans être établi dans l'Etat destinataire de la prestation. Ainsi, le processus de l'intégration aurait été poursuivi, ce qui aurait facilité la gestion économique de la zone euro en cas de crise économique. Son ajournement a conforté l'idée d'un statu quo que nous pourrions résumer par le triptyque suivant : monnaie commune, arrêt de l'intégration et affirmation des nations. Dès lors, la crédibilité de la monnaie européenne était susceptible d'être remise en cause par une crise dont les répercussions seraient variables selon les pays de la zone euro. Le manque de stabilité-prédictibilité [4] de la monnaie européenne la condamnerait donc à rester une monnaie locale.

 

La crise va fragiliser le dollar alors que l'intégration budgétaire européenne se renforce

 

Si le manque de coordination des politiques budgétaires rend effectivement la monnaie européenne fragile, l'histoire n'est pas écrite pour autant. Il est impossible de connaître actuellement l'issue de la conduite actuelle des politiques monétaires ; mais il est tout à fait envisageable que les choix de la Banque centrale européenne renforcent à terme le caractère international de l'euro aux dépens du dollar.

 

Le taux de change d'une monnaie est déterminé par les équilibres ou déséquilibres comptables des balances des paiements mais aussi à court terme par le différentiel de taux d'intérêt et de politique monétaire anticipée.

La crise a changé la donne puisqu'elle a conduit les autorités monétaires en particulier américaines, britanniques et japonaises à mettre en place un volet non quantitatif à leur politique monétaire traditionnelle de baisse des taux d'intérêt directeurs.

Ce volet a consisté en l'achat d'actifs et s'est traduit par une monétisation de la dette publique. Dès lors, le différentiel de taux d'intérêt n'a plus été suffisant pour expliquer l'évolution du marché des changes et notamment de l'euro contre dollar.

En effet, la décision prise par certaines Banques centrales occidentales de procéder à des achats d'actifs non stérilisés conduit inévitablement à une expansion supplémentaire de la base monétaire qui tend, via les anticipations d'inflation, à déprécier mécaniquement la valeur de la monnaie du pays concerné vis-à-vis des monnaies des pays qui ne pratiquent pas une politique monétaire similaire. Dès lors, la perspective de hausse des prix relatifs qui en découle réduit mécaniquement les rendements réels futurs, ce qui favorise la dépréciation du taux de change du pays considéré.

Un tel mécanisme est susceptible d'être d'autant plus marqué pour le taux de change effectif nominal du dollar que la Réserve Fédérale est sans conteste la Banque centrale qui a mis en œuvre la politique d'assouplissement quantitatif la plus agressive. Cette évolution est par ailleurs encore plus significative pour le cours euro/dollar dans un contexte où la Banque centrale européenne s'est engagée à ce que ses achats d'actifs, qui sont d'une moindre ampleur que ceux de la Fed, soient stérilisés.

Ainsi, les trois périodes de baisse significative du taux de change effectif du dollar ont coïncidé avec les annonces par la Réserve Fédérale de mesures d'assouplissement quantitatif. La première est intervenue fin novembre 2008, lorsque la Banque centrale américaine a indiqué son intention d'acheter des titres et des agency mortgage-backed securities (MBS) émis par les agences gouvernementales ; la deuxième en mars 2009 lorsqu'elle a annoncé sa décision d'acheter d'ici l'automne 300 milliards $ de titres Treasuries ; puis en septembre 2010 quand elle a laissé entendre l'imminence d'un nouveau programme d'achat de titres d'Etat qui s'avèrera finalement de 600 milliards $.

 

Si une telle politique monétaire se justifie au regard du constat de risques déflationnistes établi par le Président de la Banque centrale américaine, elle peut engendrer une perte de confiance dans le dollar qui verrait peu à peu son statut de monnaie de réserve remis en question. A contrario, la Banque centrale européenne privilégie la sortie de la crise par la pentification de la courbe des taux. A court terme, une telle politique peut peser sur l'activité économique mais elle facilite l'assainissement des bilans bancaires et le redémarrage du multiplicateur du crédit. Le prix à payer n'est pas une baisse de la valeur de la monnaie, ce qui peut être considéré comme une façon de garantir à long terme la stabilité-prédictibilité de la monnaie européenne et donc son statut de monnaie internationale.

 

Parallèlement, la crise a forcé les gouvernements à suppléer aux insuffisances de la construction européenne. Les Etats membres ont su dépasser leurs réticences institutionnelles pour pallier l'insolvabilité de la Grèce. Non seulement, la Banque centrale européenne a décidé le 9 mai 2010 de procéder à des achats de titres obligataires tant publics que privés sur le marché secondaire mais les chefs d'Etat et de Gouvernement ont créé un Fonds européen de stabilité financière (FESF) afin d'écarter tout risque de restructuration de la dette d'un Etat membre.

 

Bien sûr, cette dernière décision a été longue à prendre ; mais la difficulté du dossier le justifiait. En effet, en créant ce Fonds, les pays européens exerçaient implicitement une garantie réciproque de leur dette publique, améliorant ainsi la notation des dettes des pays les plus en difficulté. Afin que ces pays soient malgré tout incités à assainir leurs finances publiques, il fallait définir un nouveau mode de gouvernance des politiques budgétaires puisque le Pacte de stabilité et de croissance et les grandes orientations de politique économique (GOPE) avaient montré leurs limites.

 

Enfin, la Commission européenne a profité de cette période de crise pour faire des propositions audacieuses en matière budgétaire, ouvrant la voie à une avancée majeure de l'intégration européenne. En effet, jusqu'à présent, les questions budgétaires étaient demeurées de compétence nationale. En présentant un ensemble complet de propositions législatives visant à " élargir et améliorer la surveillance budgétaire " des Etats membres, la Commission européenne a investi un champ national. La prochaine étape serait que ce champ devienne communautaire.

Ainsi, les décisions relèveraient de propositions émanant exclusivement de la Commission et seraient prises à la majorité qualifiée, ce qui faciliterait la poursuite du renforcement de la gouvernance économique de l'Union européenne.

 

Par voie de conséquence, la divergence de politiques monétaires entre les Etats-Unis et l'Europe peut accélérer le développement international de l'euro et la crise grecque a renforcé l'intégration européenne tout en permettant aux Etats membres de faire un pas supplémentaire vers le fédéralisme. La perte de souveraineté de la Grèce et de l'Allemagne induite par la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF) n'en est-elle pas la preuve ? La fin de l'histoire est donc encore loin d'être écrite et l'avenir de l'euro semble se consolider.

L'euro a un avenir si les Gouvernements ne se trompent pas d'objectif : le dynamisme de l'économie européenne

 

Si les théories économiques montrent que l'alternative européenne se résume à la poursuite de l'intégration économique ou à une gestion plus fédérale de la zone euro, il ne faut pas oublier que l'avenir d'une monnaie dépend avant tout du dynamisme économique.

 

Or la crise récente a montré que certains gouvernements avaient profité des bénéfices de la construction européenne pour mettre en œuvre des stratégies de croissance pour le moins critiquables. Par exemple, la création de l'euro a engendré une baisse du coût de financement en particulier en Espagne, au Portugal et en Grèce. Entre 1999 et 2007, le taux directeur réel de la Banque centrale européenne a été en moyenne par an de -0,2% en Grèce, -0,1% en Espagne et de 0,1% au Portugal contre 1,2% en France et 1,5% en Allemagne.

En outre, le rendement réel à 10 ans s'est établi en moyenne par an à 1,3% en Espagne et à 1,6% au Portugal et en Grèce alors qu'il a été de 2,6% en France et de 2,8% en Allemagne.

Rien n'empêchait les Gouvernements de ces pays d'utiliser ces taux d'intérêt réels plus faibles pour appliquer le Programme de Lisbonne présenté en 2000 et investir en recherche et développement et en formation. Mais certains comme les Gouvernements espagnols successifs ont préféré accompagner la déformation de l'économie en faveur du secteur immobilier plus sensible au taux d'intérêt. La libre redistribution des gains associés à l'établissement de la zone euro a ainsi été plus ou moins heureuse mais elle a résulté de stratégies de croissance nationale. La crise européenne n'est pas donc pas seulement la conséquence d'un problème de gouvernance européenne mais aussi le résultat de processus démocratiques. Pour l'instant, la gouvernance européenne a été suffisamment réactive et solide pour suppléer aux manquements nationaux mais il serait logique que ces gouvernements rendent avant tout des comptes à leurs électeurs.

 

Une meilleure intégration européenne ne peut pas résoudre à elle seule la divergence des stratégies nationales de croissance. C'est pourquoi il est désormais urgent de préciser le cadre limitant le choix des possibles en matière de politique budgétaire. Il est probable que les propositions de la " Task force " dirigée par le Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, iront dans ce sens. La mise en perspective du rythme de croissance des dépenses publiques et de la croissance du PIB constituerait incontestablement une grande avancée car elle aiderait à une meilleure cohérence des politiques actives de soutien à la croissance. Mais l'étau budgétaire s'est desserré avec une croissance du PIB plus forte qu'attendu au premier semestre 2010 en zone euro et avec les achats de titres obligataires par la Banque centrale européenne. Les gouvernements ont donc pu rechercher un compromis moins contraignant.

 

 

 

La prise de conscience européenne comme le différentiel de politique monétaire entre la zone euro et les Etats-Unis rendent l'avenir de l'euro prometteur. De plus, les crises constituent habituellement des accélérateurs de l'évolution institutionnelle européenne. Mais ne nous trompons pas, l'Union européenne va encore traverser des zones de turbulences dans la mesure où les gouvernements ont repoussé le moment où ils devront choisir un modèle de croissance soutenable et cohérent.


[1] Ce texte est paru initialement dans la revue Sociétal, 1er trimestre 2011. Nous remercions Jean-Marc Daniel de nous avoir aimablement autorisés à reproduire cet article.
[2] Cobham, 2007
[3] 1961
[4] Hayek a défini les deux caractéristiques d'une monnaie de statut international : la liquidité-acceptabilité et la stabilité-prédictibilité

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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